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Date : 20041110

Dossier : T-1232-02

Référence : 2004 CF 1585

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                          

ENTRE :

                                                            BRIAN R. LATHAM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

SA MAJESTÉ LA REINE ET SON SERVITEUR, LE SOLLICITEUR

GÉNÉRAL DU CANADA, ET SES REPRÉSENTANTS, LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES ET LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                M. Brian Latham purge une peine d'emprisonnement d'une durée indéterminée au pénitencier de la Saskatchewan. Il a été reconnu coupable en 1987 d'agression sexuelle et déclaré délinquant dangereux. La Commission nationale des libérations conditionnelles a examiné le dossier de M. Latham périodiquement conformément au paragraphe 761(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (les dispositions législatives pertinentes sont énoncées dans l'annexe ci-jointe). À la suite d'une audience tenue en janvier 1992, la Commission a conclu qu'aucune forme de mise en liberté sous condition ne devait lui être accordée parce qu'il présentait un risque inacceptable pour la société.

[2]                M. Latham en a appelé à la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles, laquelle a confirmé la décision en juillet 2002. Il allègue que la Section d'appel a commis un certain nombre d'erreurs et il prie la Cour d'ordonner une nouvelle audience.

[3]                Même si M Latham a fort habilement présenté sa cause, je ne vois aucun motif d'annuler la décision de la Section d'appel. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Questions en litige

1.          La Commission et la Section d'appel se sont-elles appuyées sur des renseignements erronés, incomplets et préjudiciables dans le dossier de M. Latham?

2.          La Section d'appel a-t-elle fait erreur en concluant que la Commission n'avait pas fait preuve de partialité?

3.          Les droits de M. Latham garantis par l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés ont-ils été violés?


[4]                Au début de son argumentation, M. Latham m'a dit qu'il désirait rappeler des événements et des décisions qui ont précédé l'appel devant la Section d'appel. Plus particulièrement, il a allégué des erreurs commises par la Commission et une conduite répréhensible du Service correctionnel du Canada. Je lui ai permis de faire ces observations même si elles ne se rapportaient pas directement à la décision de la Section d'appel, dans la mesure où ses arguments semblaient être liés à l'équité générale de la procédure devant la Section d'appel. Madame la protonotaire Roza Aronovitch avait décidé en février 2003 que M. Latham pouvait solliciter le contrôle judiciaire d'une seule décision (celle de la Section d'appel) et elle avait rejeté sa demande en vue de la production d'autres documents. Ma décision à l'audience n'a pas contredit son ordonnance. Cela a tout simplement permis à M. Latham de bénéficier d'une certaine latitude dans la façon de présenter les questions en litige à la Cour.

II. Analyse

[5]                La décision de la Section d'appel peut être annulée seulement si elle était manifestement déraisonnable, en ce sens qu'elle était entièrement incompatible avec la preuve présentée (Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 241 (1re inst.) (QL)), si elle était l'aboutissement d'une procédure injuste (Hay c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1991] A.C.F. no 561 (1re inst.) (QL)), ou s'il a été porté atteinte aux droits constitutionnels de M. Latham (Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385). Les arguments de M. Latham se rapportaient principalement à des questions d'équité et aux droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

1. La Commission et la Section d'appel se sont-elles appuyées sur des renseignements erronés, incomplets et préjudiciables dans le dossier de M. Latham?


[6]                M. Latham a allégué que la Commission et la Section d'appel ont fait erreur en tenant compte de renseignements erronés, incomplets et préjudiciables.

[7]                Premièrement, il a fait valoir que la Commission avait fait erreur en qualifiant d'agressions sexuelles, au lieu de voies de fait simples, les actes pour lesquels il avait été déclaré coupable en Australie en 1970. Si l'on se fie à son dossier, M. Latham a été reconnu coupable de trois agressions à l'endroit de femmes. La Section d'appel a noté qu'au moins deux de ces agressions avaient une « connotation sexuelle » et, par conséquent, elle a conclu que l'erreur de qualification de ces actes par la Commission n'avait causé aucun préjudice réel à M. Latham. Quoi qu'il en soit, elle a par ailleurs ordonné à la Commission de corriger son erreur.

