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Date : 20030619

Dossier : IMM-2913-02

Référence : 2003 CFPI 761

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2003

En présence de MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                                     

ENTRE :

                                              OGUEJIOFOR MARTIN ANUSIONWU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 Monsieur Anusionwu prétend avoir fui le Nigéria après avoir été poursuivi par une violente secte connue sous le nom de la « hache noire » . Il est arrivé au Canada en 2001, où il a demandé le statut de réfugié. Sa demande a été rejetée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié aux motifs qu'il n'a pu démontrer qu'il était dans l'impossibilité d'obtenir la protection des autorités du Nigéria.


[2]                 Tout bien considéré, la Commission a décidé que les craintes de persécution de M. Anusionwu étaient réelles et justifiées. Les sectes constituent, semble-t-il, un problème largement répandu et persistant au Nigéria, tout particulièrement sur les campus universitaires. Les membre des sectes visent souvent les personnes qui émettent des commentaires négatifs à leur égard, ce que M. Anusionwu prétend avoir fait. Il dit que sa maison a été attaquée et a été visitée par des cambrioleurs. Les auteurs de ces méfaits ont laissé un message de menace. M. Anusionwu a demandé l'aide de la police qui lui a répondu qu'elle ferait enquête. La maison a été attaquée de nouveau et un autre message de menace a été transmis. Les auteurs de ces messages semblaient au courant du fait que M. Anusionwu avait communiqué avec la police et ils l'ont averti que la police ne pourrait le protéger.

[3]                 Monsieur Anusionwu s'est alors rendu dans le village de ses parents. Il affirme que les membres de la secte l'ont suivi et qu'ils ont battu sa mère. M. Anusionwu a de nouveau rendu visite aux policiers qui l'ont alors informé qu'il leur était impossible de le protéger. C'est à ce moment qu'il a décidé de quitter le Nigéria.

I. Question en litige

[4]                 Une seule question est en jeu dans cette affaire : la Commission a-t-elle commis une erreur sérieuse lorsqu'elle a conclu que M. Anusionwu jouissait d'une protection adéquate de l'État au Nigéria ?


A. Critère applicable en matière de protection de l'État

[5]                 La question de la protection de l'État est intimement liée à la définition de « réfugié » .

[6]                 A qualité de réfugié, la personne qui :

.            craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques;

.            se trouve hors du pays dont elle a la nationalité;

.            elle ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

(Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, par. 2(1); Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 96.) (Non souligné dans l'original.)

[7]                 La question de la protection de l'État se présente habituellement lorsqu'une personne fait état que l'agent persécuteur n'est pas l'État. Dans un tel contexte, il faut alors décider si le revendicateur du statut de réfugié peut démontrer qu'il n'a pas été en mesure d'obtenir la protection de l'État en présentant la preuve qu'il a déployé des efforts raisonnables pour obtenir une telle protection.


[8]                 En règle générale, un revendicateur du statut de réfugié doit offrir une preuve « claire et convaincante » que l'État ne peut assurer de protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Ce fardeau de preuve est allégué lorsqu'il y a « effondrement complet de l'appareil étatique » puisque la protection de l'État n'est évidemment pas disponible dans une telle situation (Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (QL) (C.A.)). Cependant, à l'autre extrémité, lorsque l'État est doté d'institutions démocratiques efficaces, le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur du statut de réfugié peut être passablement lourd : « plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui » (Kadendo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (QL) (C.A.)). En d'autres mots, une demande de statut de réfugié peut être refusée s'il existe une preuve crédible de l'existence de la protection de l'État et que le revendicateur n'en a pas suffisamment tiré avantage ou qu'il n'a pas suffisamment essayé de l'obtenir.

[9]                 Il est important de considérer la situation de l'État dans son ensemble. Après tout, à la lumière de l'objectif général du système de protection des réfugiés, la question consiste à savoir si les personnes qui arrivent d'un pays étranger nécessitent la protection du Canada parce que leur État d'origine n'a pu leur offrir la protection requise. Par conséquent, le refus de la police de fournir une protection à l'échelle locale ne constitue pas nécessairement un refus de l'ensemble de l'État d'offrir la protection nécessaire (Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 507 (QL) (1re inst.); Kalendo, ci-dessus).

