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Date : 20030414

Dossier : T-2087-01

Référence neutre : 2003 CFPI 431

Calgary (Alberta), le 14 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                        CELESTE STRIKES WITH A GUN

                                                                       demanderesse

                                       et

             MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

                                                                          défendeur

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]              Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par Celeste Strikes With A Gun (la demanderesse), membre de la bande indienne de Peigan (la bande), le 23 novembre 2001, à l'encontre de la décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) de conclure une entente de règlement (l'entente) en date du 26 octobre 2001, négociée entre le ministre, le chef de la bande et le gouvernement de l'Alberta.


[2]                 La demanderesse, qui agit pour son propre compte, demande à la Cour les redressements suivants :

a)         une déclaration que le ministre a agi illégalement lorsqu'il a conclu l'entente;

b)         une déclaration que les lignes directrices portant sur la ratification (les lignes directrices), soit l'annexe B de l'entente, sont ultra vires et représentent un abus de confiance;

c)         une déclaration que le ministre est incapable [traduction] « de s'attendre à quelque résultat positif suite à la procédure de ratification établie par les lignes directrices pour autoriser sa décision de signer l'entente » .

[3]                 L'avocate du ministre s'oppose à cette demande de contrôle judiciaire au motif qu'elle est théorique. Elle dit que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est théorique parce que l'entente a été soumise à un vote de ratification par les membres de la Première nation des Peigan les 28 et 29 novembre 2001 (soit une semaine après le dépôt à la Cour de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse). L'entente n'a pas été ratifiée par la Première nation.

[4]                 Un fait surprise a été soulevé lors de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire. On m'a informé qu'un deuxième vote de ratification avait été tenu les 16, 17 et 18 septembre 2002 concernant l'entente de règlement avec les Piikani, la bande ayant changé de nom, le nom de Première nation des Peigan étant devenu Première nation des Piikani. L'entente de règlement avec les Piikani a été ratifiée.

[5]                 On m'a également informé que le 29 juillet 2002, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour (dossier T-1183-02) laquelle demande désigne comme défendeurs le ministre, le conseil de bande de la première nation des Peigan et Allan Pard. Dans cette demande de contrôle judiciaire relative à l'entente de règlement avec les Piikani, la demanderesse cherche à obtenir ce qui suit :

1.         Une ordonnance [traduction] « interdisant aux défendeurs d'utiliser le nom Piikani aux fins d'asseoir la validité juridique des lignes directrices portant sur la ratification » ;

2.         Une ordonnance annulant [traduction] « les décisions des défendeurs qui ont signé l'entente de règlement avec les Piikani. »

[6]                 On m'a également avisé pendant l'audience que la demanderesse a tenté de faire interdire la tenue du vote de ratification par les défendeurs mais que cette requête a été rejetée par le juge Blanchard le 13 septembre 2002.

[7]                 Afin de compléter le portrait, je devrais également mentionner qu'on m'a avisé, pendant l'audience, du fait que la demanderesse a déposé une autre demande de contrôle judiciaire (dossier T-2086-01) relative à la première entente sur le règlement, qui désigne cette fois le conseil de bande de la première nation des Peigan et ses membres individuels en tant que défendeurs.

[8]                 Les principes juridiques régissant les question à caractère théorique ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, qui exige une analyse en deux parties.

[9]                 En premier lieu, dans l'analyse requise, il faut se demander si le différend entre les parties a disparu, s'il est devenu théorique. En second lieu, il s'agit de savoir si le tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et statuer sur une question théorique.

a) La présente demande de contrôle judiciaire est-elle théorique?

[10]            Une affaire est théorique si, après l'introduction des procédures, des événements qui modifient les rapports des parties entre elles sont survenus, selon les termes qu'utilise le juge Sopinka « de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties » .

[11]            Autrement dit, une affaire est théorique, si l'affaire n'a plus de portée pratique, si la décision n'aura aucun effet pratique ou si le substrat du litige a disparu.