[8]                M. Latham a également laissé entendre que la Section d'appel s'était appuyée sur une preuve qui n'était pas digne de foi. Il a relevé des contradictions entre le mandat d'incarcération lié aux accusations portées contre lui en Australie, une lettre du commissaire adjoint de la police de Sydney, en Nouvelle-Galles du Sud, datée du 30 juillet 1971 et les dossiers de la GRC sur ses condamnations. Dans ces documents, les dates précisées pour ses condamnations en Australie diffèrent quelque peu. De plus, l'un de ces documents fait état d' « agressions sur des femmes » et un autre de « voies de fait simples » . M. Latham prétend que ces documents ne sont pas dignes de foi et qu'ils n'auraient pas dû être pris en considération pour décider s'il pouvait avoir droit à une mise en liberté sous condition.


[9]                Ces contradictions n'ont pas été portées à l'attention de la Section d'appel ou de la Commission. Quoi qu'il en soit, elles ne sont nettement pas suffisantes pour mettre en doute l'essence des renseignements contenus dans ces documents. M. Latham m'a demandé d'ordonner que son dossier soit clarifié. Par ailleurs, la procédure indiquée pour faire corriger un dossier institutionnel consiste à demander au Service correctionnel du Canada qu'il en effectue la correction (article 24 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20) ou à solliciter le contrôle judiciaire de la décision du commissaire du Service correctionnel du Canada : Tehrankari c. Canada (Service correctionnel) 2001 CFPI 918, [2001] A.C.F. no 1275 (1re inst.) (QL).

[10]            M. Latham s'est plaint que la lettre du commissaire adjoint de la police ne lui avait pas été communiquée avant le 24 octobre 2002, à savoir des mois après l'audience relative à sa remise en liberté sous condition et l'appel. Toutefois, un résumé de son contenu lui avait été communiqué plus d'un an auparavant, bien avant l'audience et l'appel, dans un Suivi du plan correctionnel. Même si la source première des renseignements n'était pas précisée, M. Latham a assurément eu la possibilité de répondre aux allégations concernant les accusations portées contre lui en Australie dans les observations qu'il a présentées à la Commission et à la Section d'appel. M. Latham n'a été victime d'aucune injustice.


[11]            M. Latham a allégué que la Section d'appel avait eu tort de ne pas désapprouver la prise en considération par la Commission d'une menace soi-disant proférée à l'endroit d'un membre du personnel. Au moment de l'audience devant la Commission, l'enquête concernant cette affaire était toujours en cours. La Section d'appel a noté que la Commission savait que l'affaire n'était pas réglée. En outre, la Commission ne s'est pas appuyée uniquement sur cet incident pour conclure que M. Latham avait éprouvé des difficultés dans ses relations avec le personnel correctionnel. Elle a fait état d'autres conflits opposant M. Latham aux membres du personnel et de problèmes à se conformer aux instructions des personnes exerçant l'autorité. Tout bien considéré, la Commission a conclu que ces difficultés donnaient à penser que la surveillance de M. Latham dans la collectivité pourrait ne pas être efficace. Je ne vois aucune erreur de la part de la Section d'appel dans la conclusion selon laquelle la Commission avait convenablement examiné la preuve dont elle disposait.

[12]            De plus, M. Latham a allégué que la Section d'appel a fait erreur lorsqu'elle a conclu que sa mise en liberté sous condition s'était déjà révélée un échec au plan de la protection du public. La Section d'appel a fait état de deux condamnations de M. Latham en 1974 pour des infractions commises alors qu'il était sous surveillance dans la collectivité. M. Latham a fait remarquer qu'il avait obtenu une libération conditionnelle relativement à une infraction antérieure en 1966 et qu'il n'avait commis aucune infraction alors qu'il était sous surveillance. À mon avis, la Section d'appel pouvait prendre note des infractions commises par M. Latham alors qu'il était sous surveillance. Encore une fois, je ne vois aucune erreur dans la décision de la Section d'appel concernant cette question.

[13]            M. Latham a fait valoir que son dossier renferme un rapport psychiatrique imprécis et outrageux qui faisait état de deux inculpations d'agression sexuelle pour lesquelles M. Latham avait été acquitté et d'une troisième pour laquelle une suspension d'instance avait été inscrite parce que la plaignante refusait de témoigner. Le rapport mentionnait également deux condamnations pour viol pour lesquelles M. Latham s'est vu infligé des peines de quatre ans et douze ans respectivement. Il a allégué que la Commission devait seulement tenir compte des condamnations, sinon il serait porté atteinte à son droit d'être présumé innocent en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Il soutient que la Section d'appel a commis une erreur en concluant différemment.

