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Date : 20060201

Dossier : IMM-1171-05

Référence : 2006 CF 107

Ottawa (Ontario), le 1er février 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

DAZHONG QU

(également appelé DA ZHONG QU)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Qu, un ressortissant chinois qui étudie au Canada, dit être un réfugié sur place ou une personne à protéger, en raison de sa participation au mouvement Falun Gong. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) a refusé sa demande, et il sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Je suis arrivée à la conclusion que sa demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

FAITS

[2]                M. Qu est arrivé au Canada à la faveur d'un visa d'étudiant qui l'autorisait à fréquenter tout établissement ou école d'enseignement professionnel au Canada. Le visa était valide du 20 août 2001 au 30 septembre 2003. Il dit qu'il est devenu un adepte du Falun Gong au Canada en décembre 2001. En février 2002, il a commencé une pratique collective au parc Milliken, les samedis et les dimanches. Il affirme avoir envoyé, à 60 ou 70 reprises, des courriels Falun Gong à ses amis en Chine.

[3]                Il est retourné en Chine de janvier à mars 2003 pour visiter sa famille. Durant son séjour, il s'est adonné au Falun Gong avec quatre collègues de classe qui étaient des adeptes du Falun Gong depuis 2000. M. Qu n'avait pas été auparavant présenté au groupe et n'avait pas pratiqué le Falun Gong avec eux dans le passé. Il dit que, pour sa visite en Chine, il a emporté avec lui deux livrets du Falun Gong, qu'il s'était procurés dans le quartier chinois de Toronto, et qu'il les a dédicacés et en a fait cadeau à ses camarades de classe.

[4]                Après son retour au Canada, sa mère lui aurait téléphoné le 31 août pour l'informer que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) était venu à leur domicile pour l'arrêter lui. Le BSP aurait dit à sa mère que M. Qu avait collaboré avec un groupe Falun Gong en dehors de la Chine. M. Qu dit avoir pris peur. Il a réfléchi à la situation parce qu'il savait le risque qu'il courait s'il devait retourner en Chine. Il a appris dans un journal qu'il pouvait présenter une demande d'asile. Le 19 septembre 2003, il a revendiqué la qualité de réfugié. Il a aussi revendiqué la qualité de personne à protéger. Il dit que, s'il retourne en Chine, il sera arrêté, emprisonné ou envoyé dans un camp de travail.

DÉCISION

[5]                La SPR a conclu que M. Qu n'avait pas apporté une preuve suffisante, crédible ou digne de foi, attestant qu'il a des raisons de craindre la persécution ou qu'il est exposé à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées. La SPR a conclu aussi qu'il ne s'était pas acquitté de son obligation, découlant de l'article premier de la Convention contre la torture, de prouver qu'il risque la torture s'il est renvoyé dans le pays de nationalité.

[6]                La décision contestée repose sur la crédibilité. La SPR a reconnu que M. Qu pouvait être un réfugié sur place en raison de sa pratique du Falun Gong au Canada. Se demandant si cela suffisait à justifier une crainte fondée de persécution, la SPR a dit qu'un examen approfondi de la situation était requis. Plus précisément, il fallait se demander si les actes de M. Qu avaient pu venir à l'attention des autorités chinoises. La SPR a alors tiré plusieurs conclusions. Il est nécessaire d'exposer ces conclusions parce qu'elles seront importantes plus loin.

[7]                M. Qu a prétendu que trois membres de son groupe, en Chine, avaient été arrêtés. Il pensait qu'ils étaient en prison, qu'ils avaient dû être torturés et qu'ils avaient dû révéler son nom. La SPR a trouvé que ce n'était là que des conjectures, qui ne suffisaient pas à établir que les autorités étaient au courant du rôle de M. Qu dans le Falun Gong. Elle n'a pas non plus été convaincue qu'il continuerait de s'adonner au Falun Gong s'il retournait en Chine.

[8]                La SPR a trouvé que le témoignage de M. Qu à propos du prétendu mandat d'arrêt dont il était l'objet n'était pas crédible. Il n'avait pas fait état de l'existence d'un mandat dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et il n'a pas produit une copie du mandat. L'explication qu'il a donnée est que le BSP avait montré le mandat à sa mère mais ne le lui avait pas laissé. Cela n'était pas assez pour expliquer l'absence de mention du mandat d'arrêt dans le FRP. La SPR en a tiré une conclusion défavorable.

