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                                                                                                                                          Date : 20030120

                                                                                                                                Dossier : IMM-83-02

                                                                                                            Référence neutre : 2003 CFPI 47

Ottawa (Ontario), le 20e jour de janvier 2003

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE EDMOND P. BLANCHARD

ENTRE :

                                                          ALPHONSE NTAGANZWA

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « Section du statut » ) rendue le 22 novembre 2001 statuant que M. Alphonse Ntaganzwa ( « le demandeur » ) n'est pas un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié ( « Convention » ).

Faits

[2]                 Le demandeur, né en Burundi, est citoyen du Rwanda. Il allègue une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques.


[3]                 La famille du demandeur aurait été déplacée vers le Burundi de 1960 à 1973. Ses parents sont retournés au Rwanda en 1973 alors qu'il est demeuré chez une tante au Burundi de 1974 à 1991. Ses parents seraient décédés lors du génocide de 1994.

[4]                 Le demandeur allègue être journaliste. Il aurait travaillé à la radio de Muhabura de 1992 à 1994. D'octobre 1996 à décembre 1997, il aurait étudié en Suisse.

[5]                 Du mois de mars 1998 jusqu'en juillet 1999, le demandeur était employé d'une ONG Internationale, Lutheran World Federation, et travaillait comme chargé d'informations et relations extérieures dans un projet de développement rural. Parmi ses fonctions le demandeur aurait aidé les journalistes étrangers qui couvraient la situation au pays. L'objectif de ce travail était d'encourager les bailleurs de fonds, à l'étranger, de continuer de subventionner cette ONG. Selon le demandeur, en avril 1998, alors qu'il servait d'interprète pour des journalistes sud-africains, il aurait été arrêté, détenu et battu en raison de ces contacts avec ces bailleurs de fond.

[6]                 Le demandeur allègue avoir été menacé par les Agents de renseignements militaires (DMI) et par les « Local Defence Forces » (LDF) puisqu'ils le soupçonnaient d'être un espion au service des Tutsis et de transmettre de l'information aux journalistes occidentaux.

[7]                 En janvier et avril 2000, des militaires se seraient rendus chez le demandeur et lui auraient demandé de voir son ordinateur et de consulter les messages qu'il avait envoyés. Selon le demandeur, les militaires en ont fait des copies.


[8]                 D'après son témoignage, le demandeur a été élu secrétaire de l'Association des journalistes rwandais, fait non rapporté dans son FRP.

[9]                 Lors d'une conférence de presse tenue en mars 2000 suite au décès de monsieur Kabera, un conseiller à la vice-présidence, le demandeur témoigne qu'il aurait posé des questions sur l'effort du gouvernement pour éclaircir les coupables de l'attentat. Selon le demandeur, peu de temps après cette conférence, il aurait été convoqué au bureau du Major Jacques Nziza qui l'aurait accusé d'être un traître. Ce dernier aurait rappelé au demandeur son serment en tant que membre du parti Front Patriotique Rwandais (FPR) et aurait souligné un paragraphe de ce serment stipulant qu'être traité de traître par ce mouvement, cela était une chose très sérieuse. Le demandeur interpréta cette menace comme étant passible d'une peine de mort.

[10]            Le demandeur aurait quitté le Rwanda avec le passeport d'un ami ayant le même nom que lui. Tous ses documents seraient restés chez lui et il affirme que sa résidence aurait été vandalisée après son départ.

Décision

[11]            La Section du statut a refusé d'accorder le statut de réfugié au demandeur puisqu'elle a déterminé qu'il n'est pas crédible et qu'il ne s'est pas déchargé de son fardeau d'établir qu'il avait une crainte bien fondée de persécution. La Section du statut soulève les motifs suivants à l'appui de sa décision :


-          Le témoignage du demandeur était souvent général et évasif.

-          Le témoignage du témoin n'a pas de valeur car ce dernier a mentionné que le revendicateur travaillait toujours pour la radio en octobre 1997 alors que le revendicateur affirme qu'à cette date il étudiait en Suisse.

-          Le revendicateur n'a aucun document supportant le fait qu'il est journaliste. La seule pièce d'identité est un permis de conduire français.

