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Date : 20030818

Dossier : T-1196-03

Référence : 2003 CF 985

Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 18 août 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                    LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                             EVE KOLLAR et la COMMISSION CANADIENNE

                                              DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                 défenderesses

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN


[1]                 La demanderesse sollicite une injonction interlocutoire visant à empêcher le Tribunal canadien des droits de la personne de procéder à une enquête sur la plainte de la défenderesse individuelle en attendant qu'une décision définitive soit rendue dans la demande de contrôle judiciaire qu'elle a présentée dans le dossier du greffe T-935-03. Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse cherche à faire infirmer la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de renvoyer la plainte au Tribunal.

[2]                 En l'espèce, la mesure judiciaire indiquée est une ordonnance provisoire rendue conformément à l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale suspendant toute autre procédure devant le Tribunal canadien des droits de la personne en attendant qu'une décision définitive soit rendue dans la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse dans le dossier du greffe T-935-03.


[3]                 La défenderesse individuelle est une ancienne employée de la demanderesse qui a fait l'objet d'une cessation d'emploi le 15 janvier 1996. La défenderesse a déposé, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, une plainte dans laquelle elle alléguait que la demanderesse ne lui avait pas assuré un milieu de travail libre de harcèlement sexuel et avait mis fin à son emploi parce qu'elle rejetait des avances sexuelles. La Commission a nommé un enquêteur qui a présenté, le 16 septembre 1999, un rapport dans lequel il recommandait le rejet de la plainte pour le motif que les allégations n'étaient pas fondées. La Commission a souscrit à l'avis de l'enquêteur et la plainte a été rejetée; toutefois, à la suite d'une demande de contrôle judiciaire, la défenderesse individuelle a eu gain de cause devant la présente Cour. Monsieur le juge O'Keefe a ordonné la tenue d'une nouvelle enquête parce que l'enquête initiale ne traitait pas de la preuve de présumé harcèlement sexuel : Kollar c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2002 CFPI 848.

[4]                 Un nouvel enquêteur a été désigné par la Commission et, en utilisant les renseignements contenus dans le rapport antérieur, il a conclu qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve indiquant que la défenderesse individuelle avait peut-être été victime de harcèlement sexuel. Après que le rapport eut été distribué aux parties, l'avocate de la demanderesse a soumis une lettre dans laquelle elle s'opposait au rapport. L'avocate a soutenu que l'enquêteur n'avait pas observé l'ordonnance du juge O'Keefe en se fondant uniquement sur les renseignements dont disposait le premier enquêteur. La Commission a examiné le rapport et les arguments des parties et elle a renvoyé la plainte au Tribunal pour qu'il mène une enquête.

[5]                 La défenderesse individuelle a également intenté une action en congédiement injuste devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique à l'encontre de la demanderesse. Je crois comprendre que l'affaire a maintenant été réglée à l'amiable.


[6]                 Pour obtenir l'injonction interlocutoire qu'elle sollicite, la demanderesse doit satisfaire au critère à trois volets énoncé dans l'arrêt Manitoba c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110. Le premier volet du critère est de savoir s'il existe une question sérieuse à trancher dans la demande de contrôle judiciaire. La demanderesse soutient qu'elle n'a pas eu la possibilité de soumettre de nouveaux renseignements à l'enquêteur et s'oppose à la décision de la Commission d'infirmer sa décision antérieure sans que de nouveaux éléments de preuve soient présentés. Elle affirme que la Commission doit être réputée avoir commis une erreur de compétence et avoir manqué aux règles d'équité procédurale.

[7]                 Étant donné les conclusions que j'ai tirées au sujet des deuxième et troisième volets du critère, je n'ai pas à déterminer si la demanderesse a soulevé une question sérieuse à trancher dans sa demande de contrôle judiciaire. Toutefois, je note que c'est la décision de la Commission plutôt que le rapport de l'enquêteur qui fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire. La demanderesse a eu la possibilité de soumettre de nouveaux éléments de preuve à la Commission après que l'enquêteur eut distribué son rapport. Elle n'a pas tiré parti de cette possibilité et ne peut pas maintenant l'invoquer comme motif de contrôle judiciaire.


[8]                 Selon la jurisprudence, il est clair que la demanderesse n'a pas satisfait au deuxième volet du critère. La demanderesse soutient qu'elle [TRADUCTION] « ne devrai[t] pas avoir à consacrer beaucoup d'argent et d'efforts à la préparation de sa défense et à sa défense devant la formation du Tribunal, avec la publicité défavorable et la stigmatisation que la chose comporte » . La Cour a rejeté par le passé des arguments similaires pour le motif qu'ils n'étaient pas suffisants pour constituer un préjudice irréparable : Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (1997), 127 F.T.R. 44, Monsieur le juge Richard (tel était alors son titre) aux paragraphes 37 à 41. Il doit exister des circonstances spéciales pour que la Cour considère les frais comme un préjudice irréparable; or, en l'espèce, il n'existe aucun élément de preuve montrant que pareilles circonstances sont présentes. Il est bien établi que l'incapacité du demandeur de rentrer dans ses frais à la suite d'une enquête menée par le Tribunal canadien des droits de la personne ne constitue pas un préjudice irréparable.


[9]                 Enfin, la jurisprudence établit également que la demanderesse n'a pas satisfait au troisième volet du critère, à savoir qu'elle n'a pas démontré que la prépondérance des probabilités milite en sa faveur. La prépondérance des inconvénients comporte une détermination de la question de savoir laquelle des deux parties subira le préjudice le plus grave par suite de l'octroi de la suspension ou du refus d'accorder la suspension en attendant que la demande de contrôle judiciaire soit réglée. Premièrement, la Cour doit tenir compte de l'intérêt public, qui exige que les plaintes de discrimination soient examinées à bref délai. En l'espèce, la plaignante attend déjà depuis plusieurs années et un autre retard d'un an ou deux n'est pas dans l'intérêt public. Deuxièmement, l'enquête du Tribunal canadien des droits de la personne donnera à la demanderesse la possibilité de soumettre les arguments qu'elle veut présenter devant la Commission et qu'elle aurait pu invoquer devant la Commission en réponse au rapport du deuxième enquêteur, mais qu'elle a décidé de ne pas invoquer. Troisièmement, un autre retard d'un an ou deux nuira à la défenderesse plus qu'à la demanderesse. Si ces facteurs sont soupesés, il est certain que la prépondérance des inconvénients favorise la défenderesse.

[10]            Étant donné que, pour obtenir une suspension, il faut satisfaire à chacun des trois volets, et puisque la demanderesse a clairement omis d'établir l'existence d'un préjudice irréparable ou la prépondérance des inconvénients, la Cour n'a pas à déterminer si la demanderesse a soulevé une question sérieuse, de façon à satisfaire au premier volet du critère. Pour ces motifs, la requête présentée par la demanderesse doit être rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La requête en suspension est rejetée.

« Michael A. Kelen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-1196-03

INTITULÉ :                                                        BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

c.

EVE KOLLAR et AUTRE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 18 août 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      Monsieur le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :                                     le 18 août 2003

COMPARUTIONS:

Mme Kitty Heller                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Mme Eve Kollar                                                    POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Owen Bird                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.-B.)

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