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Date : 20050516

                                                                                                                           Dossier : T-1986-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 700

ENTRE :

                                                                RONGZHEN XU

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]                La demanderesse interjette appel, en vertu de l'article 21 de la Loi sur les Cours fédérales et du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, de la décision de la juge de la citoyenneté Rita Cox (la juge de la citoyenneté), en date du 10 septembre 2004, dans laquelle celle-ci a rejeté la demande de citoyenneté de la demanderesse invoquant comme motif que cette dernière n'avait pas satisfait aux exigences en matière de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.


[2]                Un appel semblable a été interjeté du rejet de la demande de citoyenneté de l'époux de Mme Xu, entendue par la même juge de la citoyenneté. Cet appel est examiné dans le dossier T-1985-04.

Contexte

[3]                La demanderesse, Rongzhen Xu, est citoyenne de la République populaire de Chine. Elle est entrée au Canada en 1993 à titre de visiteur. Elle accompagnait son fils qui étudiait au Canada. Elle a obtenu le droit d'établissement le 1er mai 1995, en qualité de conjointe de son époux, demandeur de la catégorie investisseur. Son époux a satisfait à toutes les exigences d'un immigrant faisant partie de la catégorie investisseur.

[4]                L'époux de la demanderesse a lancé une entreprise au Canada en 1995, Kairen International Inc., pour laquelle travaille la demanderesse. En 1997, Kairen International Inc. a conclu un accord de coentreprise avec Royal Plastics, destinée à l'établissement d'une usine de fabrication Royal Plastics en Chine. Conformément à l'accord de coentreprise, l'époux de la demanderesse a été nommé président-directeur général de Royal Plastics China. Kairen International Inc. est actuellement propriétaire à vingt pour cent de Royal Group China Ltd. et a mis sur pied et exploite une usine de fabrication rentable en Chine appartenant en totalité à des intérêts canadiens. La demanderesse continue d'être employée par Kairen.


[5]                Le travail de l'époux de la demanderesse l'a obligé à voyager en Chine à de nombreuses reprises. La demanderesse accompagne son époux lorsqu'il voyage pour affaires afin, selon elle, de veiller sur sa santé et de lui prêter main-forte dans ses affaires. En plus de ces déplacements d'affaires, la demanderesse a voyagé en Chine pour obtenir des traitements traditionnels destinés à soulager ses maux de dos et y a passé plusieurs mois en 1998, au chevet de sa mère atteinte d'une maladie chronique, et mourante. La mère de la demanderesse est décédée en janvier 1999, et les maux de dos de la demanderesse sont maintenant contrôlés.

[6]                La demanderesse n'a pas maintenu de résidence ailleurs qu'au Canada depuis l'obtention du droit d'établissement. Lorsqu'elle voyage en Chine, elle demeure chez des membres de sa famille, à l'hôtel ou, si elle voyage avec son époux, dans l'appartement meublé loué par l'entreprise de son époux. Sa seule résidence permanente est au Canada, à Etobicoke, en Ontario.

[7]                La demanderesse a présenté une demande de citoyenneté en décembre 2000, près de cinq ans après avoir obtenu le droit d'établissement au Canada. Elle dit qu'elle a séjourné au Canada pendant 571 jours. Or, la durée du séjour prescrite au paragraphe 5(1) de la Loi pour la période visée aurait dû être de 1 095 jours. Entre le 18 août 1999 et le 17 août 2001, elle était titulaire d'un permis de retour pour résident permanent, ce qui lui a permis de préserver son statut de résidente permanente par l'effet de l'alinéa 46(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.


[8]                La demanderesse a maintenu sa résidence, ses comptes de banque, ses investissements dans l'immobilier, son permis de conduire et son numéro de sécurité sociale au Canada.

Décision faisant l'objet du contrôle

[9]                Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a conclu que le séjour au Canada de la demanderesse n'avait pas été suffisamment long pour qu'elle lui accorde la citoyenneté. Elle a ensuite invoqué la décisionRe Koo, dans laquelle la juge Reed a conclu que l'insuffisance de la période n'invalide pas nécessairement la demande si le demandeur est en mesure de prouver qu'il « vit régulièrement, normalement ou habituellement au Canada » ou, autrement dit, si le Canada est le pays où le demandeur « a centralisé son mode d'existence » .

