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                                                                                                                                           Date : 20011114

                                                                                                                             Dossier : IMM-6299-99

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1238

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                                         YI JUAN LI

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER


1.                    Il s'agit en l'espèce d'une demande présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, dans le but d'obtenir le contrôle judiciaire visé à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) a refusé, le 16 décembre 1999, de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention à la demanderesse.

2.                    La demanderesse souhaite que la décision de la SSR soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour être de nouveau examinée.

3.                    La revendication du statut de réfugié sur place de la demanderesse fait l'objet de motifs séparés, qui sont joints aux présents motifs à l'appendice A. La même revendication a été présentée par neuf autres revendicateurs se trouvant dans une situation identique à celle de la demanderesse. Toutes ces revendications sont fondées sur les mêmes faits. Les motifs exposés à l'appendice A s'appliquent à tous les revendicateurs. Pour l'instant, il suffit de mentionner que la prétention concernant le statut de réfugié sur place a été rejetée.

4.                    La demanderesse, qui est originaire de la province du Fujian, en Chine, avait 15 ans au moment où la SSR a rendu sa décision. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée en Chine du fait de sa religion et de ses opinions politiques, deux motifs prévus par la Convention.


5.                    La demanderesse et sa famille sont des catholiques romains pratiquants. La demanderesse prétend avoir entendu parler d'un prêtre catholique qui a été arrêté et emprisonné pour avoir enseigné l'Évangile. Elle affirme que le 28 juillet 1999, elle a participé à son église à ce qu'elle a décrit comme étant une rencontre sur l'Évangile qui était présidée par une religieuse. Cette rencontre est venue à l'attention des autorités. La demanderesse prétend que la police a voulu arrêter tous les participants à la rencontre. Des avis à cet effet ont été affichés dans son village par les autorités gouvernementales[1]. Cet incident a précipité le départ de la demanderesse pour le Canada.

6.                    La crainte de persécution de la demanderesse découle également de la politique de contrôle des naissances adoptée par la Chine. Sa mère s'est cachée des autorités gouvernementales pour donner naissance à son troisième enfant. Lorsqu'il l'a appris, le gouvernement [traduction] « a démoli la maison de la demanderesse » [2] et a infligé de lourdes amendes à sa famille. Cinq ans plus tard, le père de la demanderesse a commencé à critiquer ouvertement la politique chinoise de contrôle des naissances, avant de s'enfuir au Royaume-Uni pour éviter d'être arrêté.

7.                    La demanderesse a été emmenée au Canada par des membres d'un groupe criminel organisé, les Snakeheads. À Vancouver, elle a été enfermée dans une chambre d'hôtel avec deux autres personnes. Si elle avait une bonne conduite, on lui permettait de sortir de la chambre sous escorte.


8.                    Le 2 septembre 1999, après avoir passé environ dix jours à Vancouver et deux jours à Toronto, la demanderesse a été arrêtée à la frontière canado-américaine en tentant d'entrer illégalement aux États-Unis avec neuf autres jeunes Chinois. Toutes ces personnes ont revendiqué par la suite le statut de réfugié au Canada. Leurs revendications ont été rejetées par la SSR. Les demandes de contrôle judiciaire présentées par les dix revendicateurs ont été entendues ensemble.

9.                    La demanderesse a indiqué dans son témoignage qu'elle savait, avant de quitter la Chine, qu'elle allait revendiquer le statut de réfugié au Canada[3]. Elle a ajouté qu'elle n'avait pas présenté de revendication à son arrivée à Vancouver parce que les passeurs lui avaient donné la certitude qu'ils le feraient pour elle[4].

10.              La demanderesse affirme qu'elle sera détenue, battue et condamnée à payer une amende élevée pour avoir quitté la Chine illégalement si elle est renvoyée dans ce pays. Elle dit avoir entendu parler d'une personne qui a [traduction] « été persécutée de nombreuses façons et emprisonnée pendant quelques années » [5] pour avoir quitté la Chine illégalement. Elle prétend craindre pour sa vie, compte tenu de son âge, des conditions sordides existant dans les prisons chinoises et du fait qu'elle pourrait devoir purger une longue peine d'emprisonnement.

11.              La SSR a tiré une conclusion défavorable pour ce qui est de la crédibilité à cause des nombreuses incohérences et invraisemblances contenues dans la preuve de la demanderesse.