[9]                S'agissant de l'affirmation de M. Qu selon laquelle il avait envoyé des courriels liés au Falun Gong à des amis en Chine, M. Qu a affirmé que, bien que le gouvernement surveille les courriels, les gens continuent d'en envoyer et il existe un marché noir permettant de les transmettre. La SPR a jugé peu plausible qu'il ait pris un tel risque, sachant les conséquences qu'il comportait.

[10]            La SPR n'a pas cru non plus que M. Qu, conscient du danger, se soit adonné au Falun Gong durant des semaines, lorsqu'il était en Chine, simplement pour voir en quoi c'était différent. Une certaine participation était compréhensible, mais une pratique aussi étendue ne l'était pas.

[11]            La SPR a jugé peu plausible que, si M. Qu craignait vraiment la persécution, il ait pris le risque d'emporter avec lui en Chine des brochures du Falun Gong, en sachant qu'il lui faudrait franchir la douane chinoise. Puisqu'il avait prétendument envoyé des courriels qui avaient pu être interceptés par le gouvernement, et puisqu'il disait croire qu'il serait dangereux de transporter de tels documents, il était peu plausible qu'il ait décidé d'emporter avec lui ces brochures.

[12]            Par ailleurs, puisqu'il savait que les brochures étaient illégales, la SPR a jugé peu plausible qu'il les ait dédicacées, qu'il en ait fait cadeau à ses amis et qu'il ait couru le risque de se faire prendre pour le cas où les brochures tomberaient dans de mauvaises mains. Se fondant sur la prépondérance des probabilités, la SPR a rejeté son explication selon laquelle il avait fait cadeau des brochures parce qu'il [traduction] « n'arrivait pas à trouver » quels cadeaux offrir à ses amis. M. Qu, un homme instruit, savait les brutalités commises par la police contre les membres du Falun Gong.

[13]            La SPR a relevé que M. Qu était entré au Canada à la faveur d'un visa d'étudiant qui était valide jusqu'au 30 septembre 2003. Il a présenté sa demande d'asile 11 jours seulement avant l'expiration du visa. La SPR a tiré une conclusion défavorable de sa lenteur à demander l'asile.

[14]            S'agissant de la crainte objective, la SPR a reconnu l'existence d'une jurisprudence de la Cour fédérale selon laquelle, même lorsque l'acte volontaire d'un demandeur d'asile est motivé par une intention de demander l'asile, le demandeur d'asile peut néanmoins avoir droit à une protection. La SPR a pris note de la preuve attestant que les adeptes du Falun Gong et leurs familles sont victimes d'oppression, mais elle a aussi noté l'absence de preuve montrant que la mère de M. Qu avait subi des représailles.

[15]            Par ailleurs, M. Qu n'avait pas produit un certificat du Falun Gong en dépit de l'existence d'organisations de défense de ce mouvement au Canada. La SPR a trouvé que son témoignage sur ce point était évasif parce que, au lieu de donner une réponse, M. Qu a voulu savoir pourquoi un véritable adepte de ce mouvement aurait besoin d'un tel certificat.

[16]            Finalement, la SPR a conclu que la participation de M. Qu au Falun Gong s'expliquait par des raisons de convenances personnelles et non par des convictions.

ERREURS ALLÉGUÉES

[17]            Dans ses conclusions écrites, M. Qu a allégué diverses erreurs à propos des conclusions touchant sa crédibilité. À l'audience, son avocate a abandonné ces arguments et admis sincèrement que [traduction] « ce n'est pas là un dossier Falun Gong très solide » . Elle a finalement réduit le champ du point à décider : y a-t-il eu manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale au point de donner lieu à une crainte raisonnable de partialité? Le fondement de cet argument est que la SPR n'a pas donné à M. Qu l'occasion de réagir à sa connaissance spécialisée, donnant ainsi lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[18]            L'examen de cette question requiert de se référer à la transcription de l'audience tenue devant la SPR, et cela afin de s'enquérir du déroulement de la procédure. Il convient de noter que l'avocate qui représente le demandeur ici n'est pas la personne qui a comparu devant la SPR.

