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Date : 20030709

Dossier : IMM-3617-02

Référence : 2003 CF 851

ENTRE :

                                                                                   

                                                            BHEKINKOSI NDLOVU

                                                               KWANELE NDLOVU

                                                             NOMAGUGU NDLOVU

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   

ET:

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Il s'agit d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, visant la décision du 30 mai 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission (la Commission) a statué que les demandeurs, deux frères et une soeur, n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Les revendications des frères et de la soeur ont été instruites ensemble, comme elles sont fondamentalement semblables, et toutes trois ont été rejetées.

[2]                 Les demandeurs sont des citoyens du Zimbabwe, âgés de 27 à 33 ans. Le fondement des revendications c'était que les demandeurs avaient été persécutés par des partisans du gouvernement et des anciens combattants en raison de leurs opinions politiques; ils sont membres du MDC, un mouvement en faveur de la démocratie au Zimbabwe. Le témoignage des trois demandeurs variait légèrement, mais de manière importante quant à des faits fondamentaux; des différences ressortent également de l'exposé circonstancié dans les divers FRP ainsi que des témoignages des demandeurs devant la Commission.

[3]                 Kwanele a joint les rangs du MDC en septembre 1999, Nomagugu en juin 2000 et Bhekinkosi en mars 2001. Pendant un grand rassemblement du MDC en juin 2001, des anciens combattants et des jeunes du Zanu-PF ont attaqué des manifestants, y compris Bhekinkosi, qui a été battu. Kwanele déclare dans son témoignage que, pendant ce rassemblement, des jeunes du Zanu-PF ont brûlé sa maison, mais les notes de son entrevue au point d'entrée ne font pas état de cet incident. Il déclare avoir fait l'objet de menaces de mort avant le grand rassemblement, et c'est là le motif pour lequel il a quitté le Zimbabwe selon les notes de cette entrevue. Selon son témoignage, il était confus lorsqu'il est arrivé au Canada, ce qui explique pourquoi il n'a pas mentionné l'incendie de sa maison, bien qu'il s'agisse d'un événement majeur.

[4]                 Dans les jours qui ont suivi le rassemblement, des anciens combattants sont venus à la maison de Bhekinkosi ainsi qu'à celles de son père et de son oncle. Il y a contradiction dans les témoignages quant à savoir si Kwanele et Nomagugu étaient à la maison pendant les visites des anciens combattants après le rassemblement. Dans son témoignage, Bhekinkosi déclare qu'ils y étaient. Il a toutefois déclaré dans son FRP, ainsi que sa soeur dans son témoignage, qu'ils étaient déjà partis. Bhekinkosi raconte que les anciens combattants ont menacé son père et détruit sa propriété, mais il déclare dans son témoignage l'avoir appris d'un locataire vivant chez lui plutôt que de la bouche de son père. Kwanele était prétendument à la maison de son père lorsque cela s'est produit, mais il n'en fait mention ni dans son FRP ni dans son témoignage.

[5]                 Nomagugu, la soeur, déclare qu'elle était moins active au plan politique que ses frères. Elle déclare dans son témoignage qu'en juillet 2001, des anciens combattants lui ont dit qu'ils la tueraient s'ils ne pouvaient pas trouver ses frères. En outre, elle était à la maison en juin lorsque les anciens combattants sont venus chercher ses frères; cela confirme la déclaration de Bhekenkosi. Elle ajoute toutefois, dans son témoignage, qu'elle était à l'école en juillet pour y étudier le design, une information non mentionnée dans son FRP, et qu'elle était absente lors de la visite des anciens combattants. Elle ne fait non plus aucune mention de l'incendie de la maison de Kwanele, bien que ses déclarations antérieures laissent entendre qu'elle devait s'y trouver lors de cet événement.


[6]                 Les motifs donnés par la Commission traitent de chacun des trois demandeurs dans des sections distinctes, les mentions dans une section des autres demandeurs faisant ressortir ce que la Commission considérait être de graves incohérences dans chaque récit des demandeurs et entre leurs divers récits. La Commission a statué, en conclusion, que les omissions, les incohérences et les contradictions portaient atteinte à la crédibilité de chacun des demandeurs.