12.              Il était écrit, dans des notes manuscrites annexées au document rédigé au point d'entrée (PE), « Oncle aux É.-U. = école » . La demanderesse a indiqué dans son témoignage qu'elle avait dit à l'agent d'immigration qu'elle avait un oncle aux États-Unis, mais qu'elle ne savait pas grand-chose à son sujet. Même si elle a reconnu que la demanderesse était bouleversée lors de son entrevue au point d'entrée, la SSR ne croyait pas que celle-ci aurait parlé d'un oncle dont elle ne connaissait pas le nom ou qu'elle ne pourrait pas reconnaître.

13.              La SSR a constaté que la demanderesse était incapable de clarifier les différences existant entre les rencontres ayant lieu à l'église le soir et celles tenues le dimanche.

14.              La demanderesse a indiqué que le prêtre local ne venait à son église que pour de courtes périodes pour voir s'il pouvait aider les fidèles. La SSR a conclu que, si l'Église était menacée, [traduction] « il serait plus logique que le prêtre conseille à ses fidèles de ne pas venir aux rencontres du dimanche » [6].


15.              Lorsqu'on lui a demandé pourquoi la religieuse avait couru le risque de tenir la rencontre du 28 juillet 1999, la demanderesse a répondu que la religieuse pensait qu'une brève rencontre n'attirerait pas l'attention. La SSR a estimé que cette réponse était invraisemblable et illogique. Elle ne croyait pas non plus qu'une rencontre secrète aurait eu lieu dans un édifice public, et il lui était difficile de comprendre pourquoi la police n'avait pas simplement interrompu la rencontre au lieu de menacer de procéder à des arrestations le lendemain. La demanderesse a seulement pu donner des détails très vagues et généraux au sujet de la rencontre elle-même, ce qui a amené la SSR à considérer que son témoignage concernant cet incident n'était pas crédible.

16.              La SSR a constaté que la demanderesse avait omis d'écrire dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que sa mère et son père avaient été arrêtés lorsque ce dernier avait commencé à s'opposer aux politiques de planification familiale adoptées par la Chine.

17.              Se fondant sur la preuve documentaire, la SSR a conclu qu'il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que la demanderesse soit victime de persécution religieuse si elle était renvoyée en Chine. Elle a cité un document indiquant que le christianisme est, en Chine, la religion dont le nombre de fidèles augmente le plus rapidement. Selon un autre document, les activités religieuses sont généralement tolérées dans la province du Fujian tant qu'elles ne prennent pas une tournure politique. La SSR a souligné qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve indiquant que l'église de la demanderesse avait pris une tournure politique.


18.              En ce qui concerne le risque que la demanderesse subisse un préjudice à son retour en Chine, la SSR a cité des éléments de preuve indiquant que les autorités chinoises considéreraient la demanderesse comme une victime d'un trafic illégal et qu'elle serait seulement condamnée à payer une [traduction] « légère amende » [7]. La SSR a rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle elle serait condamnée à une peine de 20 ans parce que cette prétention était fondée sur [traduction] « la photocopie d'une télécopie reproduisant soi-disant un article paru dans une journal non identifié et contenant des phrases illisibles » [8].

19.              L'avocat de la demanderesse soutient que la SSR ne s'est pas conformée aux directives intitulées Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié[9], données par la présidente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, lorsqu'elle a évalué la crédibilité de la demanderesse. Il prétend également que la SSR a commis une erreur en concluant qu'il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée du fait de ses activités religieuses, étant donné que celle-ci avait indiqué dans son témoignage que la police avait menacé d'arrêter toutes les personnes qui avaient assisté à la rencontre du 28 juillet 1999. Il soutient finalement que la SSR n'a pas tenu compte des peines sévères qui seraient infligées à la demanderesse pour avoir quitté la Chine illégalement.

20.              La décision Aguebor c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732, au par. 4 (C.A.) (QL), (1993), 160 N.R. 315, est l'arrêt qui est habituellement cité pour ce qui est de la norme de contrôle judiciaire applicable aux conclusions de la SSR concernant la crédibilité :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.


21.              Les Directives sur les enfants prévoient ce qui suit :

En général, les enfants ne sont pas capables de témoigner avec autant de précision que les adultes au regard du contexte, du moment, de l'importance et des détails d'un fait. Ils peuvent être incapables, par exemple, de témoigner au sujet des circonstances entourant leurs expériences passées ou de leur crainte de persécution future. De plus, les enfants peuvent manifester leurs craintes d'une manière différente d'un adulte[10].

[...]