AUDIENCE

[19]            L'audience a débuté par les réponses de M. Qu aux questions que lui posait l'agent de la protection des réfugiés (APR). Prié de dire pourquoi il était devenu un adepte du Falun Gong, M. Qu a répondu que, à l'époque, il était extrêmement stressé, il souffrait d'insomnie et son ami lui avait suggéré la pratique du Falun Gong. L'interrogatoire s'est poursuivi sans incidents (en ce qui concerne l'affaire en cause) et a porté sur les aspects suivants : qui, quoi, où, quand, et ainsi de suite. M. Qu a répondu à plusieurs questions sur l'origine du Falun Gong et sur les exercices s'y rapportant. Il a décrit ses habitudes au Canada ainsi que les détails et circonstances entourant sa visite en Chine. Environ à mi-parcours de l'audience, et après avoir interrogé M. Qu à propos de sa crainte, la SPR lui a demandé s'il avait vu un médecin pour ses insomnies. Il a répondu par l'affirmative, ajoutant que le médecin lui avait prescrit des tranquillisants. La SPR lui a alors demandé s'il souffrait d'insomnie en raison de ses études et de son éloignement de sa famille. M. Qu a répondu : [traduction] « J'en ai véritablement découvert les avantages. » La présidente d'audience a demandé à M. Qu de bien vouloir répondre à la question qui avait été posée, puis il y a eu l'échange suivant :

[traduction]

PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

[...] Veuillez attendre mes questions, s'il vous plaît, et ne répondre qu'à la question. Vous êtes ici un étudiant étranger, un étudiant international, qui souffre d'insomnie. En fait, j'ai vu beaucoup de cas comme le vôtre auparavant, dans des situations semblables. Il semble donc que l'insomnie est pour ainsi dire le lot de tous les étudiants internationaux.

          CONSEIL :

                        Objection.

          PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

                        Faites votre objection.

          CONSEIL:

                        Je ne m'occupe pas d'un dossier d'insomnie. Je veux dire, [...]

          PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

Moi oui - c'est au moins mon dixième cas. C'est la raison pour laquelle je fais appel à ma connaissance spécialisée et que j'aborde ici cet aspect.

CONSEIL :

                        Bon [...]

            PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

                        C'est d'accord?

            CONSEIL :

                        - Je suis [...]

            PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

                        J'aborde ici le sujet [...]

            CONSEIL :

Alors je voudrais avoir l'occasion de réagir à votre connaissance spécialisée.

            PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

C'est parfait, aucun problème. Il semble donc que l'une de vos raisons, parmi d'autres, est l'insomnie, mais, dans votre cas, vous dites que c'était l'insomnie, et vous avez décidé de consulter un médecin, qui vous a prescrit un tranquillisant, mais cela ne vous a pas aidé, et votre ami vous a suggéré de pratiquer le Falun Gong. D'après les dossiers que j'ai eus devant moi, il semble que c'est là une chose que pratiquent tous les étudiants internationaux qui ont comparu devant moi.

            CONSEIL :

           

                        Je voudrais encore une fois élever une objection.

            PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

                        Pardon?

            CONSEIL :

Comment pouvez-vous dire que tous les étudiants internationaux ont recours à cette pratique? Vous ne voyez sans doute qu'un assez faible pourcentage des étudiants internationaux [...]

            PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

Pardon Madame? J'ai simplement dit « les étudiants qui ont comparu devant moi » . Je n'ai pas dit tous les étudiants. J'ai dit ceux qui comparaissent devant moi.

            CONSEIL :

                        En fait, ce que vous avez dit avant [...]

            PRÉSIDENTE D'AUDIENCE :

                        C'est bon? Donc, la question que je vous pose est [...]

[20]            La SPR a mis fin à ses questions se rapportant aux raisons qu'avait M. Qu d'embrasser le mouvement Falun Gong, et il y a répondu. L'audience s'est poursuivie et l'APR a achevé ses questions. La SPR a alors invité la conseil de M. Qu à commencer son interrogatoire. La conseil a fait observer que, avant de présenter ses arguments, elle [traduction] « voudrait d'abord avoir l'occasion de réagir à la connaissance spécialisée de la SPR » . La présidente d'audience a répondu : [traduction] « Bien sûr. »

[21]            L' « occasion » dont parlait la conseil était la possibilité pour elle d'obtenir les FRP d'autres personnes afin d'établir que la présidente d'audience avait [traduction] « siégé dans des affaires se rapportant à des étudiants qui ne se réclamaient pas du Falun Gong ou qui ne souffraient pas d'insomnie » .

