Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                 Date : 20031215

                                                                                                                    Dossier : IMM-6266-02

                                                                                                                Référence : 2003 CF 1468

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                        ALI FARROKHI TAMEH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1                     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, rendue le 12 novembre 2002, par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur, M. Ali Farroski Tameh, n'est pas un réfugié au sens de la Convention et qu'il n'a pas la qualité de personne à protéger.


Les faits

2                     M. Ali Farroski Tameh est citoyen d'Iran. Il prétend qu'il a adhéré à un groupe politique illégal militant pour la monarchie en Iran, le Derafsh-e Kaviani (DK), également appelé l'Étendard de la liberté. À partir de novembre 1999, la participation du demandeur a consisté à distribuer des imprimés et à repiquer chez lui des cassettes audio et vidéo.

3                     Le 2 février 2001, la fiancée du demandeur a disparu alors qu'elle distribuait le matériel précédemment décrit et le demandeur s'est caché de façon temporaire. Au cours de la semaine qui a suivi, le demandeur a appris que les gardes révolutionnaires avaient fait une descente à son bureau, au bureau de sa fiancée et à la maison de ses parents, et qu'ils avaient arrêté son père, son frère et sa fiancée.

4                     Le demandeur a quitté l'Iran le 20 février 2001. À son arrivée au Canada, il a appris qu'il y avait eu une descente à son appartement et que son père avait été détenu pendant deux semaines, puis qu'il avait été relâché. Il a appris depuis qu'il y a eu une autre descente à la maison de ses parents et que les autorités ont pris contact avec tous ses frères et soeurs, sauf un, parce qu'elles étaient soi-disant à sa recherche.

5                     Le demandeur a présenté une demande d'asile en invoquant ses opinions politiques, soit son adhésion présumée à un groupe militant pour la monarchie, et son appartenance à un groupe social, soit la famille.


6                     Une formation de la Section de la protection des réfugiés (la Commission) a entendu la demande d'asile le 10 octobre 2002 et l'a rejetée par une décision datée du 12 novembre 2002.

La décision de la Commission

7                     La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention étant donné que sa demande n'avait pas de fondement objectif ou subjectif.

8                     Premièrement, la Commission a conclu que la demande présentée par le demandeur n'avait pas de fondement objectif. La Commission a reconnu qu'il existait des éléments de preuve quant à l'existence en Iran d'un mouvement militant pour la monarchie et s'opposant au régime, a reconnu l'existence du DK et a reconnu que le DK était perçu par les autorités en Iran comme un groupe opposé au régime. Cependant, la Commission a conclu, en se fondant sur les affirmations de cinq spécialistes de l'Iran qui prétendaient que les activités du DK se déroulaient en Europe et en Amérique du Nord et non en Iran, qu'il n'y avait pas d'éléments de preuve démontrant que les sortes d'activités décrites par le demandeur s'étaient déjà déroulées en Iran et qu'à partir de 1996 le DK avait réduit ses activités. En outre, la Commission a conclu que les activités du DK n'étaient pas, selon la prépondérance des probabilités, perçues comme opposées aux intérêts de l'État au moment où le demandeur avait soi-disant adhéré au groupe.


9                     Deuxièmement, la Commission a examiné la question de savoir si la demande d'asile présentée par le demandeur avait un fondement subjectif. La Commission a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi en raison d' « incohérences flagrantes » et de contradictions contenues dans son témoignage à l'égard de sa participation aux activités du DK. En particulier, la Commission avait des réserves à l'égard de la lettre que le demandeur avait reçue du secrétariat de Reza Pahlavi et elle a exprimé ses préoccupations à l'égard des incohérences qui touchaient les circonstances dans lesquelles le demandeur avait reçu la lettre, du contenu de cette lettre et du fait que le demandeur l'avait déposée seulement une semaine avant l'audience. La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur ne participait pas aux activités politiques d'opposition au régime et qu'il n'existait rien de plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté par les autorités pour ses opinions politiques.

Les questions en litige

10                 Dans la demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève les questions en litige suivantes :

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de toute la preuve dont elle disposait à l'égard des activités du mouvement monarchiste en Iran?

