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                                                                                                                                            Date : 20030512

                                                                                                                                       Dossier : T-1616-01

                                                                                                                           Référence : 2003 CFPI 572

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                             MOHAMMAD SHAFIQ

                                                                                                                                                      défendeur

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PINARD :

[1]         Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi) contre la décision par laquelle le juge de la citoyenneté, Mme Jeanine C. Beaubien (le juge de la citoyenneté), a fait droit, le 17 juillet 2001, à la demande de citoyenneté canadienne du défendeur.

[2]         Le défendeur, un citoyen du Pakistan, a obtenu le statut de résident permanent du Canada le 1er octobre 1999. Il a présenté une demande de citoyenneté le 6 mars 2000. Au cours des quatre années qui ont précédé sa demande de citoyenneté, le défendeur n'avait été présent au Canada que pendant 537 jours au lieu des 1 095 jours prescrits.


[3]         Le juge de la citoyenneté a accueilli la demande de citoyenneté du défendeur en expliquant ainsi sa décision :

M. Mohamad (sic) par contre déplore le fait de ses nombreuses absences. Il dit essayer de vendre son commerce de supermarché à Kuwait mais doit retourner périodiquement faire une surveillance et mousser la vente. Il m'explique que seulement une personne du pays (natif) peut acheter un commerce et que depuis les dernières années (suivant les années prospères d'après Guerre) les affaires selon lui ne sont pas favorables. Il espère toujours vendre mais pas à perte. Ceci explique les nombreuses absences. Les documents soumis prouvent une activité et une présence physique importante bien que limitée.

Je crois en la sincérité des déclarations et que M. Mohamed (sic) Shafiq ainsi que sa famille dont Adnan, & Naila son épouse, qui sont aussi des appliquants satisfont les dispositions du paragraphe 5(1)c de l'acte de La Citoyenneté Canadienne, Résidence.

[4]         Les conditions de résidence sont énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, lequel est rédigé comme suit :


   5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[. . .]

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent;

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent.

   5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[. . .]

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;



[5]         En premier lieu, le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur dans le calcul des jours pendant lesquels le défendeur a été absent du Canada et celui de la période de quatre ans à prendre en compte. Toutefois, le juge de la citoyenneté a transmis au ministre un avis de sa décision dans lequel était incluse la formule servant à déterminer le nombre de jours pendant lesquels l'auteur d'une demande de citoyenneté a été présent au Canada. Que le juge de la citoyenneté ait calculé ce nombre à partir de la date d'établissement du défendeur au Canada au lieu du 6 mars 1996, soit la date qui se situe quatre ans avant celle de la présentation de sa demande de citoyenneté, n'a aucune incidence sur le résultat. Si elle avait adopté la deuxième solution, le nombre total de jours et celui des absences auraient tous deux augmenté de 210, et le nombre de jours de présence au Canada serait resté à 537.

[6]         En second lieu, le demandeur soutient que la demande de citoyenneté du défendeur était prématurée parce qu'elle a été présentée moins de quatre ans après que celui-ci ait obtenu le droit d'établissement. À mon sens, le défendeur est fondé en droit à faire une demande de citoyenneté avant l'écoulement de la période de quatre ans. Toutefois, sa capacité de démontrer qu'il a respecté les conditions prévues par la Loi en matière de résidence s'en trouve diminuée.

[7]         Facteur plus important, le demandeur soutient que la présence du défendeur au Canada s'est limitée à 537 jours au cours des quatre ans ayant précédé sa demande de citoyenneté, ce qui est en-deça des 1 095 jours de présence exigés au cours de cette période.

[8]         À mon sens, la présence réelle au Canada est de loin le facteur le plus important à prendre en compte pour évaluer si l'auteur d'une demande de citoyenneté a respecté les conditions de résidence de la Loi. Seule l'existence de circonstances spéciales ou exceptionnelles peut faire en sorte que celui-ci ne soit pas tenu d'être physiquement présent au Canada pendant la période minimale. Dans Senoussi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (7 juillet 2000), T-1420-99, j'ai fait les remarques suivantes concernant le critère de la présence physique :

[2]      Mon collègue le juge Muldoon, dans Re Pourghasemi (1993), 19 Imm.L.R. (2d) 259, à la p. 260, expose les objectifs sous-jacents à cette disposition de la Loi :

[traduction]