[12]            À mon avis, il est à peu près certain que le substrat de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse a disparu. L'échec du vote de ratification signifie que, sur le fond, l'entente sur le règlement n'est pas entrée en vigueur.

[13]            De plus, le redressement visé par la demande de contrôle judiciaire n'a plus de pertinence parce que l'entente sur le règlement et les lignes directrices qui en forment l'annexe B n'existent pas.

b) La Cour devrait-elle entendre l'affaire?

[14]            Il a été mentionné que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d'entendre une question théorique mais, dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, elle doit tenir compte de critères appréciés en fonction de la pratique habituelle selon laquelle une cour peut refuser de statuer sur une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite.

[15]            Dans l'arrêt Borowski, précité, le juge Sopinka a relevé quelques-uns des facteurs qui pourraient convaincre un tribunal d'entendre une question théorique. Il mentionne ce qui suit :

1.         La décision aura-t-elle des conséquences accessoires - sera-t-elle utile dans d'autres contextes pour statuer sur des droits.

2.    L'affaire présente-t-elle des circonstances particulières qui justifient l'utilisation des ressources judiciaires, si limitées soient-elles, à la solution du litige; par exemple, une cause de nature répétitive mais de courte durée comme une grève ou une injonction visant à interdire une grève ou dans des cas de questions de droit importantes sur lesquelles on ne statuerait peut-être jamais si l'on ne s'arrêtait qu'au fait qu'elles soient théoriques.

3.    L'affaire soulève-t-elle une question d'importance publique qu'il est dans l'intérêt public de trancher.

[16]         Je vois la force avec laquelle les arguments de la demanderesse me sont soumis comme une tentative de me convaincre d'exercer mon pouvoir discrétionnaire d'entendre cette demande de contrôle judiciaire. La demanderesse m'a dit qu'il y aurait un avantage à traiter de la question des lignes directrices qui ont été séparées de l'entente sur le règlement lors du deuxième vote sur la ratification; qu'il y avait une question sérieuse, à savoir qui était responsable des coûts de la première entente sur le règlement qui a échoué. Elle a également soutenu l'utilité de sa déclaration que le ministre a agi illégalement quand il a signéla première entente sur le règlement.

[17]            Je ne suis pas disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire pour entendre cette demande de contrôle judiciaire qui est théorique, particulièrement à la lumière de la deuxième demande de contrôle judiciaire de la demanderesse qui attaque l'entente de règlement avec les Piikani. En effet, cette dernière entente est celle qui importe réellement, qui est en vigueur et de la quelle on peut dire qu'elle établit les droits des membres de la Première nation, y compris la demanderesse.

[18]            Il y a une deuxième raison très importante de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire. Ma décision pourrait avoir des conséquences accessoires à l'endroit de la deuxième demande de contrôle judiciaire alors que je ne sais rien des faits sous-jacents au contenu de la deuxième entente sur le règlement ni des circonstances qui ont entouré sa ratification. Une décision rendue dans de telles circonstances aurait vraisemblablement des effets accessoires préjudiciables et non positifs.

[19]            Je suis convaincu que, dans le dossier T-1183-02, la demanderesse pourra soulever les mêmes arguments de fond que dans le présent contrôle judiciaire théorique, mais cette fois dans un contexte factuel approprié et non fictif.

                                                                     ORDONNANCE

[20]            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée en raison de son caractère théorique. Sans frais.

« François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                         T-2087-01

INTITULÉ:                        CELESTE STRIKES WITH A GUN

c.

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :            Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :            le 11 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                 le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :              le 14 avril 2003

COMPARUTIONS:

Celeste Strikes With A Gun        POUR LA DEMANDERESSE

Jolaine Antonio                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Celeste Strikes With A Gun        POUR LA DEMANDERESSE

Brocket (Alberta)

Morris A. Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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