            2.         La Commission a-t-elle rejeté à tort des éléments de preuve pertinents?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant, contrairement à la décision Shaha de la Cour d'appel fédérale, que le demandeur n'avait pas une crainte objective de persécution en Iran?


            4.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi?

            5.         La Commission a-t-elle appliqué une norme trop élevée lorsqu'elle a déterminé que le demandeur n'avait pas la qualité de personne à protéger?

La norme de contrôle

11                 La norme de contrôle appropriée à l'égard des conclusions de fait et des conclusions quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable. Cependant, si une décision n'est pas appuyée par la preuve au point où la Commission a outrepassé sa compétence, la norme de contrôle est la décision correcte (voir la décision Salehi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] CFPI 1402).   

12                 La Cour d'appel fédérale a statué que la Commission, en tant que tribunal spécialisé, a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Dans la mesure où les inférences que tire la Commission ne sont pas déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire (voir l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, aux pages 316 et 317).

Analyse


13                 Comme question préliminaire, le défendeur prétend que le décideur ne disposait pas, lors de l'audience du 10 octobre 2002, de l'affidavit du Dr Eskander Tadayoon daté du 26 décembre 2002, et que cet affidavit ne peut pas faire partie du dossier en l'espèce (voir la décision Lemiecha c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 1333, en ligne : QL). Je partage l'opinion du défendeur selon laquelle l'affidavit ne doit pas être pris en compte dans la présente audience. Le contrôle judiciaire d'une décision d'un office fédéral devrait avoir lieu en tenant compte de la preuve dont disposait le décideur. Un affidavit assermenté deux mois après que la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a été rendue ne doit par conséquent pas être pris en compte comme un élément du dossier dont disposait le tribunal.

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de toute la preuve dont elle disposait à l'égard des activités du mouvement monarchiste en Iran?

14                 Dans sa décision selon laquelle la crainte du demandeur n'était pas bien fondée, la Commission a conclu qu'il n'existait pas d'éléments de preuve à l'égard de l'existence en Iran des sortes d'activités du DK décrites par le demandeur bien que de telles activités se soient déroulées en Europe et en Amérique du Nord. En outre, la Commission a conclu que le bureau européen de l'Étendard de la liberté situé à Paris était fermé depuis 1996. Finalement, la Commission a conclu que, bien que l'Iran soit reconnu comme un pays qui persécute ses ennemis, les autorités iraniennes ne s'intéressaient plus aux activités des monarchistes lorsque le demandeur avait commencé à s'y adonner.       


15                 Le demandeur prétend que la Commission a omis de prendre en compte des éléments de preuve et qu'elle a tiré des conclusions qui n'étaient pas appuyées par des éléments de preuve. Il signale plusieurs documents contenus au dossier qui contredisent les conclusions précédemment mentionnées et que la Commission a omis de mentionner dans sa décision. Notamment, le demandeur signale un rapport mentionnant des affrontements entre les partisans de la monarchie et les autorités iraniennes que la Commission a soi-disant omis de prendre en compte.

16                 Le défendeur prétend que c'est le devoir de chaque formation de la Commission de tirer des conclusions de fait en se fondant sur l'ensemble de la preuve dont elle dispose et que le fait qu'il ne soit pas fait mention de certains éléments de la preuve documentaire dont la Commission dispose n'est pas déterminant dans la décision.

17                 La Commission a clairement mentionné dans sa décision la même preuve qu'elle avait, selon ce que prétend le demandeur, omis de prendre en compte, à savoir que les « documents révèlent qu'il existe un mouvement monarchiste hostile au régime en place [en Iran] » . Une lecture attentive des éléments de preuve que le demandeur mentionne comme n'ayant pas été correctement pris en compte par la Commission ne révèle pas l'existence de preuve documentaire contredisant précisément les conclusions de la Commission. En outre, je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a omis de mentionner en particulier les éléments de preuve auxquels le demandeur renvoyait. Il est bien établi en droit qu'un tribunal n'a pas l'obligation de mentionner chacun des éléments de preuve dans ses motifs, mais qu'il doit examiner l'ensemble de la preuve dont il dispose (voir les décisions Hatami c. Canada [2000] A.C.F. no 402, en ligne : QL, et Piel c. M.C.I., 2001 CFPI 562).

