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Date : 20031202

Dossier : IMM-1608-02

Référence : 2003 CF 1408

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN        

ENTRE :

                                                        FREDERICK CAMPAYNE

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle l'agente d'immigration, S.K. Brady, a refusé la demande de résidence permanente au Canada du demandeur au motif qu'il était non admissible suivant le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, parce que son état de santé « entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services [...] de santé » .


[2]                Le demandeur a appris qu'il souffrait de diabète type 2 en 1990. Il a réussi à stabiliser le diabète par un régime, de l'exercice et des pilules. Il voit un médecin spécialiste environ tous les neuf à douze mois et il n'a besoin d'aucun autre traitement en particulier. Il dit qu'il est [traduction] « en bonne santé, apte à travailler et qu'il travaille » .

[3]                Cependant, le défendeur a évalué l'état de santé du demandeur et il a diagnostiqué une néphropathie diabétique. Voici la « Déclaration médicale » préparée par la Dre M. Cooper, datée du 2 avril 2001 et confirmée par le Dr J. Saint-Germain le 4 mai 2001 :

[traduction] Le demandeur, âgé de 61 ans, souffre de néphropathie diabétique. La clairance de la créatinine (établie à la moitié de la valeur habituelle pour ce groupe d'âge), le niveau élevé de créatinine sérique et une excrétion protéique de plus de 300 mg par jour révèlent une détérioration de la fonction rénale. Il présente d'autres symptômes de détérioration des organes sous forme notamment d'exsudat diabétique oculaire, détérioration causée par le diabète de longue date. La détérioration de la fonction rénale est aggravée par l'hypertension, facteur qui, on le sait, accélère l'insuffisance rénale.

Son état est tel qu'il est raisonnable de s'attendre à une détérioration progressive de la fonction rénale qui nécessitera un suivi et un traitement continuel par des spécialistes en diabète et en néphrologie. Toutes détérioration ou complications additionnelles de l'état du rein déjà endommagé du demandeur feraient en sorte que ce dernier aurait besoin de services hospitaliers spécialisés à des fins de diagnostic et de traitement. Ces services sont onéreux et très demandés. S'il était admis au Canada, ses besoins en services entraîneraient probablement un fardeau excessif pour le système de soins de santé tant pour ce qui concerne les coûts que pour ce qui est d'empêcher les citoyens canadiens d'avoir accès à des ressources très demandées. Le demandeur est donc non admissible conformément au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

[4]                Les autres preuves médicales comprenaient un rapport daté du 20 mars 2001 du Dr Alan Patrick, néphrologue à Trinidad. Le docteur a également diagnostiqué une néphropathie diabétique chez le demandeur. Il a dit :

[traduction] [...] Cette maladie est une maladie qui progresse lentement et qui peut être mieux contrôlée si la personne atteinte surveille sa pression artérielle et limite l'ingestion de protéines.

Si le patient respecte les consignes, s'il contrôle sa pression artérielle et limite son ingestion de protéines, la maladie serait, selon moi, contrôlée pendant environ dix (10) ans.

QUESTIONS EN LITIGE

[5]                Le demandeur soulève deux questions principales :

1.          Le défendeur a-t-il commis une erreur en concluant que l'état de santé du demandeur pourrait entraîner ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé au Canada, surtout si l'on considère que ces soins de santé ne seraient sans doute pas nécessaires avant une période de dix ans?

2.          Le défendeur a-t-il manqué à l'obligation d'équité en se fiant au Guide du médecin agréé et à d'autres documents, y compris des rapports de l'Association canadienne du diabète, sans avoir d'abord divulgué ces renseignements au demandeur?


DISPOSITION LÉGISLATIVE APPLICABLE

[6]                Le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration prévoit :


19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other hearth impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

[...]

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;


NORME DE CONTRÔLE

[7]                La conclusion selon laquelle l'état de santé du demandeur « entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif » pour les services de santé est une question de droit et de fait qui suppose une expertise médicale. Comme l'a dit la Cour d'appel fédérale, au paragraphe 65 de l'arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Hilewitz, non publié, A-560-02, daté du 12 novembre 2003 :


Si l'avis médical est fondé sur des preuves, les tribunaux doivent faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de fait sur lesquelles est fondé l'avis et sur la façon dont le médecin agréé a appliqué aux faits les dispositions législatives.

Par conséquent, la norme de contrôle est la décision raisonnable.

[8]                En ce qui concerne l'obligation d'agir équitablement, c'est une question de droit à laquelle s'applique la norme de la décision correcte.

a)          L'avis médical

[9]                L'avis médical de la Dre Cooper selon lequel le demandeur souffrait de néphropathie diabétique n'est pas en litige. La preuve démontre qu'il souffre d'une forme de diabète qui n'est pas courante. La Dre Cooper a constaté une détérioration de la fonction rénale, d'autres preuves de détérioration des organes sous forme notamment d'exsudat diabétique oculaire et de l'hypertension, facteur qui, on le sait, accélère l'insuffisance rénale. La Dre Cooper a dit que :

[traduction]

Son état est tel qu'il est raisonnable de s'attendre à une détérioration progressive de la fonction rénale qui nécessitera un suivi et un traitement continuel par des spécialistes en diabète et en néphrologie. Toutes détérioration ou complications additionnelles de l'état du rein déjà endommagé du demandeur feraient en sorte que ce dernier aurait besoin de services hospitaliers spécialisés à des fins de diagnostic et de traitement. Ces services sont onéreux et très demandés. S'il était admis au Canada, ses besoins en services entraîneraient probablement un fardeau excessif pour le système de soins de santé tant pour ce qui concerne les coûts que pour ce qui est d'empêcher les citoyens canadiens d'avoir accès à des ressources très demandées.