[10]            La juge de la citoyenneté a ensuite passé en revue les six questions proposées par la juge Reed pour aider à décider si le Canada est le pays où le demandeur vit régulièrement, normalement et habituellement. Elle a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas aux conditions de résidence prescrites par la Loi sur la citoyenneté. Compte tenu que la demanderesse a passé 65 % de la période pertinente en Chine, la juge de la citoyenneté a conclu [traduction] « qu'il est très difficile de s'imprégner des valeurs canadiennes et de s'intégrer dans la société canadienne en raison de si longues absences » .


Questions en litige

[11]            En dépit des nombreuses questions soulevées par l'avocate de la demanderesse dans son mémoire, il me semble que la solution repose sur la réponse à une seule question, à savoir si la juge de la citoyenneté avait commis une erreur en concluant que la demanderesse n'avait pas rempli les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

Disposition législative

[12]            Le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté est rédigé comme suit :



5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

a) en fait la demande;

b) est âgée d'au moins dix-huit ans;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

f) n'est pas sous le coup d'une mesure de renvoi et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.


Norme de contrôle

[13]          Les avocats de la demanderesse et du défendeur ne contestent pas que la question de savoir si une personne a rempli les conditions de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté est une question mixte de fait et de droit . Aussi, la norme de contrôle applicable en l'espèce est-elle la norme de la décision raisonnable simpliciter. Compte tenu de la déférence due aux connaissances et à l'expérience particulières de la juge de la citoyenneté, sa décision doit être confirmée pourvu qu'elle dénote une compréhension de la jurisprudence et une appréciation des faits et de leur application au critère prévu par la loi. Chen c. Canada, [2004] A.C.F. no 2069; Rasaei c. Canada, [2004] A.C.F. no 2051; Gunnarsson c. Canada, [2004] A.C.F. no 1913; Canada c. Chen, [2004] A.C.F. no 1040; Zeng c. Canada, [2004] A.C.F. no 2134; Canada c. Chang, [2003] A.C.F. no 1871; Canada c. Fu, [2004] A.C.F. no 88.

Analyse

[14]            L'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté énonce trois critères qu'un demandeur de la citoyenneté canadienne doit respecter : (1) l'admission à titre de résident permanent; (2) le maintien du statut de résident permanent; (3) avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande.


[15]            Le Parlement a bien précisé qu'un demandeur de la citoyenneté doit avoir résidé au Canada pendant « au moins » trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. Quant au sens de « résider » , celui-ci n'est pas défini en propre au paragraphe 2(1) de la Loi sur la citoyenneté. Cela étant, il est assurément juste de dire que le fait que l'alinéa 5(1)c) autorise jusquun an d'absence au cours des quatre années qui précèdent la demande de citoyenneté crée une forte inférence que la présence du demandeur au Canada au cours des trois autres années retenues doit être prolongée. Comme le juge Muldoon l'a déclaré dans la décision Re Pourghasemi :

Il est évident que l'alinéa 5(1)c ) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyennetécanadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser » .

(...)       

Ainsi donc, ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens, au Canada, durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire à l'étranger, car la vie canadienne et la société canadienne n'existent qu'au Canada, nulle part ailleurs.

[16]            Il est vrai que la Cour a interprété le critère de la résidence de maintes façons. Par conséquent, il est également admis qu'un juge de la citoyenneté est libre d'adopter n'importe laquelle de ces interprétations pour décider si un demandeur a satisfait aux conditions de résidence énoncées par la Loi (Canada c. Mindich, [1999] A.C.F. no 978; Akan c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 991; Lam c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 410).


[17]            Comme c'est souvent le cas lorsque le simple décompte des jours de séjour ne permet pas de remplir l'exigence de trois ans de résidence, la juge de la citoyenneté a décidé d'appliquer le « critère du mode de vie centralisé » . Afin de décider si la demanderesse « vit régulièrement, normalement ou habituellement au Canada » , elle a examiné les six questions suggérées par la juge Reed dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286, rédigées comme suit :

(1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?                         

(3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter une emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?