18                 Je suis d'avis que la conclusion de la Commission à l'égard du mouvement monarchiste était une conclusion qu'elle pouvait raisonnablement tirer selon le dossier.


2.         La Commission a-t-elle rejeté à tort des éléments de preuve pertinents?

19                 Lors des observations de vive voix, l'avocat du demandeur a prétendu que la Commission a commis une erreur en rejetant certains éléments de preuve lors de l'audience. Premièrement, le demandeur a renvoyé à un document de 24 pages envoyé par télécopieur à la Commission par le défendeur, document dont seulement quatre pages (13, 14, 15 et 24) ont été acceptées en preuve et font partie du dossier. Deuxièmement, une [TRADUCTION] « traite bancaire » de 50 $ remise par le demandeur à un tiers n'a pas été acceptée comme preuve. Le demandeur fait valoir que la traite bancaire aurait démontré [TRADUCTION] « ses activités au Canada » .

20                 À la page 4 de la transcription de l'audience, l'avocat du demandeur a identifié les pages précédemment mentionnées comme étant des pages pertinentes et nécessaires. À mon avis, le demandeur a renoncé à son droit de contester l'omission de la Commission d'avoir accepté comme élément de preuve tout le document envoyé par télécopieur lorsque son avocat a reconnu devant la Commission que seulement la portion mentionnée précédemment était pertinente.

21                 Le demandeur a en outre contesté l'omission de la Commission d'avoir inclus et accepté comme élément de preuve la traite bancaire de 50 $ qui avait soi-disant servi à payer, après son arrivée au Canada, un magazine de son [TRADUCTION] « mouvement » . L'avocat du demandeur a accepté la décision de la Commission de ne pas inclure la traite bancaire comme élément de preuve comme le démontre la page 11 de la transcription. Je reproduis ci-après les portions pertinentes de la transcription :    


[TRADUCTION]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :        Ces deux traites bancaires ont-elles une importance primordiale dans cette                                                                       demande, M. Rodrigues?

AVOCAT :            Certains membres sont intéressés à la question de savoir si un revendicateur continue à exercer ses activités après son arrivée dans ce pays. Certains ne le sont pas.          

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :       Vous seriez mieux d'attendre - de conserver vos munitions à ce sujet, d'attendre de voir quelles sont les questions en litige et alors vous pourrez revenir sur cette question si vous le souhaitez, d'accord?

AVOCAT :           Certainement. Je suis plus intéressé à la question de l'identité ces jours-ci. C'est d'une importance primordiale.

                                                                                                                                                          [Non souligné dans l'original.]                            

À mon avis, le demandeur, par son avocat, a accepté la décision de la Commission de ne pas admettre la traite bancaire comme preuve. Le demandeur ne peut pas lors d'un contrôle judiciaire contester une décision pour laquelle il y a eu une entente devant la formation de la Commission.

22                 La Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant comme éléments de preuve les autres pages du document envoyé par télécopieur et la traite bancaire.

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant, contrairement à la décision Shaha de la Cour fédérale, que le demandeur n'avait pas une crainte objective de persécution en Iran?


23                 Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le DK était en train de réduire ses activités au cours de la période pertinente et que les actions auxquelles les partisans de la monarchie peuvent avoir participé n'étaient pas, selon la prépondérance des probabilités, opposées aux intérêts de l'État durant la période pertinente. Le demandeur prétend que cette conclusion est contraire à la décision Shaha c. M.C.I., [1998] A.C.F. no 1045, en ligne : QL, dans laquelle il a été statué que la Commission avait eu tort de conclure que le demandeur ne craignait pas d'être persécuté en Iran.

24                 Je suis d'avis qu'une conclusion de fait tirée sur le fondement de la preuve versée au dossier dans une instance ne peut pas être incluse dans une autre instance dont le dossier comporte des éléments de preuve différents. La Commission doit fonder ses conclusions de fait sur les renseignements dont elle dispose. La Commission n'a pas commis une erreur en omettant d'inclure dans son dossier une conclusion de fait tirée dans un autre dossier.

