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Date : 20040426

Dossier : IMM-4343-03

Référence : 2004 CF 603

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                          MARIA LEILA BERMUDEZ CASCANTE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, en date du 25 avril 2003, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention ou la qualité de personne à protéger à la demanderesse au motif qu'elle peut obtenir une protection adéquate de l'État au Costa Rica.


LES FAITS

[2]                La demanderesse, une citoyenne du Costa Rica âgée de 35 ans, est arrivée au Canada le 1er février 2002 et a demandé l'asile le 5 février suivant. Elle fonde sa demande sur son appartenance à un groupe social : les femmes victimes de violence conjugale. Elle prétend qu'elle a été agressée physiquement et sexuellement par son ancien conjoint de fait, Sergio Videl Barrantes, pendant leur relation qui a débuté en 1983 et à laquelle elle a mis fin en mars 1989. Elle allègue que M. Barrantes a continué à la harceler après leur rupture et qu'il a commencé à harceler également ses conjoints de fait subséquents. Elle aurait porté plainte à la police à de nombreuses reprises, mais M. Barrantes aurait convaincu les policiers de ne pas intervenir.

[3]                La demanderesse soutient qu'à chaque fois qu'elle a déménagé M. Barrantes l'a retrouvée et a continué à la harceler. Elle soutient également que M. Barrantes a des amis au sein de la police, qu'il se livre au trafic de drogues et à d'autres activités criminelles et qu'il est donc en mesure de s'en prendre à elle en toute impunité. Elle a décidé de quitter le Costa Rica le 25 janvier 2002. Elle aurait pris cette décision après que M. Barrantes s'est présenté à la maison familiale en état d'ébriété et qu'il a commencé à la battre et à la menacer avec un fusil.

[4]                Après avoir entendu la demande le 16 avril 2003, la Commission a conclu que, en dépit de certains documents produits en preuve qui révélaient des lacunes dans la protection de l'État et les mesures d'exécution au Costa Rica, la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption selon laquelle elle peut obtenir la protection de l'État au Costa Rica. La Commission a écrit, à la page 4 de ses motifs :

[...]

Dans son argumentation, le conseil a cité de l'information découlant de la preuve documentaire pour indiquer que la protection de l'État et l'exercice du pouvoir policier comportent bel et bien des lacunes au Costa Rica et que, souvent, la police ne réagit pas aux incidents de violence familiale. [...]

Toutefois, je souligne que la preuve documentaire indique aussi que, à titre de démocratie, le Costa Rica a mis en place des mesures pour protéger les droits des femmes, y compris des mesures de protection contre les abus familiaux. À mon avis, les efforts de la demandeure pour obtenir une protection au Costa Rica ne sont pas suffisants ou raisonnables, étant donné la preuve selon laquelle le Costa Rica compte d'autres institutions politiques et judiciaires que la police, comme le bureau de l'Ombudsman, auxquelles la demandeure aurait pu s'adresser pour obtenir de l'aide. [...]

[5]                La Commission a décrit ensuite, à la page 5 de ses motifs, ce que la preuve documentaire indiquait au sujet de la possibilité d'obtenir la protection de l'État :

[...]

Ces documents donnent un bon aperçu des lois du Costa Rica, telle la Law Against Domestic Violence, et des mesures de protection temporaires et immédiates destinées aux femmes qui en ont besoin, dont l'accès à un avocat et à un abri. On y présente de l'information sur les centres de défense des femmes et sur les bureaux et les organisations juridiques traitant spécifiquement de la violence faite aux femmes et informant les femmes victimes d'abus sur leurs droits et sur les services à leur disposition. Il existe d'autres organismes, tels que le National Plan for the Attention to and Prevention of Domestic Violence, le Center for Women and Family Development qui a établi un abri temporaire pour les femmes sans soutien indépendant, le Feminist Centre for Information and Action qui offre un soutien aux femmes victimes d'abus et le propre Office of Women's Affairs du gouvernement, qui relève du bureau de l'Ombudsman. [En gras dans l'original.] [...]

[6]                La Commission a également rejeté les allégations de la demanderesse selon lesquelles M. Barrantes a exercé une influence sur la police au motif que le gouvernement du Costa Rica accorde une grande importance au contrôle du trafic des drogues et des activités des trafiquants. Elle a écrit, aux pages 6 et 7 de ses motifs :

[...]

