Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040715

Dossier : T-561-04

Référence : 2004 CF 991

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE:

                                                             RICHARD CONDO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                Lorsque la loi prévoit une série d'étapes ordonnées en fonction d'une logique inhérente, comme en l'espèce, la Cour ne saurait exercer une compétence spécialisée en première instance. Si, après avoir été entendu par la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC), un demandeur est d'avis que l'organisme a commis une erreur donnant lieu à révision, seulement alors pourra-t-il envisager présenter une demande de contrôle judiciaire. Mais il ne saurait avoir l'option, pour éviter, éliminer ou raccourcir des étapes prévues par la loi, de faire interdire à la CNLC de tenir une audience en vue de déterminer s'il y a lieu de révoquer une libération d'office.

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, présentée sous le régime de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales[1], visant la décision du commissaire du Service correctionnel du Canada (le commissaire), de déférer le cas du demandeur à la CNLC, en application du sous-alinéa 129(2)a)(i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[2] (LSCMLC), pour qu'elle détermine si la date de libération d'office du demandeur devrait être révoquée.

LES FAITS


[3]                Le 14 avril 2000, le demandeur, Richard Condo, a été déclaré coupable, notamment, de harcèlement criminel, d'enlèvement et de voies de fait graves. Le 26 juillet 2001, il a été déclaré délinquant à contrôler en application du paragraphe 753(5) du Code criminel[3] et il a été condamné à une peine d'emprisonnement de cinq ans, assortie d'une période de surveillance de dix ans. Il a obtenu une réduction de peine de trois ans pour la période d'incarcération qui avait précédé le prononcé de la décision sur la peine.

[4]                Dans sa description des voies de fait commises sur la victime, la Cour a indiqué :[traduction] « [La victime] a subi un trauma aigu à l'os malaire, consécutif à un coup d'une force considérable. Selon le Dr Callaghan, une telle blessure est causée par un impact contondant d'une grande force et elle engendre des souffrances importantes. Elle s'accompagne d'hémorragies internes ...[4]. Dans le rapport où il a recommandé l'examen de la libération d'office de M. Condo, le commissaire a précisé que la victime avait subi une fracture de l'os malaire et souffert d'une grave contusion à l'oeil gauche et qu'elle avait dû recourir à la chirurgie plastique et à la chirurgie reconstructive.

[5]                Aux termes de l'article 112 de la LSCMLC, M. Condo pourrait obtenir une libération d'office après avoir purgé les deux tiers de sa peine.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[6]                Dans le rapport où il recommande que l'admissibilité de Richard Condo à la libération d'office fasse l'objet d'un examen, le commissaire a indiqué ce qui suit :


On note que "[la victime] a été frappée au visage, de façon brutale, comme le rapporte les inscriptions au rapport de police. On y lit que des blessures sont observées à savoir, fracture de l'os de la joue mentionne également que les blessures devront nécessiter de la chirurgie plastique ainsi que de la chirurgie de reconstruction squelettique."

L'évaluatrice mentionnera que "Parmi la kyrielle d'accusations qui ont pesées sur le sujet, rappelons que les vois de fait graves (art. 268 du code criminel) et l'enlèvement (art. 279.(1)(1.1) du code criminel) sont deux délits qui répondent à l'article 752 du code criminel qui définit les sévices graves à la personne. A cet égard, lors du passage à la Cour de M. Condo, les autorités ont intentées une procédure pour faire déclarer Richard Condo "délinquant dangereux" après qu'il eut été reconnu coupable d'actes ayant causé des sévices graves à la victime. Ne satisfaisant pas aux exigences de la déclaration de délinquant dangereux, le sujet a été reconnu délinquant à contrôler et assujetti à une ordonnance de surveillance de longue durée de 10 ans (période maximale de surveillance) en vertu de l'art. 753.1(3) du code criminel. Dans l'optique où les procédures intentées et imposées sont nées de délits ayant causé des sévices graves par définition légale, il va de soi, pour le SCC que les délits commis ont causé un dommage grave à la victime." L'évaluatrice rappelle également au lecteur que la victime était enceinte au moment de délits.

Mentionnons que plusieurs éléments liés à la nature des délits et la façon dont les actes se sont produits (victime fut forcée à monter dans le véhicule du sujet et y sera séquestrée durant de longues heures) nous ont également incité à se questionner sur la notion de dommage psychologique. Toutefois, nous avons conclut que considérant le fait que la victime avait continué de visiter le sujet durant son incarcération, il fut difficile d'attester de la présence d'un dommage psychologique grave[5].

[7]                En conséquence, en se fondant sur la nature et la gravité des blessures subies par la victime et sur le fait que M. Condo avait été reconnu coupable de voies de fait graves et d'enlèvement et qu'il avait été déclaré délinquant à contrôler et s'était fait imposer la période de surveillance maximale, le commissaire a conclu que M. Condo avait commis une infraction ayant causé un dommage grave à une autre personne,. Toutefois, le commissaire n'était pas disposé à conclure que M. Condo avait causé un tort psychologique grave à la victime, même si la nature du crime commis contre sa personne aurait pu faire penser qu'il s'agissait de dommages graves.


