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Date : 20030327

Dossier : T-715-01

Référence neutre : 2003 CFPI 364

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

DEMANDE SELON :                        le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2

ET DEMANDE SELON :                  la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7

ENTRE :

                     MANITOBA ASSOCIATION OF NATIVE FIRE FIGHTERS, INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                                          VINCENT PERSWAIN

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre, Allen W. Yost, datée du 29 mars 2001, qui avait conclu, en application de la partie III, section XIV, du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, et modifications (le Code), que le défendeur avait été congédié injustement.

[2]                La demanderesse voudrait une ordonnance :


1.          faisant droit à la demande de contrôle judiciaire en application de la partie III, section XIV, du Code;

2.          annulant la décision de l'arbitre, en application de la partie III, section XIV, paragraphe 242(3.1), du Code;

3.          suspendant la procédure engagée à la suite de la décision de l'arbitre qui ordonnait à la demanderesse de verser au défendeur la somme de 50 930 $; et

4.          suspendant la procédure engagée à la suite de la décision de l'arbitre qui ordonnait à la demanderesse de payer au défendeur des dépens de 3 750 $, plus les débours raisonnables;

5.          lui adjugeant les dépens.

Les faits

[3]                Le 22 juillet 1996, le défendeur, Vincent Perswain, était engagé comme agent de sécurité-incendie par la demanderesse, Manitoba Association of Native Fire Fighters, Inc. (l'Association).

[4]                Le 17 juin 1998 ou vers cette date, le conseil d'administration de l'Association déclarait excédentaire le poste d'agent de sécurité-incendie. Il fut également résolu que les services de protection contre l'incendie, ainsi que de formation et d'éducation en matière d'incendie, seraient sous-traités par appel d'offres, selon les besoins exprimés par les Premières nations indépendantes.

[5]                Par une lettre datée de juin 1998, le défendeur recevait avis de cette décision. La lettre mentionnait ce qui suit :

[Traduction] Avec la démission du directeur général, le conseil a décidé de réorganiser l'effectif de ses bureaux.

À cette fin, le conseil a jugé que le poste de « agent de sécurité-incendie » doit être classé comme poste excédentaire.

Par conséquent, l'Association exerce ses droits et vous informe qu'elle acceptera votre démission si vous décidez de la lui transmettre au plus tard le ....... juin 1998. Si vous ne démissionnez pas, l'Association mettra fin à votre emploi et vous versera une indemnité. . . .

[6]                Le 6 juillet 1998, l'emploi du défendeur prenait fin. Par la suite, le poste d'agent de sécurité-incendie n'a pas été pourvu. Le poste de directeur général, alors vacant, fut annoncé en juin 1998.

[7]                Le 10 juillet 1998, le défendeur déposait contre la demanderesse une plainte, en application de l'article 240 du Code canadien du travail, dans laquelle il affirmait qu'il avait été congédié injustement.

[8]                Les 27, 28 et 29 juillet 2000, une audience eut lieu devant l'arbitre, Allen W. Yost. Au cours de l'audience, la demanderesse avait contesté le pouvoir de l'arbitre d'instruire la plainte au motif que le défendeur avait été licencié en raison de la suppression d'un poste, ainsi que le prévoit le paragraphe 242.(3.1) du Code canadien du travail.

[9]                Dans une décision datée du 29 mars 2001, l'arbitre concluait, en application de la partie III, section XIV, du Code canadien du travail, que le défendeur avait été injustement congédié. Dans ses motifs, l'arbitre s'exprimait ainsi :

[Traduction] Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je crois que la raison véritable du licenciement de M. Perswain est que certains membres du conseil ne voulaient plus l'avoir comme employé. Je ne crois pas qu'il a été congédié pour cause de manque de travail ou de suppression d'un poste.

[10]            L'arbitre ordonnait à la demanderesse de verser au défendeur une indemnité de 50 930 $ et de payer les dépens, selon la somme de 3 750 $, plus les débours raisonnables.

[11]            Il s'agit ici du contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre.

Conclusions de la demanderesse

[12]            La demanderesse affirme que l'arbitre n'avait pas compétence, selon le paragraphe 242.(3.1) du Code canadien du travail, pour dire si le défendeur avait été injustement congédié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste.

