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Date : 20011203

Dossier : T-1849-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1305

ENTRE :

TED AIRD, VIVIEN AIRD, GLENN ALSIP, SHIRLEY ALSIP, SHIRLEY BEATTIE, AL BOSSERT, ROGER BOYCE, PAT BOYCE, JIM COLLINS, OLIVE COLLINS, REG COOPER, PAT COOPER, BILL DAVIES, JESSIE DAVIES, ED DAVIES, ELAINE DAVIES, TONY DAVIS, JACKIE DAVIS, NELL DOORNBOSCH, WILLARD EDWARDS, ETHNA EDWARDS, PATRICIA ELLIOT, ARCHIBALD ELLIS, KURT FENGLER, ANNA FENGLER, LARRY FENGLER, RENATE FENGLER, TOM GLANCY, SHIRLEY GLANCY, JOE GRZYB, DORLES GRZYB, JOHN GUILIANA, BRITT GUILIANA, ED HOLMES, ETHEL HOLMES, HELEN HOLZWORTH, HERB HOLZWORTH, SOPHIE HONCH, KATHY HRISHUK, MIKE HRISHUK, PETER JOHNER, HELEN JOHNER, ERNIE KAHLER, HILDA KAHLER, JOSEPH KOVACS, GERRY McCARTHY, MARILYN McCARTHY, RON McCOMB, ROSE McCOMB, PETER MEISTER, INGRID MEISTER, WAYNE MITCHEL, TRUDIE MITCHEL, DIANE MOORE, JOHN MOORE, BERNIE MORRIS, JOHN MORSE, CATHERINE MORSE, ROY NEFF, DAISY NEFF, JOAN OLLIFFE, JOHN OSTENDORF, NELLIE OSTENDORF, NORMAN PARKER, ROXIE PARKER, KEN PATTERSON, JEFFREY PUNSHON, DOREEN PUNSHON, PAT RADBOURNE, ELAINE EBY, DOROTHY REID, LYNNE REYNAN, ED ROGOZINSKY, DELORES ROGOZINSKY, DEREK ROLPH, BETTE ROLPH, DAVID SCHELLENBERG, JOHN SNIJDERS, JANNIE SNIJDERS, RUDY SNIJDERS, JOHN SONNEVELDT, WILLIE SONNEVELDT, TOM SPANN, IRMA SPANN, HARLYN SPROULE, FAYE SPROULE, HENRY STRYD, ADRIANA STRYD, STAN TURNER, HAL WESTON, DOLORES WESTON, DON WHITTAKER, MARYANN WHITTAKER, CATHERINE KNUDSEN, HOWARD KNUDSEN, MARGARET MAKI, LEO MAKI, LORENZ LOHNINGER, HANNELORE LOHNINGER, MARGARET TIBBEN, RALPH CHURCHILL, SANDRA CHURCHILL, JANET REED, CHRIS SEABROOK, MARGARET SEABROOK, FRED HOWSE, PHYLLIS HOWSE, MACE HARRISON, IRENE HARRISON, BUD THOMPSON, MARJORIE THOMPSON, JOHANNA AUBERTIN, GORDON SIDDONS, ROSEMARY SIDDONS, RUSS GRILLS, DIANE GRILLS, BILL MILLER, GERRY MILLER, DEBORAH INNES, ARLEE MISFELDT, JANET MISFELDT, ALAN McLEAN et STANLEY BAXTER

                                                                                                                                                    demandeurs

                                                                                   et

COUNTRY PARK VILLAGE PROPERTIES

(MAINLAND) LTD.

                                                                                                                                                   défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

[1]                 Dans leur requête, les demandeurs sollicitent les réparations suivantes :


1)                    Une ordonnance de renvoi devant un juge ou toute autre personne désignée par le juge en chef, conformément à l'article 153 des règles de la Cour fédérale, pour que soit évalué :

(i)          le [TRADUCTION] « juste loyer économique » au 1er mars 2000 pour tous les sous-baux;

(ii)         le montant approprié du [TRADUCTION] « supplément de loyer » , pour la période de 1997 jusqu'à maintenant, pour tous les sous-baux.

2)                    Une injonction visant à interdire à la défenderesse de résilier tout sous-bail pendant le renvoi susmentionné.

[2]                 Le critère approprié de délivrance d'une ordonnance visant à disjoindre une instance et à ordonner un renvoi a été abordé dans Depuy (Canada) Ltd. et autre c. Joint Medical Products Corp. et autre (1996), 67 C.P.R. (3d) 145 (C.A.F.). À la page 146 de ses motifs, le juge Hugessen a déclaré :

2           [...] Le critère approprié a été énoncé par le juge Jackett dans Brouwer Turf Equipment Ltd. c. A and M Sod Supply Ltd. [[1977] 1 C.F. 51]

Il est évident, à mon avis, comme le savant juge de première instance l'a souligné, que le principe général veut que le demandeur prouve l'ensemble de sa cause en première instance; et, en l'absence de consentement ou de « raisons influant sur la conduite de l'action dans son ensemble » , la Règle 480 ne peut servir à mettre en échec ce principe.

