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Date : 20020426

Dossier : IMM-1986-01

Référence neutre : 2002 CFPI 478

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                JAIKARRAN UMED

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]              Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, à l'égard de la décision en date du 28 mars 2001 de l'agente d'immigration (l'agente d'examen CH). Dans cette décision, l'agente a refusé la demande du demandeur en vue d'obtenir, pour des considérations humanitaires (CH), une dispense de l'obligation de demander et de recevoir un visa d'immigrant avant de venir au Canada comme l'exige le paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, précitée.

[2]             Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision de l'agente d'examen CH et renvoyant la question en vue d'une nouvelle décision.

Les faits àl'origine du litige

[3]                 Le demandeur, Jakiarran Umed, est un citoyen de la Guyane.

[4]                 En 1981, le demandeur a épousé Hamwattie. Le demandeur et son épouse ont eu trois enfants ensemble en Guyane, soit deux filles et un garçon, qui sont tous nés entre 1983 et 1987.

[5]                 En 1993, les deux filles du couple ont été adoptées par leurs grands-parents (soit les parents de Hamwattie). En 1995, les grands-parents ont été parrainés par leur fils afin d'immigrer au Canada. Les deux filles et la soeur d'Hamwaittie étaient couvertes par la demande de parrainage et sont venues au Canada avec les grands-parents. Les deux filles sont maintenant citoyennes du Canada.

[6]                 En 1995, le demandeur et Hamwattie ont divorcé. Au cours de son entrevue, le demandeur a dit que c'est son problème d'alcool qui a entraîné la rupture du mariage en 1995, mais il a ajouté qu'il a réglé son problème depuis ce temps.

[7]                 En 1996, Hamwaittie et le fils du couple sont venus au Canada. Hamwaittie a été parrainée par son époux canadien à l'époque, Isaac Bolan. Hamwaittie et son fils sont maintenant citoyens du Canada. Hamwaittie et M. Bolan se sont séparés en 1997 et ont finalisé leur divorce en 1998.

[8]                 En 1998, alors qu'il se trouvait encore en Guyane, le demandeur a épousé la soeur d'Hamwaittie et a ensuite présenté une demande d'immigration au Canada en se faisant parrainer par sa nouvelle épouse. La demande a été refusée au motif que le mariage était un mariage de convenance seulement et que le demandeur voulait venir au Canada dans le seul but de vivre avec Hamwaittie et ses trois enfants ici.

[9]                 Le demandeur est arrivé au Canada sans statut le 1er novembre 1998. Dès son arrivée, il a commencé à vivre au Canada avec Hamwaittie, les trois enfants biologiques du couple et les grands-parents. Le demandeur a épousé à nouveau Hamwaittie le 24 mai 1999 et continue à vivre avec elle, leurs trois enfants et les grands-parents.

[10]            En août 1999, le demandeur a déposé une demande d'établissement fondée sur des considérations humanitaires. Au soutien de sa demande, il a invoqué la relation qu'il a avec son épouse et ses enfants canadiens. Le demandeur et son épouse ont été interrogés en décembre 2000 et en janvier 2001.

[11]            La demande de dispense pour des considérations humanitaires relative à l'obligation prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration a été rejetée. La présente décision concerne le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'examen CH.

Arguments du demandeur

[12]            Le demandeur soutient que, par suite du jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, la norme d'examen applicable à la décision de l'agente d'examen CH en l'espèce est la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[13]            De l'avis du demandeur, le paragraphe 6.1 des Directives en matière d'immigration énonce que des considérations humanitaires existent lorsque « des difficultés inhabituelles, injustes ou indues » seraient causées à la personne sollicitant une dispense si elle devait quitter le Canada.

[14]            Le demandeur cite le jugement qu'a rendu le juge Nadon dans Legault c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 277, au soutien de l'importance primordiale à accorder à l'intérêt supérieur des enfants. Voici comment le juge Nadon s'est exprimé à la page 306 :

En conclusion, je suis d'avis que l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Baker appelle un certain résultat, et ce résultat est que, sauf les cas exceptionnels, l'intérêt supérieur des enfants doit prévaloir. Selon mon interprétation de l'arrêt Baker, si le décideur est d'avis que l'intérêt supérieur des enfants commande qu'ils demeurent au Canada avec leur père ou leur mère ou les deux, alors ce décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des parents qui sollicitent la dispense. À mon avis, rares seront les cas où l'agent d'immigration sera fondé à conclure que l'intérêt supérieur des enfants n'exige pas que la demande de dispense présentée par leurs parents soit accordée.