[13]            Selon la demanderesse, la mauvaise interprétation des mots « suppression d'un poste » , au paragraphe 242.(3.1), a conduit l'arbitre à commettre une erreur de droit.


[14]            Selon la demanderesse, les employeurs sont libres de réorganiser leurs propres activités et le recours à un entrepreneur pour l'exécution de travaux constitue une suppression de poste dans les activités d'un employeur pour autant que la décision soit prise de bonne foi. Selon la demanderesse, s'il a été mis fin à l'emploi du défendeur, c'était pour des raisons légitimes liées à ses activités.

[15]            Selon la demanderesse, si l'arbitre avait effectivement compétence pour dire que le défendeur avait été injustement congédié, alors l'indemnité accordée était manifestement déraisonnable car elle était démesurément élevée. Selon la demanderesse, l'arbitre a manqué à son devoir d'équité et commis un excès de pouvoir parce qu'il a fondé sa décision concernant l'indemnité sur une conclusion de fait non autorisée par la preuve. Selon la demanderesse, aucune analyse ou justification n'a été avancée par l'arbitre pour l'avis de deux ans, eu égard à la preuve dont il disposait. Selon la demanderesse, l'indemnité aurait dû être calculée d'après la preuve et d'après ce qu'aurait été en common law un préavis raisonnable. Finalement, selon la demanderesse, il n'y avait aucune preuve de circonstances spéciales justifiant l'indemnité accordée.

Conclusions du défendeur

[16]            Selon le défendeur, la demanderesse n'a jamais affirmé qu'il était licencié en raison d'un « manque de travail » . Le défendeur affirme donc que l'arbitre a eu raison de dire qu'il n'avait pas été licencié pour cause de manque de travail ainsi que le prévoit le paragraphe 242.(3.1) du Code.

[17]            Selon le défendeur, la preuve ne permet pas de dire que son licenciement résultait du statut excédentaire du poste d'agent de sécurité-incendie. Les preuves auxquelles se réfère le défendeur comprennent les suivantes :

·                       Lors de la réunion du conseil de l'Association le 11 septembre 1997, on avait déploré semble-t-il l'absence d'activités de formation avec les bandes indépendantes. Selon Ivan Hart, directeur général de l'Association, le rôle de l'agent de sécurité-incendie était principalement d'assurer la formation et une certaine éducation du public;

·                       le procès-verbal de la réunion du conseil de l'Association tenue le 20 et le 21 avril 1998 ne fait état d'aucun commentaire selon lequel les fonctions du poste d'agent de sécurité-incendie allaient être sous-traitées. Une lettre avait également été produite durant cette réunion, où l'on critiquait le favoritisme manifesté envers les membres du personnel autres que le défendeur;

·                       le 17 juillet 1998, une motion fut déposée qui déclarait excédentaire le poste d'agent de sécurité-incendie et qui recommandait que les services de protection contre l'incendie et de formation et d'éducation en matière d'incendie soient sous-traités par appel d'offres au gré des demandes des Premières nations indépendantes. Il n'existe aucun procès-verbal de cette réunion. Il y avait eu semble-t-il des témoignages selon lesquels les membres du conseil avaient été contrariés par les critiques reçues au cours de la réunion du conseil des 20 et 21 avril 1998;

·                       témoignage selon lequel Vernon Meeches, dont on dit qu'il avait appuyé la motion du 17 juillet 1998, n'avait pas en réalité appuyé cette motion;

·                       témoignage selon lequel le premier dirigeant de l'Association avait manifesté un comportement tyrannique envers le défendeur, et selon lequel il y avait incompatibilité d'humeur entre eux;

·                       témoignage selon lequel le défendeur avait toujours eu beaucoup à faire à l'Association; et

·                       preuves indiquant que le défendeur n'avait pas été traité équitablement.

[25]            Selon le défendeur, la « bonne foi » de l'employeur est discutable, et la preuve autorise la conclusion de l'arbitre selon laquelle la raison réelle, véritable et dominante de son licenciement était que certains membres du conseil ne voulaient pas qu'il demeure un employé de l'Association.

[26]            Selon le défendeur, l'indemnité accordée par l'arbitre n'était pas manifestement déraisonnable eu égard aux alinéas 242.(4)a) et c) du Code. Selon le défendeur, la demanderesse se trompe lorsqu'elle affirme que l'indemnité devrait être déterminée d'après ce qui constitue en common law un préavis raisonnable.

