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Date : 20031216

Dossier : IMM-4502-02

Référence : 2003 CF 1466

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                                     TIEN LUU

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Tien Luu est né au Vietnam. Il est entré au Canada avec sa famille en 1984. Il était parrainé par son frère aîné. Depuis environ une dizaine d'années, le demandeur a commis un certain nombre d'actes criminels et le ministre a pris des mesures afin de le renvoyer du Canada suivant l'alinéa 27(1)d) et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (les dispositions législatives pertinentes sont énoncées en annexe). En septembre 2001, un arbitre a ordonné l'expulsion de M. Luu.


[2]                M. Luu a immédiatement déposé un avis d'appel de la mesure d'expulsion. L'audition de l'appel par la Section d'appel de l'immigration devait avoir lieu en octobre 2002. Entre-temps, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), est entrée en vigueur, soit précisément le 28 juin 2002. La LIPR contient un certain nombre de règles transitoires, y compris des dispositions qui touchent la continuation ou l'abandon des appels interjetés aux termes de l'ancienne loi. En septembre 2002, le greffier de la Section d'appel de l'immigration a informé M. Luu, en mentionnant les règles transitoires prévues par la LIPR, qu'on avait mis fin à son appel. M. Luu prétend que le greffier a mal interprété ces règles. De plus, il prétend que si la décision rendue par le greffier est appropriée, alors les règles transitoires violent la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, et la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

[3]                Je suis d'avis que le greffier a commis une erreur lorsqu'il a interprété les règles transitoires prévues par la LIPR. Par conséquent, M. Luu a le droit de faire entendre son appel et de rester au Canada jusqu'à ce que l'appel soit tranché.

La question en litige


[4]                La présente affaire soulève une question qui a été examinée et tranchée par plusieurs de mes collègues dans les décisions Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 634, [2003] A.C.F. no 811 (QL) (1re inst.), Jones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 661, [2003] A.C.F. no 876 (QL) (1re inst.), Cartwright c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 792, [2003] A.C.F. no 1024 (QL) (1re inst.), Nokhodchari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 803, [2003] A.C.F. no 1075 (QL) (1re inst.), Amado-Cordeiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 847, [2003] A.C.F. no 1087 (QL) (1re inst.), et Esteban c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 930, [2003] A.C.F. no 1181 (QL) (1re inst.). La question est celle de savoir si la règle transitoire prévue par l'article 196 de la LIPR met fin aux appels interjetés par des personnes qui sont dans la même situation que M. Luu.

[5]                Les règles transitoires prévues par la LIPR à l'égard des appels interjetés à la Section d'appel peuvent être résumées comme suit :

1.          La règle générale est que les appels interjetés avant l'entrée en vigueur de la LIPR se continuent suivant l'article 192. En d'autres termes, les droits d'appel sont généralement maintenus par la LIPR.

2.          Il existe une exception à la règle générale. Suivant l'article 196 de la LIPR, les droits d'appel s'éteignent lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :


(i)          l'intéressé n'aurait pas le droit d'interjeter appel suivant les nouvelles règles prévues par la LIPR. Suivant l'article 64 de la LIPR, un appel ne peut pas être interjeté par quiconque est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée;

(ii)         l'intéressé ne fait pas « l'objet d'un sursis » au titre de l'ancienne loi (qui prévoyait des sursis dans diverses situations comme il en est traité plus en détail ci-après).

[6]                Ce n'est que la deuxième condition qui est en litige en l'espèce. M. Luu est inclus dans la catégorie de l'article 64 de la LIPR et il n'aurait clairement pas le droit d'interjeter appel suivant la nouvelle loi. Je n'ai rien à ajouter quant à cet aspect de l'article 196.

[7]                La question, alors, est celle de savoir si la deuxième condition a été remplie dans le cas de M. Luu, à savoir : A-t-il fait « l'objet d'un sursis » suivant l'ancienne loi? Si oui, il aurait encore un droit d'appel. S'il n'a pas fait « l'objet d'un sursis » , alors l'exception à la règle générale prévoit qu'il a perdu son droit d'appel.

[8]                L'ancienne loi contenait diverses dispositions à l'égard des sursis. Il en existait deux sortes :

·            les sursis résultant d'une décision rendue par un décideur, comme la Section d'appel elle-même (par exemple suivant les alinéas 73(1)c) et d));


·            les sursis résultant automatiquement de l'arrivée de certains événements, comme le dépôt d'un avis d'appel (par exemple suivant l'alinéa 49(1)b)).

