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Date : 20020426

Dossier : IMM-1406-01

Référence neutre : 2002 CFPI 472

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2002

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge John A. O'Keefe

ENTRE :

                                                            MARIKA NITSKI

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 22 février 2001, que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire pour que celle-ci soit à nouveau entendue par un tribunal différemment constitué de la Commission.

Les faits

[3]                 La demanderesse est citoyenne estonienne.

[4]                 La demanderesse allègue craindre d'être persécutée parce qu'elle est d'origine russe et parce que son oncle est un activiste politique russe bien connu en Estonie.

[5]                 La demanderesse est arrivée au Canada en 1997 et elle a revendiqué le statut de réfugié en invoquant les problèmes auxquels elle avait fait face parce que son mari était considéré comme un juif. L'homme qu'elle avait épousé était un orthodoxe russe dont la mère était juive. La revendication a été refusée.

[6]                 La demanderesse est retournée en Estonie le 15 octobre 1998.

[7]                 La demanderesse est de nouveau entrée au Canada le 2 octobre 1999; elle a présenté une deuxième revendication en invoquant les motifs susmentionnés ainsi que certains événements qui s'étaient produits lorsqu'elle était retournée en Estonie.


[8]                 La demanderesse allègue avoir été victime de nombreux actes de persécution en Estonie; elle a notamment mentionné l'enlèvement de conjoint, les voies de fait dont son enfant avait été victime et une tentative de viol.

[9]                 À l'audience, la demanderesse a présenté une preuve corroborante, notamment une lettre d'un avocat, en Estonie, selon laquelle l'État n'assurait pas de protection, laquelle étayait l'assertion selon laquelle la demanderesse était persécutée en Estonie. La demanderesse a également produit des articles de journaux faisant état de l'activisme politique de son oncle et du décès de sa fille, des rapports de police montrant qu'elle avait signalé la tentative de viol à la police ainsi qu'un rapport médical attestant que son fils avait reçu des points de suture pour une blessure à la tête.

[10]            Étant donné qu'il s'agissait d'une revendication réitérée, la Commission a appliqué la doctrine de la chose jugée et a limité son appréciation de la revendication aux nouveaux éléments de preuve postérieurs au rejet de la première revendication.

[11]            En appréciant la revendication, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi et qu'elle n'avait pas établi l'existence d'une crainte fondée de persécution en Estonie.


Arguments de la demanderesse

[12]            La Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en se fondant sur le fait que, dans sa première revendication, la demanderesse n'avait pas mentionné qu'elle avait fait face à des problèmes à cause de son origine russe et de son appartenance à la famille de son oncle. La demanderesse déclare avoir témoigné qu'elle avait de fait informé son avocat des problèmes que posaient les activités politiques de son oncle, mais qu'il lui avait dit que la situation de son oncle était trop éloignée pour être pertinente. La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette explication et que, dans son appréciation, elle n'a donc fait aucun cas d'un élément de preuve pertinent.

[13]            La demanderesse soutient que les événements les plus importants invoqués dans la deuxième revendication se sont produits après son retour en Estonie.

[14]            La demanderesse déclare qu'à l'audience, elle a produit un certain nombre de documents servant de preuve corroborante. Elle affirme que la Commission a commis une erreur sérieuse en concluant que, parce qu'elle n'était pas digne de foi, les documents personnels qu'elle avait produits à titre de preuve corroborante devaient être rejetés.

[15]            La demanderesse affirme que la Commission peut à bon droit rejeter les documents parce qu'elle n'est pas digne de foi, mais que dans ce cas-ci telle n'était pas la conclusion. La demanderesse soutient que la question de la crédibilité se rapportait expressément au fait que, lors de l'audience antérieure, elle n'avait pas invoqué les motifs qui sont maintenant avancés. La demanderesse affirme que la Commission n'a pas tiré une conclusion générale au sujet de la crédibilité et que rien ne lui permettait de déterminer qu'il ne fallait accorder aucun poids aux documents personnels.