[Non souligné dans l'original.]


3           Les commentaires du juge Urie dans Abramsky et autres c. Canada [(1985), 60 N.R. 6] sont également instructifs :

La décision de rendre ou de ne pas rendre une ordonnance en vertu de cette règle à un moment donné relève de l'exercice d'un pouvoir judiciaire discrétionnaire. L'exercice de ce pouvoir consiste essentiellement pour le juge qui est saisi de la demande d'ordonnance de décider s'il est souhaitable, pour bien utiliser le temps des parties et de la Cour et tenter de réduire au minimum les frais de l'action, que la question de la responsabilitésoit instruite en premier lieu et que la question des dommages-intérêts soit abordée plus tard si le défendeur est tenu responsable.

[Non souligné dans l'original.]


[3]                 Dans l'action sous-jacente, les demandeurs cherchent essentiellement à obtenir un « juste loyer économique » qui soit conforme à l'évaluation des sous-baux. Les questions proposées dans le cadre du renvoi sont fondamentalement les mêmes que celles soulevées dans l'action sous-jacente. L'évaluation demandée dans la présente instance nécessite qu'un juge procède à l'interprétation juridique des clauses du bail principal et des sous-baux. Les demandeurs n'ont pas encore produit leur évaluation. Il n'y a pas eu de contre-interrogatoire. Les mesures nécessaires requises dans ce dossier, qui n'ont pas encore été prises, sont prévues aux règles de la Cour applicables aux actions. On devrait accomplir ces mêmes étapes essentielles si l'on procédait à l'évaluation dans le cadre d'un renvoi. Je ne suis pas convaincu qu'un renvoi minimiserait les frais de l'action ou serait une meilleure façon d'utiliser le temps des parties et de la Cour. Je suis d'avis que les circonstances de l'espèce ne justifient pas que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire et que je rende une ordonnance de renvoi conformément à l'article 153 des Règles de la Cour fédérale (1998). Je ne vois aucune raison de s'écarter de la règle générale selon laquelle le demandeur doit établir le bien-fondé de sa demande en première instance. La requête en vue d'obtenir une ordonnance de renvoi conformément à l'article 153 des règles sera rejetée.

[4]                 Il reste à examiner la question de l'ordonnance d'injonction interlocutoire visant à interdire à la défenderesse de résilier tout sous-bail en attendant l'évaluation, par la Cour, du « juste loyer économique » au 1er mars 2000.

[5]                 Dans RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général) (1994), 111 D.L.R. (4th) 385 (C.S.C.), la Cour suprême du Canada a suivi l'analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande d'injonction interlocutoire. Citant le critère énoncé antérieurement dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, la Cour a déclaré, à la page 400 de l'arrêt :

Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.

[1]         Pour décider s'il y a une question sérieuse à juger, la Cour doit être convaincue que la demande n'est ni vexatoire ni frivole. On considère généralement le seuil comme peu élevé. Dans RJR-Macdonald, précité, la Cour suprême a déclaré qu'un examen détaillé du fond du litige n'est ni requis ni désirable dans une telle procédure interlocutoire. Elle a cependant décidé qu'il existait deux exceptions à la règle générale, à savoir :


1)                    « [...] si le droit que le requérant cherche à protéger est un droit qui ne peut être exercé qu'immédiatement ou pas du tout,

2)                    ou [...] si le résultat de la demande aura pour effet d'imposer à une partie un tel préjudice qu'il n'existe plus d'avantage possible à tirer d'un procès. »

[6]                 Je suis convaincu que les exceptions envisagées par la Cour suprême ne s'appliquent pas en l'espèce. En pratique, l'injonction, qu'elle soit accordée ou refusée, ne mettra pas un terme à l'action. Pour résoudre le différend, il faudra évaluer le « juste loyer économique » .

[7]                 Si le « juste loyer économique » contesté devait s'appliquer, certains demandeurs verraient leur loyer augmenter de 100 pour 100 (cas des propriétaires d'un demi-lot). Les demandeurs prétendent que la décision de la défenderesse concernant le « juste loyer économique » est erronée puisqu'elle est fondée sur une évaluation incorrecte. Ils allèguent que l'évaluation n'a pas été effectuée conformément aux conditions du bail principal et des sous-baux. Plus précisément, ils prétendent que :

a)          le marché immobilier est très à la baisse;

b)          les évaluations foncières aux fins de l'établissement des taxes sont à la baisse;

c)          l'évaluation comprend un montant pour les taxes, alors que les propriétaires des lots paient leurs propres taxes;


d)          l'évaluation est faite en [TRADUCTION] « chiffres bruts » et vise aussi le « supplément de loyer » alors qu'il est stipulé dans les sous-baux que seul le loyer de base doit être révisé tous les quatre ans;

e)          et, contrairement aux conditions du sous-bail, l'évaluation comprend une clause liée à la hausse du coût des zones communes.