Lorsqu'il évalue la preuve présentée au soutien d'une revendication du statut de réfugié d'un enfant, le tribunal devrait tenir compte de ce qui suit :

1.              Si l'enfant a témoigné de vive voix, le tribunal doit évaluer la valeur de ce témoignage. Le tribunal devrait, à cette fin, prendre en considération la possibilité qu'a eue l'enfant d'observer les faits, et sa capacité de les observer attentivement, de faire part de ce qu'il a vu et de s'en souvenir. Ces facteurs peuvent varier suivant l'âge de l'enfant, son sexe et ses antécédents culturels, ainsi que la crainte, les problèmes de mémoire, l'état de stress post-traumatique et la perception de l'enfant concernant la procédure de la SSR, entre autres.

2.              Il se peut qu'un enfant demandeur du statut de réfugié ne puisse exprimer une crainte subjective de persécution de la même manière qu'un demandeur adulte. Par conséquent, il faudra peut-être accorder plus de poids aux éléments objectifs qu'aux éléments subjectifs de la revendication. La Cour fédérale du Canada (Section d'appel) a dit ce qui suit sur cette question :

[...] il répugne de penser que l'on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant en bas âge [...], était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés.

3.              Il peut arriver qu'il y ait des lacunes dans la preuve. Par exemple, l'enfant peut indiquer que des hommes en uniforme sont venus chez lui, mais être incapable de préciser de quel genre d'uniforme il s'agissait, ou encore ne pas connaître les opinions politiques des membres de sa famille. L'enfant peut, notamment en raison de son âge, de son sexe, de ses antécédents culturels ou d'autres caractéristiques, être incapable de témoigner au sujet de tous les faits. Dans ces cas, le tribunal devrait déterminer s'il est en mesure de déduire les détails de la revendication du témoignage présenté[11].


22.              Même si la SSR n'a pas fait expressément référence aux Directives sur les enfants lorsqu'elle a évalué la crédibilité de la demanderesse, cela ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu'elle n'a pas tenu compte de l'âge de cette dernière. Il convient de noter que la SSR précise qu'elle a pris sa décision en conformité avec les Directives sur les enfants, [traduction] « en analysant les éléments fondamentaux de la revendication » [12]. Il est vrai que la Cour ne devrait pas accepter aveuglément une telle déclaration, mais l'avocat de la demanderesse n'a pas réussi à démontrer en quoi les conclusions de la SSR la contredisent. Il ne semble pas, à la lumière de la décision elle-même, que la SSR ait attendu de la demanderesse qu'elle témoigne « avec autant de précision que les adultes au regard du contexte, du moment, de l'importance et des détails d'un fait » .

23.              Il n'y a aucune raison de mettre en doute la conclusion de la SSR selon laquelle il n'existe qu'une simple possibilité que la demanderesse soit victime de persécution religieuse si elle retourne en Chine. La norme de contrôle applicable aux décisions de la SSR portant sur des questions relevant de sa spécialisation est celle de la décision manifestement déraisonnable : Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741, au par. 25, [1994] A.C.F. no 2018 (1re inst.) (QL). La SSR a écarté le témoignage de la demanderesse concernant la rencontre du 28 juillet 1999 parce qu'elle n'était pas un témoin crédible. Il était raisonnable que la SSR se fonde sur la preuve documentaire pour décider si la crainte avait un fondement objectif, et il n'y a aucune raison de mettre en doute la conclusion qu'elle a tirée en se fondant sur cette preuve.

24.              En outre, dans la mesure où la SSR a considéré que la demanderesse n'était pas totalement crédible au regard de ses croyances religieuses ou de sa présence aux rencontres, l'allégation de persécution religieuse était dénuée de fondement.


25.              Contrairement à ce que l'avocat prétend, la SSR a examiné la question de savoir si la demanderesse subirait des peines sévères pour avoir quitté la Chine illégalement. Comme il a été mentionné précédemment, la SSR a cité des éléments de preuve indiquant que les autorités chinoises considéreraient la demanderesse comme une victime d'un trafic illégal et qu'elle serait seulement condamnée à payer une [traduction] « légère amende » . La SSR a compétence pour évaluer et soupeser la preuve documentaire : Shumunov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 763, au par. 17 (1re inst.) (QL). Je ne vois aucune raison de mettre en doute la décision de la SSR de rejeter la preuve documentaire de la demanderesse.

26.              En conclusion, la demanderesse n'a pas réussi à établir un motif de contrôle qui justifierait l'intervention de la Cour. Par conséquent, la demande est rejetée.

ORDONNANCE

Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section du statut de réfugié le 17 décembre 1999, dont les motifs sont datés du 16 décembre 1999, est rejetée.