[27]            Points en litige

1.          Quelle est la norme de contrôle de la décision de l'arbitre selon laquelle il était compétent pour dire que le défendeur avait été injustement congédié et que la restriction prévue par le paragraphe 242.(3.1) du Code canadien du travail ne s'appliquait pas?

2.          L'arbitre a-t-il commis une erreur lorsqu'il a dit qu'il n'y avait pas eu suppression de poste selon ce que prévoit le paragraphe 242.(3.1) du Code canadien du travail?

3.          Si l'arbitre a eu raison de dire qu'il n'y avait pas eu suppression de poste ainsi que le prévoit le paragraphe 242.(3.1) du Code canadien du travail, la somme accordée par l'arbitre était-elle manifestement déraisonnable?

Dispositions législatives applicables

[28]            Les dispositions applicables du Code canadien du travail sont les suivantes :

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

. . .

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

. . .

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

a) décide si le congédiement était injuste;

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

(b) reinstate the person in his employ; and

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

Analyse et décision

[29]            Point n ° 1

Quelle est la norme de contrôle de la décision de l'arbitre selon laquelle il était compétent pour dire que le défendeur avait été injustement congédié et que la restriction prévue par le paragraphe 242.(3.1) du Code canadien du travail ne s'appliquait pas?


J'adopterais les normes de contrôle énoncées par le juge Dawson dans l'affaire Roe c. Rogers Cablesystems Ltd., [2000] A.C.F. n ° 1457 (QL) (1re inst.). Le juge Dawson s'exprimait ainsi, au paragraphe 23 :

. . . dans l'examen de la décision de l'arbitre pour voir s'il n'a pas tenu compte des faits qui lui étaient soumis, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Lorsqu'il s'agit de déterminer si l'arbitre avait compétence pour entendre la plainte, la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[30]            Point n ° 2

L'arbitre a-t-il commis une erreur en affirmant qu'il n'y avait pas eu suppression de poste selon ce que prévoit le paragraphe 242.(3.1) du Code canadien du travail?

L'arbitre n'a pas compétence pour examiner la plainte du défendeur si le défendeur a été licencié en raison de la suppression d'un poste. Dans l'affaire Sedpex, Inc. c. Canada (arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289 (1re inst.), le juge Strayer écrivait, aux pages 299 et 300 :

. . . Aussi difficile qu'elle puisse être dans certains cas, la question que la Loi veut voir tranchée est, à mon avis, celle de savoir si le motif réel, effectif et principal de la cessation de l'emploi était le « manque de travail » . Je suis convaincu que telle est la question que l'arbitre s'est posée en l'espèce avant de conclure que le motif du « manque de travail » allégué était une [traduction] « mise en scène » .

En l'espèce, la question qu'il faut résoudre est de savoir si la raison réelle, effective et principale du licenciement du défendeur était la suppression d'un poste.

[31]            S'agissant de la suppression d'un poste, la Cour fédérale du Canada écrivait, dans l'arrêt Transport Guilbault c. Scott, [1986] A.C.F. n ° 321 (QL) (C.A.) :


. . . La cessation d'une fonction, au sens de l'alinéa 61.5(3)a), c'est la cessation d'une fonction au sein de l'entreprise d'un employeur donné. Cette cessation peut résulter de la décision prise par cet employeur de confier à un entrepreneur les travaux qu'il faisait jusque-là accomplir par ses employés. Dès lors que cette décision est réelle et n'a rien de simulé, on ne saurait interpréter autrement l'alinéa 61.5(3)a) sans limiter indûment la liberté de l'employeur de structurer et organiser son entreprise comme il l'entend.

Et dans l'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651, la Cour suprême du Canada écrivait, à la page 664 :

Par conséquent, il y a « suppression d'une fonction » lorsque cet ensemble d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la « suppression d'une fonction » . En revanche, si les activités qui font partie de l'ensemble ou du groupe d'activités sont réparties entre d'autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth, précité, il y aurait « suppression d'une fonction » . Il y aurait également « suppression d'une fonction » si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe, précité.

[32]            La lettre de licenciement du défendeur datée de juin 1998 comportait le passage suivant :

[Traduction] Avec la démission du directeur général, le conseil a décidé de réorganiser l'effectif de ses bureaux.