-          Il est invraisemblable que les officiers des douanes n'auraient pas remarqué que la photo du passeport n'était pas la sienne.

-          Il est invraisemblable qu'un journaliste aguerri n'aurait pas pris soin de mettre ses documents journalistiques sous scellé et/ou en sécurité. Le revendicateur aurait pu de cette façon appuyer ses allégations qu'il était journaliste au Rwanda depuis 1991. Donc, l'absence de ces documents a grandement nui à sa crédibilité.

-          Le revendicateur n'a également remis aucun document de son implication comme agent d'information dans le projet de développement rural.

-          La SSR note le fait que la lettre de « Lutheran World Association » du 29 janvier 2001 ne fait pas allusion aux difficultés qu'aurait vécues le revendicateur alors qu'il travaillait pour cet organisme.

-          Le revendicateur n'a pas mentionné dans son FRP le rôle important de secrétaire qu'il aurait occupé au sein de l'association des journalistes. La preuve documentaire soutient qu'à cette date le gouvernement rwandais n'avait pas encore certifié l'existence de l'association; ce qui ne permettait pas à l'organisme d'avoir des subventions. Pourtant, le revendicateur mentionne avoir obtenu des subventions.

-          Le revendicateur affirme ne pas avoir publié l'information qu'il détenait au sujet de la mort de Kabera. Il a affirmé attendre le moment opportun. La documentation a été saisie à son domicile au Rwanda. La SSR trouve invraisemblable que la documentation ne soit pas en sécurité.

-          Les lettres que la SSR a reçues après l'audience confirmant le stage qu'aurait fait le demandeur, ont soulevé certaines questions. Une des lettres mentionne que la famille du revendicateur s'inquiétait à son sujet alors que dans son témoignage il a dit que les membres de sa famille sont décédés lors du génocide. De plus, la lettre stipule que la police aurait utilisé la violence lors d'une fouille et que le matériel informatique aurait été confisqué et abîmé. Pourtant, le revendicateur allègue que les militaires avaient fait une copie de ses messages et que ses documents personnels ont été saisis après qu'il ait quitté le Rwanda.

  

-          Le revendicateur n'avait pas agi comme une personne qui dit craindre pour sa vie car il n'a pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis où le revendicateur s'est retrouvé pour une journée en transit vers le Canada.

-          Le revendicateur avait des relations avec des personnes proches du pouvoir dans son pays. Il a reçu de l'aide de son gouvernement pour étudier en Suisse, il aurait été invité à une fête soulignant la nomination du nouveau procureur à la cour de Kigali et que les organismes communautaires dont il faisait parti bénéficiaient de l'appui du gouvernement.

    

Questions en litige

(i)         La Section du statut a-t-elle rendu une décision fondée sur une conclusion de faits erronés, tirée de façon arbitraire et sans tenir comporte des éléments dont elle disposait?

(ii)        La Section du statut a-t-elle erré dans son appréciation de la preuve?

Analyse

[12]            La Section du statut en est venu à la conclusion que le demandeur n'était pas crédible. La Section du statut a essentiellement fondé cette conclusion sur le fait que le demandeur n'a pu prouver qu'il était journaliste au Rwanda et particulièrement n'a pas produit de preuve documentaire concrète pour appuyer son témoignage à l'effet qu'il était journaliste au Rwanda depuis 1991. Je reproduit les passages suivants retrouvés dans les motifs de la Section du statut aux pages 4, 5 et 7 :

... Cette absence de documents confirmant le statut de journaliste du revendicateur a grandement nui à sa crédibilité.

...

Le rôle tenu au sein de l'association des journalistes n'a pas été davantage corroboré par quelque document que ce soit.


...

La preuve n'a pas démontré que le revendicateur avait été journaliste au Rwanda et qu'il avait été victime de persécution lors de son travail au sein des ONG.

  

[13]            Le demandeur soutient que trois documents non contredits et de source crédible ont été déposés à l'effet qu'il avait travaillé comme journaliste et comme agent d'information dans le projet de développement de son milieu rural.

