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     T-1653-96

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET l'appel interjeté de la décision d'un

     juge de la citoyenneté

     ET

     JAMES KONG LIU,

     appelant.

     MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

     L'appelant interjette appel de la décision d'un juge de la citoyenneté rejetant sa demande de citoyenneté canadienne au motif qu'il ne répond pas aux conditions de résidence prévues dans la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

     L'appelant, né en Chine le 28 octobre 1957, est arrivé au Canada comme résident permanent, le 21 mars 1991, accompagné de son épouse et de ses enfants. En mai 1994, l'appelant dépose une demande de citoyenneté canadienne, se présentant devant le juge de la citoyenneté le 26 février 1996. Le 24 mai 1996, l'appelant reçoit, du juge de la citoyenneté, une lettre lui faisant savoir que sa demande ne pouvait pas être accueillie puisqu'il ne répondait pas aux conditions prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, qui dispose que :

     5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :         

         [...]

         c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :                 
             (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,         
             (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;         

     Dans sa lettre, le juge de la citoyenneté relève que, à l'époque où le requérant a déposé sa demande, il avait passé 1 013 jours en dehors du Canada. Ainsi, entre le 21 mars 1991 et le mois de mai 1994, l'appelant n'avait passé que 130 jours au Canada. Le juge de la citoyenneté s'est alors demandé si l'on pouvait décider que l'appelant répondait aux conditions fixées en matière de résidence bien qu'il n'ait pas passé beaucoup de temps au Canada. Le juge de la citoyenneté a conclu que non. Le 10 juillet 1995, l'appelant déposait devant cette Cour un avis d'appel.

     Selon l'appelant, les faits pertinents sont tels qu'exposés dans la lettre que son avocat a transmis à la Cour de la citoyenneté, en date du 25 avril 1994. À la page 3 de cette lettre, l'avocat de l'appelant expose les faits de la manière suivante :

         [TRADUCTION]                 
         a) M. Liu, son épouse et ses enfants ont émigré au Canada en provenance de Hong Kong, le 21 mars 1991.                 
         b) Le requérant et son épouse ont, pendant toute l'époque en cause, conservé à Vancouver une maison, un mobilier, un véhicule automobile et des comptes en banque.                 
         c) En plus de la résidence principale qu'ils possèdent à Vancouver, le requérant et son épouse ont acheté une résidence secondaire en Colombie-Britannique.                 
         d) Depuis qu'il a reçu le droit de s'établir au Canada, le requérant a travaillé à l'étranger pour une société canadienne de courtage maritime.                 
         e) Ses absences du Canada ne dépendaient aucunement de lui, mais uniquement des instructions de son employeur canadien. Étant donné qu'à l'époque où le requérant a obtenu le droit de s'établir au Canada, la récession économique sévissait, il lui était impossible de trouver, auprès d'une société canadienne, un travail qui lui permettrait de rester à Vancouver.                 
         f) Aux fins de l'impôt sur le revenu, M. Liu n'a jamais cessé d'être résident canadien.                 
         g) À chaque fois qu'il s'est absenté du Canada, M. Liu a disposé d'un permis de retour pour résident permanent.                 
         h) Pendant toute l'époque en cause, M. Liu a conservé, au regard de l'immigration, un domicile au Canada.                 
         i) M. Liu ne possède aucune résidence à l'étranger.                 
         j) Les deux enfants de M. Liu sont nés au Canada et sont citoyens canadiens.                 

     Tous ces faits avaient été portés à la connaissance du juge de la citoyenneté lorsque celui-ci a rejeté la demande de citoyenneté formulée par l'appelant.

     L'arrêt qui a fixé la jurisprudence sur la question dont je suis saisi en l'espèce est l'arrêt Re : Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208. Aux pp. 213 et 214, le juge Thurlow (plus tard juge en chef) donne l'explication suivante du concept de "résidence" aux termes de la Loi sur la citoyenneté :

         Il me semble que les termes "résidence" et "résident" employés dans l'alinéa 5(1)b ) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Cette interprétation n'est peut-être pas très différente de l'exception à laquelle s'est référé le juge Pratte lorsqu'il emploie l'expression "(d'une façon au moins habituelle)", mais, dans un cas extrême, la différence peut suffire pour mener le requérant au succès ou à la défaite.                 
         Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] "essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question".                 