[15]            Selon le demandeur, l'agente d'examen CH a examiné l'intérêt de ses enfants de façon sommaire, tout au plus, et n'a pas accordé à cette question l'attention exigée d'après le raisonnement que la Cour suprême du Canada a suivi dans l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), précité.

[16]            Le demandeur fait valoir que le simple fait de dire qu'il a permis l'adoption des deux filles ne constitue pas un examen suffisant de l'intérêt supérieur des enfants en question.


[17]            De l'avis du demandeur, l'agente d'examen CH a décidé qu'il ne s'était pas occupé convenablement de l'éducation de son fils, puisqu'il a déclaré ignorer où celui-ci se trouvait lorsqu'il est arrivé au Canada. Le demandeur allègue que l'agente d'examen CH, de ce fait, a commis une erreur, étant donné qu'elle avait conclu précédemment que le demandeur n'était pas crédible quant à la question de savoir s'il était au courant de l'endroit où son fils et son épouse se trouvaient à son arrivée au Canada. Le demandeur estime qu'il s'agit là d'une conclusion de fait contradictoire qui constitue une erreur de droit et indique que la décision était déraisonnable.

[18]            Le demandeur ajoute qu'il a le droit d'avoir deux intentions, celle d'être avec son épouse et ses enfants et celle de vivre au Canada en permanence. Selon lui, l'agente d'examen CH en est arrivée à une conclusion déraisonnable en statuant qu'étant donné qu'il visait la deuxième intention, sa demande devrait être rejetée et une décision portant que le mariage était un mariage de convenance devrait être rendue. Le demandeur soutient que l'un des objectifs des dispositions législatives est de faciliter la réunification des familles.

[19]            Selon le demandeur, l'agente d'examen CH avait jugé à l'avance la demande CH et cette conduite donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. De l'avis du demandeur, l'attitude que l'agente d'examen CH a adoptée à l'entrevue indique qu'elle avait une opinion arrêtée au sujet de la question de savoir s'il vivait une relation véritable, si des considérations humanitaires prépondérantes avaient été établies et si, dans ce contexte, le mariage était véritable.

Arguments du défendeur

[20]            Le défendeur soutient que la norme d'examen est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[21]            De l'avis du défendeur, les motifs de la décision de l'agente d'examen CH concernent principalement le déroulement des événements et le raisonnement qu'elle a suivi pour conclure que le demandeur s'était marié pour obtenir le statut d'immigrant. Le défendeur fait valoir que, compte tenu des faits portés à l'attention de l'agente d'examen CH, cette conclusion était certainement raisonnable, sinon inévitable, et qu'elle a une importance considérable quant à la question de l'intérêt supérieur des enfants du demandeur, étant donné que celui-ci a épousé Hamwattie une deuxième fois pour une fin autre que celle de vivre avec elle et continuer à s'acquitter de ses responsabilités parentales.

[22]            Le défendeur fait valoir que, compte tenu de la conclusion à laquelle elle en est arrivée quant à l'absence de crédibilité en ce qui a trait au deuxième mariage, il était loisible à l'agente d'examen CH de statuer que l'intérêt des enfants biologiques du demandeur ne serait pas lésé si la demande était refusée.

[23]            Le défendeur ajoute que le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve crédible indiquant qu'il s'acquittera de son rôle de parent envers ses enfants.


[24]            Le défendeur reconnaît qu'il existe une contradiction apparente dans le raisonnement de l'agente d'examen CH, puisqu'elle semble avoir à la fois accepté et rejeté la déclaration du demandeur selon laquelle il ignorait où son fils se trouvait lorsqu'il est arrivé au Canada en 1998. De l'avis du défendeur, il ne s'agit pas là d'une erreur susceptible de révision, car l'agente d'examen CH était pleinement justifiée de douter de la crédibilité du demandeur.

[25]            Le défendeur allègue que la conclusion de l'agente d'examen CH selon laquelle le mariage était un mariage de convenance était appuyée par plusieurs facteurs autres que le simple désir du demandeur d'habiter au Canada. De l'avis du défendeur, la décision de l'agente d'examen CH révèle un stratagème élaboré dans le cadre duquel bon nombre de membres d'une même famille ont réussi à obtenir le droit d'établissement en créant et rompant différentes relations; c'est ce qui s'est produit, notamment, lorsque le demandeur a épousé la soeur de sa femme en 1997.

[26]            Le défendeur allègue que le dossier ne renferme aucun élément soulevant une crainte de partialité de la part de l'agente d'examen CH.