            4.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi?

                        A.        La Commission a-t-elle incorrectement tiré des conclusions « ambivalentes » quant à la crédibilité?

25                 Dans sa décision, la Commission a conclu, en se fondant sur des « incohérences flagrantes » contenues dans son témoignage, que le demandeur n'était pas digne de foi.


26                 Le demandeur soulève plusieurs questions à l'égard des conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission. Il prétend que la Commission a omis de prendre en compte des éléments de preuve à l'égard de sa crainte subjective, a incorrectement pris en compte d'autres éléments de preuve et a omis d'énoncer en termes clairs et explicites le fondement de ses conclusions défavorables quant à la crédibilité. Le demandeur prétend que les conclusions de la Commission ne sont pas conformes aux arrêts de la Cour d'appel Hilo c. Canada (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 294, et Armson c. M.E.I. (1989) 9 Imm. L.R. (2d) 150 (CAF). Le demandeur renvoie à l'arrêt Hilo pour sa prétention selon laquelle la Commission ne devrait pas procéder à un « traitement sélectif de divers éléments du témoignage de l'appelant » , c'est-à-dire que la Commission ne devrait pas croire des portions du témoignage du demandeur et rejeter d'autres portions de ce témoignage. Le demandeur renvoie à l'arrêt Armson, précité, pour sa prétention selon laquelle la Commission doit, si elle juge qu'il est approprié de rejeter une demande pour des motifs de crédibilité, énoncer clairement le motif pour lequel elle ne croit pas le demandeur.     

27                 Le défendeur prétend qu'il n'est pas nécessaire que la Commission juge que tous les mots prononcés par le demandeur sont faux pour conclure qu'il n'est pas digne de foi et qu'il n'est pas nécessaire qu'elle se prononce sur la véracité ou la fausseté de chacune des prétentions du demandeur. Le défendeur prétend plutôt qu'un témoignage contradictoire et incohérent peut jeter un doute à l'égard de tout le témoignage de vive voix du demandeur. Le défendeur prétend que la Commission a effectivement fourni des exemples clairs et explicites d'incohérences et d'invraisemblances contenues dans le témoignage du demandeur sur lesquelles était fondée la décision défavorable quant à la crédibilité.


28                 À mon avis, l'évaluation faite par le défendeur est correcte. La Cour d'appel dans l'arrêt Hilo, précité, a statué qu'un tribunal a le droit de conclure qu'un demandeur n'est pas digne de foi en raison des invraisemblances contenues dans son témoignage dans la mesure où ses inférences ne sont pas déraisonnables et où ses motifs sont énoncés en termes « clairs et explicites » . Au paragraphe 6 de sa décision, la Cour a écrit ce qui suit :

[...] la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant. L'évaluation [...] que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l'appelant est lacunaire parce qu'elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage de l'appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l'insuffisance de détails et les incohérences relevées.


29                 En l'espèce, la Commission a fourni plusieurs exemples détaillés d'incohérences qui ont entraîné la conclusion défavorable quant à la crédibilité. La Commission a mentionné que lorsqu'on a demandé au demandeur d'expliquer la façon selon laquelle il avait obtenu la lettre du secrétariat de Reza Pahlavi, sa première réponse a été qu'on lui avait dit que les membres du DK qui s'étaient enfuis d'Iran avaient le devoir de se présenter au secrétariat pour rendre compte de leurs allées et venues. Par la suite, lorsqu'on lui a demandé comment sa photographie avait été incluse dans le document, il a admis qu'il avait demandé au secrétariat d'écrire cette lettre pour lui et qu'il avait fourni sa photographie afin de faciliter la préparation de la lettre. La Commission a en outre mentionné que bien que le demandeur ait expliqué que le secrétariat s'occupait d'un grand nombre de questions politiques en Iran et que bien qu'il ait une connaissance de l'organisation de sa cellule particulière à Téhéran, il demeure que le document fourni par le secrétariat nommait le demandeur par son nom de famille seulement et ne faisait que mentionner qu'il était un [TRADUCTION] « militant politique » . En dernier lieu, la Commission a mentionné que bien que le demandeur ait d'abord expliqué qu'il avait le devoir de se présenter au secrétariat à son arrivée, il n'avait pas une connaissance de l'organisation qui lui aurait permis de remplir ce devoir.

