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Date : 20040730

Dossier : IMM-736-03

Référence : 2004 CF 1050

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                             INDERJIT BADHAN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté, en date du 21 janvier 2003, un appel présenté suivant l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi), parce qu'elle a conclu que le demandeur n'avait pas démontré que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, il ne devrait pas être renvoyé du Canada.

[2]                En 1993, le frère aîné du demandeur a parrainé leur père au Canada en tant que résident permanent. Dans sa demande de résidence permanente, le père du demandeur a énuméré trois personnes à charge qui l'accompagnaient, à savoir son épouse, le demandeur et le frère cadet du demandeur. Cette demande a été refusée en 1995 et l'appel présenté à l'égard de cette décision a été accueilli. Une nouvelle demande présentée en 1998 a été acceptée et, le 11 janvier 1999, le demandeur, ses parents et son frère cadet se sont établis au Canada en tant que résidents permanents.

[3]                La demande de résidence permanente présentée par le demandeur est datée du 4 septembre 1998 et mentionne qu'il n'avait pas de personnes à charge à ce moment. Cependant, lorsque le demandeur a tenté de parrainer son épouse et son fils, des fonctionnaires de l'immigration se sont rendu compte que le demandeur a un fils né le 16 janvier 1998. Le fait que le demandeur avait un fils au moment où il a présenté sa demande de résidence permanente signifiait qu'il n'était pas admissible à l'obtention d'un visa de résident permanent en tant que fils à charge de son père. Par conséquent, une enquête a eu lieu et un arbitre de l'immigration a pris une mesure de renvoi le 7 mai 2002 au motif que le demandeur était une personne visée par l'alinéa 27(1)e) de la Loi parce qu'il avait obtenu le droit d'établissement en raison d'une fausse déclaration à l'égard d'un fait important, à savoir le fait qu'il avait un fils.

[4]                Le demandeur a déposé à la SAI un appel à l'égard de cette mesure de renvoi suivant l'alinéa 70(1)b) de la Loi. La SAI a conclu que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau de démontrer qu'il ne devrait pas être renvoyé du Canada et l'appel a par conséquent été rejeté.

[5]                La SAI a conclu que même si l'infraction commise par le demandeur est une infraction en matière d'immigration plutôt qu'une infraction en matière criminelle, il s'agit tout de même d'une infraction grave. En particulier, par sa fausse déclaration, le demandeur a obtenu le statut de résident permanent au Canada alors qu'il n'avait pas le droit d'obtenir un tel statut et la SAI a conclu qu'il faut, pour que l'intégrité du système d'immigration au Canada soit maintenue, que cette infraction soit prise au sérieux. Compte tenu de la durée des procédures (au moins cinq ans dans la présente affaire), la SAI a en outre conclu que la fausse déclaration du demandeur à l'égard de l'existence de son fils était intentionnelle. En outre, la SAI a conclu que le demandeur avait délibérément trompé le tribunal en affirmant qu'il ne croyait pas qu'il était tenu de révéler l'existence de son fils parce que ce fils était né hors des liens du mariage.

[6]                La SAI a en outre pris en compte de nombreux facteurs favorables et a mentionné entre autres que le demandeur était au Canada depuis quatre ans, qu'il avait maintenu un emploi stable et qu'il avait acheté une maison et une voiture. Bien que la SAI ait conclu que son renvoi du Canada causerait des difficultés importantes à sa famille, elle a mentionné que les facteurs qui montrent son établissement au Canada [TRADUCTION] « doivent d'une certaine façon être contrebalancés par le fait qu'il n'était pas au Canada de plein droit » .


[7]                La SAI, après avoir apprécié tous ces facteurs et reconnu qu'[TRADUCTION] « il y aura dans des cas appropriés des motifs pour ne pas renvoyer un demandeur même s'il est devenu un résident permanent après avoir fait de fausses déclarations » , a néanmoins conclu que [TRADUCTION] « les circonstances d'un tel cas auraient à être plus convaincantes qu'elles le sont dans la présente affaire » .

[8]                L'alinéa 70(1)b) de la Loi accorde un grand pouvoir discrétionnaire à la SAI à l'égard de sa compétence en equity. En particulier, l'alinéa 70(1)b) donne à la SAI le pouvoir de déterminer, « eu égard aux circonstances particulières de l'espèce » , si un résident permanent devrait être renvoyé du Canada. Lors du contrôle d'une telle décision, la Cour doit examiner la question de savoir si la SAI a exercé de bonne foi son pouvoir discrétionnaire ou si elle a été influencée par des considérations non pertinentes et a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon arbitraire ou illégale (décision Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 130 F.T.R. 294, au paragraphe 75 (C.F. 1re inst.), [1997] A.C.F. no 605 (C.F. 1re inst.) (QL)). Il est important de rappeler que lorsque la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire selon la norme précédemment mentionnée, la Cour ne peut pas intervenir même si elle aurait pu exercer ce pouvoir discrétionnaire différemment si elle avait été à la place de SAI (décision Mohammed, précitée). La norme de la retenue judiciaire devant être accordée aux conclusions de fait tirées par la SAI à l'égard de l'alinéa 70(1)b) de la Loi est celle de la décision manifestement déraisonnable (arrêt Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 270 N.R. 293, au paragraphe 16 (C.A.F.), [2001] A.C.F. no 662 (C.A.F.) (QL)).