[22]            Il ressort de la transcription que la présidente d'audience a été quelque peu surprise par la nature de la demande. La conseil a indiqué que, si elle obtenait des dossiers [traduction] « qui sont différents de celui-là » , elle [traduction] « alléguerait une partialité fondée sur une idée préconçue qui n'est pas confirmée par les faits » . La présidente d'audience a demandé si une requête en déclaration de partialité avait été déposée, et la conseil a dit qu'elle voudrait considérer la preuve avant de décider de l'opportunité d'une telle requête.

[23]            La présidente d'audience a alors tenté de voir où la conseil voulait en venir exactement. En réponse à une demande de délai, la présidente d'audience a dit que cela ne posait aucune difficulté, que la conseil pouvait envoyer ses observations par la poste. Il s'en est suivi une certaine confusion, après quoi la présidente d'audience a proposé que l'interrogatoire se poursuive, puis informé la conseil qu'elle pourrait [traduction] « alléguer une partialité n'importe quand par la suite » . À ce stade, la conseil a précisé qu'elle voulait un ajournement afin de voir si la preuve qu'elle se proposait d'examiner justifierait une requête (sans doute une requête en récusation) fondée sur une crainte raisonnable de partialité.

[24]            La présidente d'audience a cru comprendre qu'il s'agissait d'une requête en ajournement, sur laquelle elle a statué dans les termes suivants :

[traduction]

[...] Votre requête est rejetée. Pour mémoire, j'ai dit auparavant durant l'audience que, parmi les nombreuses affaires que j'ai instruites, en particulier les récents dossiers de Chinois, la question de l'insomnie et de la dépression a été évoquée à au moins trois ou cinq reprises par des étudiants internationaux qui se réclamaient du Falun Gong.

J'ai informé le demandeur d'asile de cette connaissance. J'ai vu cela auparavant et, dans chaque cas, il s'agit de savoir ce qui conduit le demandeur d'asile à devenir un adepte du Falun Gong. Évidemment, chaque cas est décidé selon son bien-fondé et selon ses propres circonstances et, dans le cas présent, j'ai donné au demandeur d'asile l'occasion d'expliquer pourquoi il déciderait de se joindre au mouvement Falun Gong pour se débarrasser de ses insomnies. Je rendrai ma décision en me fondant sur l'ensemble de la preuve. Madame, si vous souhaitez présenter une requête en déclaration de partialité, je vous invite à le faire maintenant.

[25]            La conseil a présenté sa requête en déclaration de partialité en alléguant que la présidente d'audience avait nuancé sa déclaration, en ne disant plus « tous » les cas (fondés sur la participation au Falun Gong et les insomnies), mais plutôt « trois ou cinq » cas. Selon la conseil, la nuance [traduction] « suggère une idée préconçue de la motivation des étudiants étrangers à présenter une demande d'asile, exagère les faits et dénature les faits tels qu'ils viennent d'être présentés et tout cela suscite à tout le moins une crainte de partialité dans l'esprit du demandeur d'asile, lequel est alors fondé à penser qu'il sera considéré comme partie du groupe constitué de tous les étudiants internationaux, alors qu'en réalité cela n'a jamais été l'intégralité de ce groupe » .

[26]            La conseil a alors demandé si elle aurait l'occasion de présenter une contre-preuve. La présidente d'audience lui a dit que, avant de rendre une décision, elle voudrait avoir quelque idée de la manière dont la conseil se proposait de répondre. Il est finalement devenu évident que, en dépit de la décision antérieure, la conseil demandait de nouveau un ajournement.

[27]            La présidente d'audience s'est référée au critère requis de la « crainte raisonnable de partialité » [Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 386], puis a conclu que son observation initiale, qu'elle avait par la suite nuancée, n'était pas ce qu'affirmait la conseil. Elle s'est exprimée ainsi : [traduction] « [A]ucune crainte de partialité ne découle des propos des commissaires saisis de dossiers semblables, à condition que cela soit porté à la connaissance du demandeur d'asile, que le demandeur d'asile ait l'occasion de s'expliquer ou de s'exprimer et que l'affaire soit jugée selon son propre bien-fondé et selon ses propres circonstances. » La conseil a été priée de continuer son interrogatoire.

