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                                                                                                                                 Date : 20040810

                                                                                                                    Dossier : IMM-5241-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1097

ENTRE :

                                                                TIBOR CZIPPAN

                                                             TIBORNE CZIPPAN

                                                               DAVID CZIPPAN

                                                           NAPSUGAR CZIPPAN

                                                             SZILARD CZIPPAN

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                    MOTIFS DE ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Introduction

[1]                Un tribunal de la Section de la protection des réfugiées de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a conclu que les demandeurs, une famille de Hongrois roms n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Le tribunal a conclu que les expériences vécues par le demandeur principal ne constituaient pas de la persécution, que le demandeur principal n'était pas crédible et que les demandeurs n'avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l'État.

[2]                Malgré que la norme de contrôle puisse varier entre la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable, selon la question sous étude, les demandeurs n'ont pas satisfait à la norme de contrôle applicable pour chacune des questions.


Historique

[3]                Le demandeur principal a fondé la demande de la famille sur les allégations résumées ci-après :

-         il a été forcé de vendre ses trois magasins de souliers suite à des agressions, des menaces et à de l'extorsion aux mains de voyous; la police a refusé d'agir relativement aux plaintes du demandeur concernant ces incidents ;

-         la police s'est présentée chez lui parce qu'elle soupçonnait qu'il utilisait son camion pour transporter des marchandises volées; un policier a agressé sexuellement son épouse lors de l'une de ces visites;

-         des camionneurs d'origine hongroise ont tenté de le forcer de cesser le commerce du transport et ils ont fait pénétrer des voyous dans sa maison pour agresser sexuellement sa fille de 12 ans;

-         des skinheads l'ont roué de coups de poing et de coups de pieds et l'ont laissé inconscient; il a reçu un traitement médical pour ces blessures.

[4]                Le tribunal a conclu que plusieurs des événements entourant la demande d'asile étaient reliés à des querelles d'affaires. Le tribunal a dit que, si les événements se sont produits, cela démontre peut-être qu'il y a discrimination mais ça ne constitue pas de la persécution.

[5]                Le tribunal a conclu, en se fondant sur des rapports documentaires objectifs et sur le fait que les enfants de la famille ne semblaient pas avoir de problèmes à l'école en raison de leur origine ethnique, que le climat social en Hongrie avait changé de manière significative en ce qui concerne les Roms.

[6]                Le tribunal a étudié les éléments de preuve objectifs concernant les actes de violence commis par les skinheads. La preuve d'expert montrait que les actes de violence commis par les skinheads ne présentaient pas un problème important en Hongrie et que le gouvernement offre une protection à ses citoyens contre les skinheads.


[7]                En ce qui concerne la protection de l'État, le tribunal a constaté le nombre important d'éléments de preuve qui montre l'amélioration significative du traitement réservé aux Roms par la police au cours de quelques dernières années. Les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays confirment l'existence d'un certain nombre d'agences gouvernementales et d'autres organisations qui fournissent un soutien véritable pour traiter des plaintes formulées par les Roms.

[8]                Dans ce contexte, le tribunal a tiré des inférences défavorables de l'absence d'efforts des demandeurs pour obtenir les deux rapports de police auxquels ils renvoient dans leur FRP. Le tribunal a tiré une inférence défavorable de l'omission d'obtenir le rapport médical laissé chez les parents du demandeur principal.

[9]                Le tribunal a étudié les éléments de preuve relatifs à l'existence de la protection de l'État. Il a conclu que l'omission des demandeurs de prendre des mesures raisonnables pour se prévaloir de toutes les formes de protection de l'État constituait une omission de s'acquitter de l'obligation de démontrer qu'ils n'avaient pas accès à la protection de l'État.

Analyse

[10]            En ce qui concerne la question de l'existence de la persécution, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter. Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 796.


[11]            Le tribunal a entrepris une analyse attentive du contexte factuel de discorde dans le milieu des affaires, de comportement anticoncurrentiel et d'animosité ethnique. Il a ensuite appliqué cette analyse à la question de savoir si les événements étaient à tel point graves et institutionnalisés qu'ils constituaient de la persécution plutôt que de la discrimination. Il n'y a rien de déraisonnable dans l'analyse ou les conclusions du tribunal.