La question suivante est certifiée :

Lorsque le fait qu'un demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est signalé dans les médias au Canada et que, en conséquence, le demandeur revendique le statut de réfugié sur place, est-il nécessaire, pour que ce statut lui soit reconnu, qu'il démontre :

a)          que les reportages des médias sont venus à l'attention des autorités du pays à l'égard duquel il prétend craindre avec raison d'être persécuté, et

b)          que les renseignements donnés dans les reportages étaient suffisants pour permettre aux autorités de l'identifier?

                                                                                                                                  « J. D. Denis Pelletier »      

                                                                                                                                                                 Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                                                                             Dossier : IMM-6299-99

                                                                                                                                            APPENDICE A

Réfugié sur place

27.              Les demandes de contrôle judiciaire présentées par dix demandeurs ont été entendues ensemble parce qu'elles soulevaient des questions identiques, notamment celle de savoir si les demandeurs étaient devenus des réfugiés sur place. Chacun des demandeurs avait revendiqué le statut de réfugié devant la Section du statut de réfugié (SSR) parce qu'il prétendait craindre avec raison d'être persécuté à cause de ses prétendues opinions politiques et de son statut de réfugié sur place découlant des reportages parus dans les médias sur son arrestation, sa détention et sa revendication subséquente du statut de réfugié. Des enregistrements sur bandes vidéo de reportages diffusés à la télévision et deux articles parus dans des journaux ont été présentés à la SSR. Les demandeurs prétendaient qu'à cause de ces reportages et de ces articles les autorités chinoises sauraient qu'ils avaient revendiqué le statut de réfugié au Canada et considéreraient les revendications comme des déclarations politiques contre le régime chinois. Les demandeurs soutiennent également qu'ils seront sévèrement punis pour avoir quitté la Chine illégalement. Ils n'ont produit aucune preuve démontrant que les autorités chinoises les traiteraient différemment par suite des reportages faisant état de leurs revendications du statut de réfugié.

28.              Les présents motifs s'appliquent à tous les demandeurs au regard de leur allégation selon laquelle la SSR n'a pas bien évalué leur revendication du statut de réfugié sur place.


29.              La SSR a indiqué que les questions suivantes étaient [traduction] « fondamentales » au regard du statut de réfugié sur place :

[traduction] La Chine serait-elle au courant de la présente revendication du statut de réfugié? Considérerait-elle qu'une personne qui quitte le pays illégalement et revendique le statut de réfugié exprime une opinion politique? Dans l'affirmative, quelles conséquences le revendicateur subirait-il13?

30.              La SSR s'est ensuite demandé si la peine que le gouvernement chinois infligerait aux demandeurs pour avoir quitté le pays illégalement équivaudrait à de la persécution au sens de la Convention. Elle a rappelé les principes énoncés dans l'arrêt Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540, [1993] A.C.F. no 584 (C.A.) (QL), selon lesquels les lois ordinaires d'application générale sont présumées être valides et neutres et le demandeur doit démontrer que la loi en question revêt un caractère de persécution pour un motif prévu par la Convention14. La SSR a reconnu le principe voulant qu'une loi d'application générale puisse avoir un effet assimilable à de la persécution si la peine qu'elle prévoit est [traduction] « tout à fait disproportionnée par rapport à l'infraction commise » 15. Elle a toutefois précisé qu'il faut que la peine disproportionnée soit liée à un motif prévu par la Convention pour que le statut de réfugié soit reconnu.


31.              Citant une Réponse à une demande d'information du 22 septembre 1999, la SSR a fait remarquer que les autorités chinoises disposent d'un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'infliction de sanctions aux personnes ayant quitté le pays illégalement. Elle a toutefois souligné que le document n'indiquait pas qu'une peine d'emprisonnement de plus de trois ans pouvait être infligée et que la Chine pouvait considérer la sortie illégale du pays ou la revendication du statut de réfugié comme l'expression d'une opinion politique ou un facteur qui influerait sur la sanction. La SSR a cité le passage suivant :

[traduction] [...] le fait que les personnes qui sont rapatriées en Chine soient rarement emprisonnées s'explique par différents facteurs : l'importance du phénomène de l'immigration illégale de personnes de la province du Fujian, le nombre de personnes rapatriées en Chine après avoir vécu en Australie, au Japon, à Taïwan, aux États-Unis et dans d'autres pays, et l'influence considérable des Snakeheads16.