[14]            La culpabilité ou l'innocence d'une personne n'est pas une question à débattre aux audiences de libération conditionnelle. La Commission peut prendre en compte, outre les condamnations, d'autres éléments de preuve concernant la conduite du délinquant, pourvu que les renseignements soient dignes de foi et raisonnablement spécifiques (Okeiynan c. Canada (Pénitencier de Prince Albert), [1988] A.C.F. no 261 (1re inst.) (QL); Prasad c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1991] A.C.F. no 1165 (1re inst.) (QL); Giroux c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1994] A.C.F. no 1750 (1re inst.) (QL)). Je ne peux conclure que M. Latham a subi une injustice par suite de l'inclusion du rapport psychiatrique dans son dossier. La Commission et la Section d'appel pouvaient tenir compte de cette preuve. Quoi qu'il en soit, rien n'indique dans les motifs de l'une et l'autre que c'est ce qu'elles ont effectivement fait.

[15]            Il n'y a donc pas lieu de conclure que la preuve examinée était inappropriée en quoi que ce soit.


2. La Section d'appel a-t-elle fait erreur en concluant que la Commission n'avait pas fait preuve de partialité?

[16]            M. Latham a soulevé la question de la partialité à l'égard de trois points. Premièrement, il a allégué que la prise en considération par la Commission des renseignements dont il a été question précédemment démontrait une approche partiale à son égard. Étant donné que j'ai conclu que cette preuve pouvait être prise en considération, je dois rejeter cet argument.

[17]            Deuxièmement, M. Latham s'est plaint à la Section d'appel qu'un certain membre de la Commission n'aurait pas dû être autorisé à voter dans le dossier le concernant parce que celui-ci avait siégé plusieurs fois antérieurement lors d'examens en vue de sa libération conditionnelle. La Section d'appel a rejeté cet argument et M. Latham n'a pas contesté très à fond cette décision devant moi.


[18]            Troisièmement, M. Latham a prétendu qu'un membre de la Section d'appel ne peut siéger dans un appel subséquent intéressant la même personne. Dans le cas de M. Latham, l'un des membres avait participé à une décision d'appel en 2000 ainsi qu'à la décision de 2002 qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire. M. Latham a invoqué le paragraphe 146(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui prévoit que « le membre d'un comité de la Section d'appel qui ordonne un nouvel examen [¼] ne peut faire partie d'un comité de la Commission qui procède au réexamen ni d'un comité de la Section d'appel qui par la suite est saisi du dossier en appel » . Si je comprends bien cette disposition, un membre de la Section d'appel ne peut siéger en appel puis comme membre régulier de la Commission, ou par la suite à la Section d'appel, relativement au même dossier. Cette disposition n'empêche pas le membre de siéger dans un appel subséquent et différent intéressant la même personne. Par conséquent, je dois rejeter l'argument de M. Latham sur ce point.

3. Les droits de M. Latham garantis par l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés ont-ils été violés?

[19]            M. Latham est en prison depuis 17 ans, soit depuis qu'il a été déclaré délinquant dangereux. Il maintient que si une peine avait été déterminée pour les dernières infractions qui ont entraîné la déclaration de délinquant dangereux, il n'aurait purgé qu'un maximum de dix ans. Il allègue que la durée de son emprisonnement est exagérément disproportionnée par rapport à son inconduite, qu'elle constitue une peine cruelle et inhabituelle et, par conséquent, qu'elle viole l'article 12 de la Charte.


[20]            La Cour suprême du Canada a jugé que l'article 12 est enfreint dans les cas où la Commission a refusé sans motif raisonnable d'accorder une libération conditionnelle (voir Steele, précité). Pour décider si le refus de libérer le détenu sous condition est inconstitutionnel, la Cour doit déterminer si la Commission a soigneusement examiné les critères applicables prévus par la loi. Le juge Cory a affirmé : « S'il ressort clairement de la lecture du dossier que la Commission a mal appliqué ces critères ou n'en a pas tenu compte pendant un certain nombre d'années de sorte qu'un délinquant est resté en prison bien au-delà du moment où il aurait dû obtenir sa libération conditionnelle, alors la décision de la Commission de garder le délinquant en prison peut fort bien violer l'art. 12 » (paragraphe 67).