30                 À mon avis, ces exemples détaillés satisfont au critère énoncé dans l'arrêt Hilo, précité.     

31                 Quant à la question de savoir si la Commission peut traiter la preuve [TRADUCTION] « de façon sélective » , l'arrêt Hilo, précité, ne nous éclaire pas. Dans l'arrêt Hilo, la véritable question qui devait être examinée par la Cour d'appel était celle de savoir si la Commission avait fait une évaluation défavorable de la crédibilité sans avoir fourni de détails précis quant à la façon selon laquelle elle avait tiré sa conclusion. La Commission avait alors conclu que le témoignage était digne de foi à certains égards, mais non à certains autres égards pour lesquels elle n'avait pas mentionné expressément des éléments de preuve particuliers. Clairement, cet arrêt est différent d'une décision qui rejette une demande jugée non crédible sur le fondement d'incohérences très précisément décrites comme c'est le cas en l'espèce.     


32                 Effectivement, selon le bon sens, il serait déraisonnable d'exiger que la Commission tire une conclusion selon laquelle tout le témoignage du demandeur est digne de foi ou qu'il ne l'est pas dans son entier. Dans les cas où la Commission a fourni plusieurs exemples de contradictions graves et importantes contenues dans le témoignage du demandeur, il est justifié qu'elle tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Dans l'arrêt Canada (M.E.I.) c. Dan-Ash (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 78, au paragraphe 6, M. le juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale a déclaré qu' « il doit exister une limite au-delà de laquelle les contradictions d'un témoin amèneront le juge des faits le plus généreux à rejeter son témoignage » . Cette déclaration propose l'utilisation de la méthode du seuil minimal pour conclure qu'un demandeur est digne de foi et je suis d'accord avec cette méthode. Je partage l'opinion du défendeur selon laquelle, à un certain moment, le nombre d'incohérences ou de contradictions contenues dans le témoignage d'un demandeur justifiera que la Commission tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

33                 Dans la présente affaire, plusieurs exemples d'incohérences graves et importantes ont été expliqués en détail. Sur ce fondement, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n'était pas digne de foi.

                        B.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a omis, lors de son évaluation de la crédibilité, de tenir compte de toute la preuve dont elle disposait?

34                 Le demandeur prétend que la formation a de façon incorrecte omis de tenir compte de toute la preuve dont elle disposait, en particulier, du fait que la librairie de son père avait été incendiée en 1980, du fait que son père avait été détenu pendant deux semaines et du fait que son appartement avait fait l'objet d'une descente après qu'il eut quitté l'Iran, ce qui constitue selon ce qu'il prétend une erreur susceptible de contrôle. Au soutien de cette prétention, le demandeur cite la décision Lachowski c. Canada, [1992] A.C.F. no 1138, en ligne : QL.


35                 La position du défendeur est que la Commission n'a pas l'obligation de mentionner expressément qu'elle n'a pas cru certaines portions du témoignage du demandeur. Le défendeur prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne participait pas à des activités politiques contre le régime écarte le fondement même de la détention et de la présumée persécution du demandeur par les autorités iraniennes. En outre, selon le défendeur, le fait que le commerce du père du demandeur ait été incendié en 1980 alors que le demandeur avait dix ans n'est pas pertinent.

36                 Je suis d'accord avec le défendeur lorsqu'il prétend que le fait que la librairie du père du demandeur ait été incendiée n'est pas pertinent à la décision rendue par la Commission à l'égard de la crédibilité. Cet événement est survenu en 1980 et n'est aucunement lié à la prétention du demandeur selon laquelle il est une personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa participation aux activités du DK. En outre, à mon avis, la décision Lachowski n'appuie pas la position du demandeur. Dans cette affaire, M. le juge Walsh déclare que, à moins que sa preuve ne renferme des contradictions ou qu'elle entre en conflit direct avec la preuve documentaire, on doit considérer la preuve non contredite du demandeur comme crédible. En l'espèce, la Commission a établi l'existence de plusieurs incohérences précises dans la preuve soumise par le demandeur (voir le paragraphe 29 ci-devant). La Commission, par conséquent, n'a pas commis une erreur lorsqu'elle a omis de traiter de façon particulière de tous les aspects de la preuve soumise par le demandeur.