[9]                Le défendeur prétend que ce n'est que la première sorte de sursis qui importe aux fins de l'article 196 de la LIPR. En d'autres termes, ce n'est que lorsqu'une personne a fait l'objet d'un sursis, par une décision d'un décideur, que la LIPR maintiendra le droit d'appel de cette personne. Si le sursis obtenu par une personne résulte de l'effet automatique d'une disposition de la loi, comme un sursis résultant du dépôt d'un avis d'appel, le droit d'appel de la personne serait éteint parce que les conditions énoncées à l'article 196 seraient remplies.

[10]            La prétention du défendeur s'appuie sur le sens du mot anglais « granted » . Le défendeur prétend que seulement une personne ou un organisme peut [TRADUCTION] « accorder » quelque chose. On ne peut pas dire qu'on a [TRADUCTION] « accordé » un sursis à une personne qui obtient ce sursis par l'effet d'une disposition de la loi. Selon cette interprétation, les personnes qui ont obtenu automatiquement des sursis suivant l'ancienne loi ont perdu leur droit d'appel (si on tient pour acquis que l'autre condition prévue par l'article 196 a également été remplie).


[11]            Je ne peux trouver aucun fondement permettant de conclure que le mot anglais « granted » de l'article 196 exige qu'une décision soit rendue par une personne ou un organisme. Selon moi, le fait de dire qu'on a [TRADUCTION] « accordé un sursis » à une personne suivant les dispositions d'une loi ne va pas à l'encontre du sens du mot en langue anglaise. La version française de l'article 196 est même plus claire; les mots correspondant sont : « il ne fait pas l'objet d'un sursis » , ce qui ne limite clairement pas les sursis à ceux qui sont accordés par une personne ou un organisme.

[12]            Le défendeur prétend que si l'article 196 est interprété de façon à inclure les sursis automatiques de même que les sursis discrétionnaires, alors l'article serait totalement superflu puisque peu de personnes, voire aucune, ne seraient visées par l'exception parce que tous ceux qui ont déposé des avis d'appel suivant l'ancienne loi conserveraient leur droit d'appel. Cette situation, selon ce que prétend le défendeur, ne peut être celle que le Parlement visait lorsqu'il a adopté cette exception.

[13]            Comme il a été mentionné, la règle générale prévue par la LIPR est que les droits d'appel sont maintenus. L'article 196 crée une exception. À mon avis, la création d'une exception rédigée de façon restrictive est parfaitement compatible avec la politique clairement exprimée de maintien des droits d'appel. Dans tous les cas, l'exception aura toujours un sens. Mme la juge Snider a mentionné dans la décision Medovarski, précitée, que les personnes pour lesquelles le droit d'appel avait été rétabli après l'entrée en vigueur de la LIPR seraient incluses dans la catégorie prévue par l'article 196 (au paragraphe 43). Je mentionnerais également qu'il existe certaines exceptions au sursis automatique prévu par l'ancienne loi (au paragraphe 49(1.1)).


[14]            Par conséquent, je conclus que M. Luu n'a pas perdu son droit d'appel. Il a fait l'objet d'un sursis suivant l'alinéa 49(1)b) de la Loi sur l'immigration lorsqu'il a déposé son avis d'appel et, par conséquent, il n'est pas inclus dans la catégorie prévue par l'article 196 de la LIPR. J'accueillerai sa demande de contrôle judiciaire. Il n'est pas nécessaire que je traite des autres prétentions de M. Luu.

[15]            Les parties ont demandé à la Cour d'énoncer une question de portée générale dans les mêmes termes que ceux utilisés dans la décision Medovarski, précitée, à savoir :

Le mot « sursis » utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage-t-il un sursis qui a été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?

[16]            Je certifierai cette question.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          Le demandeur a un droit d'appel qui est maintenu par l'article 192 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.


3.          Le demandeur a le droit de rester au Canada jusqu'à ce que son appel soit entendu et tranché suivant l'alinéa 49(1)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2.

4.          La question suivante a été certifiée :

Le mot « sursis » utilisé à l'article 196 de la LIPR envisage-t-il un sursis qui a été accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _            

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                                        Annexe


Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2

Rapports défavorables : résidents

permanents

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :

                                             [...]