[21]            Les pouvoirs de la Commission découlent de l'énoncé de l'objet de la mise en liberté sous condition et de l'ensemble des principes qui l'accompagne (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, articles 100 et 101). La mise en liberté sous condition vise « à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois » . Dans l'exécution de ce mandat, la Commission doit considérer la protection de la société comme le « critère déterminant » (alinéa 101a)), tenir compte de toute l'information pertinente disponible (alinéa 101b)), communiquer avec les « autres éléments du système de justice pénale » (alinéa 101c)), appliquer le principe selon lequel « le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible » (alinéa 101d)), adopter et suivre les directives d'orientation générale (101e)) et fournir aux délinquants les renseignements pertinents « de manière à assurer l'équité et la clarté du processus » (alinéa 101f)).


[22]            Compte tenu de l'objet de la mise en liberté sous condition et des divers principes s'y rattachant, la Commission peut autoriser la libération conditionnelle en vertu de l'article 102 de la Loi si elle est d'avis « qu'une récidive du délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois » .

[23]            M. Latham n'a pas allégué que la Commission avait omis d'appliquer ces critères d'origine législative. Il a plutôt proposé que la Section d'appel a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour déterminer si, dans l'ensemble, sa peine était exagérément disproportionnée. Particulièrement, et outre les erreurs alléguées dont il a été discuté précédemment, M. Latham a soutenu que la Section d'appel a fait erreur en tenant compte de l'ensemble de ses antécédents criminels, et non des seules infractions pour lesquelles il a été condamné. Il a également allégué que la Section d'appel n'avait pas pris en compte les observations du juge chargé de la détermination de la peine.


[24]            Le juge Cory a mentionné dans l'arrêt Steele, précité, que toutes les circonstances pertinentes à l'égard de « l'infraction et du contrevenant » devaient être prises en compte pour décider si une peine d'une durée indéterminée est exagérément disproportionnée. Dans cette affaire, le délinquant avait commis une seule infraction de tentative de viol en 1953 et avait été déclaré atteint de « psychopathie sexuelle criminelle » . Il a été condamné à cinq ans d'emprisonnement et à une peine d'incarcération d'une durée indéterminée à purger successivement. Il avait purgé une peine totale de 37 ans au moment où il en a appelé à la Cour suprême du Canada. La Cour a examiné tout le dossier de M. Steele, y compris les diverses violations se rattachant à sa libération conditionnelle et ses difficultés avec l'alcool. Elle a conclu qu'il s'agissait d'un des cas exceptionnels où une peine à durée indéterminée était devenue exagérément disproportionnée. La Cour ne s'est pas penchée expressément sur la question de savoir si la Commission pouvait examiner tous les antécédents criminels du délinquant. Toutefois, elle a fait valoir à maintes reprises que toutes les circonstances devaient être prises en compte.

[25]            Dans la présente affaire, la Section d'appel a dit à M. Latham dans ses motifs qu'il était approprié et nécessaire pour la Commission d'évaluer le risque qu'il présentait à la lumière de tous ses antécédents criminels, et non de la seule infraction ayant donné lieu à la déclaration de délinquant dangereux. Elle a invoqué l'article 761 du Code criminel, qui impose à la Commission qu'elle « examine les antécédents et la situation » du délinquant pour décider si elle doit autoriser la libération conditionnelle.

[26]            À mon avis, la Section d'appel a adopté la bonne approche. Le Code criminel impose clairement l'examen général de la situation du délinquant. La Cour suprême a prescrit une approche semblable dans l'arrêt Steele, précité. En outre, les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition citées précédemment exigent que la Commission prenne en compte tous les renseignements pertinents pour décider si une personne peut être mise en liberté.


[27]            M. Latham a prétendu que l'approche adoptée par la Section d'appel est contraire à ce qui a été établi dans R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, décision par laquelle la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité des dispositions du Code criminel visant le délinquant dangereux. La Cour a expressément mentionné qu'une peine à durée indéterminée est infligée à l'égard de l'infraction particulière pour laquelle le délinquant a été déclaré coupable, et non à l'égard de ses divers antécédents criminels. Le juge La Forest a d'ailleurs mentionné ce qui suit :

De toute évidence, l'individu en question se voit condamner, quoique d'une manière inhabituelle, pour les « sévices graves à la personne » dont il a été reconnu coupable. Il faut se rappeler que l'appelant n'a pas été appréhendé à cause de ses actes criminels antérieurs (pour lesquels il a déjà été puni) ni à cause de craintes ou de soupçons quant à sa propension au crime, pour être ensuite soumis à une procédure visant à déterminer s'il valait mieux pour la société qu'il soit incarcéré indéfiniment. Il a plutôt été arrêté et poursuivi pour un crime violent très grave et soumis à une procédure destinée à déterminer la peine qu'il convenait de lui infliger dans les circonstances. (Voir la page 328.)

