Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030403

Dossier : IMM-1809-02

Référence neutre: 2003 CFPI 400

Toronto (Ontario), le jeudi 3 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                     JAY AIZEY OZO

                                                                                                                                                      demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 15 mars 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que M. Jay Aizey Ozo (le demandeur) n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.


Contexte

[2]                 Le demandeur est un citoyen du Nigéria qui prétend craindre avec raison d'être persécuté par les autorités nigérianes en raison de ses opinions politiques présumées et de son appartenance à un certain groupe social, soit celui des militants de l'environnement.

[3]                 Selon l'exposé circonstancié contenu dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a été arrêté le 12 janvier 1999 dans la ville de Warri, dans l'État du Delta, alors qu'il rendait visite à sa petite amie. Celle-ci et ses frères prenaient part à des manifestations contre le gouvernement et les sociétés pétrolières en raison de l'exploitation de la population par ces dernières. Des soldats ont fait irruption dans la maison de la petite amie et ils ont arrêté un cousin de celle-ci ainsi que le demandeur. La petite amie et ses frères n'étaient pas à la maison au moment de la descente. Le demandeur a été détenu à la prison de Warri, où il a été victime de violence physique, sexuelle et psychologique. Il prétend avoir signé sous la contrainte une fausse confession portant qu'il avait pris part à la manifestation et détruit des biens appartenant aux sociétés pétrolières et au gouvernement.

[4]                 En août 1999, le demandeur s'est enfui de son lieu de détention avec l'aide d'un gardien soudoyé. Il est resté caché jusqu'à son départ du Nigéria en septembre 1999. Il est arrivé au Canada le 21 septembre 1999 et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.


La décision de la Commission

[5]                 Après examen de l'ensemble de la preuve, la Commission a conclu que le récit du demandeur n'était pas crédible. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission a fait référence à la preuve documentaire selon laquelle, quoique les forces de sécurité dans la région du Delta faisaient usage de force de manière excessive, causant même parfois la mort, elles n'agissaient cependant ainsi que pour contrer les activités criminelles. Aucun cas n'était signalé de tels excès en contexte politique, ni d'arrestation ou de détention par les autorités d'activistes politiques pacifiques comme la petite amie du demandeur. Même si la preuve documentaire révélait que des suspects étaient détenus pour inciter les membres de leur famille à se rendre aux autorités, la Commission a conclu que la pratique consistant à placer en détention des parents et amis de suspects recherchés sans porter d'accusation au criminel avait lieu en contexte de lutte contre la criminalité et d'appréhension de personnes soupçonnées de crimes. Aucune preuve n'a été présentée quant au fait que la petite amie du demandeur aurait pris part à des activités criminelles. En outre, la preuve documentaire révélait qu'il y avait de moins en moins d'arrestations et de détentions arbitraires du type décrit par le demandeur, et qu'on ne signalait pas d'arrestations de membres de mouvements prodémocratie ou d'autres types d'activistes politiques, ni de cas de torture de dissidents politiques.


[6]                 Ayant conclu que le demandeur n'avait probablement pas été arrêté et détenu, la Commission n'a pas cru son témoignage selon lequel il aurait subi des mauvais traitements pendant les sept mois de sa détention. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur serait persécuté s'il devait retourner au Nigéria.

Questions en litige

[7]                 Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.         L'évaluation globale de la preuve par la Commission était-elle manifestement déraisonnable, abusive et arbitraire?

2.         La Commission a-t-elle commis des erreurs de droit au motif qu'elle a

i)          jugé le demandeur non crédible sur le fondement uniquement de son évaluation défavorable en matière de vraisemblance?

ii)         mal compris, énoncé et interprété la preuve documentaire au dossier?

iii)         tiré des conclusions fondées sur des spéculations gratuites et injustifiées et contraires à la preuve dont elle était saisie?

Toutes ces questions et prétentions du demandeur ont trait au recours à la preuve documentaire par la Commission et à sa conclusion défavorable quant à la crédibilité.


Analyse

[8]                 Je suis d'avis, pour les motifs que je vais exposer, que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[9]                 Le demandeur soutient que, puisque la décision défavorable quant à la crédibilité de la Commission se fondait sur d'apparentes contradictions entre son témoignage et la preuve documentaire, la Commission n'était pas en meilleure situation que notre Cour pour apprécier la preuve. Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en concluant que, selon la preuve documentaire, seules étaient ciblées les personnes s'adonnant à des « activités criminelles » . En bref, l'ensemble de la preuve documentaire était contraire aux conclusions de la Commission. Puisque la décision de la Commission ne se fondait pas sur l'ensemble de la preuve au dossier, la Commission a commis une erreur de droit et sa décision devrait être infirmée (Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 497 (1re inst.) (QL); Osman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 322 (C.A.) (QL); Tang c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. n ° 837 (1re inst.) (QL); Chaudri c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. n ° 363 (C.A.) (QL)). Et même si la Commission a interprété la preuve correctement, elle aurait commis une erreur de droit en ne comprenant pas que les actions des autorités nigérianes laissent croire que celles-ci percevaient les activités de la petite amie du demandeur comme étant de nature criminelle.

[10]            Les parties conviennent que la norme de contrôle judiciaire appropriée est celle de la décision manifestement déraisonnable, ce qui veut dire que les conclusions quant à la crédibilité doivent être étayées par la preuve et ne pas être tirées de façon arbitraire ni fondées sur des conclusions de fait erronées (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 732 (C.A.) (Q.L.); Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. n ° 514 (C.A.) (QL); Muhammed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 815 (1re inst.) (QL)).

