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     Date: 19990618

     Dossier: IMM-4296-98

OTTAWA (Ontario), le 18 juin 1999

DEVANT : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE


AIME BUKAKA-MABIALA,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

[1]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l"affaire est renvoyée pour nouvel examen par une formation différente.

                                 " P. ROULEAU "

                             ___________________________

                                 JUGE

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date: 19990618


Dossier: IMM-4296-98

ENTRE


AIME BUKAKA-MABIALA,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 5 août 1998, que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite une ordonnance infirmant la décision et renvoyant l"affaire pour nouvel examen.

[2]      Le demandeur est citoyen de la République démocratique du Congo (la RDC) (autrefois le Zaïre). Il est marié et a un fils. Sa famille est encore en Afrique.

[3]      Le demandeur craint d"être persécuté à cause de ses opinions politiques. En 1989, il est devenu membre du parti politique connu sous le nom d"" Union pour la démocratie et le progrès social " (l"UDPS). En 1994, il a joint la " Direction politique rénovée " (la DPR), qui était une section radicale de l"UDPS. Du mois de mars au mois de juillet 1995, il était secrétaire de la section Njili. Le 29 juillet 1995, le demandeur a participé à une manifestation contre le gouvernement Mobutu. Il a été arrêté avec d"autres manifestants : il a été battu et emprisonné pendant 24 heures. Lorsqu"il a été mis en liberté, le garde lui a fait signer un document disant qu"il ne participerait plus à des manifestations publiques.

[4]      Le demandeur, auquel cette expérience avait fait peur, a demandé à son parti de lui confier une mission plus discrète. En février 1996, il a effectué le premier de plusieurs voyages à Brazzaville, au Congo, où il est allé chercher des documents de nature politique que le président de la DPR, M. Sita Nsomizeno Joseph, avait envoyés de Bruxelles. À son retour, il a photocopié les documents et les a distribués aux sections de la DPR.

[5]      En octobre 1996, le demandeur est retourné à Brazzaville où il a constaté que sa maison avait été saccagée. Ses documents avaient disparu. Sa famille n"était pas à la maison à ce moment-là, de sorte qu"aucun mal ne lui a été fait. Étant donné que sa photocopieuse n"avait pas été endommagée, le demandeur a photocopié et distribué les documents qu"il avait apportés de Brazzaville lors de son dernier voyage.

[6]      Pendant la soirée du 9 novembre 1996, le demandeur a rencontré des amis en rentrant chez lui. Ces amis lui ont dit de ne pas retourner chez lui parce que des agents de Mobutu entouraient apparemment la maison. D"autres membres de la DPR avaient été arrêtés. Le demandeur s"est donc rendu chez ses grands-parents et il n"est retourné chez lui qu"à la mi-décembre 1996. Sa maison avait été saccagée; les meubles étaient brisés et la photocopieuse avait disparu.

[7]      Le demandeur craignait pour sa vie. Il s"est installé au Congo. À la mi-janvier 1997, il a emprunté la voiture d"un ami pour rentrer chez lui. Lorsqu"il est arrivé dans son quartier, il a vu, garée devant sa maison, une voiture dans laquelle il y avait quatre personnes. Ces individus se sont mis à le suivre, mais il a réussi à s"échapper.

[8]      Le demandeur s"est caché chez des membres de sa famille. La DPR lui a remis de l"argent et a organisé sa fuite du Zaïre. Le 1er février 1997, le demandeur s"est rendu au Congo en canoë. On lui a remis un faux passeport congolais, qu"il a utilisé pour se rendre à Paris. Une fois rendu à Paris, on lui a remis un passeport français pour qu"il puisse se rendre au Canada. Il est arrivé à Toronto le 8 février 1997.

[9]      La Commission a conclu que d"importants éléments du témoignage du demandeur étaient invraisemblables ou contradictoires.

[10]      La Commission a d"abord jugé invraisemblable le fait que le demandeur avait continué à photocopier des documents de propagande après qu"on se fut introduit chez lui; le fait que les soldats n"avaient pas détruit ou emporté la photocopieuse, qui était bien en vue dans la chambre à coucher du demandeur, était suspect. Le comportement du demandeur était incompatible avec celui d"une personne qui craignait les autorités.