[27]            Question en litige

La décision de l'agente d'examen CH était-elle raisonnable?

Dispositions législatives, règles et règlements pertinents

[28]            Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration, précitée :


9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

82.1 (1) La présentation d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ne peut, pour ce qui est des décisions ou ordonnances rendues, des mesures prises ou de toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application - règlements ou règles - se faire qu'avec l'autorisation d'un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale.

82.1 (1) An application for judicial review under the Federal Court Act with respect to any decision or order made, or any matter arising, under this Act or the rules or regulations thereunder may be commenced only with leave of a judge of the Federal Court - Trial Division.

114.(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114.(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

  

Analyse et décision

  

[29]            Question en litige

La décision de l'agente d'examen CH était-elle raisonnable?

Je conviens avec les parties que la norme d'examen applicable à la décision de l'agente d'examen CH en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[30]            L'agente d'examen CH dresse une liste exhaustive des événements qui sont survenus, y compris les différents mariages et divorces, et résume l'évolution du dossier d'immigration du demandeur et d'Hamwaittie. Elle s'exprime ensuite en ces termes :

[TRADUCTION] Compte tenu de l'historique des événements survenus au cours d'une période de cinq ans et demi, la crédibilité de l'intéressé et de son épouse est sérieusement minée. Il semble que tous deux ont comploté pour contourner les exigences canadiennes en matière d'immigration et ont systématiquement conçu un stratagème frauduleux dont la dernière étape consiste pour l'intéressé à obtenir le statut de résident permanent au Canada.

[31]            Depuis le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Baker, un agent d'immigration doit tenir compte de l'intérêt supérieur des enfants. À mon avis, il n'a pas été tenu compte de cet intérêt en l'espèce. Le fils du demandeur n'a pas été autorisé à assister à l'entrevue. Il n'est pas fait mention de la relation entre le demandeur et son fils. À la date de l'entrevue, soit le 28 mars 2001, le fils était âgé de près de 11 ans. Le demandeur a mentionné à l'agente qu'il avait des liens étroits avec son fils et son témoignage n'a pas été contredit. Le dossier ne renferme aucune évaluation de l'intérêt supérieur du fils.

[32]            Voici un extrait du chapitre IP5 de la publication du défendeur intitulée « Demandes d'établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH) » (section 8.5) :

Séparation des parents et enfants (hors de la catégorie des parents)

(Code des catégories spéciales - SOF)

Le renvoi du Canada d'un individu sans statut peut avoir des répercussions sur les membres de la famille qui eux ont le droit légal de demeurer au Canada (p. ex., des résidents permanents ou des citoyens canadiens). La séparation géographique des membres de la famille pourrait occasionner des difficultés susceptibles de justifier une décision CH favorable. Outre le conjoint ou le conjoint de fait ou de même sexe (voir les sections 8.1 et 8.2), les autres membres de la famille ayant un statut légal peuvent inclure les enfants, le père et la mère, les frères et soeurs, etc.


Dans l'évaluation de ces cas, il faut tenir compte des intérêts différents et importants qui sont en jeu :

- l'intérêt du Canada (à la lumière de l'objectif de la loi de maintenir et de garantir la santé, la sécurité et l'ordre public au Canada);

- les intérêts de la famille (à la lumière de l'objectif de la loi de faciliter la réunion de la famille);

- les circonstances de tous les membres de la famille, en accordant une attention particulière aux intérêts et à la situation des enfants de l'individu sans statut.

[33]            Dans la présente affaire, l'agente d'examen CH a évalué en détail le dossier d'immigration du demandeur, mais n'a pas examiné l'intérêt supérieur des enfants. Je ne puis dire ce qu'aurait été la décision de l'agente si cette évaluation avait été faite. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l'affaire doit être renvoyée à un agent différent en vue d'une nouvelle décision.

[34]            Étant donné que la conclusion susmentionnée tranche le sort de la présente demande, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres questions que le demandeur a soulevées.

[35]            Aucune des parties ne désirait faire certifier une question grave de portée générale.

  

ORDONNANCE

[36]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un agent différent en vue d'une nouvelle décision.

  

                                                                                 « John A. O'Keefe »        

                                                                                                             Juge                        

  

Ottawa (Ontario)

Le 26 avril 2002

    

Traduction certifiée conforme

   

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               IMM-1986-01

INTITULÉ :                              Jaikarran Umed c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 30 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR : Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                     le 26 avril 2002

COMPARUTIONS:

Ronald Poulton                                                     POUR LE DEMANDEUR

Kevin Lunney                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)                                                              POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

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