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Date : 20031027

Dossier : T-493-00

Référence : 2003 CF 1253

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                         CAPITAL VISION, INC.,

                                                 CVI ART MANAGEMENT INC.,

                                                      CVI MANAGEMENT INC.,

                                             THE CAPITAL VISION GROUP INC.,

                                   BDO DUNWOODY LLP, 671514 ONTARIO LTD.,

                                       1271724 ONTARIO INC., GREG COLEMAN,

                                 RALPH T. NEVILLE, GERRY JOHN HOGENHOUT

                                                                 et PAUL BAIN

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Capital Vision, Inc., CVI Art Management Inc., CVI Management Inc., The Capital Vision Group Inc., BDO Dunwoody LLP, 671514 Ontario Ltd., 1271724 Ontario Inc., Greg Coleman, Ralph T. Neville, Gerry John Hogenhout et Paul Bain (les demandeurs) voudraient que soit rendue, en application des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), une ordonnance leur adjugeant les dépens au titre de leurs demandes de contrôle judiciaire déposées à l'encontre de certaines lettres du ministre du Revenu national (le ministre) qui obligeaient les demandeurs à communiquer des renseignements et des documents au ministre. Le ministre a signifié les lettres de directives (les « nouvelles directives » ) aux demandeurs le 15 février 2000, en application de l'article 231.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi).

LES FAITS

[2]                Les directives émises et signifiées en février 2000 sont appelées les « nouvelles directives » pour qu'on puisse les distinguer des directives émises par le ministre en novembre 1999 (les « anciennes directives » ). En novembre 1999, le ministre avait demandé l'autorisation judiciaire de signifier ces anciennes directives en application du paragraphe 231.2(3) de la Loi. Une ordonnance avait été rendue par la juge Reed le 22 novembre 1999, qui autorisait la signification des anciennes directives.


[3]                Les demandeurs ont alors déposé une requête en réexamen de l'ordonnance, en application du paragraphe 231.2(5) de la Loi. Les parties, c'est-à-dire les demandeurs et le défendeur, se sont entendues pour que la requête en réexamen de l'ordonnance du 22 novembre 1999 soit instruite durant la semaine du 14 février 2000, sous réserve que la juge Reed soit alors disponible. Puis, le 9 février 2000, le ministre faisait savoir, par l'entremise de son avocat, qu'il ne chercherait pas à faire exécuter les anciennes directives, mais qu'il émettrait de nouvelles directives. Le ministre a effectivement émis de nouvelles directives sans obtenir une autorisation judiciaire préalable. L'émission des nouvelles directives sans autorisation judiciaire, après que le ministre se fut unilatéralement désisté des anciennes directives, est l'incident à l'origine de la présente demande et requête pour que soient adjugés des dépens dépassant l'échelle habituelle.

[4]                Chacun des demandeurs a produit une demande de contrôle judiciaire. Par une ordonnance en date du 18 mai 2000, le protonotaire adjoint Giles ordonnait que les sept demandes de contrôle judiciaire soient regroupées en une seule instance, n ° du greffe T-493-00, qu'un seul dossier de demande soit déposé pour toutes les demandes et qu'un seul dossier soit déposé par le ministre.

[5]                La demande unifiée de contrôle judiciaire a été instruite le 25 juin 2001. Par une ordonnance motivée rendue le 19 décembre 2002, la demande a été accueillie, avec dépens. Les demandeurs ont produit un avis de requête le 4 février 2003, dans lequel ils sollicitaient ce qui suit :

1.              une ordonnance fixant sur une base avocat-client les dépens adjugés aux demandeurs;

2.              subsidiairement, une ordonnance fixant les dépens adjugés aux demandeurs selon une somme forfaitaire dépassant les chiffres indiqués dans le tarif B;


3.              subsidiairement encore, une ordonnance enjoignant à l'officier taxateur de taxer les dépens des demandeurs sur une base avocat-client;

4.              subsidiairement encore, une ordonnance enjoignant à l'officier taxateur de fixer les dépens des demandeurs selon une somme forfaitaire dépassant les chiffres indiqués dans le tarif B;

5.              une ordonnance accordant aux demandeurs leurs dépens au titre de la présente requête, sur une base avocat-client;

6.              une ordonnance prévoyant que les dépens adjugés seront payés aux avocats des demandeurs en fidéicommis; et

7.              les autres redressements que la Cour jugera à propos.