[11]      La Commission a conclu que le demandeur avait témoigné d"une façon hésitante et évasive en décrivant ses propres activités au sein de la DPR. Il avait de la difficulté à expliquer la différence entre la DPR et l"UDPS. Il avait également hésité lorsqu"on lui avait demandé d"identifier d"autres membres de la DRP, ce qui est suspect, compte tenu du temps pendant lequel il avait participé aux activités du parti.

[12]      La preuve documentaire ne révèle pas grand-chose au sujet de la DPR, qui semble avoir disparu de la scène politique du Zaïre après 1992. L"absence de preuve documentaire contredit le témoignage du demandeur, qui affirme que la DPR a été fort active jusqu"à son départ. Selon le demandeur et selon la preuve documentaire, l"UDPS ne reconnaît plus l"existence de la DPR. Il semblait invraisemblable que la DPR eût continué à utiliser le papier à en-tête de l"UDPS jusqu"en 1996, comme l"a affirmé le demandeur.

[13]      Dans le numéro du mois de décembre 1995 du bulletin d"information appelé " Muinda ", il y a un article au sujet de la " DPR-UDPS du Peuple ", une section radicale qui se serait distancée de l"UDPS à cause de divergences d"opinions politiques. Il semblait suspect à la Commission que le demandeur n"ait jamais utilisé le nom complet " DPR-UDPS du Peuple " pour désigner le DPR.

[14]      Même s"il était au courant du mouvement zaïrois au Canada, le demandeur n"a jamais participé à ses activités. Il a donné des raisons autres que politiques pour expliquer son manque d"intérêt. Selon la Commission, ce manque de participation et d"intérêt montre un manque de conviction politique qui contredit l"affirmation du demandeur selon laquelle il se dévoue à la cause politique de la RDC.

[15]      Le témoignage concernant les événements qui ont amené le demandeur à quitter le Zaïre (nombre de perquisitions effectuées chez lui et dates auxquelles elles ont eu lieu) était confus et imprécis.

[16]      Les présumées actions du demandeur (son retour dans son pays et plus particulièrement son retour chez lui) après que sa maison eut été saccagée et que d"autres membres de la DPR eurent été arrêtés ne correspondait pas au comportement d"une personne qui craint d"être persécutée.

[17]      Le demandeur s"est rendu au Zaïre avec une carte d"identité nationale authentique. Il avait falsifié son adresse après l"événement du mois de novembre 1996, pour sa propre sécurité. La Commission a conclu que le fait de voyager avec une carte d"identité authentique dans l"intention de la montrer aux autorités, alors que par le passé il avait été signalé que le demandeur s"opposait au régime, contredisait la crainte alléguée de persécution.

[18]      Enfin, le demandeur a allégué avoir été convoqué par la Garde civile en juillet 1993 à cause de ses activités politiques. La Commission n"a pas tenu compte de cette sommation, qui n"indiquait pas le motif pour lequel le demandeur était convoqué. Compte tenu des autres contradictions figurant dans le témoignage du demandeur, la Commission ne croyait pas que la sommation ait eu quelque chose à voir avec les activités politiques de celui-ci.

[19]      La Commission a donc rejeté l"allégation du demandeur selon laquelle, dans son pays, il était un militant ou qu"il l"était devenu lorsqu"il était retourné dans la RDC. Le statut de réfugié ne lui a pas été reconnu.

[20]      La question en litige est la suivante : la Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n"était pas crédible?

[21]      Premièrement, à mon avis, le fait que l"on n"avait pas touché à la photocopieuse la première fois que l"on s"était introduit chez le demandeur n"est pas invraisemblable; les membres de la Commission n"ont mentionné aucun élément de preuve à cet égard.

[22]      La Commission a également conclu que le fait que le demandeur avait poursuivi ses activités même si des soldats avaient effectué une descente chez lui était incompatible avec la crainte qu"il avait d"être persécuté. Le demandeur soutient que cette conclusion est abusive et je souscris à son avis.

[23]      Dans la décision Samani c. MCI (18 août 1998), IMM-4271-97 (C.F. 1re inst.), le juge Hugessen a statué qu"une conclusion d"invraisemblance est rarement solide lorsqu"elle est fondée sur un comportement que la Commission juge dangereux. Les personnes qui prennent des engagements politiques prennent souvent des risques.