. . .garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser » . Il le fait en côtoyant les Canadiens au centre commercial, au magasin d'alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d'automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l'ascenseur, à l'église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple - en un mot là où l'on peut rencontrer des Canadiens et parler avec eux - durant les trois années requises. Pendant cette période, le candidat à la citoyenneté peut observer la société canadienne telle qu'elle est, avec ses vertus, ses défauts, ses valeurs, ses dangers et ses libertés. Si le candidat ne passe pas par cet apprentissage, cela signifiera que la citoyenneté peut être accordée à quelqu'un qui est encore un étranger pour ce qui est de son vécu, de son degré d'adaptation sociale, et souvent de sa pensée et de sa conception des choses. Si donc le critère s'applique à l'égard de certains candidats à la citoyenneté, il doit s'appliquer à l'égard de tous. Et c'est ainsi qu'il a été appliqué par Mme le juge Reed dans Re Koo , T-20-92, 3 décembre 1992 [publié dans (1992), 59 F.T.R. 27, 19 Imm.L.R. (2d) 1], encore que les faits de la cause ne fussent pas les mêmes..

(Voir également les décisions de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada dans Re Afandi (6 novembre 1998), T-2476-97, M.C.I. c. Kam Biu Ho (24 novembre 1998), T-19-98, M.C.I. c. Chen Dai (6 janvier 1999), T-996-98, M.C.I. c. Chung Shun Paul Ho (1er mars 1999), T-1683-95, M.C.I. c. Fai Sophia Lam (28 avril 1999), T-1524-98, M.C.I. c. Su-Chen Chiu (9 juin 1999), T-1892-98, M.C.I. v. Chi Cheng Andy Sun (6 juin 2000), T-2329-98, Oi Hung Vera Hui c. M.C.I. (6 juin 2000), T-1338-99 et Martin Long Ying Lo c. M.C.I. (6 juin 2000), T-959-99.)

[3]     Cette Cour a statué qu'une interprétation correcte de l'alinéa 5(1)c) de la Loi n'oblige pas une personne à être physiquement présente au Canada pendant toute la période de 1 095 jours de résidence prescrits lorsqu'il existe des circonstances spéciales et exceptionnelles. J'estime toutefois que la présence réelle au Canada demeure le plus pertinent et le plus important facteur dont il faille tenir compte pour établir si une personne a « résidé » au Canada au sens de cette disposition. Comme je l'ai dit maintes reprises, une absence prolongée du Canada, bien que temporaire, au cours de cette période minimale de temps, va à l'encontre de l'esprit de la Loi qui permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas y résider pendant une des quatre années qui précèdent la date de sa demande de citoyenneté.

[Je souligne.]

[9]         En l'espèce, le défendeur a fait valoir comme motifs de ses absences les visites qu'il a rendues à sa parenté et la nécessité de gérer et de tenter de vendre l'entreprise qu'il possède au Koweït. Étant donné le caractère prolongé des absences du défendeur (il n'a été présent au Canada que pendant 537 des 1 095 jours de résidence prescrits), ces motifs ne représentent pas des circonstances spéciales et exceptionnelles ayant pour effet de le soustraire à l'obligation d'être physiquement présent au Canada. Par conséquent, je conclus que la décision du juge de la citoyenneté selon laquelle le défendeur avait rempli les conditions de résidence prévues par la Loi est entièrement déraisonnable et qu'elle découle de l'application erronée de l'alinéa 5(1)c) de la Loi.


[10]       Pour les motifs qui précèdent, l'appel est accueilli et la décision rendue par le juge de la citoyenneté le 17 juillet 2001 est annulée en raison du fait que le défendeur, au moment où il a présenté sa demande de citoyenneté canadienne, ne remplissait pas les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. En conséquence, la demande de citoyenneté canadienne du défendeur est rejetée.

          « Yvon Pinard »         

       Juge                    

Ottawa (Ontario)

Le 12 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                                      COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-1616-01

INTITULÉ :                                           Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

c.

Mohammad Shafiq

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 8 avril 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :             Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                        Le 12 mai 2003

COMPARUTIONS :

Carmela Maiorino                                                 POUR LE DEMANDEUR

Mohammad Shafiq                                               POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Mohammad Shafiq                                               POUR SON PROPRE COMPTE

Laval (Québec)


                                                                                                                                            Date : 20030512

                                                                                                                                       Dossier : T-1616-01

Ottawa (Ontario), le lundi 12 mai 2003

En présence de Monsieur le juge Pinard

Entre :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                                                             MOHAMMAD SHAFIQ

                                                                                                                                                        défendeur

                                                                        JUGEMENT

L'appel est accueilli. La décision rendue le 17 juillet 2001 par le juge de la citoyenneté, Mme Jeanine C. Beaubien, est annulée pour le motif que le défendeur, au moment où il a présenté sa demande de citoyenneté canadienne, ne remplissait pas les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29. En conséquence, la demande de citoyenneté canadienne du défendeur est rejetée.

          « Yvon Pinard »         

       JUGE                  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

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