Enfin, les demandeurs prétendent que, d'après les observations orales de la défenderesse, le « juste loyer économique » ne devait augmenter que si la valeur des terrains dans la région de Chilliwack montait, et que ces observations font partie intégrante des sous-baux.

[8]                 La défenderesse allègue qu'elle s'est entièrement conformée aux conditions générales du bail principal et des sous-baux; que des avis d'augmentation adéquats ont été remis aux demandeurs; que ces derniers ont reconnu avoir lu et compris le bail principal; qu'en vertu des dispositions du sous-bail type, les demandeurs n'ont pas le droit de maintenir la présente procédure puisque que leur loyer est impayé. La défenderesse prétend de plus que le retard des demandeurs à réclamer une réparation justifie le rejet de la présente requête. Elle allègue avoir droit à l'augmentation évaluée, qui est conforme aux conditions contractuelles du bail principal et des sous-baux. La position de la défenderesse se résume à ceci : accorder l'injonction équivaut à encourager un manquement contractuel.


[9]                 Il ne revient pas au juge d'une requête interlocutoire d'effectuer une évaluation complète du fond de l'argumentation des parties. Je suis cependant convaincu que la demande n'est ni vexatoire ni frivole. Je suis convaincu qu'en application du premier volet de l'analyse en trois étapes énoncée dans RJR-Macdonald, précité, il existe une question sérieuse à juger.

[10]            Dans RJR-Macdonald, la Cour suprême a défini le préjudice irréparable de la façon suivante :

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue. C'est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu'une partie ne peut être dédommagée par l'autre.

Les demandeurs pourraient être expulsés de leurs demeures si la défenderesse mettait à exécution sa menace et leur remettait des avis de défaut en vue de résilier leurs sous-baux. Je suis convaincu qu'ils subiraient un préjudice irréparable au sens de la définition susmentionnée.

[11]            Finalement, selon le troisième volet de l'analyse en trois étapes, je dois décider « [...] laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond. » (Metropolitan Stores, précité, à la page 334). Me fondant sur le dossier, je suis convaincu que les demandeurs risqueront de subir le plus grand préjudice si l'injonction n'est pas accordée. La défenderesse sera en mesure de recouvrer tout montant de loyer impayé si elle a gain de cause dans l'action sous-jacente. Par contre, les demandeurs, même si leur action est accueillie, se trouveront sans demeure si leurs sous-baux sont résiliés, et il serait peu probable qu'ils puissent retourner dans leurs maisons. Je conclus que la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

[12]            Ayant examiné attentivement le dossier et entendu les observations des parties, je suis convaincu que les demandeurs ont satisfait à l'analyse en trois étapes établie dans RJR-Macdonald, précité, et que la délivrance de l'injonction est juste et équitable eu égard à toutes les circonstances de l'espèce.

[13]            Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j'accorderai donc l'injonction.

ORDONNANCE

[14]            La Cour ordonne :

1)                    Une injonction est délivrée pour interdire à la défenderesse de résilier tout sous-bail en attendant l'évaluation du « juste loyer économique » au 1er mars 2000, qui sera effectuée par la présente Cour; cette injonction est conditionnelle à ce que chacun des demandeurs paie son loyer mensuel à la défenderesse à la date d'exigibilité, selon le montant payable le 29 février 2000.

2)                    Si un demandeur ne paie pas son loyer mensuel, conformément au paragraphe 15a) ci-haut, la défenderesse, moyennant un avis de 72 heures au demandeur défaillant, peut demander à la Cour que l'injonction soit levée à l'encontre de ce demandeur.

3)                    La requête est rejetée à tous les autres égards.


4)                    Il n'y aura pas d'adjudication de dépens relativement à la présente requête.

« Edmond P. BLANCHARD »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


                                                   COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                          T-1849-01

INTITULÉ :                                                        Ted Aird et autres c. Country Park Village Properties (Mainland) Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 26 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Blanchard

DATE :                                                                Le 3 décembre 2001

COMPARUTIONS :

Ian D. MacKinnon                                               POUR LES DEMANDEURS

George E.H. Cadman, C.R.                                POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robertson, Downe & Mullally              POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Boughton Peterson Yang Anderson                   POUR LA DÉFENDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

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