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Date : 20030808

Dossier : IMM-553-02

Référence : 2003 CF 964

Toronto (Ontario), le 8 août 2003                  

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                             GABER ZAHER WAHBA

AMAL MENYAS

MARINA WAHBA

KIRLLOS WAHBA

KATRIN WAHBA et

MONICA WAHBA

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 14 janvier 2002, par laquelle la Commission a décidé que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]         Les demandeurs sont citoyens du Soudan. Ils sont des chrétiens coptes qui revendiquent le statut de réfugié, alléguant craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur religion.

[3]         Membre actif de son église, Gaber Zaher Wahba (le demandeur principal) s'est particulièrement impliqué dans la mission de service social de l'église. À cet égard, le demandeur principal était responsable de l'assistance aux personnes déplacées du sud qui ont cherché refuge.

[4]         Le 24 décembre 2000, le demandeur principal distribuait de la nourriture et d'autres articles à des réfugiés et il tenait une réunion avec eux. Des agents de sécurité sont venus et ont mis fin à la réunion. Le demandeur principal a été battu, arrêté et amené aux services de sécurité, où il a été détenu jusqu'au 10 janvier 2001. Le demandeur principal a déclaré qu'il a été battu parce qu'il ne s'est pas converti à l'Islam. Il a été relâché lorsqu'il a signé un engagement de ne plus participer à des activités de l'église. Le demandeur principal a dit que son fils a été battu lorsque celui-ci a refusé de suivre des leçons d'Islam. Le demandeur principal a également déclaré dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il a subi des pressions afin de se convertir à l'Islam sous peine d'être enrôlé dans les Forces de défense populaire (FDP) ou même d'être exécuté.


[5]         Le demandeur principal a déclaré que la surveillance de sa résidence a cessé à 22 h. Toutefois, il a également déclaré que des agents de sécurité sont arrivés à sa résidence et l'ont maltraité à 23 h en février 2001. À l'audience, il a déclaré que les agents de sécurité l'ont battu en présence de sa famille et qu'ils ont brisé des objets religieux. Ils ont de nouveau voulu qu'il change de religion sinon il serait envoyé aux FDP et exécuté.

[6]         Les demandeurs ont quitté le Soudan le 11 mars 2001. Ils sont entrés au Canada le 12 mars 2001, en transitant par les États-Unis.

[7]         La Commission a notamment dit à la page 3 de sa décision :

Le revendicateur principal prétend que s'il retourne au Soudan, il subira de nouveau de graves pressions afin qu'il renonce à sa religion et risque d'être exécuté par les FDP. La revendicatrice allègue qu'elle et les revendicateurs mineurs seraient conduits à des leçons d'Islam, qu'elle serait menacée de viol, que son fils serait battu, que ses enfants deviendraient orphelins et que son fils serait enlevé par les FDP.

[8]         La Commission a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

[9]         Voici le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Les arguments des demandeurs

[10]       Les demandeurs prétendent que la Commission a mal interprété et omis certains éléments de preuve. Ils prétendent que la Commission a abusivement préféré des conclusions non applicables tirées de la preuve documentaire au témoignage des demandeurs.


[11]       Les demandeurs prétendent qu'aucun élément de preuve n'appuie les principales conclusions de la Commission et qu'elle a par ailleurs complètement mal interprété les éléments de preuve qu'ils ont soumis.

Les arguments du défendeur

[12]       Le défendeur prétend que la Commission n'a commis aucune erreur de droit en décidant que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[13]       Le défendeur prétend que les conclusions de la Commission sur la crédibilité et la vraisemblance étaient tout à fait raisonnables et que notre Cour ne peut intervenir.

[14]       Le défendeur prétend que la Commission n'a commis aucune erreur en appréciant la preuve objective qui lui avait été soumise.

Questions en litige

[15]       1.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que la preuve objective concernant le Soudan n'appuyait pas une crainte raisonnable de persécution de la part de personnes de foi chrétienne ayant le profil des demandeurs?


2.          La Commission a-t-elle tiré ses conclusions sur la crédibilité et la vraisemblance d'une manière abusive ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

Dispositions législatives pertinentes

[16]       Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 définit _ réfugié au sens de la Convention _ de la manière suivante :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

"Convention refugee" means any person who

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2),

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


Analyse et décision

[17]       Question 1

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que la preuve objective concernant le Soudan n'appuyait pas une crainte raisonnable de persécution de la part de personnes de foi chrétienne ayant le profil des demandeurs?

À la page 9 de sa décision, la Commission a dit :

Preuve documentaire

De l'avis du tribunal, la véritable question à trancher consiste à déterminer si une personne ayant le profil des revendicateurs court un sérieux risque de persécution en tant que chrétienne au Soudan. Pour évaluer ce risque, le tribunal a eu recours à la preuve documentaire.

[18]       La demande d'information de la Commission avait pour objet (dossier du tribunal, page 92) :

[TRADUCTION] Objet : Soudan : Difficultés éprouvées par les personnes qui distribuent de la nourriture et des vêtements à Khartoum au nom de l'Église catholique; d'organismes de charité chrétiens ou des oeuvres de charité intervenant à Khartoum qui viennent en aide à des chrétiens (2000 - 2001).