[28]            La conseil a choisi de ne pas interroger davantage M. Qu, et l'audience s'est terminée par les conclusions orales se rapportant à la demande d'asile.

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR)

Immigration and Refugee Protection Act,

S.C. 2001, c. 27 (IRPA)

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

[...]

...

i) peut admettre d'office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

(i) may take notice of any facts that may be judicially noticed, any other generally recognized facts and any information or opinion that is within its specialized knowledge.

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS-2002-228 (les Règles)

Refugee Protection Division Rules,

SOR/2002-228 (the Rules)

18. Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre - si celui-ci est présent à l'audience - et leur donne la possibilité de :

18. Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person, and the Minister if the Minister is present at the hearing, and give them a chance to

a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;

(a) make representations on the reliability and use of the information or opinion; and

b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations.

(b) give evidence in support of their representations.

ANALYSE

[29]            J'ai examiné attentivement la transcription de l'audience, dans son intégralité, et j'ai consacré du temps ici à l'examen des parties de cette transcription qui nous intéressent. Durant l'audience se rapportant à la procédure de contrôle judiciaire, je me suis demandé si le commentaire de la présidente d'audience relevait véritablement de la « spécialisation » de la SPR, au sens de l'article 170 de la LIPR. L'avocate a répondu que, puisque la présidente d'audience estimait que tel était le cas, je ne devrais pas en décider autrement.

[30]            Je ne suis pas convaincue de la justesse de cette position. Il me semble que l'objet de l'article 170 de la LIPR et de l'article 18 des Règles est de protéger un demandeur d'asile dans les cas où l'intention de la SPR est de recourir à sa « spécialisation » pour statuer sur la demande. C'est alors que naît l'obligation pour la SPR de donner avis aux parties de son intention de s'en rapporter à sa spécialisation. Après tel avis, les parties doivent avoir la possibilité de faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation des renseignements ou de l'opinion et de produire des preuves à l'appui de leurs observations.

[31]            En l'espèce, si le commentaire de la présidente d'audience est considéré dans le contexte où il a été fait, il m'apparaît qu'il s'agissait là d'une tentative de sa part d'obtenir de M. Qu des renseignements sur les raisons de son état de stress et d'insomnie, ainsi que sur les raisons qu'il avait de se tourner vers le Falun Gong comme remède à cet état. Les propos se rapportant aux autres étudiants internationaux étaient à mon avis des propos sans conséquence que, une fois tenus, la présidente a « abord[és] » comme questions relevant de sa spécialisation, et cela par excès de prudence, d'ailleurs sans doute avec raison. J'ai scrupuleusement passé en revue la transcription et je ne puis y voir aucune indication que la présidente d'audience ait voulu utiliser ce renseignement pour décider de la demande de M. Qu. Je considère les propos comme des propos inconsidérés et malheureux. D'ailleurs, la présidente d'audience a par la suite tempéré ses propos initiaux dans le dossier.

[32]            Cela dit, je suis disposée ici à suivre l'avocate du demandeur, c'est-à-dire à faire comme si les propos de la présidente d'audience relevaient bel et bien de sa « spécialisation » et déclenchaient l'obligation prévue par l'article 18 des Règles. Dans le contexte, je trouve difficile de blâmer la présidente d'audience qui, tout le long de la procédure, a montré sa disposition à examiner des observations en réponse et à donner du temps à la conseil pour qu'elle puisse les présenter par écrit. La conseil n'a cependant pas voulu démordre de l'idée selon laquelle la présidente d'audience avait commis une faute. Des difficultés s'en sont suivies en raison de la méthode que se proposait de suivre la conseil pour atteindre son but. Elle a manifesté le désir d'examiner les Formulaires de renseignements personnels d'autres demandeurs d'asile (documents considérés comme confidentiels). La présidente d'audience a naturellement été désarçonnée par une telle proposition.