À cette fin, le conseil a jugé que le poste de « agent de sécurité-incendie » doit être classé comme poste excédentaire.

[33]            Dans le jugement Première nation de Wolf Lake c. Young, [1997] A.C.F. n ° 514 (QL) (1re inst.) aux paragraphes 8 et 9, le juge Nadon (tel était alors son titre) écrivait :

Le bon sens commande que l'arbitre ne soit pas tenu d'accepter simplement l'affirmation de l'employeur portant que l'employé a été licencié pour les motifs décrits à l'alinéa 242(3.1)a). Si c'était effectivement l'effet de cette disposition, le rôle de l'arbitre serait éliminé de fait parce qu'un employeur soumis à l'arbitrage sous le régime de l'article 242 du Code pourrait simplement donner l'explication qui précède et, aucune enquête ne pouvant alors être effectuée, la question serait close.


. . .

Par conséquent, lorsqu'un employeur prétend qu'un employé a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste, l'arbitre doit d'abord s'enquérir du bien-fondé de la prétention de l'employeur. Si l'arbitre détermine que l'employé a cessé de travailler en raison de l'un de ces deux motifs valables, l'arbitrage prend fin. Toutefois, si l'arbitre constate que l'explication offerte par l'employeur n'est pas valable, il a compétence pour enquêter pleinement sur les circonstances du congédiement.

L'arbitre n'était donc pas tenu d'accepter l'affirmation de la demanderesse selon laquelle le licenciement du défendeur s'expliquait par une décision de réorganiser l'effectif de ses bureaux et que, en conséquence, le poste de « agent de sécurité-incendie » occupé par le défendeur était excédentaire.

[34]            Puis l'arbitre a entrepris d'examiner l'allégation de la demanderesse selon laquelle le défendeur avait été licencié pour cause de sureffectifs. Dans sa décision, l'arbitre écrivait, aux pages 13 et 14 :

[Traduction] J'observe que le procès-verbal des réunions du conseil du 11 septembre 1997 et des 20 et 21 avril 1998 (pièces 19 et 17 respectivement) font état des doutes du conseil sur la nécessité d'un poste de réceptionniste et sur le problème du financement d'un tel poste. La lettre adressée par le président à Mme Head (pièce 6) mentionne que le poste d'attaché de direction sera classé comme poste excédentaire et que les fonctions de ce poste seront combinées aux fonctions d'un autre poste pour éviter que soit dépassé le financement accordé par AINC. Cette documentation va dans le sens du processus qui a conduit à la décision de fusionner le poste de réceptionniste avec un autre poste.

Par ailleurs, les doutes exprimés à l'égard du poste d'agent de sécurité-incendie sont que l'agent aurait dû faire davantage auprès des Premières nations indépendantes. Rien n'indique que le conseil se soit demandé si le poste était de quelque manière véritablement nécessaire ou si les fonds s'y rapportant devraient être libérés pour servir à d'autres fins. La lettre adressée par le président à M. Perswain (pièce 4) mentionne que le poste d'agent de sécurité-incendie sera classé comme poste excédentaire, mais la seule raison donnée est que le conseil a décidé de réorganiser l'effectif de ses bureaux.


J'accepte le témoignage de Mme Head selon lequel M. Smith a manifesté ce que l'on pourrait à juste titre décrire comme un comportement agressif contre M. Perswain et contre elle-même. La décision du conseil de réprimander Mme Head et M. Perswain après qu'ils eurent montré leur inquiétude à propos du comportement de M. Smith (ainsi qu'en fait état le procès-verbal des réunions du conseil tenues les 20 et 21 avril 1998) s'accorde avec le témoignage de M. Houle selon lequel les membres du conseil étaient mécontents des critiques formulées par le personnel à l'endroit du rôle dirigeant de M. Smith, le chef Dennis Pashe s'étant montré le plus bruyant.

J'accepte aussi le témoignage de M. Meeches selon lequel le chef Pashe avait préconisé durant l'une des réunions d'avril 1998 que l'on se débarrasse de Mme Head, et durant l'une des réunions d'avril ou juin 1998 que l'on se débarrasse de M. Perswain. M. Meeches a admis qu'il n'était pas certain des dates de certains des incidents qu'il avait rapportés.