CONCLUSIONS DES DEMANDEURS

[6]                Les demandeurs ont soulevé plusieurs moyens à l'appui de cet avis de requête. Ils s'en rapportent également aux facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles pour prier la Cour de leur adjuger des dépens supérieurs à ceux que prévoit le tarif B. Ils voudraient d'abord que leur soient accordés des dépens avocat-client, soit par adjudication fixe de tels dépens, soit par adjudication taxée. Subsidiairement, ils sollicitent une ordonnance fixant leurs dépens selon une somme forfaitaire dépassant les chiffres indiqués dans le tarif B, ou une ordonnance enjoignant à l'officier taxateur de taxer de tels dépens avec majoration.

[7]                Les demandeurs ont produit trois projets de mémoire de dépens, le premier établi selon la formule des dépens avocat-client, le second selon la colonne V du tarif B, et le troisième selon la colonne III du tarif B. La colonne III est la base « habituelle » d'adjudication des dépens, et la colonne V est la base « élevée » d'adjudication des dépens.


[8]                Les demandeurs reconnaissent que l'adjudication de dépens avocat-client est un remède extraordinaire, comme cela est expliqué dans l'arrêt Bland c. Commission de la capitale nationale, [1993] 1 C.F. 541 (C.A.F.); et dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 9 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.). Ils reconnaissent que, en règle générale, de tels dépens ne sont accordés que s'il y a eu « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties » , ainsi que l'explique l'arrêt Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, à la page 134.

[9]                Les demandeurs cependant font observer que des dépens avocat-client seront accordés pour indemniser un plaideur innocent lorsqu'une autre partie contraint celui-ci à supporter des frais pour une procédure qui serait autrement inutile. Cette situation est examinée dans l'arrêt Fraser c. Banque de la Nouvelle-Écosse (2001), 278 N.R. 154 (C.A.F.).

[10]            Les demandeurs n'imputent aucune conduite scandaleuse ou répréhensible à l'avocat du ministre, mais ils disent que, dans cette affaire, le ministre a agi d'une manière oppressive en émettant les nouvelles directives qui ont conduit à cette demande de contrôle judiciaire. Ils disent que le ministre n'a pas avec franchise révélé ses motivations en émettant les nouvelles directives. Ils se réfèrent à la décision ayant disposé de la demande de contrôle judiciaire, et aux conclusions suivantes :

a)              Le défendeur n'a pas procédé d'une manière autorisée par la loi lorsqu'il a émis les nouvelles directives à Capital Vision;


Motifs de décision, Dossier de requête des demandeurs, onglet 4, page 106, au paragraphe 59

b)              Le défendeur a irrégulièrement exercé le pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'article 231.2 de la LIR lorsqu'il a émis les nouvelles directives aux autres demandeurs;

Motifs de décision, Dossier de requête des demandeurs, onglet 4, pages 116 et 117, au paragraphe 95

c)              En abandonnant les anciennes directives et en émettant les nouvelles directives, le défendeur a « court-circuité » ou « esquivé » la procédure présidant à l'introduction d'une demande de contrôle judiciaire de l'ordonnance d'autorisation, notamment le contre-interrogatoire de M. Ferguson;

Motifs de décision, Dossier de requête des demandeurs, onglet 4, pages 107 et 115, aux paragraphes 66, 89 et 90

d)              Le défendeur voulait faire échouer le recours introduit par les demandeurs en vue d'un contrôle judiciaire de l'ordonnance d'autorisation; et

Motifs de décision, Dossier de requête des demandeurs, onglet 4, page 116, au paragraphe 93

e)              Le défendeur a été « d'une franchise discutable » ou il a « dénaturé » ses véritables desseins lorsqu'il a émis les nouvelles directives.