[7]                 Les demandeurs ont mis en cause pour quatre raisons principales les motifs de la Commission : le défaut apparent de prendre en compte la totalité de la preuve; le défaut de donner aux demandeurs l'occasion d'expliquer les discordances; l'importance excessive accordée aux notes au point d'entrée; le défaut de distinguer suffisamment les diverses revendications. La norme de contrôle judiciaire qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR de la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[8]                 Pour ce qui est de la première question, les demandeurs soulignent le fait que la Commission n'a conclu à aucun moment qu'ils n'étaient pas véritablement membres du MDC. Ils soutiennent que la Commission était tenue d'apprécier leurs revendications en se fondant sur l'ensemble de l'information qui n'avait pas été rejetée pour manque de crédibilité. La Commission aurait donc dû conclure que leur crainte d'être persécutés avait un fondement raisonnable, puisqu'ils étaient membres d'un parti d'opposition au Zimbabwe violemment réprimé.


[9]                 En réplique, le défendeur dit estimer qu'il incombe exclusivement à la Commission d'établir quel poids accorder à la preuve, et que la Cour n'a pas pour rôle d'apprécier de nouveau la preuve produite. La Commission a énoncé sans équivoque dans ses motifs ses conclusions quant à la crédibilité des demandeurs, après avoir analysé de façon détaillée des incohérences entachant les témoignages et FRP des trois demandeurs. Ayant conclu que les demandeurs n'étaient pas crédibles quant aux actes de persécution dont ils auraient fait l'objet, la Commission n'avait pas évaluer d'autres éléments de preuve. Au soutien de sa prétention, le défendeur fait valoir la déclaration du juge Pinard dans Djouadou c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. n ° 1568, au paragraphe 4 :

Quant au reproche fait pas le demandeur au tribunal de ne pas s'être livré à une analyse de la preuve documentaire concernant l'Algérie, je suis d'avis que dans la mesure où on a jugé que le témoignage du demandeur n'était pas crédible, semblable analyse n'était pas nécessaire (Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238).

[10]            Dans Djouadou, la preuve concernait la situation dans le pays en cause, comme en l'espèce elle se rapportait à la suppression des groupes d'opposition au Zimbabwe.

[11]            Les demandeurs prétendent que, puisque la Commission n'a pas traité de l'authenticité de la carte de membre produite par chacun d'eux, l'on peut présumer qu'elle a jugé ces cartes authentiques. L'avocate du défendeur soutient pour sa part que la simple possession d'une carte de membre ne permet pas de présumer automatiquement l'existence d'une crainte objective ou subjective d'être persécuté. Par conséquent, la Commission n'a pas agi de manière manifestement déraisonnable en concluant, sur la foi de la preuve, que les contradictions dans les témoignages minaient de façon significative la crédibilité des demandeurs.


[12]            La seconde question soulevée par les demandeurs, c'était que la Commission ne leur a pas fourni suffisamment l'occasion d'expliquer les contradictions dans leurs témoignages; ils citent Gracielome c. MEI (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.), où la Cour a statué que la Commission est tenue de donner au requérant l'occasion d'aborder les principales questions en litige.

[13]            Comme le défendeur le souligne, toutefois, Gracielome ne vise pas toutes les contradictions dans des témoignages pouvant avoir une incidence sur la crédibilité. Dans Ayodele c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. n ° 1833, le juge Gibson déclare ce qui suit, au paragraphe 17 :

Je crois qu'on peut légitimement présumer que les contradictions du témoignage du requérant auraient sauté aux yeux de l'avocat et des membres de la SSR. Dans ces circonstances bien précises, annuler la décision de la SSR en raison de son omission de signaler ses contradictions à un requérant représenté par un avocat irait bien au-delà de ce que j'estime être la position énoncée dans l'arrêt Gracielome et placerait, selon moi, un fardeau injustifié sur les épaules des membres de la SSR. Je répète que le requérant était représenté par un avocat qui, vraisemblablement, était attentif à son témoignage. Il était loisible à l'avocat d'interroger ou de réinterroger son client au sujet de toute contradiction qu'il percevait sans que les membres de la SSR aient à lui dire quoi faire.


