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Date : 20060306

Dossier : IMM-1844-05

Référence : 2006 CF 291

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

KONESWARAN SUNDARAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                La question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si un refus de changement du lieu ou l'omission d'examiner d'autres moyens d'être présent lors d'une audience constituent un manquement aux principes de justice naturelle.

[2]                Le demandeur (Koneswaran Sundaram) a déménagé de Toronto à Vancouver, et ce, pour des raisons financières. Il avait déposé sa demande d'asile à Toronto et on lui avait accordé du temps pour remplir son formulaire de renseignements personnels (le FRP), lequel devait être déposé le 20 octobre 2003.

[3]                Le 7 octobre 2003, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) lui a expédié un avis selon lequel il devait se présenter à une audience relative au désistement prévue pour le 31 octobre 2003, à Toronto, pour démontrer qu'il ne s'était pas désisté de sa demande d'asile.

[4]                À partir du 6 octobre 2003, le demandeur a introduit une série de demandes visant à obtenir un changement du lieu, de Toronto vers Vancouver, de toute audience relative à son statut. Le 16 octobre 2003, son conseil a fait une demande pour que le dossier soit transféré à Vancouver au motif que les coûts découlant de la présence aux audiences à Toronto, associés à l'impécuniosité du demandeur, faisaient en sorte qu'il était impossible pour son client d'avoir les moyens de voyager. Cette demande a été répétée, essentiellement pour les mêmes motifs, les 27 et 30 octobre 2003.

[5]                Au cours de la même période, le demandeur a demandé une prorogation du délai pour déposer son FRP en raison du fait qu'il attendait l'approbation de sa demande d'aide juridique. Cette demande de prorogation a été rejetée trois jours après la date de dépôt du FRP et ce dernier a été déposé le 29 octobre 2003 - deux jours avant la date fixée pour l'audience relative au désistement.

[6]                Le 31 octobre 2003, la mention apposée sur la décision concernant le changement du lieu contenait le commentaire sibyllin suivant : [traduction] « La demande de changement du lieu est rejetée » . Le Relevé de décision notait également que la prorogation relative au FRP avait été antérieurement rejetée, qu'il n'y avait aucune explication raisonnable pour le dépôt tardif du FRP, que le demandeur n'avait pas comparu lors de l'audience relative au désistement et que, pour ces motifs, on considérait donc qu'il y avait eu désistement de la demande d'asile.

[7]                Pour des raisons qui ne sont pas claires, la décision relative au désistement n'a pas été contestée. Le demandeur a simplement présenté une demande pour que son dossier soit rouvert. On a rejeté cette demande de réouverture; un contrôle judiciaire a été sollicité et obtenu sur consentement. En fin de compte, la SPR a réexaminé l'affaire. C'est cette deuxième décision de refuser de rouvrir le dossier qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[8]                La décision de la SPR de refuser la réouverture était fondée sur les conclusions suivantes :

1.          Le demandeur était représenté par un conseil, même si ce dernier n'avait pas d'expérience. Cette inexpérience était toutefois compensée par le fait que les problèmes rencontrés n'étaient pas complexes - le dépôt tardif de son FRP et le défaut de se présenter à son audience relative au désistement.

2.          Le demandeur a omis de présenter son FRP dans le délai prescrit. Les communications entre le demandeur, son conseil et la SPR relativement à la demande antérieure de changement du lieu ne peuvent servir à expliquer le dépôt tardif du FRP.

3.          Le demandeur et son conseil ne se sont pas présentés à l'audience relative au désistement, au cours de laquelle le demandeur aurait eu l'occasion de démontrer qu'il ne s'était pas désisté de sa demande d'asile en expliquant le dépôt tardif de son FRP. À la page 5 de sa décision, la commissaire conclut qu' « [à] cet égard, le conseil et le demandeur d'asile, malgré leurs demandes de changement du lieu de l'audience présentées à la dernière minute sans justification du dépôt tardif du FRP, n'étaient pas présents à l'audience sur le désistement pour défaut de présenter le FRP même si aucune communication concernant la décision de la Section n'avait été transmise » .

4.          Le demandeur et son conseil ont reçu un avis adéquat au sujet de l'audience. De plus, tant les règles que les directives prévoient que si l'on a demandé un changement du lieu mais que l'on n'a pas eu de réponse de la Section, on est alors tenu de se présenter à la date fixée pour l'audience.