Motifs de décision, Dossier de requête des demandeurs, onglet 4, pages 111 et 114, aux paragraphes 77 et 86


[11]            Les demandeurs parlent aussi d'un manque de coopération du ministre dans cette demande de contrôle judiciaire. La Loi impose des délais aux personnes qui sont l'objet de directives selon l'article 231.2. L'inobservation de ces directives peut conduire à des sanctions. Le défendeur n'a pas consenti à prolonger les délais de conformité et a fait courir aux demandeurs le risque d'être accusés d'infractions aux termes de la Loi ou de perdre leur droit d'obtenir le contrôle judiciaire des nouvelles directives. Les demandeurs se sont alors vus contraints d'introduire une requête en suspension des délais qui couraient à leur détriment. Cette requête a été accordée par ordonnance en date du 15 mars 2000. Dans les motifs d'ordonnance communiqués le 8 juin 2000, le juge Dawson estimait que des points importants avaient été soulevés par les demandeurs, plus précisément le point de savoir si les nouvelles directives étaient trompeuses, et celui de savoir si les nouvelles directives avaient été entachées par le fait que le ministre n'avait pas désigné les contribuables qui étaient l'objet d'une enquête dans le cadre des nouvelles directives. Le juge Dawson avait différé sa décision sur les dépens de la requête en suspension.

[12]            Les demandeurs relèvent aussi qu'ils ont dû introduire d'autres requêtes interlocutoires en rapport avec leur demande de contrôle judiciaire. Le défendeur avait refusé de produire certains documents et les demandeurs avaient dû introduire une requête en production, conformément à l'article 318 des Règles. Ils avaient obtenu gain de cause dans cette requête et, par ordonnance datée du 23 août 2000, le protonotaire Lafrenière avait ordonné au ministre de communiquer un supplément de documents. Il avait aussi ordonné que les dépens de cette requête soient laissés à l'appréciation du juge du procès.


[13]            Le ministre ne s'est pas conformé à l'obligation que lui faisait la Loi d'obtenir une autorisation judiciaire avant d'émettre des directives visant à recueillir des renseignements et documents se rapportant à des personnes non désignées nommément. Les demandeurs affirment donc qu'ils ont été contraints de s'en rapporter à la Cour à plus d'une reprise afin de protéger leurs droits, malgré l'absence d'un comportement scandaleux ou répréhensible de la part du ministre. En bref, les demandeurs disent que leurs demandes soulèvent la question importante de l'observation de la loi par le ministre. Si le ministre était allé de l'avant avec les anciennes directives pour lesquelles une autorisation judiciaire avait été demandée et obtenue, les demandeurs auraient eu la possibilité de contester ladite autorisation de la manière prévue par la Loi, et la présente procédure n'aurait pas été nécessaire.

CONCLUSIONS DU MINISTRE

[14]            En réponse à cette requête en adjudication de dépens, le ministre exprime l'avis que les demandes ne faisaient pas intervenir un point de droit encore inédit, que des demandes individuelles de contrôle judiciaire étaient inutiles et que les frais engagés par les demandeurs, dans le dossier T-493-00 et dans les demandes connexes, auraient de toute façon été engagés si les demandeurs avaient été à même de défendre leur requête en révision de l'ordonnance de la juge Reed, c'est-à-dire de l'ordonnance qui autorisait les anciennes directives.

[15]            Le ministre s'oppose à l'octroi de dépens selon une échelle supérieure à l'échelle habituelle, c'est-à-dire supérieure à ce que prévoit le tarif B. Le ministre reconnaît que l'avis d'appel déposé à l'encontre de l'ordonnance du juge Dawson n'a pas eu de suite et qu'aucun appel n'a été interjeté contre l'ordonnance du 19 décembre 2002 qui faisait droit à la demande de contrôle judiciaire.


DÉCISION

[16]            Le paragraphe 400(1) des Règles donne à la Cour un large pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l'adjudication de dépens. En voici le texte :

400. (1) Pouvoir discrétionnaire de la Cour - La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.

400. (1) Discretionary powers of Court - The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

[17]            En règle générale, des dépens sont accordés en tant que dépens partie-partie à la partie qui obtient gain de cause. Les dépens adjugés ne prétendent pas indemniser complètement la partie qui obtient gain de cause, sauf si des circonstances spéciales justifient l'octroi de dépens avocat-client. Dans l'affaire Apotex Inc. et Novopharm Ltd. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 159 F.T.R. 233, jugement confirmé 270 N.R. 304, le juge Wetston, à la page 238, s'était exprimé ainsi sur le principe à l'origine de l'octroi de dépens :

... Un principe important sous-tend les dépens : l'allocation de dépens représente un compromis entre l'indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non-imposition d'une charge excessive à la partie qui succombe.