-           Lettre émanant de l'agence presse Info-Sud localisée à Lausanne en Suisse;

-           Lettre de OMSV - ORGANISME MÉDICO-SOCIAL VAUDOIS;

-           Lettre de « The Lutheran World Federation » une ONG de réputation internationale attestant des services du requérant.

Je m'arrête à la première pièce, notamment une lettre émanant de l'agence presse Info-Sud localisée à Lausanne en Suisse, qui se lit comme suit :

L'agence de presse InfoSud, fondée en 1988, publie chaque année plus de 1000 articles sur les questions nord-sud et les enjeux internationaux dans les médias suisses, français, belges et africains.

Un quart de ces articles sont signés par des journalistes du Sud, notamment africains, dans le cadre d'un programme intitulé "la voix du Sud dans les médias du Nord", soutenu par la Direction du Développement et de la Coopération (DDC) (Coopération officielle), l'État de Genève et diverses grandes ONG's suisses. Nous participons aussi à un autre programme financé par L'Agence intergouvernementale de la francophonie, intitulé Syfia International, une association regroupant neuf agences (cf bas de page) - au total 70 correspondants de 30 pays francophones.

Connaissant notre expérience en matière de journalisme nord-sud, l'institut universitaire d'études du développement (IUED-Genève) nous a demandé d'accueillir M. Ntaganzwa, journaliste rwandais qui suivait alors des cours à cet institut pour un stage de perfectionnement, durant 4 mois, de juin à septembre 1997. M. Ntaganzwa, journaliste formé en radio, souhaitait un stage en presse écrite et améliorer ses connaissances sur les grands dossiers internationaux. Durant son stage, il a également élaboré une intéressante évaluation du fonctionnement de notre agence, travail qu'il a ensuite soumis à l'IUED. Nous avons apprécié ses qualités humaines et pouvons attester de sa qualité de journaliste.


Notre agence est au courant des problèmes que M. Ntaganzwa a subi dans son pays. La situation au Rwanda est en effet loin d'être stabilisée et les pressions qui s'exercent sur les professions exposées peuvent être très dangereuses. (Je souligne)

[14]            La Section du statut a totalement ignoré ce document important qui venait corroboré le témoignage du demandeur à l'effet qu'il était journaliste rwandais et attestait des problèmes qu'il rencontrait dans son pays de citoyenneté, le Rwanda. Le défendeur a fait valoir que l'Agence de presse Info-Sud n'était pas en mesure de constater que le demandeur était journaliste et que cette lettre ne constituait pas une preuve à l'effet que le demandeur était journaliste.

[15]            Je n'accepte pas les prétentions du défendeur. Cette lettre est un document directement pertinent à la question, à savoir : si le demandeur était journaliste. À mon avis, c'est une question fondamentale traitée dans la décision de la Section du statut puisque cette dernière a déterminé que « l'absence de documents confirmant le statut de journaliste » a grandement nui à la crédibilité du demandeur. Le rejet de la revendication est fondé sur cette détermination de non-crédibilité. Le défaut de faire mention de cette lettre, une preuve directement applicable à une question fondamentale traitée dans la décision, constitue une erreur révisable.

[16]            Je conclu donc que la Section du statut a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu'elle a tirée sans tenir compte de tous les éléments portés à sa connaissance. [Voir Atwal c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. No. 1113 No. du greffe IMM-4470-93, au para. 10.]

[17]            Il ne sera donc pas nécessaire de considérer les autres points en litige soulevés par le demandeur.


[18]            Je suis satisfait que l'erreur commise et discutée ci-haut est suffisante pour justifier l'intervention de cette Cour.

Conclusion

[19]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accordée.

[20]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale telle qu'envisagée à l'article 83 de la Loi sur l'immigration, 1985, L.R.C. c. I-2. Je ne propose pas de certifier une question grave de portée générale.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accordée.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                                 Juge                   


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           IMM-83-02

INTITULÉ :                                        Alphonse Ntaganzwa c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              3 septembre 2002

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                      20 janvier 2003

COMPARUTIONS:

Me Nicole Goulet                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Me Marie Crowley                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Nicole Goulet                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Hull (Québec) J8Y 3X8

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario) K1A 0H8

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