I.           Analyse

[9]                La Cour est consciente du fait que cette affaire repose plus sur les motifs énoncés à l'article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés que sur le bien-fondé de la décision relative au désistement. Toutefois, il est difficile de comprendre comment la SPR a pu tirer une conclusion selon laquelle le demandeur s'était désisté de sa demande d'asile, eu égard à la preuve de ses nombreux plaidoyers visant une prorogation du délai pour le dépôt de son FRP, dans le but d'obtenir les services d'un conseiller juridique, ainsi que de ses demandes répétées pour que son dossier soit transféré à Vancouver, afin de faire en sorte qu'il puisse se présenter à toute audience ordonnée.

[10]            Toutefois, le présent contrôle judiciaire doit être fondé sur le redressement sollicité par le demandeur - une demande de réouverture. Les articles pertinents des Règles limitent l'étendue de l'examen de la question de savoir s'il y a eu un « manquement à un principe de justice naturelle » . En présence d'un tel manquement, la SPR n'a aucun pouvoir discrétionnaire, l'affaire doit être rouverte. Les articles pertinents des Règles sont les suivants :

55. (1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

...

...

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

[11]            Le demandeur fait valoir que, lorsqu'il y a une demande de changement du lieu, cela impose à la SPR l'obligation positive d'informer les demandeurs qu'ils peuvent être entendus au moyen de la vidéo ou d'un autre type de téléconférences.

[12]            La Cour n'est pas prête à considérer comme faisant partie du régime d'immigration une obligation qu'auraient les fonctionnaires de donner des conseils concernant la pratique et la procédure. Le fait de donner des conseils est manifestement différent du principe établi dans les décisions de la Cour selon lequel les fonctionnaires doivent fournir aux demandeurs éventuels les formulaires nécessaires. Les gens ont le droit d'avoir les formulaires gouvernementaux, mais pas celui de recevoir des conseils juridiques gratuits de la part des fonctionnaires de la SPR. Le demandeur n'a invoqué aucune disposition législative à l'appui de son argument.

[13]            Toutefois, lorsque la SPR reçoit une demande de changement du lieu du fait que la personne ne peut se rendre à l'endroit prévu pour l'audience, elle a de fait l'obligation d'examiner tous les éléments pertinents, y compris son propre pouvoir discrétionnaire applicable à la demande.

[14]            L'article 164 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés confère à la CISR le pouvoir discrétionnaire de tenir des audiences en présence de la personne en cause ou en direct par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication.

164. Les audiences des sections peuvent être tenues en présence de la personne en cause ou en direct par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication.

164. Where a hearing is held by a Division, it may, in the Division's discretion, be conducted in the presence of, or by a means of live telecommunication with, the person who is the subject of the proceedings.

[15]            Confrontée à des demandes répétées, lesquelles visaient essentiellement à trouver une façon de se présenter aux audiences autrement qu'en personne à Toronto, rien n'indique dans ses motifs non étayés que la SPR ait jamais songé à la question relative aux autres moyens et lieux pour tenir l'audience. Il est également évident qu'elle n'a jamais abordé le fond de la demande et qu'elle a presque exclusivement concentré son examen sur la question du dépôt tardif du FRP.

[16]            Il n'est pas nécessaire que la Cour aborde les autres motifs avancés par le demandeur. La SPR n'est pas tenue de conseiller un demandeur au sujet de la procédure ou de la compétence de la CISR, mais, dans les circonstances de l'espèce, il s'agissait d'un déni de justice naturelle de la part de la CISR de ne pas prendre en compte son propre pouvoir discrétionnaire et sa compétence pour tenir son audience ailleurs qu'à Toronto ou par une autre moyen que celui de la comparution personnelle.

[17]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de ne pas rouvrir le rejet de la demande d'asile du fait d'un désistement est annulée. L'affaire est renvoyée à la CISR pour qu'elle soit rouverte et traitée par un tribunal différemment constitué.

[18]            Il n'y a aucune question en vue de la certification.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de ne pas rouvrir le rejet de la demande d'asile du fait d'un désistement est annulée. L'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle soit rouverte et traitée par un tribunal différemment constitué.

2.          Il n'y a aucune question en vue de la certification.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-1844-05

INTITULÉ :                                                                KONESWARAN SUNDARAM

                                                                                    c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 2 MARS 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                               LE 6 MARS 2006

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                                               POUR LE DEMANDEUR

Deborah Drukarsh                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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