[28]            Les propos du juge La Forest ne signifient toutefois pas que, dans un examen subséquent, la Commission ne devrait pas tenir compte des circonstances autres que celles liées à l'infraction particulière pour laquelle le délinquant a été reconnu coupable. Tel qu'il a été mentionné, la Cour elle-même a recommandé dans Steele, précité, une approche générale pour décider si la peine est disproportionnée. Le juge La Forest n'a pas non plus laissé entendre que les antécédents criminels du délinquant n'étaient pas pertinents pour trancher la question de savoir si une peine à durée indéterminée devait lui être infligée. Ailleurs dans le jugement, il a parlé de la nécessité que l'infraction fasse partie d' « un comportement général caractérisé par la violence, par l'agressivité ou la brutalité, ou par l'incapacité à contrôler les impulsions sexuelles » (page 338). J'estime que l'approche adoptée par la Section d'appel relativement à la question de disproportion était compatible avec la jurisprudence courante.


[29]            M. Latham a également allégué que la Section d'appel et la Commission avaient omis de tenir compte de l'opinion du juge chargé de la détermination de la peine dans son dossier. Le juge Kroft avait dit que s'il devait condamner M. Latham à une peine d'une durée déterminée pour l'infraction qu'il avait commise, il lui infligerait une peine de sept à dix ans. M. Latham propose que la Section d'appel était tenue de prendre en considération ces remarques pour décider si la peine était exagérément disproportionnée.

[30]            L'argument de M. Latham est en apparence attrayant. En effet, en mettant l'accent sur l'importance des remarques du juge de procès, il laisse entendre qu'elles établissent un point de repère pour mesurer la disproportion. Évidemment, le terme « disproportion » est relatif. Il suppose une comparaison. M. Latham propose que la comparaison appropriée doit être établie entre la peine qu'il a réellement purgée (17 ans) et la peine qui aurait pu par ailleurs lui être infligée (maximum de 10 ans).


[31]            Je crois que la question est plus complexe. J'ai déjà souligné que la Cour suprême du Canada a jugé que la disproportion devrait être évaluée eu égard à toutes les circonstances de l'espèce. Cette conclusion ne laisse certainement pas entendre qu'il suffit de comparer la peine réellement purgée par le délinquant à la peine qui aurait pu lui être infligée, sinon cela reviendrait à écarter nombre de facteurs pertinents quant à la décision de le mettre en liberté. Il est vrai que, dans certains cas, il peut être nettement évident qu'une peine est largement disproportionnée par rapport à la conduite pour laquelle elle a été infligée. Cette simple comparaison que M. Latham propose pourrait être appropriée dans ce genre de cas. Mais je note que la Cour suprême du Canada n'a pas adopté cette approche dans l'arrêt Steele, précité, où le délinquant avait purgé une peine de 37 ans pour tentative de viol. En fait, le juge Cory a affirmé que « [i]l se peut que l'emprisonnement pendant plusieurs décennies ne justifie pas à lui seul la libération conditionnelle » (paragraphe 78). Il a également précisé qu' « [i]l arrivera très rarement qu'une cour de justice conclura qu'une peine est si exagérément disproportionnée qu'elle viole les dispositions de l'art. 12 de la Charte » (paragraphe 80).

[32]            Bien entendu, les observations du juge chargé de la détermination de la peine ne sont pas hors de propos. La Commission a l'obligation de tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents et dignes de foi et il est évident que les observations du juge de procès revêtent normalement une certaine importance. En effet, les principes dont s'inspire la Commission font expressément état de l'importance « [d]es motifs et [d]es recommandations du juge qui a infligé la peine » (alinéa 101b) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition). Toutefois, eu égard aux circonstances de l'espèce, je ne peux conclure que le défaut de signaler expressément ces remarques constitue en soi une analyse erronée de la disproportion. Je ne peux non plus conclure que cela équivaut nécessairement à une erreur donnant matière à révision.

[33]            Par conséquent, je dois rejeter les arguments de M. Latham selon lesquels ses droits constitutionnels garantis par l'article 12 de la Charte ont été répudiés.