B.L'application des critères dans le cas de M. Anusionwu


[10]            La Commission a conclu que M. Anusionwu n'a pas fourni une preuve claire et convaincante de son incapacité à obtenir la protection de l'État au Nigéria. La Commission a examiné la preuve documentaire qui lui a été présentée démontrant que le Nigéria déployait des efforts sérieux afin d'améliorer le respect des lois en général et qu'il adoptait des mesures visant à combattre le problème de la violence perpétrée par les membres des sectes. La Commission a constaté que certaines de ces mesures se sont avérées efficaces. De plus, elle a fait remarqué qu'il existe un mécanisme qui permet d'obtenir l'intervention de policiers de plus haut niveau si une personne n'est pas satisfaite de la réponse obtenue au premier niveau à la suite d'une demande d'aide. La Commission a conclu que la protection de l'État était suffisante au Nigéria pour les personnes se trouvant dans la situation de M. Anusionwu, et elle a conséquemment rejeté sa demande.

[11]            La Commission n'a pas mis en doute la version des faits présentée par M. Anusionwu. Elle a conclu que sa preuve était crédible et digne de foi et que le problème des sectes était bien documenté. La Commission ne remet pas en question le fait que M. Anusionwu a tenté, sans succès, d'obtenir l'aide de la police.

[12]            La question, par conséquent, consiste plutôt à décider si la Commission a commis une erreur sérieuse en concluant qu'il existait une protection de l'État adéquate pour M. Anusionwu, nonobstant la tentative infructueuse d'obtenir une telle protection.


[13]            L'avocat de M. Anusionwu a fait valoir que la Commission a appliqué le mauvais critère juridique pour en arriver à sa conclusion. Il soutient que le critère de l'affaire Villafranca, lequel fait référence à une situation « d'effondrement complet de l'appareil étatique » , a été implicitement mis de côté par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ward puisqu'il n'est fait aucune mention de ce critère dans cette décision. Il m'apparaît clairement que la décision dans l'affaire Ward et celle dans l'affaire Villafranca sont compatibles et que la Commission n'a commis aucune erreur en citant l'affaire Villafranca dans ses motifs. De toute façon, elle a cité l'affaire Villafranca pour une tout autre question - soit qu'aucun gouvernement ne peut garantir la protection à tous ses citoyens en tout temps.

[14]            L'avocat de M. Anusionwu a abondamment cité la preuve documentaire lors de l'audience afin de démontrer que la Commission avait commis une grave erreur en concluant que l'État pouvait assurer une protection adéquate au Nigéria. Il a cité une recherche citant l'opinion d'un expert, qui est d'avis que les « autorités gouvernementales sont incapables de protéger les étudiants » des sectes. Il a également cité un autre document où l'on présente l'opinion d'un expert qui déclare que la police du Nigéria est habituellement « inefficace » et « insuffisante » . Un autre expert déclare que, dans certains cas, la police [traduction] « n'est pas en mesure d'intervenir efficacement » .

[15]            De son côté, l'avocat qui représente le ministre a cité un élément de preuve documentaire présenté à la Commission qui établit que plusieurs mesures sérieuses ont été mises en place au Nigéria afin de freiner les activités des sectes et d'améliorer les services policiers. La Commission, après avoir pris acte du problème omniprésent des sectes, a abondamment fait mention de cet élément de preuve.

[16]            Après une étude attentive du dossier, je suis d'avis que la Commission a analysé la preuve de manière équitable. M. Anusionwu a tenté d'obtenir l'aide de la police nigériane et, à une occasion dans une localité, on lui a répondu qu'il était impossible de lui assurer la protection requise. Malgré cela, en concluant que l'État du Nigéria pouvait accorder sa protection, la Commission n'a pas rendu une décision incompatible avec la preuve qui lui a été présentée.

[17]            Dans les faits, M. Anusionwu conteste l'importance que la Commission a donné à certains éléments de preuve. Toutefois, cela ne constitue pas un motif suffisant pour justifier l'intervention de la Cour. Je ne trouve pas d'erreur dans la façon dont la Commission a appliqué le critère juridique à l'égard de la protection de l'État, ni dans l'évaluation de la preuve qui lui a été présentée. Par conséquent, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire. Aucune question grave de portée générale n'a été proposée pour certification et aucune n'est certifiée.


                                                                          JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          Que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.          Qu'aucune question grave de portée générale ne soit énoncée.

                                                                                                                                      « James W. O'Reilly »          

                                                                                                                                                                    Juge                         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L


                                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                   AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-2913-02

INTITULÉ :                                        OGUEJIOFOR MARTIN ANUSIONWU

                                                                                                                                                         demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                           défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE JEUDI 29 AVRIL 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DU JUGEMENT :                  LE JEUDI 19 JUIN 2003

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo                                POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley Jesuorobo

Avocat et conseiller juridique

968, av. Wilson, 3e étage

North York (Ontario) M3K 1E7                                                  POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                             POUR LE DÉFENDEUR


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