[24]      Selon la Commission, le demandeur avait eu de la difficulté à parler de la DPR et à nommer d"autres membres. Le fait qu"un témoignage est évasif n"est habituellement pas susceptible de révision. Néanmoins, étant donné qu"il s"était écoulé six mois entre la fin de l"audience et le prononcé de la décision, la conclusion devait être davantage fondée sur les notes des membres de la Commission que sur leur impression immédiate du comportement et de l"attitude du demandeur lorsqu"il avait témoigné.

[25]      Je conclus que le demandeur a pu nommer plusieurs membres de la DRP. On ne devrait pas s"attendre à ce qu"il connaisse tous les membres du parti et à ce qu"il se rappelle les noms de toutes les personnes à qui il a remis des documents de propagande.

[26]      Il ressort de la transcription que le demandeur a pu expliquer la différence entre l"UDPS et la DPR et que lorsqu"on le lui a demandé, il a pu nommer le président et le vice-président de sa section, ainsi que le président national et le vice-président national. Il a également décrit le rôle qu"il avait dans la DPR.

[27]      La Commission a conclu que l"assertion du demandeur, lorsqu"il dit que la DPR était fort active en 1997, contredit la preuve documentaire selon laquelle le parti avait presque disparu de la scène politique zaïroise en 1992. Le demandeur soutient que cette conclusion est abusive; la Commission elle-même se reporte à un bulletin d"information publié en 1995 dans lequel il est question de la DPR.

[28]      La Commission a également jugé qu"il était invraisemblable que la DPR continue à utiliser du papier à en-tête de l"UDPS après avoir été exclue du parti. Le demandeur soutient que cette conclusion est également abusive. Une faction peut décider d"utiliser son ancien nom, même en cas scission.

[29]      La preuve documentaire, à la page 228, renferme ce passage daté du 24 février 1998 :

         Joint par téléphone à Bruxelles le 24 février 1998, le représentant officiel de l"Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) en Belgique a signalé que son parti n"a aucun lien avec la Direction politique rénovée (DPR). Le représentant de l"UDPS a affirmé également que la DPR n"existe plus en Belgique ni au Congo.                 

[30]      À la page 225, voici ce qui est dit :

         Au cours d"un entretien téléphonique du 20 février 1998, le secrétaire exécutif du Conseil national de ONG de développement du Congo (CNONG) a signalé à son tour que la DPR est un parti politique composé des éléments dissidents de l"UDPS. Il a ajouté cependant que le parti n"a pas plus de structure organisationnelle connue dans le pays. Bien avant même l"interdiction des activités des partis politiques par Kabila en juin 1997, la DPR n"était plus présente sur la scène politique au Zaïre.                 

[31]      À la même page, le vice-président de l"" Association zaïroise de défense des droits de l"homme " et le secrétaire général de l"UDPS confirment que la DPR avait fondamentalement disparu depuis 1992.

[32]      Le numéro du mois de décembre 1995 du " Muinda " renferme un article du président de la DPR. Il semble que la DPR existe encore, même si elle n"est plus une force politique au Zaïre. Le demandeur avait témoigné que la DPR n"était pas très connue lorsqu"il était au Zaïre.

[33]      Je ne suis pas prêt à modifier la conclusion qui a été tirée au sujet du papier à en-tête. D"autre part, il est possible qu"une section radicale continue à utiliser le papier à en-tête d"une ancienne organisation cadre.

[34]      La Commission a conclu qu"il était étrange que le demandeur n"ait jamais désigné la DPR sous le nom de " DPR-UDPS du Peuple ". À mon avis, cette conclusion est fort peu convaincante.

[35]      Il a été conclu que le demandeur n"avait jamais participé aux activités de l"UDPS au Canada. Pourtant, le demandeur a témoigné avoir assisté à quatre réunions politiques de l"UDPS au Canada depuis le mois de mars 1997 et avoir participé à une manifestation.

[36]      La Commission a conclu que le fait de voyager avec une carte d"identité authentique contredit la crainte que le demandeur avait d"être persécuté. Il semble que la Commission ait mal interprété le témoignage du demandeur. En effet, le demandeur a témoigné avoir une carte sur laquelle il y avait sa photo, mais avec un nom fictif, et non avec une adresse fictive.

[37]      Je ne puis constater l"existence d"aucune erreur dans la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la sommation. On ne dit pas pour quelle raison le demandeur était convoqué. Il se pourrait que ce soit pour d"autres raisons que ses activités politiques.