[14]            La situation en l'espèce est très semblable à la situation dans Ayodele : les demandeurs étaient représentés par le même avocat et les contradictions, manifestes au vu du dossier, concernent les éléments les plus fondamentaux des récits - le lieu où se trouvait chacun des intéressés aux dates auxquelles certaines menaces se sont manifestées. Il n'était nullement déraisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs manquaient de crédibilité. Comme la Commission le signale dans ses motifs, en outre, elle se souciait le plus de la question de l'incendie de la maison de Kwanele. Les contradictions sur ce point ont bien davantage incité la Commission à tirer la conclusion qui a été la sienne et, sur ce sujet, on a demandé à Kwanele d'expliquer les différences existant entre son témoignage et celui des autres demandeurs. Or, il a simplement dit qu'il était « confus » .

[15]            La Commission renvoie à plusieurs reprises aux notes au point d'entrée (PDE) pour chacun des demandeurs, et ces derniers soutiennent que la Commission a mal compris le rôle et la nature de ces notes. Selon les demandeurs, il était arbitraire pour la Commission de prêter foi à ces notes, minant leur crédibilité, sans les questionner plus avant.

[16]            La Commission ne prétend jamais dans ses motifs que les notes au PDE constituent un témoignage sous serment ou, d'une manière quelconque, la transcription intégrale de l'entrevue. On a soulevé la question des notes de PDE à l'audience, et on a demandé aux demandeurs pourquoi certains renseignements n'y figuraient pas. Les demandeurs ont insisté sur le fait que ces notes étaient celles de l'agent et pas les leurs. La Commission peut néanmoins demander pourquoi certains événements importants - comme l'incendie de la maison de Kwanele - ne figurent pas dans les notes prises lors de l'entrevue d'un demandeur; il n'est pas déraisonnable de tirer des conclusions d'une omission au point d'entrée et des explications données sous serment. Dans la situation concernée, par exemple, la réponse portant que le demandeur était confus n'a pas réussi à convaincre la Commission, et celle-ci a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait que cet incident important n'avait pas été mentionné.


[17]            Les demandeurs ont soutenu, finalement, que la Commission n'a pas traité chacune des revendications de manière suffisamment distincte. On aborde clairement chacune des trois revendications de façon séparée dans les motifs, en des rubriques distinctes. On renvoie à juste titre aux autres revendications à des fins de comparaison et pour faire ressortir les contradictions. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, il n'y a pas dans les motifs de conclusions défavorables quant à la crédibilité d'un demandeur parce qu'il n'a pas mentionné ce qu'un autre avait déclaré. La crédibilité des demandeurs était plutôt minée lorsqu'ils omettaient de faire la moindre mention d'un événement alors que, tel qu'il était prétendu, ils l'auraient vu ou y auraient pris part, et que cet événement était relié à leur prétendue crainte de violence.

[18]            Le principal argument avancé par l'avocat des demandeurs c'était qu'il y avait confusion totale par suite de l'interprétation erronée par la Commission des témoignages des trois demandeurs. J'estime que l'examen attentif de la transcription ne permet pas d'étayer cette allégation. S'il y a eu confusion, ce sont les demandeurs eux-mêmes qui l'ont créée. Ils font trois récits différents quant au moment où des anciens combattants sont venus chez eux après le grand rassemblement du 16 juin. Il y a confusion totale quant au moment où chacun des demandeurs aurait joint les rangs du parti MDC qui s'oppose au gouvernement. Leurs récits divergent relativement à l'incendie de la hutte des hommes à la ferme du père, pour ce qui est de savoir qui s'y trouvait et quand les événements se sont produits. On ne mentionne jamais dans les témoignages qui a bien pu mettre le feu à la ferme. Les menaces de violence des anciens combattants à l'endroit de la demanderesse semblent également fictives et ne sont pas étayées par la preuve.

[19]            Je suis convaincu que le tribunal a rapporté convenablement le récit de chacun des demandeurs, et a conclu à bon droit en l'existence de contradictions et en l'absence totale de preuve venant étayer leurs revendications.

[20]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                                « P. Rouleau »             

                                                                                                                                                                 Juge                     

OTTAWA (Ontario)

Le 9 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           IMM-3617-02

INTITULÉ :                                        BHEKINKOSI NDLOVU, KWANELE NDLOVU, NOMAGUGU NDLOVU et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Winnipeg

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 11 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 juillet 2003

COMPARUTIONS :

M. David Matas                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Mme Nalini Reddy                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. David Matas                                                                             POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada      


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