[18]            En l'espèce, les demandeurs voudraient une ordonnance leur adjugeant des dépens qui dépassent l'échelle habituelle, c'est-à-dire la colonne III du tarif B. Leur première requête vise à l'adjudication de dépens avocat-client.


[19]            Comme on l'a vu ci-dessus dans l'arrêt Young, précité, de tels dépens sont généralement octroyés lorsque l'une des parties a montré une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » . Il n'y a ici aucune conduite semblable, et les demandeurs le reconnaissent. Cependant, des dépens avocat-client peuvent également être octroyés pour indemniser une partie innocente. Selon les demandeurs, le ministre a agi d'une manière oppressive en émettant les nouvelles directives sans obtenir d'abord une autorisation judiciaire et, ce faisant, il a contraint les demandeurs à engager les frais nécessaires pour contester cette décision par demande de contrôle judiciaire.

[20]            À mon avis, par leurs conclusions en la matière, les demandeurs n'ont pas réussi à montrer que l'adjudication de dépens avocat-client est ici justifiée.

[21]            Simultanément, je suis d'avis que les dépens auxquels ont droit les demandeurs devraient être plus élevés que les dépens prévus dans le tarif B. Le dossier montre que les demandeurs ont dû engager les frais d'une procédure qui aurait été inutile si le ministre avait suivi la voie qu'il avait empruntée en novembre 1999 ou s'il avait obtenu une autorisation judiciaire avant d'émettre les nouvelles directives en février 2000. J'accepte les conclusions des demandeurs dans cette requête, conclusions selon lesquelles les demandes initiales de contrôle judiciaire soulèvent une question fondamentale et importante, à savoir le respect de la loi.


[22]            Le dossier montre que, dès juin 2000, la Cour avait reconnu que les demandes de contrôle judiciaire soulevaient de sérieux doutes sur les actions du ministre. Dans ses motifs d'ordonnance en date du 8 juin 2000, le juge Dawson s'exprimait ainsi, aux paragraphes 72 et 73 :

Je conclus que, compte tenu du libellé des demandes qui ont été signifiées aux demandeurs autres que Capital Vision Inc., une question sérieuse à juger a été soulevée quant à savoir si les demandes étaient trompeuses et, dans l'affirmative, quant à savoir si une déclaration trompeuse rend ces demandes invalides.

Pour les raisons avancées par l'avocat de 671514 Ontario Ltd. et de M. Hogenhout, et qui ont été énoncées précédemment, je conclus également que les circonstances de l'espèce soulèvent une question sérieuse à juger quant à savoir si le défaut de préciser le nom des contribuables sous enquête entache d'un vice les demandes qui ont été signifiées à ces demandeurs.

[23]            La manière dont le juge Dawson a réglé la question du préjudice irréparable, dans le contexte de la requête en suspension, sert à illustrer l'attitude du ministre envers les demandeurs. Aux paragraphes 78 à 83 de ses motifs, le juge Dawson s'exprimait sur la position adoptée par le ministre dans sa réponse à la requête des demandeurs en vue d'obtenir un délai supplémentaire pour réagir aux nouvelles directives :

[78]          J'accepte les observations des demandeurs selon lesquelles la thèse du ministre suppose qu'il considère que le dépôt d'une accusation criminelle prévue à la Loi n'a aucune incidence sur la vie d'un contribuable. Je conviens aussi qu'il est contraire au bon sens pour le ministre de prétendre que, si les demandeurs veulent obtenir le droit de se faire entendre en audience publique, ils n'ont qu'à attendre le dépôt d'accusations.

[79]          Le simple fait de déposer des accusations criminelles contre les demandeurs comporte réellement la possibilité de causer un préjudice grave aux demandeurs et à leur réputation, même s'ils sont finalement acquittés.

[80]          Le préjudice irréparable renvoie à la nature du préjudice qui sera subi. Ce préjudice doit être de nature matérielle et ne pas pouvoir être adéquatement compensé par des dommages-intérêts.

[81]          En plus du préjudice inhérent au fait d'avoir à faire face à une accusation prévue à la Loi, au moins deux demandeurs, soit BDO Dunwoody et Ralph T. Neville, ont indiqué qu'ils allaient se conformer aux demandes s'ils n'obtenaient pas la mesure de redressement provisoire demandée.


