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Date : 20030626

Dossier : IMM-3208-02

Référence : 2003 CFPI 785

Ottawa (Ontario), le jeudi 26 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                    MARIA BEATRIZ ARGUELLO DE BAEZ

VALERIA FERNAND BAEZ

PABLO MARTIN BAEZ

                                                                                                                               demandeurs

                                                                     - et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                   défendeur

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                M. Pablo Baez souffre d'ataxie cérébelleuse, une maladie neurologique qui cause des mouvements involontaires des muscles. Maria Arguello de Baez est sa mère et Valeria Baez est sa soeur. Ils ont tous trois quitté leur domicile en Argentine pour revendiquer au Canada le statut de réfugié au sens de la Convention. Ils prétendent qu'ils sont des personnes qui craignent avec raison d'être persécutées en Argentine parce que Pablo est victime de moqueries du fait de son handicap. Pablo et sa famille craignent que, un jour, Pablo soit agressé par les personnes qui se moquent de lui.

[2]                La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu que Pablo, sa mère et sa soeur n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce que leur crainte était vraisemblablement de subir de la discrimination, non de la persécution, pour un motif qui n'est pas l'un des motifs reconnus pour solliciter une protection internationale suivant la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. La SSR a en outre conclu que les demandeurs auraient dû solliciter en Argentine la protection des policiers parce qu'il n'existait pas d'éléments de preuve convaincants démontrant que les autorités en Argentine tolèrent le traitement discriminatoire subi par Pablo ou qu'elles y participent.

[3]                Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs prétendent que la SSR a commis des erreurs lorsqu'elle a rejeté leur revendication. Les erreurs précises alléguées par les demandeurs, comme elles sont énoncées dans leur mémoire des faits et du droit, sont les suivantes :


[TRADUCTION]

1.              Les membres du tribunal de la Section du statut de réfugié présents à l'audition des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention ont-ils commis une erreur importante lorsqu'ils ont décidé que le simple fait que les revendicateurs n'aient pas formulé de plaintes auprès des autorités policières entraînait le rejet de leur revendication?

2.              Peut-on dire en toute équité et en toute justice que les revendicateurs, s'ils avaient simplement formulé une plainte auprès des autorités policières, auraient de façon raisonnablement prévisible mis fin à la discrimination ou à la persécution?

3.              Les faits justifient-ils que soit tirée une conclusion selon laquelle l'omission d'avoir formulé une plainte auprès des autorités policières a miné la crédibilité de la revendication et a conduit à une présomption raisonnable selon laquelle la protection de l'État dans la présente instance aurait été appropriée pour empêcher que Pablo Martin Baez soit persécuté?

4.              Est-il raisonnable de conclure que le tribunal de la Section du statut de réfugié a commis une erreur dans son évaluation de la preuve et dans son application des principes juridiques lorsqu'il a adopté pour le mot persécution un paradigme qui est général et qui, dans les circonstances de la présente affaire, est déraisonnable?

Avec le consentement des parties, la présente demande a été tranchée sur le fondement du dossier écrit.

ANALYSE

[4]                L'expression « réfugié au sens de la Convention » était définie comme suit au paragraphe 2(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 :



« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act.


[5]                Il est approprié d'examiner les conclusions de la SSR dans le contexte de cette définition.

(i) L'existence d'une crainte bien fondée

[6]                Les demandeurs doivent démontrer, afin d'avoir la qualité de personne à protéger, qu'ils sont des personnes qui craignent avec raison d'être persécutées. En l'espèce, la SSR a conclu que les demandeurs n'avaient pas subi de la persécution, mais plutôt de la discrimination. Les demandeurs affirment que le mot discrimination est un [TRADUCTION] « paradigme pour le mot persécution » qui est déraisonnable.


[7]                Dans l'arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1984), 55 N.R. 129, la Cour d'appel fédérale a examiné le sens du mot « persécution » contenu dans la définition de réfugié au sens de la Convention et elle a énoncé à l'égard de la persécution un critère fondé sur le fait de tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou sur le fait de faire subir une succession de mesures prises systématiquement pour punir. Des actes discriminatoires peuvent constituer de la persécution s'ils sont suffisamment graves et s'ils surviennent pendant suffisamment longtemps pour que l'intégrité physique et morale du revendicateur soit menacée. Voir à cet égard la décision N. K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 32 Imm. L.R. (2d) 275. La ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination peut être difficile à établir. Il s'agit dans chaque affaire d'une question mixte de fait et de droit. La Cour ne peut annuler la conclusion de la SSR à l'égard de l'existence de la discrimination ou de la persécution que si elle a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans que la SSR ait tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait. Voir à cet égard l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), pour lequel une autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada a été rejetée le 17 février 1994, [1993] C.S.C.R. no 461.


