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                                                                                                                     Date : 20040921

                                                                                                        Dossier : IMM-7834-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1288

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                         BULENT KOCAK

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Monsieur Bulent Kocak (le demandeur) est citoyen de la Turquie. Il a 28 ans. Il affirme qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques, de son appartenance à un groupe social et de son objection de conscience à toute guerre. Il affirme également qu'il est une personne à protéger vu qu'il serait exposé en prison au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités en raison de sa désertion du service militaire.


[2]         Le 10 septembre 2003, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que :

·            le demandeur n'est pas un objecteur de conscience, mais, en fait, un déserteur;

·            le demandeur ne subirait pas une peine disproportionnée pour avoir déserté étant donné que la peine (maximale de trois ans) pour désertion n'est pas excessive, n'est pas de la persécution et ne constitue pas un traitement cruel et inusité;

·            il n'y avait aucune preuve documentaire fiable au soutien de l'allégation que le demandeur serait soumis à la torture pendant son emprisonnement.

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Les questions en litige

[2]         La demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :


1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en interprétant mal certains éléments de la preuve et en utilisant ensuite ces éléments pour étayer sa décision?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte dléments de preuve importants?

Analyse

[3]         La décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle qui s'applique en l'espèce. Cela revient à dire que je ne peux annuler la décision que si j'estime qu'aucun élément de preuve ne peut l'étayer. Pour les motifs qui suivent, j'estime que la décision de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable et qu'elle doit donc être maintenue.

Première question : La Commission a-t-elle commis une erreur en interprétant mal certains éléments de la preuve et en utilisant ensuite ces éléments pour étayer sa décision?


[4]         Le demandeur affirme que la Commission a mal établi quelle était la peine maximale d'emprisonnement de laquelle il serait passible s'il retournait en Turquie. Selon les observations du demandeur, l'article 67 du code pénal militaire de la Turquie s'applique. Cet article prévoit une peine d'emprisonnement de trois à cinq ans pour quiconque s'absente de la Turquie pendant plus de trois jours sans permission. En estimant que la peine maximale était de trois ans au lieu de cinq, la Commission a commis une erreur. Le demandeur soutient que cette erreur de fait est au coeur du raisonnement de la Commission (Abarajithan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 54 (C.A.F.) (QL); Osman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 322 (C.A.F.) (QL). À mon avis, cependant, il n'a aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[5]         Il revenait au demandeur de présenter une preuve au soutien de ses prétentions. Cette preuve aurait dû comprendre la peine d'emprisonnement qui pourrait lui être infligée. Il ne pouvait pas se contenter de simplement citer un article du code militaire de la Turquie qui prévoit une peine maximale de cinq ans. Le demandeur devait aussi démontrer qu'il serait assujetti à cette peine.


[6]         La preuve sur ce point particulier était contradictoire. Dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP), le demandeur a écrit que la peine serait de [traduction] « de trois à cinq ans » . Par contre, lors de son témoignage, le demandeur a dit plusieurs fois qu'il serait passible d'une peine allant de 6 mois d'emprisonnement à la peine de mort. En plus de l'article 67, qui prévoit une peine de trois à cinq ans d'emprisonnement, le demandeur a aussi renvoyé la Commission à l'article 66, qui prévoit une peine d'un à trois ans. Il est facile de comprendre que, à la fin de l'audience, la Commission s'est dite préoccupée par cette preuve confuse sur ce que pouvait être la peine et elle a demandé aux parties de lui présenter des observations écrites sur ce point. Il est important de noter que l'avocat du demandeur, dans ces dernières observations, a affirmé que la peine pour désertion était de un à trois ans d'emprisonnement, et qu'il a renvoyé à l'article 66, et non à l'article 67. Dans ces dernières observations, il n'a fait aucun renvoi à l'article 67 et il n'a pas expliqué non plus en quoi cet article s'appliquerait au demandeur. Au vu du dossier, et plus particulièrement, des observations écrites du demandeur, il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que la peine maximale était de trois ans.

[7]         Bref, le demandeur avait la charge de prouver que l'article 67 s'appliquait à lui, ce qu'il n'a pas fait.

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte dléments de preuve importants?


[8]         La Commission a conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve fiable qui étayait la prétention du demandeur qu'il serait torturé pendant son emprisonnement. Le demandeur allègue que la Commission n'a pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents qui confirmaient que la torture des déserteurs était chose courante, et que, de ce fait, elle a commis une erreur de droit (Toro c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.) (QL); Banque canadienne impériale de commerce c. Rifou, [1986] 3 C.F. 486 (C.A.F.) (QL); Rostamzadeh-Jahan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 23 (C.A.F.) (QL); Amirthanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1258 (C.F. 1re inst.) (QL)). Plus particulièrement, le demandeur s'appuie sur la décision que le juge Blanchard a rendue récemment dans l'affaire Bakir c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 57 (C.F.) (QL), qui, selon lui, s'applique directement aux faits de l'espèce.


[9]         Les causes citées établissent clairement que la Commission commet une erreur dans le cas où elle omet de prendre en considération des éléments de preuve pertinents qui contredisent la conclusion à laquelle elle arrive. Toutefois, dans toutes ces causes, le dossier contenait des éléments de preuve documentaire fiables qui contredisaient clairement et directement les conclusions de la Commission. En l'espèce, le demandeur ne m'a renvoyée à aucun élément de preuve ce cette nature. Le demandeur a présenté un article publié sur Internet qui traitait d'un cas de torture. Cela peut difficilement être qualifié de preuve documentaire fiable. Il a aussi mentionné un cas que je qualifierais de généralisation sur les conditions de vie dans les prisons. Le cas en question ne s'applique pas nécessairement aux prisons militaires. Par conséquent, au vu de la preuve documentaire au dossier, je suis incapable de conclure que la Commission a tiré une conclusion erronée.

Conclusion

[10]       Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Les parties n'ont pas demandé la certification d'une question et aucune ne sera certifiée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

      « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                                                                  

                                                                                                                                         Juge                       

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  IMM-7834-03

INTITULÉ :                                 BULENT KOCAK

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 15 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :               LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :               LE 21 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS:

Alex Billingsley                               POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cintosun & Associate                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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