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Date : 20010223

Dossier : IMM-4655-99

Référence : 2001 CFPI 114

ENTRE :

CHUANKAI CHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]         Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale[1] à la suite de la décision par laquelle l'agente des visas Nicole Genest (l'agente des visas) a refusé, le 9 août 1999, la demande de résidence permanente du demandeur.

[2]         M. Chuankai Chen (le demandeur) a présenté une demande en vue d'immigrer au Canada depuis la Chine à titre de travailleur autonome. La profession envisagée était celle de « premier chef/restaurateur » (travailleur autonome) (no 6241.3 de la CNP).


[3]         L'agente des visas a refusé la demande que le demandeur avait présentée conformément à l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration[2] et au sous-alinéa 9(1)b)(i) du Règlement sur l'immigration de 1978[3].

[4]         L'agente des visas a apprécié le demandeur à l'égard de la profession envisagée, à savoir celle de « premier chef/restaurateur » (travailleur autonome) en lui attribuant le nombre de points ci-après indiqué :

FACTEUR                                NOMBRE DE POINTS

Âge                                                       10

Profession                                             10

PPS                                                      07

Expérience                                            00

ER                                                        00

Facteur démographique                         08

Études                                                   10

Anglais                                      00

Français                                                00

Points supplémentaires               00

Personnalité                                           02

TOTAL :                                               47


[5]         Dans sa lettre de refus, l'agente des visas déclare qu'elle n'a pas attribué de points supplémentaires au demandeur parce qu'elle n'était pas convaincue que celui-ci réussirait son installation au Canada. L'agente des visas explique que le demandeur n'a pas démontré qu'il possédait les compétences ou l'expérience nécessaires à titre de premier chef/restaurateur; ainsi, il n'avait pas pu décrire un programme de formation de cuisinier qu'il affirmait avoir suivi. En outre, le demandeur n'avait pas pu décrire les fonctions d'un premier chef. L'agente des visas n'a donc pas attribué de points pour le facteur « expérience » .

[6]         L'agente des visas a attribué deux points seulement pour la personnalité parce que le demandeur n'avait pas fait preuve d'initiative en préparant son installation au Canada. Plus précisément, l'agente des visas note que le demandeur n'a pas fait de recherches au sujet de la ville de Toronto, qu'il n'a pas de plan d'entreprise réaliste et qu'il n'a pas par ailleurs démontré qu'il s'était préparé aux fins de l'immigration. L'agente des visas déclare expressément que son appréciation indique d'une façon exacte la mesure dans laquelle le demandeur peut réussir son installation au Canada.

[7]         Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève un certain nombre d'arguments.

[8]         Premièrement, le demandeur soutient que l'agente des visas est dessaisie, en ce sens qu'elle avait déjà approuvé sa demande. Il fonde cet argument sur le fait qu'il a signé une déclaration sous serment au sujet de ses fonds, que l'agente des visas a conservé des documents après l'entrevue pour vérification et qu'après l'entrevue, l'agente des visas a demandé des documents. Le demandeur affirme que cette preuve montre que l'agente des visas avait fait droit à la demande qu'il avait présentée en vue de résider en permanence au Canada.


[9]         À mon avis, la notion d'agent dessaisi ne s'applique pas en l'espèce. Rien ne montre que l'agente des visas ait approuvé la demande.

[10]       La déclaration sous serment signée par l'agente des visas et par le demandeur est un formulaire type dans lequel il est déclaré que le demandeur dispose de certaines sommes en vue de s'établir au Canada. À coup sûr, la signature de ce document ne règle pas l'affaire conformément à la Loi.

[11]       En outre, le fait que l'agente des visas a demandé l'ancien dossier du demandeur à Buffalo ne montre pas qu'elle prévoyait faire droit à la demande. J'ai examiné les notes consignées dans le CAIPS et l'affidavit de l'agente des visas et je n'ai pu trouver aucune indication selon laquelle l'agente s'était fondée sur les renseignements figurant dans l'ancien dossier.

[12]       Deuxièmement, le demandeur affirme que l'agente des visas ne l'a pas apprécié conformément au paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration de 1978. Je ne suis pas d'accord. L'agente des visas a conclu que le demandeur n'avait pas démontré qu'il pourrait réussir son installation au Canada conformément au paragraphe 8(4) du Règlement. Elle a fondé cette appréciation sur les éléments de preuve suivants :

·            Le demandeur n'a pas démontré qu'il avait reçu une formation dans le domaine de la gestion d'une cuisine de restaurant.