[10]            Le Dr Alan Patrick, néphrologue à Trinidad, a établi le même diagnostic et il a déclaré que le demandeur, s'il réussit à bien contrôler sa pression artérielle et son ingestion de protéines, pourra stabiliser son état de santé pendant une période d'environ dix ans. Au cours du contre-interrogatoire, la Dre Cooper a dit qu'elle avait compris par ce pronostic que l'insuffisance rénale surviendrait dans dix ans. Il aura bien entendu besoin, à ce moment-là, de dialyse rénale ou d'une greffe de rein.

[11]            En me fondant sur cette preuve, je conclus que l'avis du médecin agréé, selon lequel il faut s'attendre à une détérioration progressive de la fonction rénale qui nécessitera un traitement par des spécialistes et des services hospitaliers spécialisés, est raisonnable.


[12]            La seule question en suspens est de savoir à quel moment le demandeur aura besoin de services hospitaliers spécialisés pour traiter la détérioration de sa fonction rénale. Dans l'arrêt Hilewitz, la Cour d'appel fédérale a énoncé que la période applicable pour estimer le « fardeau excessif » pour les services de santé se limitait « à une période de cinq, voire de dix ans » . Ceci cadre avec la définition de « fardeau excessif » du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, qui fait référence à une période de cinq années consécutives, à moins qu'il y ait lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période. Dans un tel cas, la période applicable est d'au plus dix années consécutives. Cette définition n'était pas en vigueur au moment de la décision visée par la demande de contrôle, mais elle serait appliquée si la décision était annulée ou renvoyée. En l'espèce, selon la preuve médicale, le demandeur aura besoin de services hospitaliers spécialisés au cours des dix prochaines années pour traiter son insuffisance rénale. Par conséquent, la décision selon laquelle ces services spécialisés seraient nécessaires avant dix ans était raisonnable.

b)          Le devoir d'agir équitablement

[13]            Le demandeur a été avisé du diagnostic de néphropathie diabétique établi par le défendeur; de la détérioration de sa fonction rénale; du fait qu'il était raisonnable de s'attendre à une détérioration progressive de la fonction rénale et du fait que cette détérioration nécessitera des services hospitaliers spécialisés onéreux et très demandés. Le demandeur a également reçu une lettre dans laquelle le Dr Patrick disait catégoriquement que la maladie du demandeur était une maladie qui [traduction] « progress[ait] lentement » et qui, dans les meilleures conditions, pourrait être stabilisée pendant environ dix ans. Cela revient à dire qu'il faut s'attendre, dans environ dix ans, à une insuffisance rénale qui, à défaut de traitements hospitaliers spécialisés, entraînerait la mort. Il n'était pas nécessaire de préciser, dans les avis médicaux, que le traitement de l'insuffisance rénale était la dialyse ou une greffe de rein.


[14]            La Cour d'appel fédérale soutient, dans l'arrêt Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1575, que l'obligation d'agir équitablement n'implique pas que l'agent des visas doive communiquer au demandeur tous les détails de la méthode d'évaluation des médecins agréés. L'obligation d'agir équitablement exige plutôt de l'agent des visas qu'il donne au demandeur une possibilité raisonnable de répondre à une évaluation médicale défavorable, pourvu toujours que la déclaration médicale préparée par le médecin agréé en énonce clairement les motifs. D'après l'arrêt Jang, je suis convaincu que l'information fournie au demandeur en l'espèce est suffisante pour satisfaire aux exigences de l'obligation d'agir équitablement.

[15]            Le demandeur a eu une possibilité raisonnable de répondre à l'avis de l'agente des visas en ce qui concerne le fardeau excessif. L'avis médical établi à Trinidad a confirmé celui du défendeur selon lequel le demandeur aura besoin de services hospitaliers.

[16]            Le demandeur n'a fourni aucune preuve médicale qu'il ne souffrait pas de néphropathie diabétique, ou que les conséquences à long terme de son état de santé ne nécessiteraient pas la dialyse ou une greffe de rein dans les dix prochaines années.

QUESTION CERTIFIÉE

[17]            Les deux parties ont convenu que la présente demande ne soulevait aucune question grave de portée générale justifiant la certification. La Cour est d'accord, surtout parce que la période applicable pour déterminer un « fardeau excessif » a été fixée à dix ans en vertu du nouveau Règlement et que cette définition s'appliquerait si l'affaire était renvoyée pour nouvel examen.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu'aucune question ne soit certifiée.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »             

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1608-02

INTITULÉ :                                                    FREDERICK CAMPAYNE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 27 NOVEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 2 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Robin L. Seligman                                             POUR LE DEMANDEUR

Marcel Larouche                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin L. Seligman                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocate

30, avenue St-Claire Ouest

10e étage

Toronto (Ontario)

M4V 3A1

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20031202

                                            Dossier : IMM-1608-02

ENTRE :

FREDERICK CAMPAYNE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


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