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Date : 20041104

Dossier : IMM-1176-04

Référence : 2004 CF 1561

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                               ABDUL KHALIQ

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Abdul Khaliq est originaire du Azad-Cachemire et il détient un passeport pakistanais. Il est arrivé au Canada en août 1999 et il a demandé l'asile. Cette demande a été rejetée en juillet 2001 par ce qui était alors la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qu'il a présentée à la Cour au regard de la décision a également été rejetée.

[2]                Il a aussi présenté ce qu'on appelait alors une demande dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, laquelle, du fait de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est maintenant traitée comme un examen des risques avant renvoi en vertu des articles 112 et suivants de la Loi. La demande a été rejetée en janvier 2004. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.

[3]                Il a aussi présenté une demande pour demeurer au pays pour des raisons d'ordre humanitaire. Cette demande a également été rejetée en janvier de cette année. M. Khaliq n'a pas présenté de demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

[4]                La mesure de renvoi prise à son encontre a fait l'objet d'un sursis en attendant l'issue du présent contrôle judiciaire. Essentiellement, M. Khaliq allègue qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques; il est en faveur d'un Cachemire indépendant. Il prétend qu'il a été faussement accusé d'être un partisan de l'armée indienne, qu'un mandat d'arrestation a été délivré contre lui et qu'il craint la persécution provenant de différentes sources au Pakistan, notamment de l'Inter-Services Intelligence de l'armée pakistanaise, de différents groupes paramilitaires encourageant le terrorisme et des intégristes musulmans. Il affirme qu'il n'y a aucune possibilité de refuge intérieur pour lui au Pakistan puisque les forces auxquelles il fait face sont toutes omniprésentes; elles étendent leurs tentacules partout.

[5]                L'agente d'ERAR a examiné les antécédents de M. Khaliq, sa situation au regard de l'immigration canadienne et les conditions au Pakistan, dont la protection de l'État et la possibilité de refuge intérieur. Elle a conclu qu'il n'avait pas démontré qu'il existait plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté pour des motifs énoncés dans la Convention sur les réfugiés ou qu'il y avait des motifs sérieux de croire qu'il risquerait d'être soumis à la torture ou de subir des peines ou traitements cruels et inusités s'il retournait au Pakistan.

[6]                Le contrôle judiciaire de cette décision est demandé pour différents motifs, notamment que l'agente d'ERAR n'a pas examiné équitablement la preuve présentée concernant les risques personnels courus par M. Khaliq au Pakistan; qu'elle n'a pas tenu compte de la preuve documentaire quant à la persécution dont sont victimes les Cachemiriens; qu'elle a eu tort en déterminant qu'il existait une protection de l'État et qu'elle n'a pas conclu que s'il retournait au Pakistan, il était presque certain d'être condamné à être torturé ou même tué.

ANALYSE


[7]         Malgré les arguments très convaincants avancés au nom de M. Khaliq, je suis arrivé à la conclusion qu'on me demande d'apprécier à nouveau les conclusions de l'agente, en particulier en ce qui a trait à la situation qui avait cours dans le pays en cause lorsqu'elle a rendu sa décision plus tôt cette année. Elle a noté ce qu'elle considérait être une amélioration de la situation et elle a cité la preuve documentaire qui l'a amenée à cette conclusion. Bien qu'il soit tout à fait possible qu'un autre agent ait pu en venir à une conclusion différente, il n'y avait rien de manifestement déraisonnable, ni même de déraisonnable, dans sa conclusion selon laquelle il n'y aurait pas plus qu'un simple risque de persécution si M. Khaliq devait retourner au Pakistan ni dans celle selon laquelle il y avait une possibilité de refuge intérieur pour lui.

[8]                M. Khaliq, invoquant l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; [2002] A.C.S. no 3 (QL), soutient que l'agente aurait dû commencer par l'hypothèse selon laquelle il serait soumis à la torture au Pakistan. L'arrêt Suresh était tout à fait différent. Il s'agissait d'un terroriste connu et le risque qu'il soit soumis à la torture s'il était retourné au Sri Lanka n'était pas en cause. La question à trancher était de savoir s'il devait de toute façon être retourné. Par conséquent, il n'y a aucun fondement à la question proposée par M. Khaliq en vue de la certification quant à savoir s'il était obligatoire de tenir compte de l'article 3 de la Convention contre la torture dans le cadre tant des demandes d'asile que du processus d'ERAR.

[9]                On a également soutenu que l'agente et la Cour devraient tenir pour avéré le fait que la situation actuelle au Pakistan puisse être considérée comme étant visée par l'article 3 de la Convention contre la torture, c'est-à-dire qu'il existe une violation massive, systématique et flagrante des droits de la personne. Bien qu'on m'ait invité à certifier cela en tant que question pour la Cour d'appel, je refuse de le faire.