·            Le demandeur n'a pas pu faire de distinction entre la profession de chef et celle de premier chef.

·            Le demandeur n'avait pas de documents en vue d'établir qu'il possédait une maison en Chine.

·            Le demandeur a affirmé avoir 54 000 $ US en Chine, mais il n'a fourni aucune pièce justificative à jour au sujet de la disponibilité de ces fonds.

·            Le demandeur n'a pas expliqué de quelle façon il avait réussi à économiser cet argent alors qu'il gagnait 2 500 $ US par mois.

·            Le demandeur n'a pas pu expliquer de quelle façon il s'était préparé pour immigrer au Canada, si ce n'est pour dire qu'il avait réuni les fonds nécessaires.

[13]       Compte tenu de cette preuve et du large pouvoir discrétionnaire que possède l'agente des visas, je conclus que l'appréciation selon laquelle le demandeur ne pourrait pas réussir son installation au Canada est raisonnable.


[14]       Le demandeur affirme également que l'agente des visas a supposé à tort qu'il devrait ouvrir un commerce juste après avoir obtenu son droit d'établissement au Canada, ce qui n'est pas exigé des membres de la catégorie des travailleurs autonomes. La preuve n'étaye pas l'argument du demandeur. Dans son contre-interrogatoire, l'agente des visas déclare qu'[TRADUCTION] « [u]n travailleur autonome devrait commencer à travailler à son projet dès qu'il s'installe au Canada » . Elle explique ensuite ce qui suit : [TRADUCTION] « [L]a personne doit entreprendre le projet. En d'autres termes, elle doit se mettre à travailler à l'ouverture du restaurant dès qu'elle s'installe au Canada. » [4]

[15]       À mon avis, il est raisonnable de s'attendre à ce qu'un travailleur autonome démontre qu'il a réellement l'intention de travailler à son projet une fois qu'il s'est installé au Canada.

[16]       L'agente des visas a également apprécié d'une façon raisonnable la personnalité du demandeur. Elle a tenu compte du fait que le demandeur ne s'était pas préparé à s'installer au Canada, qu'il n'avait pas fait d'étude de marché et qu'il n'avait pas de plan d'établissement ferme. Elle a également tenu compte du fait que la seule raison que le demandeur avait mentionnée afin d'expliquer pourquoi il voulait immigrer au Canada était fondée sur le fait qu'il y a à Toronto, une grosse collectivité chinoise. Elle a soupesé les facteurs pertinents d'une façon raisonnable.

[17]       L'argument du demandeur selon lequel l'agente des visas a refusé de se demander s'il était justifié d'exercer son « pouvoir discrétionnaire » n'est pas non plus fondé. La preuve montre clairement qu'il a été tenu compte du paragraphe 11(3), mais que l'agente des visas n'a pas conclu qu'il était justifié d'exercer son pouvoir discrétionnaire.


[18]       Le demandeur affirme que l'agente des visas aurait dû tenir compte du fait qu'il était entré aux États-Unis en 1993 sans avoir de statut, mais qu'il avait immédiatement obtenu un emploi de cuisinier. Plus précisément, il soutient que l'agente des visas aurait dû se demander si les techniques qu'il avait employées en s'établissant aux États-Unis pouvaient être utilisées au Canada. Toutefois, à mon avis, il incombe au demandeur de présenter la preuve à l'agente des visas. Le demandeur n'a pas démontré qu'il s'était préparé pour s'installer au Canada.

[19]       Enfin, le demandeur affirme que l'agente des visas ne l'a pas apprécié à titre d'entrepreneur. Il affirme qu'il satisfait aux critères applicables aux entrepreneurs puisqu'il voulait ouvrir un restaurant dans lequel sa conjointe et au moins trois employés de cuisine travailleraient.

[20]       J'ai examiné les transcriptions, qui montrent clairement que le demandeur n'a pas soulevé la question devant l'agente des visas. Lorsque la question n'est pas soulevée, il semble déraisonnable d'obliger l'agent des visas à tenir compte de toutes les catégories possibles auxquelles le demandeur est admissible.