     Si je ne me trompe, selon le juge Thurlow, la personne qui se fixe au Canada ne cesse pas d'en être résidente si elle quitte ce pays "à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances, ou même pour poursuivre des études". Il s'agit donc en l'espèce de déterminer si l'appelant s'était effectivement fixé au Canada lorsqu'il est reparti travailler à Hong Kong. À mon avis, l'appelant ne s'était pas encore fixé au Canada, et cela demeure vrai.

     Il est exact que l'appelant possède maintenant à Vancouver une maison, des meubles, et un véhicule automobile. Il possède également une résidence secondaire. Mais, compte tenu des circonstances de cette affaire, peut-on dire que l'appelant s'est fixé au Canada alors que lui et son épouse sont retournés à Hong Kong huit jours après être arrivés ici?

     Avant de venir au Canada, l'appelant travaillait pour Simpson, Spence & Young, société de courtage maritime installée à Hong Kong. Selon le témoignage de l'appelant, Simpson, Spence & Young est une des rares grosses sociétés internationales de courtage maritime, ayant notamment des bureaux à Londres, New York et Hong Kong. La société a en outre un bureau à Vancouver. L'appelant a déclaré, et cela est confirmé par une lettre de M. A. Keane, associé de la société, qu'il est employé de Simpson, Spence & Young (Canada). Je n'ai aucune raison de mettre en doute le fait que l'appelant est employé par une société canadienne mais, au vu du dossier déposé devant la Cour, cela ne suffit pas pour en faire un résident canadien aux fins de la citoyenneté. Si j'interprète correctement le dossier, l'appelant effectue, dans le même bureau à Hong Kong, le même travail qu'il effectuait avant d'obtenir le droit de s'établir au Canada. Il a été admis au Canada au mois de mars 1991, devenant un employé de la société canadienne au mois d'avril de la même année. Mais, il ne passe aucun temps au bureau de Vancouver puisqu'il passe tout son temps en Extrême-Orient. Lorsqu'il est à Hong Kong, il ne descend pas dans un hôtel, mais loue un appartement pour lui et sa famille. Je suis entièrement d'accord avec ce que mon collègue le juge Muldoon a déclaré dans le cadre de l'affaire Re : Hui (1994), 75 F.T.R. 81, à la p. 85 :

         Ceci (la "canadianisation") ne peut se faire en habitant à l'étranger, ni d'ailleurs en ouvrant des comptes bancaires et en déposant des loyers, des meubles, des vêtements et, encore plus important, des enfants et des conjoints " en un mot, tout sauf la personne intéressée elle-même " au Canada, tout en demeurant personnellement en dehors du Canada.                 

     Lorsque l'appelant travaille en Extrême-Orient, sa famille ne reste pas au Canada. Son épouse et ses enfants suivent l'appelant en Extrême-Orient et reviennent avec lui lorsqu'il revient au Canada. Je doute fort que le fait que l'appelant aurait laissé son épouse et ses enfants au Canada lorsqu'il partait travailler à Hong Kong, ait abouti à un résultat différent. La réalité des faits est que l'appelant ne s'est pas encore fixé au Canada et que, par conséquent, on ne peut pas dire que, lorsqu'il se trouve en Extrême-Orient pour les besoins de son travail, il a quitté son domicile à des fins temporaires.

     Par ces motifs, je ne saurais accueillir cet appel qu'il y a lieu de rejeter.

                                     MARC NADON

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 12 mai 1997.

Traduction certifiée conforme                     

                                         Laurier Parenteau

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1653-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LOI SUR LA CITOYENNETÉ et JAMES KONG LIU

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      9 AVRIL 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE NADON

EN DATE DU :              12 MAI 1997

ONT COMPARU :

GERALD KINASZ,                              POUR L'APPELANT

PETER K. LARGE,                              AMICUS CURIAE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

ABRAHAM DUGGAN

BARRISTERS & SOLICITORS

TORONTO (ONTARIO)                          POUR L'APPELANT

PETER K. LARGE

BARRISTERS & SOLICITOR

TORONTO (ONTARIO)                          AMICUS CURIAE

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