[8]                En l'espèce, très peu d'éléments de preuve ont été fournis à la SSR à l'égard de ce que Pablo a réellement subi en Argentine. Les demandeurs affirment que Pablo subit de la discrimination, qu'il est victime de moqueries et que les policiers lui font [TRADUCTION] « la vie dure » parce qu'ils pensent qu'il est en état d'ébriété ou qu'il est drogué. Aucun élément de preuve n'a été fourni à l'égard d'un acte discriminatoire particulier que Pablo aurait subi. On ne lui a pas refusé le droit d'étudier et il a obtenu un diplôme en graphisme. Il a dû abandonner des études plus avancées en raison de sa maladie. Bien qu'il soit difficile d'obtenir des traitements médicaux en Argentine, rien n'indique qu'on ait refusé des traitements à Pablo. Il n'y a en outre pas de preuve qu'il a postulé des emplois et qu'on a refusé de l'employer à cause de son handicap.

[9]                Compte tenu des circonstances, il n'était pas déraisonnable pour la SSR de conclure que la façon selon laquelle Pablo a été traité, bien que répréhensible, ne constitue pas de la persécution selon la définition de réfugié au sens de la Convention.

(ii) La crainte doit résulter du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l'appartenance à un groupe social ou des opinions politiques

[10]            Une personne doit, pour avoir la qualité de personne à protéger, craindre d'être persécutée pour l'un des motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. Le lien entre le préjudice et le motif de la Convention doit être clairement établi par la preuve.

[11]            En l'espèce, la SSR a conclu qu'il n'y avait pas de lien entre la crainte qu'éprouvait le demandeur et l'un des motifs de la Convention. Cette conclusion n'est pas contestée et la SSR pouvait tirer une telle conclusion selon la preuve dont elle disposait.

(iii) La protection de l'État


[12]            La définition de réfugié au sens de la Convention exige que la SSR établisse si un revendicateur veut ou peut se réclamer de la protection de son pays de nationalité. Une revendication du statut de réfugié n'est accueillie que dans les cas où le revendicateur établit qu'il ne peut pas obtenir une protection adéquate de l'État.

[13]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, M. le juge LaForest, rédigeant au nom de la Cour, a mentionné que le droit international des réfugiés est un complément à la protection qu'un individu trouve normalement à l'intérieur de son propre pays. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir la protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée. Cependant, la Cour a reconnu que dans les cas où la preuve établit qu'une telle protection ne sera pas offerte, il n'y a pas d'obligation pour l'individu de solliciter la protection. Sauf dans le cas d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses citoyens. Sinon, une preuve claire et convaincante que l'État est incapable de protéger ses citoyens doit être fournie.

[14]            Dans la présente affaire, les demandeurs n'ont jamais tenté d'informer les autorités policières de leurs préoccupations. Ils affirment que les policiers étaient en partie responsables des problèmes de Pablo et qu'il était donc déraisonnable de s'attendre à ce qu'ils sollicitent leur protection.


[15]            Cependant, dans l'arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996) 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F), la Cour d'appel fédérale a exprimé de la façon suivante l'obligation qui incombe à un revendicateur :

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui. [...]

[16]            Ainsi, les actes posés par certains policiers n'empêchent pas qu'il soit nécessaire de tenter d'obtenir la protection des autorités. La discrimination exercée par certains policiers n'est pas une preuve suffisante que l'État n'est pas disposé à protéger les demandeurs ou que ces derniers sont incapables de solliciter la protection de l'État.


[17]            Dans les observations soumises dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ne prétendent pas que la SSR a omis de prendre en compte des éléments de preuve à l'égard de la protection de l'État. Ils prétendent plutôt que la SSR a eu tort, selon la preuve, de conclure que l'Argentine pouvait les protéger adéquatement. Cependant, la conclusion de la SSR sur cette question était fondée sur les rapports sur le pays dont la SSR disposait. De tels documents mentionnent que des plaintes peuvent être formulées contre des policiers et qu'il existe des mécanismes pour s'assurer que les plaintes seront traitées. Les demandeurs n'ont pas démontré que la conclusion de la SSR était manifestement déraisonnable ou qu'elle avait été tirée en violation des principes de droit applicables. Aucune erreur susceptible de contrôle n'a par conséquent été établie relativement à la conclusion de la SSR à l'égard de la protection de l'État.

CONCLUSION

[18]            Pour les motifs énoncés, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[19]            Les demandeurs auront dix jours pour signifier et déposer leurs observations énonçant toute question de portée générale qui à leur avis serait soulevée selon la preuve au présent dossier et pour laquelle ils veulent obtenir la certification. Par la suite, le défendeur aura cinq jours ouvrables pour signifier et déposer sa réponse. À la suite de la réception et de l'examen de ces observations, je rendrai une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3208-02

INTITULÉ :                                        Maria Beatriz Arguello De Baez, Valeria Fernanda Baez, Pablo Martin Baez c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le jeudi 5 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                       Le 26 juin 2003

COMPARUTIONS :

Les demandeurs                                    POUR LEUR PROPRE COMPTE

Robert Bafaro                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Les demandeurs                                    POUR LEUR PROPRE COMPTE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général              POUR LE DÉFENDEUR


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