32.              La SSR a aussi cité un extrait d'un rapport sur les pays publié en Australie en 1994 :

[traduction] En réponse aux reportages parus dans les médias selon lesquels les personnes rapatriées récemment dans la province du Fujian devaient payer des amendes élevées et fréquenter des centres de rééducation en cas de défaut de paiement, un représentant du Fujian a indiqué que ces personnes avaient été détenues dans un centre du BSP afin que leur identité et leur santé soient vérifiées. Elles seraient ensuite renvoyées dans la ville où elles habitaient, qui sont toutes situées dans la région de Fuzhou. De légères amendes leur seraient infligées. Même si le gouvernement les considérait comme des personnes ayant contrevenu à la loi, il était préférable de les voir comme des victimes du trafic illégal de migrants. Le représentant a reconnu que les récidivistes et les organisateurs ignobles seraient traités plus durement17.


33.              Une autre Réponse à une demande d'information a été citée pour démontrer que les migrants qui retournent en Chine n'ont pas non plus de motifs objectifs suffisants de craindre d'être harcelés par les Snakeheads18.

34.              La SSR a tiré les conclusions suivantes :

[traduction] En résumé, la loi chinoise régissant la sortie illégale du pays est une loi d'application générale qui, suivant les lignes directrices établies dans l'arrêt Zolfagharkhani, est présumée valide et neutre. Même s'il soutenait que le régime chinois est généralement oppressif, le revendicateur n'a pas réussi à démontrer que cette loi aurait sur lui un effet analogue à de la persécution liée à un motif prévu par la Convention. En conséquence, il importe peu que le revendicateur puisse être identifié sur les bandes vidéo produites en preuve et que la Chine soit au courant de la présente revendication du statut de réfugié19.


35.              Les avocats des demandeurs prétendent que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a décidé qu'il importait peu de savoir si les demandeurs pouvaient être identifiés dans les reportages. M. Markaki a fait valoir que la SSR s'est seulement demandé si la peine prévue pour la sortie illégale était de la nature de la persécution, sans déterminer spécifiquement comment les revendications du statut de réfugié des demandeurs dont les médias avaient abondamment parlé allaient être considérées par les autorités chinoises et l'effet que cela pourrait avoir sur la peine qui leur serait infligée. Selon l'avocat, la SSR aurait dû examiner cette question [traduction] « même si elle ne disposait pas d'éléments de preuve documentaire précis, en se servant de ce qu'elle savait des conditions existant dans le pays et les documents généraux produits en preuve qui indiquent qu'un régime oppressif est en place en Chine et que celui-ci ne tolère aucune critique ni opposition politique de quelque sorte que ce soit » 20.

36.              Il existe peu de lignes directrices et de décisions judiciaires sur l'évaluation appropriée des revendications sur place. Selon le Guide du HCR, une personne peut devenir un réfugié sur place pour d'autres raisons que le changement de circonstances dans son pays d'origine :

Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu'elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu'elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d'un examen approfondi des circonstances. En particulier, il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d'origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles21.

37.              Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, la Cour suprême a ouvert la porte aux opinions politiques imputées au revendicateur22 :

[...] il n'est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées. Dans bien des cas, le demandeur n'a même pas la possibilité d'exprimer ses convictions qui peuvent toutefois ressortir de ses actes. En pareil cas, on dit que les opinions politiques pour lesquelles le demandeur craint avec raison d'être persécuté sont imputées à ce dernier. Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté, mais cela ne l'empêche pas d'être protégé.


Le motif des opinions politiques semble donc suffisamment souple pour englober la revendication de réfugié sur place des demandeurs.

38.              À mon avis, le problème fondamental dans le cas des demandeurs vient du fait que la SSR ne disposait d'aucune preuve, documentaire ou autre, qui étayait leur revendication du statut de réfugié sur place. Ce problème ressort implicitement des propos suivants formulés par la Cour suprême dans l'arrêt Ward : « Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté » (non souligné dans l'original). Je suis d'accord avec M. Markaki quand il dit que la SSR a limité son analyse à la preuve documentaire traitant des peines applicables en cas de sortie illégale de la Chine. Par contre, je ne pense pas que la SSR aurait dû déterminer comment le gouvernement chinois pourrait considérer le fait de revendiquer le statut de réfugié, [traduction] « même si elle ne disposait pas d'éléments de preuve documentaire précis » . Il aurait fallu, si une distinction doit être faite au regard du traitement réservé aux personnes rapatriées qui ont revendiqué le statut de réfugié au Canada et aux autres personnes rapatriées, et si ce traitement équivaut à de la discrimination fondée sur de prétendues opinions politiques, que la SSR soit saisie d'éléments de preuve à ce sujet. M. le juge Nadon a d'ailleurs dit ce qui suit dans la décision Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)23 :

Il est clair en droit que le fardeau de la preuve incombe au requérant, c'est-à-dire qu'il doit convaincre la section du statut de réfugié que sa revendication satisfait, à la fois, aux critères subjectifs et objectifs nécessaires à la justification d'une crainte de persécution.