[18]            Après avoir examiné minutieusement la décision rendue par la juge de la citoyenneté, je suis persuadé qu'elle a évalué les six facteurs énoncés dans Re Koo compte tenu de la preuve dont elle avait été saisie. Elle a rédigé une lettre de refus détaillée examinant l'intégralité de la demande de citoyenneté canadienne de Mme Xu relativement à la question de la résidence. En plus de l'insuffisance de 557 jours de séjour par rapport aux 1 095 prescrits par la Loi, elle a noté que la demanderesse et son époux possédaient une propriété à Toronto alors qu'ils vivaient en logement locatif lorsqu'ils séjournaient en Chine, que la plupart de la famille proche de la demanderesse vivait au Canada, que les absences prolongées étaient principalement imputables à la nécessité pour la demanderesse d'accompagner son époux et que la forme des absences était périodique et les absences, relativement courtes. Elle a aussi noté les indices formels de résidence au Canada. En définitive, la juge de la citoyenneté a décidé que le nombre et la durée des absences du Canada laissent davantage croire à des visites au pays qu'à un retour dans un pays où l'on vit régulièrement.

[19]            Malgré les observations pertinentes faites au nom de Mme Xu par son avocate, je ne suis pas convaincu que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans son application du critère énoncé dans la décision Re Koo. Ce n'est pas à la Cour de réévaluer la preuve dont a été saisie la juge de la citoyenneté pour en venir à une conclusion différente.

[20]            L'avocate de la demanderesse a demandé que la Cour tienne compte de la jurisprudence qui définit le sens de « résidence » dans le contexte de la contestation fiscale, afin d'assouplir l'exigence de présence physique au Canada. Cela n'est évidemment pas approprié compte tenu des objectifs distincts de la Loi sur la citoyenneté et de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le Parlement s'exprime en termes explicites à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté et est manifestement d'avis que la présence physique au pays est essentielle à l'attribution de la citoyenneté canadienne. Quoi qu'il en soit, comme l'a signalé la juge de la citoyenneté, la jurisprudence qui est aujourd'hui fermement établie n'exige pas la présence physique pour l'entièreté des 1 095 jours.


[21]            L'avocate de la demanderesse a également fait valoir que sa cliente allait indubitablement passer davantage de temps au Canada à l'avenir étant donné que ses maux de dos étaient contrôlés, que sa mère était maintenant décédée et que le travail de son époux n'exigerait plus autant de voyages puisque l'équipe de gestion en Chine avait fait ses preuves. Malheureusement, tout ceci relève de la conjecture et ne pouvait pas être pris en considération par la juge de la citoyenneté étant donné que l'exigence de résidence est axée sur le passé non sur l'avenir.

[22]            On a aussi soutenu que la juge de la citoyenneté aurait dû tenir compte du fait que Mme Xu était titulaire d'un permis de retour pour résident permanent, ce qui lui permettait de quitter le pays pour des périodes prolongées sans pour autant perdre son statut de résidente permanente. Ici encore, cela n'est aucunement pertinent. Tout au plus, ce fait peut constituer un signe de la volonté de la demanderesse d'élire domicile au Canada. Cela ne suffit toutefois pas à satisfaire aux exigences légales ni à pallier les autres facteurs de l'analyse de la décision Koo.

[23]            En conclusion, je ne peux que souscrire à la conclusion du juge de la citoyenneté, à savoir que Mme Xu fera finalement une excellente citoyenne canadienne. Il ne s'agit toutefois pas là de la question qu'il m'incombe de trancher.


[24]            La juge de la citoyenneté a examiné les facteurs appropriés lorsqu'elle a cherché à voir si la demanderesse vivait régulièrement, normalement ou habituellement au Canada, et elle a démontré qu'elle était au fait de la jurisprudence selon laquelle la présence physique au Canada n'est pas nécessaire pour l'entièreté des 1 095 jours prescrits pour satisfaire aux critères de résidence énoncés dans la Loi sur la citoyenneté. En fait, la demanderesse n'a pas réussi à établir l'existence de quelque erreur de droit ou de fait commise par la juge de la citoyenneté qui a tranché sa demande de citoyenneté.

[25]            En conséquence, l'appel de Mme Xu est rejeté.

      « Yves de Montigny »     

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1986-04

INTITULÉ :                                        RONGZHEN XU c. MCI                                                         

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 5 MAI 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE DE MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                       LE 16 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Charlotte M. Janssen               POUR LA DEMANDERESSE

Patricia Mac Phee                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Charlotte M. Janssen

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR

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