[82]          Si les demandeurs se conforment aux demandes, la demande de contrôle judiciaire deviendra inopérante et, contrairement à ce que prétend le ministre, ne leur donnera pas la possibilité de saisir les cours criminelles d'une contestation.

[83]          Dans ces circonstances, je conclus que les demandeurs ont établi l'existence d'un préjudice irréparable

[24]            Les demandeurs disent que l'ordonnance et les motifs d'ordonnance du juge Dawson signalent clairement au ministre que la méthode employée par lui était discutable. Je partage leur avis. Selon moi, en juin 2000, la Cour avait averti le défendeur, et le défendeur n'a pas modifié son approche. Au contraire, il a refusé de produire certains documents, obligeant les demandeurs à consacrer temps et argent pour obtenir une ordonnance de production.

[25]            Cette ligne de conduite influe sur la taxation des dépens.

[26]            Le défendeur soutient que les demandeurs auraient engagé les mêmes frais si leur contestation initiale des anciennes directives avait eu une suite. Je n'accorde aucune valeur à cet argument. Les demandeurs n'avaient aucun pouvoir sur la procédure initiale qui a été introduite alors que le ministre avait obtenu l'autorisation judiciaire en 1999 d'émettre les anciennes directives. Cette procédure a été abandonnée unilatéralement par le ministre lorsqu'il a indiqué en février 2000 qu'il renonçait aux anciennes directives, mais qu'il en émettait de nouvelles.


[27]            Il n'y a pas moyen de savoir quelles mesures auraient été prises à l'égard de l'ancienne procédure, quels dépens elles auraient entraînés ou quelle aurait été la décision ultime. À mon avis, la question des dépens se rapportant à la demande initiale d'autorisation du ministre n'intéresse pas la question des dépens dans la présente instance.

[28]            Le défendeur soutient que des demandes individuelles de contrôle judiciaire, de la part de chacun des demandeurs, n'étaient pas nécessaires. Selon lui, les demandeurs n'avaient pas besoin d'être représentés séparément, et les dépens octroyés devraient rendre compte de la répétition inutile des formalités accomplies.

[29]            C'est là un argument que je ne puis accepter. Puisque des directives individuelles avaient été envoyées à chacun des demandeurs, chaque directive vaut comme « décision » unique pour chacun des destinataires. L'article 302 des Règles prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance. Eu égard aux circonstances de la présente affaire, les demandeurs ont suivi la bonne méthode en engageant des procédures séparées. Ils ont également agi raisonnablement et avec diligence en cherchant à regrouper les sept demandes individuelles.

[30]            Les demandeurs avaient le droit d'être représentés chacun par son avocat. Leurs intérêts étaient apparentés, mais non identiques. Il ressort des pièces déposées que les avocats des demandeurs ont tenu compte de la lettre et de l'esprit de l'ordonnance du protonotaire adjoint Giles, qui avait mis en garde les avocats contre une répétition d'arguments et d'observations. Les demandeurs ont présenté des arguments complets, mais non répétitifs.


[31]            Le paragraphe 400(3) des Règles énumère plusieurs facteurs que la Cour peut prendre en compte dans la taxation de dépens. À mon avis, les alinéas 400(3)a), c), g), h), l) et o) intéressent tout particulièrement la présente affaire. Les demandeurs ont eu gain de cause dans leur demande. Les points soulevés étaient importants, ils ont nécessité un travail appréciable de préparation et ils mettaient en cause l'intérêt public, pour autant que soit concernée la ligne de conduite du défendeur en application de l'article 231.2 de la Loi.

[32]            Le refus du ministre de consentir à une prorogation du délai durant l'hiver 2000, et son refus de produire des documents au printemps 2000, avaient conduit les demandeurs à déposer des requêtes interlocutoires. À mon avis, ces requêtes étaient justes et nécessaires.

[33]            Chacun des demandeurs était compromis, en tant que personne juridique distincte, par la directive dont il était l'objet. Chacun d'eux a introduit à juste titre sa propre demande et chacun d'eux avait droit à son propre avocat.


