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Date : 20030924

Dossier : IMM-926-03

Référence : 2003 CF 1122

Montréal (Québec), le 24 septembre 2003

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                                                NIRMAL GYAWALI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 22 janvier 2003, par laquelle la Commission a estimé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), ni une « personne à protéger » selon les alinéas 97(1)a) et b) de la Loi.


[2]                 Le demandeur est un ressortissant népalais âgé de 33 ans, qui revendique une protection à titre de réfugié au sens de la Convention, en raison de présumées opinions politiques ainsi qu'en raison d'une menace à sa vie et d'un risque sérieux de traitements ou peines cruels et inusités et/ou d'un risque de torture.

[3]                 Le demandeur est né dans la région du Népal appelée Lalitpur. Durant les années 1990, il travaillait pour l'ONG CARE, faisait des travaux administratifs dans un hôtel et était copropriétaire d'une quincaillerie.

[4]                 Il a affirmé ce qui suit :

[5]                 Le 21 septembre 1999, le demandeur visitait un village lorsqu'il a rencontré un groupe de rebelles maoïstes qui recueillaient des donations. Le demandeur a refusé de faire une donation et les rebelles l'ont menacé. Le lendemain, les rebelles maoïstes téléphonaient à la quincaillerie du demandeur pour exiger 50 000 roupies. Ils ont également menacé le demandeur et son associé après qu'ils refusèrent de payer.


[6]                 Le 13 novembre 1999, les rebelles maoïstes se sont rendus au magasin du demandeur pour exiger l'argent. Ils ont de nouveau menacé le demandeur. Le 27 février 2000, les Maoïstes sont retournés au magasin du demandeur avec des armes et ont exigé l'argent. Ils se sont mis à battre et frapper le demandeur et son associé lorsqu'ils refusèrent de payer et se sont emparés de l'argent qui se trouvait dans leur caisse. Le demandeur et son associé ont été soignés dans une clinique et ont décidé de vendre leur commerce.

[7]                 Le demandeur s'est mis à réfléchir aux moyens de quitter le pays et il songeait à étudier à l'étranger. Il a posé sa candidature dans des collèges au Canada. En juin 2000, le demandeur quittait son village pour Lalitpur, un trajet de six heures en véhicule. Les rebelles maoïstes sont allés le trouver à cet endroit également et l'ont menacé.

[8]                 Le 3 septembre 2000, le demandeur partait pour le Canada afin de commencer ses études. Après son départ, les rebelles maoïstes se sont rendus chez lui et ont menacé sa famille.

[9]                 Le demandeur avait songé à retourner au Népal après la fin de ses études, mais, durant la dernière semaine de janvier 2002, les rebelles maoïstes mettaient le feu à la maison et à la ferme de sa famille. Ils ont également pillé la maison et détruit le matériel agricole. Sa famille n'était plus en état de lui envoyer de l'argent.

[10]            Le demandeur a quitté Vancouver pour Montréal, puis revendiqué le statut de réfugié le 26 février 2002.

[11]            La décision de la Commission de rejeter la revendication du demandeur était fondée sur sa conclusion selon laquelle le demandeur n'avait pas produit une preuve crédible et digne de foi. La Commission a déclaré qu'elle avait de sérieux doutes sur ce qui avait poussé le demandeur à venir au Canada. Elle se demandait notamment pourquoi il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée au Canada s'il avait quitté son pays parce qu'il craignait pour sa vie. La Commission dit aussi que le délai de 17 mois qui s'est écoulé entre l'arrivée du demandeur au Canada et sa revendication du statut de réfugié nuisait à sa crédibilité générale.

[12]            La Commission a accordé beaucoup de poids à sa conclusion selon laquelle l'impossibilité pour la famille du demandeur de lui envoyer de l'argent était l' « événement déclencheur » qui l'avait conduit à revendiquer le statut de réfugié. De plus, le demandeur n'était pas allé trouver la police népalaise pour l'informer des ennuis que lui causaient les rebelles maoïstes, et il n'avait pas cherché à se réinstaller dans une agglomération urbaine plus importante, et, aux yeux de la Commission, c'était là d'autres facteurs qui l'incitaient à douter de la crédibilité du demandeur.

[13]            La Commission est donc arrivée à la conclusion que le comportement du demandeur ne s'accordait pas avec la véritable crainte subjective de persécution qui doit exister pour que soit admise une revendication du statut de réfugié.

[14]            La Commission a également jugé invraisemblable que le demandeur n'ait pas eu davantage d'ennuis avec les Maoïstes et elle se demande comment il se fait qu'il n'ait pas été plus sérieusement inquiété par eux, au lieu d'être seulement l'objet de menaces en 1999 et 2000. Aux yeux de la Commission, ce constat écornait encore la crédibilité du demandeur.

[15]            Le demandeur affirme d'abord qu'il n'avait pas l'obligation de revendiquer plus tôt le statut de réfugié. Il dit que, entre la date de son arrivée au Canada et la date de dépôt de sa revendication, il avait bénéficié d'un statut temporaire valide et n'était pas dans une position où il pouvait se voir contraint de retourner au Népal. Je partage son point de vue.