[33]            Encore une fois, je suis disposée à admettre l'argument de l'avocate et à faire comme si l'obligation de donner au demandeur d'asile la possibilité de faire des observations et de produire des preuves était absolue. Le choix du demandeur d'asile, à supposer qu'il existe ici, ne signifie pas ajournement immédiat ou de plein droit. Il faut tenir compte des circonstances. Il y aura des cas où un ajournement immédiat sera l'unique solution. Il y aura des cas où la Commission pourra continuer d'entendre la preuve, pour ensuite ajourner l'audience afin de recueillir d'autres preuves. Il y aura des cas où l'audience pourra être déclarée close et où des conclusions écrites ou preuves documentaires additionnelles suffiront. La SPR doit tenir compte de la situation, et chaque demandeur d'asile doit être traité équitablement. Des règles absolues ne présentent aucun intérêt pratique parce que les circonstances varieront d'un demandeur d'asile à un autre. Vu la proposition de l'avocate en l'espèce, je ne partage pas l'avis de M. Qu selon lequel un ajournement immédiat était l'unique solution.

[34]            Néanmoins, je ferai comme si j'avais conclu autrement et je présumerai (pour les besoins de la présente analyse) qu'un ajournement immédiat était la solution adéquate à retenir pour permettre à M. Qu de présenter des observations en réaction à la spécialisation de la présidente d'audience. Je présumerai aussi, ainsi que m'y a invitée l'avocate de M. Qu, qu'un refus d'ajournement constitue un manquement à l'équité procédurale et un déni de justice naturelle. Un déni de justice naturelle a-t-il pour effet, sans exception, de vicier la décision?

[35]            Ce point a été examiné minutieusement par ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, dans la décision N'Sungani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 22 Admin. L.R. (4th) 225, 44 Imm. L.R. (3d) 105 (C.F.), aux paragraphes 26 à 32 des motifs de son jugement. La juge Tremblay-Lamer y résume la jurisprudence applicable. Je souscris pleinement à ses propos. Voici le texte des paragraphes 26 à 32.

26 La jurisprudence autorise d'ailleurs une approche plus nuancée. Ordinairement, un manquement à l'équité procédurale rend nulles l'audience et la décision qui en résulte, mais il y a une exception à cette règle (voir les décisions suivantes : Kabedi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 545 (C.F.) (QL); Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994) 172 N.R. 308 (C.A.F.), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.) (QL)). Cette exception trouve son origine dans l'arrêt Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada expliquait qu'un manquement à l'équité procédurale ne requiert pas la tenue d'une nouvelle audience dans les « circonstances spéciales » où la réclamation en cause était par ailleurs « sans espoir » ou que le résultat obtenu était « inéluctable » : ibid., aux paragraphes 52-54.

27 Et le professeur Mullan de renchérir : [TRADUCTION] « la [Cour suprême] a jugé que, sauf circonstances véritablement exceptionnelles, il n'est tout simplement pas opportun de se demander, la règle de common law en matière d'équité procédurale eût-elle été observée, si la conclusion de fond aurait alors été différente » : D.J. Mullan, Administrative Law (Toronto : Irwin Law, 2001).

28 Cependant, les cas précis où cette exception peut être validement invoquée n'apparaissent pas d'emblée. Ainsi que le disait la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Yassine, précité :

10     Les paramètres à l'intérieur desquels la distinction proposée par le professeur Wade devrait s'appliquer doivent encore être déterminés. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci, citant l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643., a dit à la page 228 que les circonstances de l'affaire Mobile Oil étaient « exceptionnelles puisque, habituellement, la futilité apparente d'un redressement ne constituera pas une fin de non-recevoir » . Il convient de souligner que l'affaire Cardinal portait sur le déni total du droit de se faire entendre. Il n'est pas nécessaire, en l'espèce, de formuler des hypothèses sur le résultat, en supposant évidemment qu'il y a eu manquement à la justice naturelle et qu'il n'y a pas eu de renonciation à cet égard [Voir Note 7 ci-dessous]. La conclusion défavorable quant à la crédibilité étant bien fondée, la demande ne pouvait qu'être refusée. Il serait inutile de renvoyer l'affaire à la Section du statut de réfugié dans ces circonstances. [note omise]

29 Il convient de noter que, dans l'affaire Yassine, la Commission avait en réalité informé les parties qu'elle entendait recourir à d'autres renseignements, et qu'elle avait donné aux avocats l'occasion d'y réagir. Aucune objection n'avait été soulevée à l'audience tenue devant la Commission. Conscient cependant de l'exception exposée dans l'arrêt Mobil Oil, précité, le juge Stone était disposé à présumer qu'il y avait eu manquement à l'équité procédurale. Il n'a pas ordonné la tenue d'une nouvelle audience, parce que la décision de la Commission de ne pas croire l'appelant Yassine permettait « à elle seule de trancher le litige » et qu'elle était parfaitement fondée.