                        C.        La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion abusive quant à la crédibilité à l'égard de la lettre du secrétariat du DK fournie par le demandeur?


37                 Le demandeur prétend que la Commission a tiré une conclusion abusive quant à la crédibilité lorsqu'elle a tiré une inférence défavorable de son omission d'avoir fourni un document qu'il avait en sa possession à la date de l'ordonnance de divulgation de la preuve. Le demandeur renvoie à la décision Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 729, en ligne : QL, au soutien de sa prétention.

38                 La position du défendeur est que la Commission avait le droit d'exercer son pouvoir discrétionnaire lors de l'évaluation de la question de savoir si la lettre de recommandation fournie par le demandeur en l'espèce soulève des doutes quant à son authenticité ou sa véracité.

39                 À mon avis, la prétention du demandeur n'est pas fondée. La décision Mahmud appuie la prétention selon laquelle on ne peut pas se fonder sur des lettres pour contredire le récit d'un demandeur simplement parce qu'elles ne corroborent pas ce récit, c'est-à-dire qu'on ne peut pas conclure que le demandeur n'est pas digne de foi en s'appuyant sur les lettres qui ne corroborent pas son récit. Dans la décision Mahmud, précitée, des lettres qui avaient été soumises pour le demandeur mentionnaient, dans des termes généraux, les problèmes prétendument subis par le demandeur. On a conclu, lors du contrôle judiciaire, que ces lettres n'étaient pas un motif valable pour que la SSR n'ait pas cru le demandeur ou pour qu'elle ait conclu qu'il n'était pas digne de foi.


40                 En l'espèce, la Commission a tiré une inférence défavorable de l'omission du demandeur d'avoir déposé un document qu'il avait en sa possession. Aucune importance n'a été accordée à la lettre parce que son contenu était incompatible avec l'explication du demandeur à l'égard de la source de cette lettre. Par conséquent, la décision de la Commission n'était pas simplement fondée sur le fait que la lettre ne corroborait pas les prétentions du demandeur, mais sur le fait que son contenu était incompatible avec l'explication du demandeur à l'égard de la source de la lettre. À mon avis, il était raisonnable pour la Commission, lors de son évaluation de la crédibilité du demandeur, d'avoir pris en compte les circonstances dans lesquelles la lettre avait été fournie. Par conséquent, je suis d'avis que la Commission n'a pas commis une erreur lorsqu'elle a tiré une inférence défavorable à l'égard de la lettre en question.

                        D.        La Commission a-t-elle commis une erreur en « voyageant dans les pensées des autorités iraniennes responsables de la persécution » ?

41                 Le demandeur prétend que lorsque la Commission a tiré ses prétendues conclusions quant à la crédibilité, elle a de façon incorrecte [TRADUCTION] « voyagé dans les pensées des autorités iraniennes responsables de la persécution afin d'imaginer ce qu'elles feraient ou ne feraient pas dans les circonstances » . Le demandeur renvoie aux arrêts Giron c. M.E.I., [1992] A.C.F. no 481, en ligne : QL, et Ye c. M.E.I., [1992] A.C.F. no 584, en ligne : QL, au soutien de la prétention selon laquelle une conclusion quant à l'invraisemblance fondée sur des critères extrinsèques n'est pas aussi à l'abri d'un contrôle qu'une conclusion quant au manque de crédibilité fondée sur des problèmes qui touchent le témoignage même du demandeur.