[12]            Le tribunal a conclu que le demandeur principal n'était pas crédible, particulièrement en ce qui concerne les agressions de la police et des skinheads. En matière de conclusions sur la crédibilité, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[13]            Les demandeurs ont dit que le tribunal avait commis une erreur. Ils se sont appuyés sur la décision Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 149, pour ce qui est du principe selon lequel, en l'absence de raisons de douter d'un témoignage, il n'y a pas de raisons d'exiger la corroboration. Les demandeurs se fondent sur le principe que lorsqu'un demandeur témoigne sous serment, on présume de la véracité de ses dires.

[14]            La présomption de véracité ne signifie pas qu'il n'est pas loisible aux commissaires de mener leur dossier avec un oeil critique; la présomption n'exempte pas non plus un demandeur de produire de la documentation qui est à sa portée. Dans la présente affaire, les demandeurs n'ont fait aucun effort pour produire ni les rapports de police ni les rapports médicaux sur lesquels ils se sont appuyés. C'est à bon droit que le tribunal a traité du témoignage avec une certaine minutie.

[15]            Le récit des demandeurs comporte plusieurs incompatibilités. Par exemple, dans le mémoire des faits et du droit, les demandeurs s'appuient sur la tentative de viol alléguée de la fille perpétrée par la police. Dans le FRP, ce sont des voyous que l'on accuse d'en être les auteurs; dans l'affidavit déposé à la Cour, on jette le blâme sur des camionneurs racistes.


[16]            Si l'on tient compte de tout le contexte, on ne peut dire que les conclusions du tribunal sur la crédibilité sont manifestement déraisonnables. Les inférences défavorables qui ont été tirées étaient plus que raisonnables.

[17]            En ce qui concerne la protection de l'État, les conclusions sur la crédibilité ont une incidence sur la question de savoir si les demandeurs ont tenté de pleinement se réclamer de la protection de l'État. De plus, puisque la conclusion sur la protection de l'État concerne une question mixte de fait et de droit, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[18]            Les rapports sur la situation dans le pays montrent qu'à différents moments, il y a eu des incidents de discrimination envers les Roms de la part de la police. La conclusion du tribunal selon laquelle les tentatives des autorités hongroises de sensibiliser la police aux questions entourant les Roms « [semblent avoir] éliminé la discrimination raciale exercée par la police » est sans doute une exagération.

[19]            Toutefois, ce commentaire doit être pris dans son contexte. S'il s'agissait de la conclusion fondamentale, on en douterait. Elle n'était pas fondamentale - elle a été tirée pour la forme. Le tribunal n'a pas ignoré d'éléments de preuve (favorables ou défavorables) concernant l'attitude de la police, mais elle a correctement remarqué la prépondérance d'éléments de preuve objectifs qui montre l'absence de partialité institutionnalisée de la part de la police.

[20]            Le tribunal a bien personnalisé son analyse de la protection de l'État à la situation des demandeurs et à leur propre comportement. Sa conclusion que les demandeurs ne s'étaient pas réclamés de la protection de l'État, jumelée à ses conclusions sur la crédibilité, montre que ses décisions étaient raisonnables.


[21]            L'affaire Molnar (Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 339, (2002 CFPI 1081), est différente de la présente affaire parce qu'ici, aucun élément de preuve acceptable ne montre que la police était l'auteure de l'infraction. La décision Molnar s'applique uniquement lorsque les autorités se montrent non seulement insensibles aux plaintes mais qu'elles sont aussi la source même de la persécution pour laquelle aucun recours adéquat n'est disponible. Ce n'est pas le cas ici.

[22]            Dans l'affaire qui nous occupe, le raisonnement de la juge Simpson dans la décision Pal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 FCPI 698, est plus pertinent.

[23]            Le tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant que la présomption de protection de l'État n'avait pas été réfutée.

[24]            Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[25]            Les parties reconnaissent qu'il n'y a aucune question à certifier.

                                                                                                                           « Michael L. Phelan »          

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5241-03

INTITULÉ :                                                    TIBOR CZIPPAN et al.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MERCREDI 21 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 10 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Peter G. Ivanyi                                                  POUR LES DEMANDEURS

Marina Stefanovic                                              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter G. Ivanyi                                                  POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)                                                                                                                                 

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                                                                  

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