[34]            En conclusion, je relève que le ministre est chargé de l'administration de la Loi. L'article 231.2 lui permet d'obtenir des renseignements à toutes fins se rapportant à l'application et à l'exécution de la Loi. Il peut obtenir ces renseignements d'un « tiers » à propos de personnes non désignées nommément, mais le paragraphe 231.2(3) l'oblige à obtenir l'autorisation d'un tribunal avant d'émettre une directive à un tiers concernant une personne non désignée nommément. Ainsi que l'expliquait le juge Rothstein (sa fonction à l'époque) dans l'affaire Ministre du Revenu national c. Sand Exploration Limited, [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.), à la page 52, le ministre est astreint à une norme élevée lorsqu'il demande une autorisation judiciaire selon le paragraphe 231.2(3).

[35]            À mon avis, il est astreint à une norme au moins aussi élevée lorsqu'il décide, sans autorisation judiciaire, de signifier à un tiers une directive obligeant celui-ci à communiquer des renseignements sur des personnes non désignées nommément et, dans un cas douteux, il doit obtenir une telle autorisation. C'est là un facteur qui laisse planer un doute sur le respect des règles, tel que ces règles sont exposées dans la Loi. Ce doute a des conséquences pour l'intérêt public dans la bonne application de la Loi.

[36]            Pour les motifs susmentionnés, et eu égard aux indications données dans la jurisprudence à propos de l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans l'adjudication de dépens au-delà du tarif B, notamment les précédents suivants : Canadian Pacific Forest Products Ltd. et autres c. Termar Navigation Co. et autres (1998), 146 F.T.R. 72, Apotex Inc. et Novopharm Ltd., précité, et Wihksne c. Canada (Procureur général) (2002), 299 N.R. 211 (C.A.F.), je suis d'avis que, dans la présente affaire, des « considérations spéciales » justifient l'octroi de dépens qui dépassent ceux du tarif B.

[37]            J'ordonne, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, que les dépens des demandeurs soient taxés par un officier taxateur selon une somme forfaitaire dépassant les chiffres indiqués dans le tarif B, en sus des débours raisonnables et de la TPS applicable.

[38]            Les demandeurs voudraient que les dépens de la présente requête leur soient accordés sur la base avocat-client. Je ne crois pas qu'ils ont montré qu'une telle ordonnance devrait être rendue. La preuve n'a pas été faite de l'existence de facteurs spéciaux susceptibles de soustraire cette requête aux règles habituelles de taxation des dépens, et les dépens de la requête seront taxés à l'encontre du ministre, par un officier taxateur, de la manière habituelle.

                                        ORDONNANCE

Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j'ordonne que les demandeurs obtiennent leurs dépens de la demande de contrôle judiciaire selon une somme forfaitaire dépassant les chiffres indiqués dans le tarif B, dépens qui seront taxés par un officier taxateur, outre les débours raisonnables et la TPS.

                                                                                   _ E. Heneghan _                 

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-493-00

INTITULÉ :               CAPITAL VISION INC. et autres

                                                                                          demandeurs

- et -

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE MERCREDI 30 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :          LE 27 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :              Clifford L. Rand / David Muha

pour les demanderesses : Capital Vision Inc.,

CVI Art Mgmt Inc. et CVI Mgmt Inc.

Tom Friedland

pour les demandeurs : The Capital Vision Group Inc.,

et Greg Coleman

David S. Morritt / Allan Coleman

pour les demandeurs : Paul Bain et 1271724 Ontario Inc.

Peter A. Vita, c.r. / Joselin Espejo-Clark

pour le défendeur


                                                   - 2 -

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Clifford L. Rand / David Muha

Wildeboer Rand Thomson APPS et Dellelce, LLP

Avocats

Bureau 810, C.P. 4

1 First Canadian Place

Toronto ON M5X 1A9

pour les demanderesses : Capital Vision Inc.,

CVI Art Mgmt Inc. et CVI Mgmt Inc.

Tom Friedland

Goodmans LLP

Avocats

250, rue Yonge, bureau 2400

Toronto ON M5B 2M6

pour les demandeurs : The Capital Vision Group Inc., et Greg Coleman

David S. Morritt / Allan Coleman

Osler, Hoskin et Harcourt LLP

Avocats

C.P. 50

1 First Canadian Place

Toronto ON M5X 1B8

pour les demandeurs : Paul Bain et 1271724 Ontario Inc.

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20031027

                             Dossier : T-493-00

ENTRE :

CAPITAL VISION INC. et autres

                                        demandeurs

- et -

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                           défendeur

                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                 


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