42                 Le défendeur prétend que le demandeur n'a pas réussi à démontrer de quelle façon la Commission avait [TRADUCTION] « de façon incorrecte voyagé dans les pensées des autorités iraniennes responsables de la persécution » comme il l'affirmait. Le défendeur prétend que la décision de la Commission était fondée sur le manque de crédibilité du demandeur à l'égard de sa participation à un groupe militant pour la monarchie. La position du défendeur est que, à moins qu'il soit démontré que les inférences et les conclusions de la Commission sont si déraisonnables qu'elles n'auraient pas pu être tirées, la Cour ne devrait pas intervenir, qu'elle soit d'accord ou non avec les inférences tirées. Étant donné que le demandeur n'a pas démontré en l'espèce que les conclusions de fait étaient manifestement déraisonnables, le défendeur prétend que la décision de la Commission devrait être maintenue.   

43                 Bien que les conclusions quant à la vraisemblance puissent ne pas être « aussi à l'abri » d'un contrôle judiciaire que d'autres conclusions quant à la crédibilité, la Cour d'appel dans l'arrêt Aguebor, précité, a statué que la Commission avait pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. La Cour n'interviendra que lorsqu'une conclusion est manifestement déraisonnable. En l'espèce, le demandeur ne réussit pas à énoncer clairement la façon selon laquelle la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a tiré ses inférences quant à la crédibilité. Je partage essentiellement l'opinion du défendeur quant à sa position sur cette question. Je conclus qu'il n'y a pas d'erreur susceptible de contrôle.

Conclusion à l'égard des questions de crédibilité

44                 À mon avis, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité du demandeur n'étaient pas manifestement déraisonnables. Les conclusions de la Commission ne sont ni arbitraires ni abusives. La décision explique en détail plusieurs exemples d'incohérences qui ont amené la Commission à tirer sa conclusion selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité et la décision est raisonnablement appuyée par la preuve.


5.         La Commission a-t-elle appliqué une norme trop élevée lorsqu'elle a déterminé que le demandeur n'avait pas la qualité de personne à protéger?

45                 Le demandeur prétend que la formation a commis une erreur lorsqu'elle a appliqué un critère trop élevé pour déterminer si le demandeur serait exposé à de la persécution, à une menace à sa vie ou à de la torture. La position du demandeur est que l'application du critère de la « possibilité sérieuse » n'était pas appropriée et a amené la Commission à rendre une décision erronée selon laquelle il n'avait pas la qualité de personne à protéger.

46                 Je partage l'opinion du défendeur selon laquelle la Commission a correctement appliqué le critère énoncé par la Cour dans l'arrêt Adjei c. M.E.I. (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 169 (C.A.F.). Comme elle devait le faire, la Commission a examiné la question de savoir s'il existait une possibilité raisonnable ou même sérieuse (par opposition à une simple possibilité) que le demandeur puisse craindre d'être persécuté par les autorités du régime et la question de savoir s'il existait une possibilité sérieuse que sa vie soit menacée.

Conclusion

47                 Le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés comportait une erreur susceptible de contrôle au sens de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications. La décision de la Commission n'était ni clairement erronée ni manifestement déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


48                 Le demandeur propose les questions suivantes aux fins de la certification :

[TRADUCTION]

1.         La décision Shaha a-t-elle été rendue « à tort » ?

2.         La décision Mahmud a-t-elle été rendue « à tort » sur la question de l'inclusion, à l'égard de la crédibilité du demandeur, de ce qui n'est pas inclus dans la preuve documentaire présentée au soutien de la demande?

Les questions proposées demandent que la Cour d'appel révise deux décisions rendues respectivement en 1998 et 1999. Il ne m'apparaît pas que les questions proposées soulèvent une question grave de portée générale qui serait déterminante de la présente affaire suivant l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

49                 À mon avis, les circonstances de la présente affaire ne constituent pas des raisons spéciales suivant l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration donnant lieu à des dépens.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 novembre 2002 par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

3.          Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-6266-02

INTITULÉ :                                           ALI FARROKHI TAMEH c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE MERCREDI 24 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                          LE 15 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :                            

Rocco Galati                                                              POUR LE DEMANDEUR

Lisa Hutt                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :               

Galati Rodrigues Azevedo & Associates     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

                                 Dossier : IMM-6266-02

ENTRE :

                    ALI FARROKHI TAMEH

demandeur

                                      - et -

        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                   

              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                   


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.