Les problèmes ont continué et M. Smith a démissionné avant les réunions du conseil de la mi-juin 1998. Il n'existe pas de procès-verbal de la réunion au cours de laquelle il fut décidé de déclarer excédentaire le poste d'agent de sécurité-incendie. Les souvenirs s'étaient largement dissipés à la date de l'audience, et les témoignages étaient même contradictoires sur la question de savoir qui avait présenté la motion et qui l'avait appuyée. M. Hart a dit qu'un débat avait eu lieu sur la possibilité de sous-traiter les services parce qu'il n'y avait pas assez de travail pour un agent de sécurité-incendie à temps plein. Darcy Houle n'a pu se rappeler qui lui avait dit que la demande n'était pas très forte pour les services de M. Perswain dans les collectivités.

Puis l'arbitre a procédé à l'examen de la jurisprudence concernant la suppression d'un poste ou le manque de travail. Il a alors conclu, après avoir étudié l'ensemble de la preuve, « que la raison réelle du licenciement de M. Perswain était que certains membres du conseil ne voulaient pas qu'il demeure un employé » . Il a ensuite indiqué dans sa décision qu'il n'était pas persuadé que le défendeur avait été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste. Je suis d'avis que l'arbitre a eu raison de conclure ainsi, et il avait donc compétence pour instruire cette affaire.


[35]            Comme je l'ai indiqué précédemment, lorsque l'arbitre a étudié l'ensemble de la preuve, il a estimé que le défendeur avait été licencié parce que certains membres du conseil ne voulaient pas qu'il demeure un employé. Il a alors conclu que le défendeur n'avait pas été congédié pour une raison légitime. Le défendeur avait donc été congédié injustement. Je suis d'avis que l'arbitre avait raison de conclure ainsi.

[36]            Point n ° 3

Si l'arbitre a eu raison de dire qu'il n'y avait pas eu suppression d'un poste selon ce que prévoit le paragraphe 242.(3.1) du Code canadien du travail, la somme accordée par l'arbitre était-elle manifestement déraisonnable?

Selon la demanderesse, la conclusion de l'arbitre relative au quantum de la somme accordée était manifestement déraisonnable. Voici le texte du paragraphe 242.(4) du Code :

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

(b) reinstate the person in his employ; and

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.


[37]            Dans l'affaire Première nation de Wolf Lake, précitée, le juge Nadon (tel était alors son titre) écrivait, au paragraphe 51 :

L'application du paragraphe 242(4) du Code est claire; cette disposition est conçue pour indemniser pleinement un employé qui a été congédié injustement. Cette réparation ne se limite pas à l'indemnité de départ à laquelle l'employé a droit. Elle n'est pas calculée en fonction du préavis qui aurait dû être donné à l'employé. Dans l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1985] 1 C.F. 253 (C.A.F.); conf. [1989] 1 R.C.S. 1038 (C.S.C.), le juge Mahoney a déclaré, à la page 260 :

Le paragraphe 61.5(9) [maintenant 242(4)] a pour but de confier à l'arbitre le pouvoir de faire en sorte, dans la mesure du possible, que l'employé lésé n'ait pas à subir de préjudice en matière d'emploi par suite de son congédiement injustifié.

Bien que cette disposition fixe un maximum au montant des dommages-intérêts qui peuvent être accordés, ce montant n'est pas lié au montant de l'indemnité de départ accordée à l'employé. Le fait de limiter le montant des dommages-intérêts pour congédiement injuste au montant de l'indemnité de départ ou en fonction de la common law constitue manifestement une erreur. À l'appui de cette proposition, on peut invoquer l'arrêt Canadian Imperial Bank of Commerce c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431 (C.A.F.), . . .

Et, aux paragraphes 52 et 53 :

Plus récemment, dans l'arrêt Alberta Wheat Pool c. Konevsky [1990] J.C.F. n ° 877, le juge en chef Iacobucci de la Cour d'appel fédérale (tel était alors son titre), a été encore plus direct en déclarant, à la page 2 :

En outre, nous partageons l'opinion que l'alinéa 61.5(9)a) du Code canadien du travail . . . ne peut pas être interprété de façon à limiter l'indemnité d'un arbitre à la capacité d'accorder à un employé le montant qui pourrait être réclamé en application de la common law. Voir Auto Haulaway Inc. c. Reid (A-1044-88, 19 octobre 1989, [1989] A.C.F. n ° 949) par M. le juge Pratte.