[10]            La situation au Pakistan, ou dans tout autre pays, à une époque donnée, constitue une question de fait. Bien que la preuve de la situation dans le pays en cause présentée devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et devant les agents d'ERAR, ne soit pas assujettie aux strictes règles de preuve, on ne peut pas affirmer que la notoriété des faits allégués par M. Khaliq rend l'existence raisonnablement incontestable. Les arrêts Reference re Alberta Statutes, [1938] R.C.S. 100, et Schnell c. British Columbia Electric R.W. Co. (1910), 14 W.L.R. 586, ont amené les auteurs J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant à affirmer dans The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), au paragraphe 19:14 :

[traduction]

Dans l'arrêt Reference re Alberta Statutes, le juge en chef Duff a déclaré : « Il est de notre devoir, en tant que juges, de prendre connaissance d'office de faits qui sont connus des personnes intelligentes en général; [...] Plus simplement, la cour peut et doit prendre connaissance d'office de ce que " tout le monde connaît " » . Il suffit que le fait soit notoirement connu dans la collectivité dans laquelle le juge siège. De plus, les faits dont on peut prendre connaissance d'office peuvent changer avec le temps.

[Renvois omis.]

[11]            M. Khaliq a reconnu que certains demandeurs originaires du Pakistan avaient obtenu le statut de réfugié ou un statut semblable au Canada, alors que d'autres n'y étaient pas parvenus. Cela tend juste à démontrer que chaque demande repose sur ses faits particuliers. Bien que, en l'espèce, la Cour ne soit pas dans une position lui permettant de prendre connaissance d'office de ce que M. Khaliq a qualifié de faits notoires, le ministre, qui en sait beaucoup plus que la Cour en ce qui concerne la situation dans le pays en cause, juge de temps à autre que la situation dans un pays donné est horrible et il décrète un moratoire sur les renvois de gens là-bas. Cela ne s'est pas produit en l'espèce.


[12]            L'agente a également été critiquée pour ne pas avoir examiné la situation personnelle de M. Khaliq au Pakistan. Il en fut ainsi parce que sa demande d'asile avait été rejetée. On a laissé entendre que la demande d'ERAR constituait une deuxième possibilité pour la tenue d'une nouvelle audience, juste au cas où la première aurait été viciée du fait que le demandeur aurait pu être nerveux, qu'il aurait été mal interprété, qu'il pourrait ne pas avoir reçu les conseils appropriés d'un consultant en immigration, d'un avocat, ou de quelqu'un d'autre, ou que la décision sur l'affaire aurait été erronée. Ce n'est pas le but recherché par une demande d'ERAR. Comme l'alinéa 113a) de la Loi l'énonce clairement :

Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet;

Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[13]            Puisque la norme de contrôle concernant la conclusion de fait est que la Cour ne devrait intervenir que si la conclusion est manifestement déraisonnable, il s'ensuit qu'il y a eu des décisions de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ou des agents d'ERAR, qui étaient erronées. L'ERAR ne constitue pas un moyen d'obtenir une nouvelle audience. Il doit y avoir de nouveaux éléments de preuve portant sur le demandeur lui-même ou sur la situation du pays en cause. L'agente n'a rien trouvé de ce genre en l'espèce.

[14]            Un des nouveaux documents présentés était le mandat d'arrestation dont fait l'objet M. Khaliq au Pakistan, lequel a été considéré comme fort louche par l'agente. Peu importe ce que l'agente a déclaré, puisque l'affirmation de M. Khaliq selon laquelle il y avait un mandat en vue de son arrestation avait été notée dans sa demande d'asile qui a été rejetée.

[15]            On a accordé beaucoup d'importance à une décision de 1994 du Comité contre la torture des Nations Unies, laquelle fut défavorable au Canada. En fait, M. Khaliq a proposé qu'une question soit certifiée auprès de la Cour d'appel quant à savoir quelle importance devrait être accordée à cette décision et si l'agent d'ERAR avait l'obligation de commenter une telle jurisprudence internationale.

[16]            La décision en question, mettant en cause Tahfir Khan, a été tranchée sur le fondement de ses propres faits. Selon les faits dont il disposait, le Comité était d'avis qu'il risquait d'être soumis à la torture. Il avait également été établi qu'il avait déjà été torturé au Pakistan.

[17]            Chaque fois qu'un agent d'ERAR applique le droit, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Le droit est établi par les lois et la jurisprudence canadiennes, la Cour suprême du Canada représentant l'ultime source d'interprétation. Les décisions provenant de l'étranger et qui traitent de la même question peuvent évidemment être considérées à la lumière de leur raisonnement, mais certainement pas au motif qu'elles réglementent.


                                        ORDONNANCE

1.         Sur le consentement des parties, l'intitulé est modifié pour faire en sorte que le défendeur soit identifié comme « Le solliciteur général du Canada » .

2.          Le demande de contrôle judiciaire est rejetée.

3.         Aucune question n'est certifiée.

                                                                              _ Sean Harrington _            

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1176-04

INTITULÉ :                                                    ABDUL KHALIQ

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 28 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 4 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                POUR LE DEMANDEUR

Mario Blanchard                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                                POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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