Bureau régional : 2

De : Direction de la recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à Ottawa

[19]       La réponse disait entre autres ce qui suit :

[TRADUCTION] Aucune information sur les difficultés éprouvées par les personnes qui distribuent de la nourriture et des vêtements à Khartoum, au nom de l'Église catholique, n'a pu être trouvée dans les sources que la Direction de la recherche a consultées.


En ce qui concerne les organismes de charité chrétiens ou les oeuvres de charité venant en aide à des chrétiens, l'information suivante peut être utile. Toutefois, elle ne dit pas précisément si les _ organismes à vocation religieuse _ sont des organismes de charité ou non. Dans le 2000 Annual Report on International Religious Freedom, le Département d'État des États-Unis affirme :

Les missionnaires continuent d'accomplir d'autres oeuvres et un grand nombre de groupes missionnaires chrétiens intervenaient aussi bien dans les régions du pays contrôlées par le gouvernement que dans celles sous le contrôle des rebelles. Toutefois, les autorités harcelaient souvent les missionnaires étrangers et d'autres organismes à vocation religieuse et retardaient le traitement de leurs demandes de permis de travail et de visas de résidents [....] Le gouvernement est généralement moins exigeant envers les groupes chrétiens qui ont eu une présence historique dans le pays, y compris les coptes, les catholiques romains, et grecs orthodoxes, et il est plus exigeant envers les nouveaux arrivants (le 5 septembre 2000, section 1).

Le rapport continue en ces termes :

Les prêtres catholiques rapportent qu'ils sont régulièrement arrêtés et interrogés par la police. Les forces de sécurité ont également détenu des personnes apparemment à cause de leurs croyances ou activités religieuses. En général, les détentions formellement fondées sur la religion sont de durée limitée; parce que la pratique de la religion n'est pas légalement interdite, les détenus ne pouvaient, officiellement, être indéfiniment gardés pour ces motifs (ibid.).

Aucune autre information sur les organismes de charité chrétiens ou sur les oeuvres de charité intervenant à Khartoum qui viennent en aide à des chrétiens n'a pu être trouvée dans les sources que la Direction de la recherche a consultées.

Cette réponse a été préparée après recherche dans les sources d'information auxquelles la Direction de la recherche a actuellement accès dans des délais limités. Cette réponse n'est pas, et ne prétend pas être, concluante quant au bien-fondé d'une demande en particulier d'asile ou de statut de réfugié. Vous trouverez ci-dessous la liste des sources consultées dans les recherches faites dans le cadre de cette demande d'information.


[20]       Il ressort clairement de la demande que les demandeurs cherchaient de l'information sur les difficultés que rencontrent les personnes qui distribuent de la nourriture et des vêtements pour l'Église catholique, les organismes de charité chrétiens ou les oeuvres de charité intervenant à Khartoum qui viennent en aide à des chrétiens. Les demandeurs sont des chrétiens coptes. La demande d'information portait sur les difficultés de l'Église catholique et la réponse semble fondée sur des groupes associés à l'Église catholique. À mon avis, si l'information recherchée devait être utilisée pour parvenir à une décision, cette information aurait dû se rapporter à l'église à laquelle appartiennent les demandeurs. La Cour n'a aucun moyen de savoir quelle information aurait été fournie si la demande avait été reliée aux chrétiens coptes. La preuve sur laquelle la Commission s'est fondée ne portait pas sur les chrétiens coptes et, en conséquence, la Commission a commis une erreur à cet égard.

[21]       Question 2

La Commission a-t-elle tiré ses conclusions sur la crédibilité et la vraisemblance d'une manière abusive ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

Il me semble que les conclusions de la Commission, fondées sur la preuve documentaire, sont étroitement liées à ses conclusions sur la crédibilité et la vraisemblance. Je ne peux dire à quel point l'information reçue par la Commission a influencé ses conclusions sur la crédibilité et la vraisemblance.

[22]       Je suis en conséquence d'avis que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire et la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. L'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

[23]       Aucune des parties n'a exprimé la volonté de soumettre ou ne m'a soumis une question grave de portée générale pour certification.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L'affaire sera soumise à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

_ John A. O'Keefe _

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


COUR FÉDÉRALE

                                                         

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-553-02

INTITULÉ :                                                        GABER ZAHER WAHBA

AMAL MENYAS

MARINA WAHBA

KIRLLOS WAHBA

KATRIN WAHBA et

MONICA WAHBA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 12 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                  le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                                  le 8 août 2003

COMPARUTIONS :

John Guoba                                                           pour les demandeurs

Jamie Todd                                                           pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John M. Guoba                                                    pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                  pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE

                                   Date : 20030808

Dossier : IMM-553-02

ENTRE :

GABER ZAHER WAHBA

AMAL MENYAS

MARINA WAHBA

KIRLLOS WAHBA

KATRIN WAHBA

et MONICA WAHBA

                                           demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

ligne

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

ligne


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