L'arbitre qui accorde des dommages-intérêts pour congédiement injuste peut en fixer le montant. Ces dommages-intérêts visent à indemniser l'employé des dommages que lui a effectivement causés son congédiement. Bien qu'il puisse exercer un certain pouvoir discrétionnaire en fixant le montant des dommages-intérêts, l'arbitre commet une erreur lorsqu'il en limite le montant au montant de l'indemnité de départ à laquelle l'employé aurait droit en vertu de l'article 235 ou de la common law, si son congédiement avait été justifié.


Il ressort de cette jurisprudence que le quantum de l'indemnité ne se limite pas aux sommes adjugées en common law. Le paragraphe 242.(4) du Code est clair dans son application. Comme l'a indiqué le juge Nadon, « elle est conçue pour indemniser pleinement l'employé qui a été congédié injustement » .

[38]            Dans la présente affaire, l'arbitre a accordé une indemnité pour la période allant du 6 juillet 1998 (date du licenciement) au 29 juin 2000 (dernier jour de l'audience d'arbitrage) (environ 79 231 $). Il a soustrait de la somme calculée pour cette période l'indemnité de licenciement reçue par le défendeur, ainsi que le revenu qu'il avait gagné d'un autre emploi durant cette période (environ 35 368 $). La somme accordée pour perte de salaire était donc de 43 863 $. L'arbitre a aussi ordonné à la demanderesse de payer la somme de 2 834 $ pour l'avantage perdu correspondant à la contribution de contrepartie de l'Association au régime de pension et d'assurance du défendeur. Il a aussi accordé des intérêts, comme il suit :

[Traduction] L'indemnité totale, à l'exclusion des intérêts, des dépens et des débours, est de 46 697 $. Les intérêts sur cette somme, à 5 p. 100 (ce qui correspond plus ou moins au taux d'intérêt avant jugement qui s'appliquait durant la période), du 6 juillet 1998 au 29 juin 2000, sont d'environ 4 786 $. Les intérêts pour cette période devraient plus justement être calculés sur une base périodique, compte tenu de la différence entre le salaire et les avantages sociaux de M. Perswain s'il était demeuré un employé de l'Association, et le salaire et les avantages sociaux qu'il a effectivement reçus. J'arrondirai ce calcul en prenant la moitié de 4 786 $, c'est-à-dire 2 393 $. Les intérêts sur le total partiel de 49 090 $ à 5 p. 100 à partir du 29 juin 2000 jusqu'à la date de la présente décision représentent alors environ 1 840 $, de telle sorte que l'indemnité totale, à l'exclusion des dépens et des débours, est de 50 930 $.

[39]            L'arbitre a refusé d'accorder des dépens avocat-client. Il a fixé les dépens à 3 750 $, plus les débours raisonnables. Pour adjuger ces dépens, il s'est fondé sur le jugement Première nation de Wolf Lake, précité. C'était là une décision raisonnable.

[40]            Eu égard au paragraphe 242.(4) du Code et à la jurisprudence relative à ce paragraphe, je suis d'avis que la somme accordée par l'arbitre n'était pas manifestement déraisonnable. L'arbitre a validement déduit les sommes gagnées dans un autre emploi, et la période au cours de laquelle le défendeur avait droit au paiement de son salaire se situait dans l'éventail des périodes parmi lesquelles il pouvait fonder sa décision. Par conséquent, il n'appartient pas à la Cour fédérale de substituer son opinion à celle de l'arbitre.

[41]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

[42]            IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                            « John A. O'Keefe »             

                                                                                                     Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 27 mars 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-715-01

INTITULÉ :                      MANITOBA ASSOCIATION OF NATIVE

FIRE FIGHTERS, INC.

- et -

VINCENT PERSWAIN

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le mardi 22 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :      MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :     le jeudi 27 mars 2003

COMPARUTIONS :

M. David Newman                                POUR LA DEMANDERESSE

M. Martin Pollock                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado Buchwald Asper                      POUR LA DEMANDERESSE

2500 - 360, rue Main

Winnipeg (Manitoba)

R3C 4H6

Pollock & Company                              POUR LE DÉFENDEUR

Bureau 1120

363, avenue Broadway

Winnipeg (Manitoba)

R3C 3N9


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