[38]      La Commission a conclu que le témoignage du demandeur était confus et que ses actions, comme le fait qu"il était retourné chez lui après l"arrestation de ses collègues, contredisait la crainte qu"il avait d"être persécuté.

[39]      La Cour devrait hésiter et faire preuve de retenue à l"égard de la Commission, en particulier lorsqu"il est question d"un témoignage jugé suspect et évasif, mais dans ce cas-ci je tiens compte du fait que la décision a été rendue environ six mois après l"audience. Ces conclusions sont généralement difficiles ou presque impossibles à infirmer; cependant, dans ce cas-ci, la Commission semblait au départ être convaincue qu"une personne qui est active sur le plan politique devrait s"abstenir de se livrer à ses activités lorsqu"elle fait face à de la persécution et à de l"hostilité. Telle semble être la philosophie ou le raisonnement sur lequel repose toute la décision.

[40]      Les membres de la Commission énumèrent un certain nombre de points qu"ils jugent contradictoires ou peu crédibles. Ils ont conclu, sans offrir de preuve à l"appui, qu"il serait peu probable ou impossible que la photocopieuse ait été laissée dans la chambre du demandeur lorsque l"on avait fait une descente chez lui. La lecture de la transcription ne contredit aucunement cette assertion. Les membres de la Commission allèguent ensuite que le demandeur était évasif lorsqu"il a décrit les activités de la DPR et de l"UDPS. Ici encore, j"estime que cela est contraire à ce que la transcription révèle. Ils concluent ensuite que le demandeur était circonspect et hésitant lorsqu"il a témoigné au sujet de l"identité d"autres membres de la DPR. Le demandeur a en fait nommé le président et le vice-président de sa section ainsi que le président national et le vice-président national. Les membres de la commission se préoccupaient du fait que dans un article publié dans une revue, en décembre 1995, le mouvement politique était désigné sous le nom de " DPR-UDPS du Peuple ". Le fait que le demandeur a désigné le mouvement politique dont il était membre comme étant la DPR et à l"occasion comme étant une section militante au sein de l"UDPS ne justifie aucunement leur préoccupation lorsqu"ils disent que le demandeur n"a pas toujours désigné le parti par son nom, la " DPR-UDPS du Peuple ", et que son témoignage n"était donc pas crédible. Ils ne l"ont pas confronté avec cette soi-disant contradiction.

[41]      Les membres de la Commission disent que le demandeur n"est pas devenu membre du groupe au Canada alors que son témoignage révèle qu"il a assisté à certaines réunions et même à une manifestation publique. Ils se trompaient au sujet du fait que le demandeur avait évité de se faire prendre ou qu"il s"était déplacé d"un pays à un autre avec une carte d"identité à son nom, mais avec une adresse fictive, alors que le témoignage révèle clairement que le demandeur avait falsifié son nom plutôt que son adresse.

[42]      Je suis convaincu que toutes ces erreurs peuvent avoir influé sur l"appréciation des convictions politiques du demandeur ainsi que sur le fait qu"il craignait de retourner dans son pays d"origine.

[43]      Les membres de la Commission soutiennent que le demandeur n"est pas crédible, mais ils se fondent à cet égard sur un certain nombre d"erreurs qu"ils ont commises dans leurs motifs, rédigés environ six mois plus tard, au sujet de ce qui s"était passé à l"audience.

[44]      Je suis d"avis que la décision de la Commission renferme un nombre inhabituel d"incohérences; cela étant, cette décision est à mon avis inconcevable.

[45]      À coup sûr, des explications auraient dû être données au sujet du manque de renseignements et des incohérences ainsi qu"au sujet du fait que le demandeur n"était pas capable de répondre aux questions.

[46]      Pour les motifs susmentionnés, j"accueille la demande de contrôle judiciaire et je renvoie l"affaire pour nouvel examen par une formation différente.

                         " P. ROULEAU "

                     ___________________________

                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

le 18 juin 1999

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-4296-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      AIME BUKAKA-MABIALA
LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 8 JUIN 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Rouleau en date du 18 juin 1999

ONT COMPARU :

MICHAEL CRANE          POUR LE DEMANDEUR

DAVID TYNDALE          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MICHAEL CRANE          POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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