[16]            La jurisprudence montre qu'en général le fait pour un demandeur d'asile de ne pas revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée ou dans un délai raisonnable peut constituer un facteur important dans l'appréciation de la crédibilité du revendicateur (Huerta c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.), mais il est des cas où de telles conclusions défavorables ne peuvent pas être tirées et où la tardiveté du demandeur d'asile à revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée dans un pays signataire de la Convention ne peut à elle seule autoriser la Commission à douter de la crédibilité du revendicateur.


[17]            Dans l'arrêt Hue c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. n ° 283 (C.A.F.), l'appelant avait travaillé sur un navire pendant les cinq années qui s'étaient écoulées entre le jour où il avait quitté son pays et le jour où il avait revendiqué le statut de réfugié. La Cour a estimé que manifestement il ne craignait pas de devoir retourner dans son pays d'origine tant qu'il avait ses papiers de marin et un navire sur lequel naviguer. Cette crainte ne s'était réalisée que lorsqu'il avait reçu son congé du navire et qu'il devait se préparer à retourner aux îles Seychelles.

[18]            En l'espèce, le demandeur avait un visa d'étudiant et il avait aussi présenté une demande de résidence permanente. Il est clair que ce n'est que le jour où il a perdu le soutien financier qu'il recevait de sa famille au Népal qu'il a craint de devoir retourner dans son pays puisqu'il ne pouvait plus payer ses études. Il y a manifestement un parallèle direct à faire avec le marin travaillant sur le navire, qui finalement reçoit son congé et n'a d'autre endroit où aller que chez lui. Tous deux avaient quitté leur pays par crainte de la persécution et avaient trouvé un endroit sûr où demeurer et travailler, de telle sorte qu'ils ne ressentaient pas le besoin de demander le statut de réfugié puisqu'ils étaient en sécurité pour le moment. Soudainement, tous deux se sont rendu compte qu'ils devaient se préparer à retourner dans leur pays, en raison de circonstances sur lesquelles ils n'avaient aucune prise, et ils ont immédiatement produit une revendication.

[19]            Il n'est donc pas raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable au demandeur.

[20]            Le demandeur dit aussi que la Commission a commis une erreur parce qu'elle a ignoré des éléments de preuve qui montrent qu'il ne pouvait obtenir une protection d'État. Là encore, je partage l'avis du demandeur.

[21]            La Commission dit que le demandeur n'avait produit aucune preuve tendant à montrer qu'il avait demandé une protection aux autorités policières du Népal et qu'il n'avait pas cherché non plus à déménager dans une grande région urbaine telle que Katmandou pour fuir les rebelles. De plus, la Commission prétend qu'il n'est pas prouvé que les autorités ne l'auraient pas protégé s'il était allé leur demander de l'aide.

[22]            Cependant, le témoignage du demandeur montre clairement que les rebelles avaient menacé de le tuer s'il s'avisait un jour d'aller trouver la police, et c'était la raison pour laquelle il ne pouvait aller trouver la police et avait choisi de quitter le pays.

[23]            Il existait d'ailleurs une abondante preuve documentaire montrant que les menaces étaient extrêmement sérieuses et que, selon la propre preuve de la Commission, des membres des forces de l'ordre étaient tués en grand nombre par les rebelles.


[24]            Dans une telle situation, ainsi que l'écrivait le juge La Forest dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724 : « [...] le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale » .

[25]            Le demandeur affirme aussi que la Commission a interprété mal à propos la preuve se rapportant à sa possibilité de refuge intérieur (PRI) lorsqu'elle a donné à entendre qu'il aurait pu se rendre à Katmandou. La preuve montre que, avant de partir pour le Canada, le demandeur avait passé trois mois à Lalitpur, une ville qui se trouve de l'autre côté du fleuve, face à Katmandou. Les rebelles l'ont trouvé à cet endroit et l'ont de nouveau menacé. La Commission a donc mal interprété la preuve sur ce point.

[26]            Finalement, la Commission a conclu qu'il était invraisemblable que les rebelles n'aient pas été plus violents avec le demandeur. Encore une fois, la preuve documentaire montre que les Maoïstes se livrent aussi à l'intimidation, à la menace, au harcèlement et à l'extorsion envers la population civile du Népal. Il n'y avait donc rien d'invraisemblable dans le récit du demandeur.

[27]            En résumé, la Commission a commis de nombreuses erreurs sujettes à révision qui justifient l'intervention de la Cour.

[28]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée devant de nouveaux commissaires pour nouvelle audition et nouvelle décision.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission soit annulée et que l'affaire soit renvoyée devant d'autres commissaires pour nouvelle audition et nouvelle décision.

                                                                                                                         « Danièle Tremblay-Lamer »           

                                                                                                                                                                 Juge                                

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-926-03

INTITULÉ :                                        NIRMAL GYAWALI

                                                                                                                                                     demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 23 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                      le 24 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Me Michel Montbriand                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Thi My Dung Tran                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Michel Montbriand                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


      COUR FÉDÉRALE

Date : 20030924

Dossier : IMM-926-03

ENTRE :

NIRMAL GYAWALI

                                                                                        demandeur

                      et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                          défendeur

                                                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                                            


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