III. Dispositif

[34]            Je ne vois aucun motif d'annuler la décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles en l'espèce et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

                                                                   JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                     « James W. O=Reilly »        

            Juge                     

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                Annexe



Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.),

Cruauté

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20

Exactitude des renseignements

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu'il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

Correction des renseignements

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.

Objet

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

Principes

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l'exécution de leur mandat par les principes qui suivent_:

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

b) elles doivent tenir compte de toute l'information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l'échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d'une part, et par la communication de leurs directives d'orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu'au public, d'autre part;

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

e) elles s'inspirent des directives d'orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

Critères

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d'avis qu'une récidive du délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

Constitution de la Section d'appel

146. (1) Est constituée la Section d'appel composée d'un maximum de six membres de la Commission - dont le vice-président - choisis par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre, parmi les membres à temps plein nommés en vertu de l'article 103.

                             [...]

Idem

(3) A member of a panel of the Appeal Division that orders a new review of a case pursuant to subsection 147(4) may not sit on the panel of the Board that reviews the case or on a panel of the Appeal Division that subsequently reviews the case on an appeal.

Code criminel, L.R..C. 1985, ch. C-46

Révision

761. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission nationale des libérations conditionnelles examine les antécédents et la situation des personnes mises sous garde en vertu d'une sentence de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée dès l'expiration d'un délai de sept ans à compter du jour où ces personnes ont été mises sous garde et, par la suite, tous les deux ans au plus tard, afin d'établir s'il y a lieu de les libérer conformément à la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et, dans l'affirmative, à quelles conditions.

Idem

(2) La Commission nationale des libérations conditionnelles examine, au moins une fois par an, les antécédents et la situation des personnes mises sous garde en vertu d'une sentence de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée imposée avant le 15 octobre 1977 afin d'établir s'il y a lieu de les libérer conformément à la partie II de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et, dans l'affirmative, à quelles conditions.

Canadian Charter of Rights and Freedoms, Part I of the Constition Act, 1982, being Schedule B to the Canada Act (U.K.), 1982, c. 11

Treatment or puhishment

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

Corrections and Conditional Release Act, S.C. 1992, c. 20

Accuracy, etc., of information

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

Correction of information

(2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

(a) the offender may request the Service to correct that information; and

(b) where the request is refused, the Service shall attach to the information a notation indicating that the offender has requested a correction and setting out the correction requested.

Purpose of conditional release

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

Principles guiding parole boards

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

(c) that parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system and through communication of their policies and programs to offenders, victims and the general public;

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies;

Criteria for granting parole

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

Constitution of Appeal Division

146. (1) There shall be a division of the Board known as the Appeal Division, consisting of not more than six full-time members designated by the Governor in Council on the recommendation of the Minister from among the members appointed pursuant to section 103, and one of those members shall be designated Vice-Chairperson, Appeal Division.

                               ...

Idem

(3) A member of a panel of the Appeal Division that orders a new review of a case pursuant to subsection 147(4) may not sit on the panel of the Board that reviews the case or on a panel of the Appeal Division that subsequently reviews the case on an appeal.    

Criminal Code, R.S.C. 1985, c. C-46

Review for parole

761. (1) Subject to subsection (2), where a person is in custody under a sentence of detention in a penitentiary for an indeterminate period, the National Parole Board shall, as soon as possible after the expiration of seven years from the day on which that person was taken into custody and not later than every two years after the previous review, review the condition, history and circumstances of that person for the purpose of determining whether he or she should be granted parole under Part II of the Corrections and Conditional Release Act and, if so, on what conditions.

Idem

(2) Where a person is in custody under a sentence of detention in a penitentiary for an indeterminate period that was imposed before October 15, 1977, the National Parole Board shall, at least once in every year, review the condition, history and circumstances of that person for the purpose of determining whether he should be granted parole under Part II of the Corrections and Conditional Release Act and, if so, on what conditions.




COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-1232-02

INTITULÉ :                                                                 BRYAN R. LATHAM

c.

SA MAJESTÉ LA REINE, ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         SASKATCHEWAN

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 20 MAI 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                              LE 10 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS:

Bryan Latham                                                                         POUR SON PROPRE COMPTE

Rochelle Wempe                                                       POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BRYAN LATHAM                                                       POUR SON PROPRE COMPTE

Saskatoon (Saskatchewan)

MORRIS ROSENBERG                                            POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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