[8]                Le commissaire a pris en considération le casier judiciaire de M. Condo, la gravité des infractions qu'il avait commises, sa conduite en détention, son utilisation d'armes lors de la perpétration des infractions, la nature des menaces qu'il avait proférées, le remords qu'il avait manifesté, les rapports médicaux et psychiatriques et la période de surveillance au sein de la collectivité qui lui avait été imposée, et il a conclu que M. Condo risquait de commettre une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne.

[9]                Ayant conclu que M. Condo avait infligé un dommage grave à sa victime et qu'il risquait de commettre, avant l'expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, le commissaire a déféré le cas à la CNLC pour qu'elle décide s'il y avait lieu de révoquer la libération d'office.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Le demandeur peut-il exercer un autre recours approprié?

ANALYSE

Le demandeur peut-il exercer un autre recours approprié?

[11]            Selon le défendeur, la Cour n'a pas à instruire la présente affaire parce que la loi prévoit un recours approprié, savoir l'étude du dossier du demandeur par la CNLC, qui est l'organe le plus apte à statuer en cette matière.

[12]            M. Condo soutient quant à lui que la Cour a déjà entendu des affaires où le demandeur cherchait à obtenir le contrôle judiciaire d'une décision du commissaire déférant un dossier à la CNLC pour qu'elle décide s'il convenait de mettre le demandeur en liberté à la date prévue de sa libération d'office[6].

[13]            M. Condo ajoute que si la preuve établit qu'il y a eu des manifestations de mauvaise foi ou d'arbitraire ou que l'omission du défendeur a causé préjudice au demandeur, l'existence préalable d'une décision ou d'une ordonnance n'est pas nécessaire pour qu'un bref de prohibition soit décerné.


[14]            La Cour est d'avis que le défendeur n'a pas défini correctement la question en litige. Le principe imposant à un défendeur de se prévaloir des recours appropriés existants s'applique en contexte d'appel[7]. Ici, la CNLC n'instruit pas un appel de la décision du commissaire. Cette décision constitue plutôt la première étape du processus d'étude du dossier d'un contrevenant. Le principe de l'exercice des autres recours appropriés ne s'applique donc pas en l'espèce.

[15]            La Cour, même si elle ne peut recevoir l'argument du défendeur, n'en conclut pas moins qu'il y a lieu de débouter le demandeur car, sa demande de contrôle judiciaire étant prématurée, la Cour n'a pas compétence pour l'entendre. Il est vrai, comme le souligne M. Condo, que, dans l'affaire Ford, la Cour a instruit une demande de contrôle judiciaire visant la décision du commissaire de déférer à la CNLB l'étude du dossier d'un contrevenant. Toutefois, on n'a pas établi que la question du caractère prématuré du recours avait été soulevée dans cette affaire. Dans la décision Dudman c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles)[8], par contre, le juge Muldoon a traité précisément de cette question. Voici ce qu'il a dit :

Toutefois, cette demande est prématurée. _ En premier lieu, la Cour n'a pas compétence pour donner suite à un renvoi demandé par le commissaire ou l'annuler._ Ce pouvoir est conféré à la CNLC par le paragraphe 129(3).__La Cour ne doit pas se substituer à la CNLC en statuant sur l'argument de l'avocat du requérant, concernant l'interprétation qu'il convient de donner du paragraphe 129(3) de la Loi, avant que la CNLC prenne sa décision sur ce point.__La compétence de la CNLC ne peut être usurpée aux termes de la Loi, qui est rédigée dans les termes suivants :

107. (1) ___Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement des délinquants et du Code criminel, la Commission a toute compétence et latitude pour :

a) accorder une libération conditionnelle;

b) mettre fin à la libération conditionnelle ou d'office, ou la révoquer que le délinquant soit ou non sous garde en exécution d'un mandat d'arrêt délivré à la suite de la suspension de sa libération conditionnelle ou d'office;


c) annuler l'octroi de la libération conditionnelle ou la suspension, la cessation ou la révocation de la libération conditionnelle ou d'office;

d)examiner les cas qui lui sont déférés en application de l'article 129 et rendre une décision à leur égard;

e)accorder une permission de sortir sans surveillance, ou annuler la décision de l'accorder dans le cas du délinquant qui purge, dans un pénitencier, une peine d'emprisonnement, selon le cas :       

(i) à perpétuité comme peine minimale ou à la suite de commutation de la peine de mort,

(ii) d'une durée indéterminée,             

(iii) pour une infraction mentionnée à l'annexe I et II.

La CNLC a par conséquent compétence pour entendre et examiner, en toute première instance, les arguments du requérant (malgré l'affirmation de celui-ci, rejetée ci-dessus, selon laquelle la Commission n'a pas compétence). Si, après l'audience relative à la détention, le requérant pense toujours que la CNLC a commis une erreur susceptible de révision, il pourra présenter la requête appropriée en vue d'un contrôle judiciaire, et la Cour décidera alors, en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré, s'il y a lieu d'accorder cette requête ou non[9].