En ce qui a trait à la question de l'influence de Sergio auprès de la police, j'estime aussi que la crainte de la demandeure de subir des préjudices n'est pas fondée. La preuve documentaire indique que le gouvernement accorde beaucoup d'importance au contrôle du trafic de stupéfiants et aux activités des trafiquants de drogue et des criminels comme Sergio. D'après la preuve, Sergio retient déjà l'attention de la police judiciaire. Par conséquent, j'estime qu'il n'est pas plausible qu'une organisation, comme le bureau de l'Ombudsman ou la police judiciaire, ne prête pas attention à une plainte déposée par la demandeure. J'estime que, tout compte fait, la demandeure pourrait bénéficier de la protection de ces autorités et de mesures favorables de leur part. J'estime aussi que l'influence et l'amitié perçues de Sergio relativement à certains agents de police n'empêcheraient pas la demandeure d'obtenir cette protection. [...]

ANALYSE

[7]                La seule question soulevée par la demanderesse consiste à déterminer si la Commission a commis une erreur en concluant qu'elle peut obtenir une protection adéquate de l'État au Costa Rica. La demanderesse fait valoir que son témoignage et la preuve documentaire réfutent la présomption relative à la protection de l'État. Selon elle, les documents produits en preuve démontrent clairement et de manière convaincante que les institutions chargées de protéger les femmes au Costa Rica ne disposent pas des outils ou des ressources nécessaires pour les protéger contre la violence conjugale. La demanderesse soutient que la Commission a écarté cette preuve sans expliquer pourquoi.

[8]                Le défendeur soutient que la Commission n'a pas commis d'erreur en préférant la preuve documentaire selon laquelle la demanderesse peut obtenir la protection de l'État au Costa Rica puisqu'il s'agissait du document le plus récent dont elle disposait. Il ajoute que la demanderesse s'est fondée sur une synthèse de la preuve documentaire datant de 1999 et qu'elle demande en réalité à la Cour de soupeser et d'évaluer la preuve de nouveau.

[9]                Ayant examiné la décision de la Commission et la preuve au dossier, il m'est impossible de faire droit aux prétentions de la demanderesse. Je conviens que la preuve documentaire sur laquelle la Commission s'est fondée est plus récente que celle que la demanderesse demande à la Cour de prendre en considération. Je ne vois aucune raison de conclure que la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve révélant des lacunes dans la protection de l'État et les mesures d'exécution au regard de la violence conjugale. Au contraire, la Commission a fait expressément état de cette preuve dans ses motifs, mais a préféré la preuve documentaire indiquant que la demanderesse peut bénéficier d'une protection adéquate de l'État. Il est bien reconnu en droit que, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la Cour ne doit pas soupeser de nouveau la preuve présentée à la Commission simplement parce qu'elle aurait pu en arriver à une conclusion différente.

[10]            La pertinence de la protection de l'État a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, où le juge La Forest a écrit, au paragraphe 18 :


Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s'appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée.

[11]            En outre, le juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale a écrit ce qui suit dans l'arrêt Canada (MCI) c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232 :

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement (ce n'est clairement pas le cas ici) ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation.

[12]            La Commission a considéré que les efforts faits par la demanderesse pour obtenir la protection de la police locale n'étaient pas suffisants ou raisonnables parce qu'il existe, au Costa Rica, d'autres institutions policières, politiques et judiciaires, comme le protecteur du citoyen, à qui elle aurait pu demander de l'aide. La Commission a aussi conclu qu'il n'est pas vraisemblable que la demanderesse ne puisse pas obtenir la protection de l'État contre un criminel comme M. Barrantes étant donné que le gouvernement du Costa Rica accorde une grande importance au contrôle du trafic de drogues et des activités des trafiquants de drogues et des criminels comme ce dernier.

[13]            La Commission pouvait raisonnablement tirer de telles conclusions compte tenu de la preuve qui lui a été présentée. Le gouvernement du Costa Rica s'attaque au problème de la violence conjugale. Il a en outre créé des mécanismes et des institutions, autres que la police locale, pour protéger les femmes comme la demanderesse. La Commission pouvait raisonnablement, comme elle l'a fait, conclure que la plainte de la demanderesse ne serait pas demeurée sans suite si elle s'était adressée au protecteur du citoyen ou à la police d'enquête judiciaire. La Cour ne peut modifier cette conclusion. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[14]            Aucun des avocats n'ayant recommandé la certification d'une question, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                            « Michael A. Kelen »              

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                            IMM-4343-03

INTITULÉ :                                                           MARIA LEILA BERMUDEZ CASCANTE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE MERCREDI 21 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                           LE LUNDI 26 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Hart A. Kaminker                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Tamrat Gebeyehu                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hart A. Kaminker                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

425, avenue University, bureau 500

Toronto (Ontario)

M5G 1T6

Morris Rosenberg                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040426

                    Dossier : IMM-4343-03

ENTRE :

MARIA LEILA BERMUDEZ CASCANTE

                                    demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

             ET ORDONNANCE


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