[21]       Dans la décision Wang c. Canada (MCI)[5], le juge MacKay a examiné cette question comme suit :


Les catégories « entrepreneur » et « investisseur » font partie du groupe plus important des gens d'affaires immigrants, mais à mon avis, les deux catégories sont suffisamment distinctes pour que l'agent des visas ne soit pas légalement tenu de considérer une catégorie à la place de l'autre à moins que le demandeur ne fasse clairement savoir dans sa demande qu'il sollicite la résidence permanente en se fondant sur les deux catégories et à moins qu'il n'indique de quelle façon il remplit les conditions requises pour chaque catégorie telles qu'elles sont définies par règlement. Dans le formulaire de demande, il n'a pas été demandé que le demandeur soit apprécié à titre d' « investisseur » même si l'avocat en a fait mention dans sa lettre; aucun effort n'a été fait en vue d'indiquer les qualités du demandeur à titre d'investisseur au sens de la Loi et on n'a pas informé le ministre par écrit de l'intention de faire un placement éventuel, à part ce que laisse implicitement entendre la demande présentée sous la catégorie des « entrepreneurs » . À mon avis, l'agent des visas n'a pas commis d'erreur en estimant que le demandeur sollicitait l'admission à titre d'entrepreneur seulement et en ne le considérant pas comme appartenant à la catégorie des investisseurs.[6]

[22]       Je suis d'accord avec le juge MacKay. À mon avis, rien n'obligeait l'agente des visas à apprécier le demandeur à l'égard de catégories de rechange que celui-ci n'avait pas expressément mentionnées.

[23]       Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[24]       L'avocat du demandeur a demandé la certification des deux questions ci-après énoncées :

[TRADUCTION]

La charge imposée aux demandeurs est-elle limitée à présenter les faits pertinents et la documentation à l'appui, en réponse aux questions et demandes des agents d'appréciation, ou les demandeurs ont-ils en outre l'obligation a) de connaître toutes les dispositions de la Loi sur l'immigration et de son règlement d'application et b) de renseigner les agents d'appréciation au sujet de chaque disposition qui joue en leur faveur; ou le défendeur est-il tenu, après avoir soutiré des droits exigibles élevés en échange de ce qu'il avait promis, à savoir une appréciation appropriée, de fournir les services d'agents qui ont une connaissance suffisante du droit, des dispositions législatives et des règlements applicables de façon à être en mesure d'effectuer une appréciation complète et équitable. Cf. Farokh Zamyadi c. MCI (30 mars 2000) IMM-1092-99, juge Tremblay-Lamer et Joseph Rozario et al. c. MCI (2000) 7 Imm. L.R. (2d) 315, à la p. 319, juge O'Keefe – après avoir pris connaissance de toutes les dispositions pertinentes et, en particulier, de l'alinéa 11(3)a) du Règlement sur l'immigration, lorsque les faits mis à leur disposition amèneraient un Canadien moyen impartial qui connaît bien le droit à le faire?

L'avocat de Sa Majesté qui défend la décision d'un fonctionnaire devant la Cour fédérale du Canada est-il tenu de chercher à ce que justice soit faite, c'est-à-dire agir au mieux des intérêts du public; ou doit-il chercher à remporter la victoire par tout moyen licite possible en s'acharnant avec zèle à combler les souhaits du fonctionnaire ou des fonctionnaires dont l'action fait l'objet du litige civil?


[25]       La Cour n'est pas convaincue que l'une ou l'autre question soulève une question grave de portée générale que la Cour d'appel devrait trancher.

ORDONNANCE

[26]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                      Danièle Tremblay-Lamer                      

                                                                                                                                                     Juge                                         

Ottawa (Ontario)

Le 23 février 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                        IMM-4655-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Chuankai Chen c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 21 FÉVRIER 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER EN DATE DU 23 FÉVRIER 2001.

ONT COMPARU :

Timothy E. Leahy                                             POUR LE DEMANDEUR

Catherine Vasilaros                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy E. Leahy                                             POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] L.R.C. (1985), ch. F-7.

[2] L.R.C. (1985), ch. I-2.

[3] DORS/78-172.

[4] Dossier du demandeur, vol. 1 à la p. 48.

[5] [2000] A.C.F. no 677 (1re inst.).

[6] Ibid., au par. 8.

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