[16]            Bien que la disposition en cause dans la décision Dudman ait été le paragraphe 129(3) de la LSCMLC et non le sous-alinéa 129(2)a)(ii), la conclusion précitée ne s'en applique pas moins directement à la présente affaire parce que l'énoncé pertinent de la disposition est le même dans les deux cas. La Cour souscrit à l'opinion du juge Muldoon et fait siens les propos qu'il a tenus. La Cour n'a pas compétence pour entendre la présente demande.

Le sous-alinéa 129(2)a)(ii) et le paragraphe 129(3) sont ainsi conçus :




129.        (1) Le commissaire fait étudier par le Service, préalablement à la date prévue pour la libération d'office, le cas de tout délinquant dont la peine d'emprisonnement d'au moins deux ans comprend une peine infligée pour une infraction visée à l'annexe I ou II ou mentionnée à l'une ou l'autre de celles-ci et qui est punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale.

(2) Au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office, le Service défère le cas à la Commission -- et lui transmet tous les renseignements en sa possession et qui, à son avis, sont pertinents -- s'il estime que :

a) dans le cas où l'infraction commise relève de l'annexe I :

[...]

(ii) soit elle est une infraction d'ordre sexuel commise à l'égard d'un enfant et il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l'expiration légale de sa peine, une telle infraction;

(3) S'il a des motifs raisonnables de croire qu'un délinquant condamné à une peine d'au moins deux ans commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant, soit une infraction grave en matière de drogue, le commissaire défère le cas au président de la Commission -- et lui transmet tous les renseignements qui sont en la possession du Service et qui, à son avis, sont pertinents -- le plus tôt possible après en être arrivé à cette conclusion et au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office; il peut cependant le faire moins de six mois avant cette date dans les cas    suivants :

a) sa conclusion se fonde sur la conduite du délinquant ou sur des renseignements obtenus pendant ces six mois;

b) la date prévue pour la libération d'office du délinquant est, en raison de tout nouveau calcul de la durée de sa peine prévu à la présente loi, déjà passée ou tombe dans cette période de six mois.

129.        (1) Before the statutory release date of an offender who is serving a sentence of two years or more that includes a sentence imposed for an offence set out in Schedule I or II or an offence set out in Schedule I or II that is punishable under section 130 of the National Defence Act, the Commissioner shall cause the offender's case to be reviewed by the Service.

(2) After the review of the case of an offender pursuant to subsection (1), and not later than six months before the statutory release date, the Service shall refer the case to the Board together with all the information that, in its opinion, is relevant to it, where the Service is of the opinion:

(a) in the case of an offender serving a sentence that includes a sentence for an offence set out in Schedule I, that

...

(ii) the offence was a sexual offence involving a child and there are reasonable grounds to believe that the offender is likely to commit a sexual offence involving a child before the expiration of the offender's sentence according to law; or                

(3) Where the Commissioner believes on reasonable grounds that an offender who is serving a sentence of two years or more is likely, before the expiration of the sentence according to law, to commit an offence causing death or serious harm to another person, a sexual offence involving a child or a serious drug offence, the Commissioner shall refer the case to the Chairperson of the Board together with all the information in the possession of the Service that, in the Commissioner's opinion, is relevant to the case, as soon as is practicable after forming that belief, but the referral may not be made later than six months before the offender's statutory release date unless

(a) the Commissioner formed that belief on the basis of behaviour of the offender during the six months preceding the statutory release date or on the basis of information obtained during those six months; or

(b) as a result of any recalculation of the sentence under this Act, the statutory release date of the offender has passed or less than six months remain before that date.      


CONCLUSION

[17]            La Cour conclut qu'elle n'a pas compétence pour entendre la demande et, par conséquent, elle estime que cette demande, telle qu'elle est définie par le demandeur, est prématurée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE qu'il soit déclaré que la demande est prématurée et ne peut être instruite.

« Michel M.J. Shore »

                                                                                                                                                     Juge                    

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                          PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-561-04

INTITULÉ :                                                    RICHARD CONDO c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            13 juillet 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                     Le juge Shore

EN DATE DU :                                               15 juillet 2004

COMPARUTIONS :

Me Diane Magas                                               POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Lafrenière                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MAGAS LAW OFFICE                                   POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] L.R.C., 1985, ch. F-7.

[2] 1992, ch. 20.

[3] L.R.C. 1985, ch. C-46.

[4]Dossier du demandeur, vol 1, p. 76-77.

[5]Dossier du défendeur, Évaluation en vue d'une décision, p 31-32.

[6] Le demandeur cite : Ford c. Canada (Commissaire du Service correctionnel), [1990] A.C.F. no 109 (QL) (C.F.) [ « Ford » ]; McBride c. Canada (Commissaire du Service correctionnel), [1994] A.C.F. no 2014 (QL) (C.F.)- toutefois, l'affaire McBride concernait une décision rendue par la CNLB non par le commissaire.

[7] Harelkin c. Université de Regina, [1979], 2 R.C.S. 561.

[8] [1996] A.C.F. no 679 (QL) (C.F.) (Dudman).

[9] Précitée, aux par. 10-11.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.