[11]            Bien que notre Cour puisse être en aussi bonne position pour évaluer si la revendication du demandeur est plausible compte tenu de la preuve documentaire, elle n'a pas pour rôle d'apprécier de nouveau la preuve dont la Commission était saisie et il incombe toujours au demandeur de démontrer qu'il n'était pas raisonnable pour la Commission de tirer les inférences qui ont été les siennes (Aguebor, précitée). Même dans le cas où la Cour en serait arrivée à une autre conclusion sur le fondement de la preuve, la décision de la Commission ne doit pas être infirmée, à moins qu'elle ne soit abusive ou arbitraire ou rendue sans tenir compte des éléments dont celle-ci disposait (Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 560 (1re inst.) (QL); Tao c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 622 (1re inst.) (QL); Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1983] A.C.F. n ° 129 (C.A.) (QL); Muhammed, précitée).

[12]            La Commission avait le droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur sur le fondement des incohérences et des contradictions existant entre le récit du demandeur et la preuve documentaire dont elle était saisie, ainsi que de l'invraisemblance du témoignage de ce dernier (Aguebor, précitée; Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. n ° 908 (C.A.) (Q.L.); Alizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 11 (C.A.) (Q.L.)).

[13]            Lue dans son intégralité, la preuve documentaire n'étaye pas la prétention du demandeur selon laquelle les forces de sécurité appréhendent ou détiennent des protestataires pacifiques, comme la petite amie du demandeur. La preuve documentaire révèle plutôt que, généralement, les forces de sécurité s'en prenaient aux personnes s'adonnant à des activités criminelles ou à des protestations violentes ou semant le désordre. On déclare, par exemple, dans les Country Reports on Human Rights Practices (2001) du département d'État des États-Unis, que le gouvernement du Nigéria ne recourait pas à la force meurtrière pour réprimer les activités non violentes de nature purement politique et, en outre, qu'on avait utilisé « [traduction] une force excessive et parfois meurtrière » à l'endroit de personnes soupçonnées d'actes de vandalisme visant des oléoducs et « [traduction] pour réprimer des troubles sociaux, le vandalisme ainsi que la violence entre ethnies, principalement dans les régions pétrolifères et gazéifères des États du Delta et de l'est de l'État du Benue » .

[14]            Bien qu'une partie de la preuve documentaire à laquelle le demandeur fait référence mentionne que des protestataires ont été détenus ou soumis à une force meurtrière arbitrairement ou sans faire de distinction, et que les forces de sécurité s'en prennent effectivement aux opposants à la reprise de la production pétrolière, les documents concernés ne faisaient pas état de descentes par ces forces chez des particuliers pour y trouver des protestataires.

[15]            Aucune preuve n'a été présentée à la Commission démontrant que la petite amie du demandeur aurait pris part à des protestations violentes ou semant le désordre, à des activités criminelles ou à des actes de vandalisme. Par suite, il y avait matière pour la Commission de conclure, sur le fondement de la preuve documentaire soumise, qu'une protestataire pacifique comme la petite amie du demandeur ne serait pas appréhendée ou détenue par les forces de sécurité. En en arrivant à cette conclusion, en outre, la Commission n'a pas fait abstraction de la preuve documentaire portant sur le recours à une force excessive par les forces de sécurité du Nigéria. La Commission a plutôt reconnu qu'on signalait le recours par ces forces de sécurité à une force excessive, parfois même mortelle, particulièrement dans la région du Delta, mais que cela se produisait lorsqu'on avait affaire à des activités criminelles ou à des troubles sociaux, plutôt qu'à des protestations pacifiques de la part d'activistes politiques comme la petite amie du demandeur.


[16]            De plus, l'examen de la preuve documentaire n'a rien révélé qui étaye la prétention du demandeur voulant que des parents et amis de protestataires pacifiques aient été arrêtés et détenus par les forces de sécurité nigérianes. Comme il y avait raisonnablement matière pour la Commission de conclure que les forces de sécurité n'avaient pas pour cibles les protestataires pacifiques, il n'était pas manifestement déraisonnable pour elle de conclure que, par suite, ces forces ne cherchaient pas à appréhender et détenir les parents et amis de ces protestataires.

[17]            Par conséquent, il était raisonnable pour la Commission de conclure que n'était pas étayée par la preuve documentaire et était invraisemblable la prétention du demandeur selon laquelle les forces de sécurité ont pour cibles les protestataires verts pacifiques et visent à appréhender et détenir les proches de ces derniers. En raison des incohérences entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire, la Commission avait des raisons valables de douter de la véracité de ce témoignage (Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)) et elle n'a pas commis d'erreur en rejetant pour ce motif la revendication du statut de réfugié du demandeur. Je rejetterais, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire.

[18]            Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé la certification d'une question. Aucune ne sera certifiée.

                                                                     ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                       « Judith A. Snider »            

                                                                                                                                                                 Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-1809-02

INTITULÉ :                                           JAY AIZEY OZO

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE JEUDI 3 AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :              LE JEUDI 3 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

M. Kingsley I. Jesuorobo                                                              Pour le demandeur

M. Jeremiah Eastman                                                     Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo                                                                     Pour le demandeur

Avocat

1280, avenue Finch Ouest

Bureau 318

North York (Ontario)

M3J 3K6

Morris Rosenberg                                                                           Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                              Date : 20030403

                                                  Dossier : IMM-1809-02

ENTRE :

JAY AIZEY OZO

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                             

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.