39.              En l'absence de preuve documentaire démontrant que les demandeurs seraient persécutés en raison des opinions politiques qui leur seront imputées par suite de leurs revendications du statut de réfugié, il était raisonnable que la SSR ne tire aucune conclusion fondée sur la preuve de publicité. La SSR ne peut pas émettre d'hypothèses sur la question de savoir si cela est favorable ou défavorable aux demandeurs.

40.              Le principe suivant, qui a été élaboré par M. le juge Gibson dans la décision Biko c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1741 (1re inst.) (QL), m'est utile également pour analyser la décision de la SSR :

La décision de la SSR doit être interprétée dans son ensemble. J'ajouterais à cela qu'elle doit être interprétée comme un ensemble, compte tenu de tous les éléments de preuve dont disposait la SSR.

41.              Compte tenu du fait que la SSR ne disposait d'aucune preuve établissant les motifs objectifs de la crainte de persécution des demandeurs fondée sur leurs prétendues opinions politiques et que les demandeurs avaient le fardeau de la preuve à cet égard, j'estime que la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la revendication du statut de réfugié sur place des demandeurs.

42.              À la fin de l'audience, l'avocat m'a demandé de certifier la question suivante concernant le statut de réfugié sur place :

[traduction] Le fait qu'un pays ayant un caractère généralement oppressif sache que l'un de ses ressortissants a revendiqué le statut de réfugié fait-il de cette personne un réfugié sur place?


43.              À mon avis, cette question n'est pas particulièrement claire à cause de l'imprécision de la notion de « pays ayant un caractère généralement oppressif » . La question en litige en l'espèce était de savoir si le statut de réfugié sur place pouvait être reconnu en l'absence d'une preuve démontrant que la revendication du statut de réfugié de certaines personnes était venue spécifiquement à l'attention des autorités chinoises. À mon avis, la question suivante est plus appropriée, et je suis disposé à la certifier :

Lorsque le fait qu'un demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est signalé dans les médias au Canada et que, en conséquence, le demandeur revendique le statut de réfugié sur place, est-il nécessaire, pour que ce statut lui soit reconnu, qu'il démontre :

a)          que les reportages des médias sont venus à l'attention des autorités du pays à l'égard duquel il prétend craindre avec raison d'être persécuté, et

b)          que les renseignements donnés dans les reportages étaient suffisants pour permettre aux autorités de l'identifier?


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-6299-99

INTITULÉ :                                                     YI JUAN LI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 11 septembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                             MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                     Le 14 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Nagi Ebrahim                                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Pascale-Catherine Guay                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ebrahim, MacLeod et Gervais                                        POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            Dossier du tribunal, à la p. 262.

[2]            Affidavit d'Yi Juan Li, dossier de la demanderesse, onglet 4, au par. 3.

[3]            Dossier du tribunal, à la p. 276.

[4]           Dossier du tribunal, à la p. 277.

[5]            Affidavit d'Yi Juan Li, dossier de la demanderesse, onglet 4, au par. 4.

[6]            Dossier du tribunal, à la p. 7.

[7]            Ibid., aux p. 13 et 14.

[8]            Ibid., à la p. 14.

[9]            Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, le 30 septembre 1996. Voir http://www.cisr.gc.ca/fr/apropos/juridique/directives/enfantsref/EVD_ISS_f.htm (Directives sur les enfants).

[10]           Ibid., Troisième série de directives, « Obtention de la preuve » .

[11]           Ibid., « Évaluation de la preuve » .

[12]          Dossier du tribunal, à la p. 5.

13          Voir IMM-6306-99, dossier des demandeurs, à la p. 11.

14          Ibid.

15           Ibid., à la p. 13.

16          Ibid., à la p. 14.

17            Ibid., aux p. 13 et 14.

18          Ibid., à la p. 15.

19           Ibid.

20          Ibid., à la p. 108.

21            Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Genève, janvier 1998, à la p. 22.

22           [1993] 2 R.C.S. 689, aux p. 746 et 747.

23          [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL).

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