30 En revanche, dans la décision Hu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 788 (1re inst.) (QL), le juge O'Keefe n'a pas cru devoir rejeter la demande de contrôle judiciaire, parce qu'il ne pouvait discerner « dans quelle mesure l'utilisation du témoignage produit par le pasteur Ng dans une autre affaire a pu conduire la Commission à mettre en doute la crédibilité de la demanderesse. Par ailleurs, la conclusion selon laquelle la demanderesse n'était pas crédible était capitale pour l'issue du dossier » : ibid., au paragraphe 26. Dans l'espèce Hu, tout comme dans la présente espèce, la Commission n'avait pas donné avis aux parties qu'elle s'en rapportait à ses connaissances spécialisées.

31 D'autres précédents rejettent l'application de l'exception énoncée dans l'arrêt Mobil Oil, précité, lorsque l'issue de la procédure n'est pas inéluctable (Fani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1030 (1re inst.) (QL); Yue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 863 (1re inst.) (QL)).

32 À mon avis, le principe exposé dans l'arrêt Yassine, précité, admet une réserve exprimée dans la décision Hu, précitée : pour autant que la décision de la Commission de ne pas croire un requérant d'asile soit fondée, et pour autant qu'elle suffise à disposer de la demande, c'est-à-dire s'il n'y a aucune raison de penser que les connaissances spécialisées de la Commission qui sont source de contestation ont de quelque manière conduit la Commission à décider comme elle l'a fait, alors l'exception énoncée dans l'arrêt Mobil Oil, précité, pourra être invoquée pour refuser la tenue d'une nouvelle audience.

[36]            En l'espèce, la spécialisation se rapporte, tout au plus, au fait que la présidente d'audience avait eu affaire à d'autres étudiants internationaux qui, en raison d'insomnies, étaient devenus disciples du Falun Gung. Cette spécialisation a été mentionnée à M. Qu. Après examen attentif de la transcription, ainsi que des motifs de la SPR, il m'est impossible d'affirmer que la SPR a tenu compte de cette spécialisation lorsqu'elle s'est prononcée sur la crédibilité de M. Qu et de sa demande d'asile. Je suis donc d'avis que la SPR ne s'est pas fondée sur sa spécialisation lorsqu'elle a évalué la crédibilité de M. Qu. En fût-il autrement, j'arriverais néanmoins à la conclusion que la SPR a divulgué sa spécialisation et que, en l'occurrence, elle a donné à M. Qu la possibilité d'y réagir. La SPR est arrivée à ses conclusions en matière de crédibilité en se fondant sur le témoignage de M. Qu, sur ses réponses aux questions qui lui étaient posées et sur les circonstances de sa demande d'asile.

[37]            À mon avis, les conclusions de la SPR touchant la crédibilité de M. Qu sont solides. Qui plus est, M. Qu a abandonné toute contestation qu'il entendait faire valoir à leur encontre. Elles demeurent donc incontestées. La spécialisation de la présidente d'audience n'a joué aucun rôle dans les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Lesdites conclusions ont été validement tirées et elles disposent pleinement de la demande. Dans ces conditions, il ne servirait à rien de renvoyer l'affaire pour nouvelle audition.

[38]            Je crois que cela va sans dire, mais j'ajouterais que l'avocate du demandeur est loin de s'être acquittée de son obligation d'établir une crainte raisonnable de partialité.

[39]            Pour les motifs susmentionnés, la présente demande sera rejetée. Les avocates n'ont proposé aucune question à certifier, et aucune question ne s'impose ici.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La demande est rejetée.

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-1171-05

INTITULÉ :                                                    DAZHONG QU

(également appelé DA ZHONG QU)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 25 janvier 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               la juge LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                   le 1er février 2006

COMPARUTIONS :

Cathy Clarke                                                     POUR LE DEMANDEUR

Ladan Shahrooz                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates                                           POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

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