Immigration Act, R.S.C. 1985, c. I-2

Reports on permanent residents

27. (1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

                                               ...

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions :

i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

(d) has been convicted of an offence under any Act of Parliament, other than an offence designated as a contravention under the Contraventions Act, for which a term of imprisonment of more than six months has been, or five years or more may be, imposed;

Résidents permanents

32. (2) S'il conclut que l'intéressé est un résident permanent se trouvant dans l'une des situations visées au paragraphe 27(1), l'arbitre, sous réserve des paragraphes (2.1) et 32.1(2), prend une mesure d'expulsion contre lui.

Where person is a permanent resident

32. (2) Where an adjudicator decides that a person who is the subject of an inquiry is a permanent resident described in subsection 27(1), the adjudicator shall, subject to subsections (2.1) and 32.1(2), make a deportation order against that person.


Sursis à l'exécution

49. (1) Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi :

                                             [...]

b) en cas d'appel, jusqu'à ce que la section d'appel ait rendu sa décision ou déclaré qu'il y a eu désistement d'appel;

Stay of execution

49. (1) Subject to subsection (1.1), the execution of a removal order made against a person is stayed

                                               ...

(b) in any case where an appeal from the order has been filed with the Appeal Division, until the appeal has been heard and disposed of or has been declared by the Appeal Division to be abandoned;

Exception

49. (1.1) Le sursis d'exécution ne s'applique pas dans les cas suivants :

a) l'intéressé fait l'objet du rapport prévu à l'alinéa 20(1)a) et réside ou séjourne aux États-Unis ou à Saint-Pierre-et-Miquelon;

Exception

49. (1.1) Subsection (1) does not apply to

(a) a person residing or sojourning in the United States or St. Pierre and Miquelon who is the subject of a report made pursuant to paragraph 20(1)(a); or


b) la revendication a été jugée irrecevable au titre de l'alinéa 46.01(1)b) et l'intéressé doit être renvoyé dans un pays avec lequel le ministre a conclu un accord en vertu de l'article 108.1 en vue du partage de la responsabilité de l'examen des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention.

(b) a person who has been determined to be not eligible to make a claim to be a Convention refugee by reason of paragraph 46.01(1)(b) and who is to be removed to a country with which the Minister has entered into an agreement under section 108.1 for sharing the responsibility for examining refugee claims.

Décision en matière d'appel

73. (1) Ayant à statuer sur un appel interjeté dans le cadre de l'article 70, la section d'appel peut :

[...]

c) soit, s'il s'agit d'un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi, ordonner de surseoir à l'exécution de celle-ci;

Disposition of appeal

73. (1) The Appeal Division may dispose of an appeal made pursuant to section 70

(c) in the case of an appeal made pursuant to paragraph 70(1)(b) or 70(3)(b) respecting a removal order, by directing that execution of the order be stayed; or

d) soit, s'il s'agit d'un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi conditionnel, ordonner de surseoir à l'exécution de celle-ci au moment où elle deviendra exécutoire.

(d) in the case of an appeal made pursuant to paragraph 70(1)(b) or 70(3)(b) respecting a conditional removal order, by directing that execution of the order on its becoming effective be stayed.

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Restriction du droit d'appel

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

No appeal for inadmissibility

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

Anciennes règles, nouvelles sections

192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission.

*[Note : Article 192 en vigueur le 28 juin 2002, voir TR/2002-97.]

Immigration Appeal Division

192. If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under the former Act by the Immigration Appeal Division of the Board.

*[Note: Section 192 in force June 28, 2002, see SI/2002-97.]

Appels

196. Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi.

Appeals

196. Despite section 192, an appeal made to the Immigration Appeal Division before the coming into force of this section shall be discontinued if the appellant has not been granted a stay under the former Act and the appeal could not have been made because of section 64 of this Act.

*[Note: Section 196 in force June 28, 2002, see SI/2002-97.]



                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4502-02

                                                                             

INTITULÉ :                                       TIEN LUU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE JEUDI 26 JUIN 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                     LE MARDI 16 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Cecil L. Rotenberg, c.r.                                                             POUR LE DEMANDEUR   

Ron Poulton

Ian Hicks                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil L. Rotenberg                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Avocats

255 Duncan Mill Road, bureau 803

Toronto (Ontario) M3B 3H9

Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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