[9]                Le demandeur prétend d'abord que la SAI a outrepassé sa compétence et qu'elle a commis une erreur de droit lorsqu'elle a omis de mentionner la demande de résidence permanente initiale présentée par le demandeur en 1993. Selon le demandeur, bien qu'il y ait eu une fausse déclaration dans sa demande de septembre 1998, cela ne pouvait pas avoir un effet sur l'issue de sa demande parce que le droit d'immigrer était fondé sur la date de la demande initiale qui ne contenait pas la fausse déclaration. Le demandeur s'appuie erronément sur l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Lidder (1992), 136 N.R. 254 (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 212 (C.A.F.) (QL). En l'espèce, un examen du dossier de Citoyenneté et Immigration révèle que c'est sur le fondement de la deuxième demande, signée en septembre 1998, que le demandeur a obtenu le droit d'établissement au Canada en tant que résident permanent. Le fait qu'il n'y avait pas une importante fausse déclaration dans sa demande initiale de 1993 n'est ainsi pas pertinent. Par conséquent, je conclus que la prétention du demandeur sur cette question n'est pas fondée.

[10]            Deuxièmement, le demandeur prétend que la SAI a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a accordé trop d'importance à la gravité de l'infraction ayant conduit à l'expulsion et lorsqu'elle a assimilé la situation du demandeur à celle d'un criminel reconnu.


[11]            Dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4 (QL), la SAI a énoncé une liste de facteurs qui servent de guide afin de déterminer si la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire suivant l'alinéa 70(1)b) de la Loi (arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84 (C.S.C.), [2002] A.C.S. no 1 (C.S.C.) (QL)). Ces facteurs incluent, entre autres, la gravité de l'infraction ayant conduit à l'expulsion, le temps passé au Canada et le niveau d'établissement du demandeur, la famille du demandeur au Canada, le soutien dont bénéficie le demandeur au Canada et l'importance des difficultés auxquelles le demandeur serait exposé en retournant dans son pays de nationalité. La Cour a reconnu que les facteurs de la décision Ribic peuvent être de façon appropriée pris en compte dans des affaires dans lesquelles la mesure de renvoi n'est pas liée à un comportement criminel (décision Villareal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 69, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.), [1999] A.C.F. no 708 (C.F. 1re inst.) (QL)). De plus, ces facteurs ne sont pas exhaustifs et la SAI peut prendre en compte d'autres facteurs (décision Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 124, au paragraphe 12 (C.F. 1re inst.) (QL)).


[12]            Le demandeur prétend que la SAI a omis d'appliquer les facteurs énoncés dans la décision Ribic, précitée, d'une manière compatible avec les objets de la Loi et qu'elle a omis de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce (arrêt Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 93 D.L.R. (4th) 589 (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 512 (C.A.F.) (QL)). Cette prétention n'est pas fondée. Un examen des motifs de la SAI dans la présente affaire révèle qu'elle a correctement tenu compte des « circonstances particulières » du dossier du demandeur. Contrairement à ce que prétend le demandeur, la SAI a explicitement mentionné que l'infraction commise par le demandeur était une infraction en matière d'immigration plutôt qu'une infraction en matière criminelle. Lorsqu'elle rend une décision quant à la question de savoir si une personne devrait ou non être renvoyée du Canada suivant l'alinéa 70(1)b), la SAI doit prendre en compte les « circonstances particulières de l'espèce » . Ces circonstances incluent « le bien de la société et celui de la personne en particulier » (arrêt Canepa, précité, au paragraphe 30; décision Sikillaa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 60 (C.F. 1re inst.) (QL)). Dans la présente affaire, la SAI a conclu que la fausse déclaration intentionnelle du demandeur et ses tentatives visant à tromper le tribunal militaient fortement contre le fait de le laisser rester au Canada. Comme M. le juge Evans a mentionné dans la décision Villareal, précitée, au paragraphe 15, « [l]a présence au Canada d'une personne qui obtient son admission par suite d'un mensonge réfléchi et calculé est certainement moins désirable que celle d'une personne dont la fausse indication résulte d'une négligence ou d'un malentendu » . Cela dit, un examen de la décision contestée révèle que la SAI a pris en compte les facteurs positifs qui militaient en faveur de la demande présentée par le demandeur (c'est-à-dire l'importance de son établissement au Canada, les difficultés pour le demandeur et sa famille, le soutien de la famille et de la collectivité, etc.). Le demandeur ne m'a rien signalé qui indiquerait que la SAI a omis de tenir compte d'éléments de preuve. Le fait que le résultat de l'appréciation de la preuve n'a pas été favorable au demandeur ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle (décision Cherrington c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 94 F.T.R. 198, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.), [1995] A.C.F. no 578 (C.F. 1re inst.) (QL); décision Villareal, précitée, aux paragraphes 8 à 11).

[13]            En conclusion, je suis d'avis que la SAI n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle. La demande de contrôle judiciaire devrait par conséquent être rejetée. Aucune question de portée générale n'a été proposée aux fins de la certification et aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que, pour les motifs précédemment énoncés, la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-736-03

INTITULÉ :                                       INDERJIT BADHAN

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 28 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                     LE 30 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

John H. Kalina                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Alison Engel                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Kalina                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Brampton (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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