[16]            La demanderesse soutient que la Commission peut tenir compte de documents relatifs au pays tirés de sources fiables, mais qu'elle doit aussi tenir compte des documents personnels, qui se rapportent à son cas d'une façon plus directe et plus pertinente que des renseignements généraux. Elle affirme que la Commission doit apprécier les documents personnels qui prouvent expressément sa revendication.

Arguments du défendeur

[17]            Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission sont fondées en fait et en droit et qu'elles sont bien étayées par la preuve qui a été présentée à l'audience.


[18]            Le défendeur affirme que, selon la décision Vasquez c. Canada (MCI) (1998) 160 F.T.R. 142, la demanderesse ne peut pas présenter, dans le cadre d'une revendication réitérée, une preuve qui aurait pu être fournie au moment où la revendication initiale a été soumise.

[19]            Le défendeur soutient que la demanderesse tentait de plaider de nouveau sa revendication initiale en se fondant sur des arguments supplémentaires qu'elle aurait pu invoquer lors de la revendication initiale.

[20]            Le défendeur affirme que la demanderesse a eu la possibilité, lors de la revendication initiale, de soulever les questions relatives à sa nationalité russe et à son oncle et que, compte tenu de la doctrine de la chose jugée, elle ne peut plus les invoquer.

[21]            Le défendeur affirme que la Commission pouvait avec raison conclure que les explications que la demanderesse avait données pour ne pas avoir invoqué ces motifs lors de l'audience antérieure n'étaient pas satisfaisantes.

[22]            Le défendeur affirme que la demanderesse n'a pas démontré que la Commission a effectué son appréciation d'une façon abusive et arbitraire et sans tenir compte de la preuve.

[23]            Points litigieux

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant l'omission de la demanderesse de mentionner les motifs fondés sur la persécution lors de sa première revendication?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant les documents personnels corroborant le fait que la demanderesse avait été persécutée en Estonie?

Analyse et décision

[24]            Première question

La Commission a-t-elle commis une erreur en appréciant l'omission de la demanderesse de mentionner les motifs fondés sur la persécution lors de sa première revendication?

La Commission a fondé la conclusion selon laquelle la demanderesse n'était pas digne de foi sur le fait que celle-ci n'avait pas fait ces allégations lors de l'audition initiale de la revendication. Voici ce que le tribunal a dit :

Le tribunal retient que la crainte d'être persécutée, comme le prétend la revendicatrice dans sa nouvelle revendication, repose sur deux éléments : sa nationalité russe et le fait d'avoir un oncle dont le militantisme est prétendument bien connu.


Il importe de faire remarquer que, dans la première revendication du statut de réfugié, la revendicatrice n'a fait état d'aucun de ces deux éléments. Quand on le lui a fait remarquer, la revendicatrice a fait valoir que sa première revendication était fondée sur le fait que son conjoint est d'origine juive et qu'elle n'a pas eu besoin, par conséquent, de faire valoir ces deux éléments. Le tribunal rejette cette explication. Selon nous, si ces autres raisons (la nationalité russe de la revendicatrice et ses liens avec son oncle) étaient importantes au point de lui faire craindre d'être persécutée, la revendicatrice aurait dû en faire état dans son premier FRP.

  

[25]            Il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure qu'étant donné que les motifs invoqués par la demanderesse à l'appui de sa revendication existaient au moment où le premier tribunal avait entendu l'affaire, et si ces motifs amènent la demanderesse à craindre d'être persécutée, il en aurait probablement été de même lorsque la demande antérieure avait été soumise, de sorte que ces motifs auraient dû être mentionnés dans le premier FRP. La conclusion que la Commission a tirée sur ce point s'applique d'une façon générale, à une exception près. L'exception ne s'appliquerait que si la situation dans le pays a changé de sorte que ces motifs amènent maintenant la demanderesse à craindre d'être persécutée, mais qu'il n'en allait pas de même avant la présentation de la première revendication.

[26]            Je ne crois pas que la Commission ait commis une erreur en appréciant l'omission de la demanderesse de mentionner ces motifs de persécution au moment où elle a présenté la première revendication.

[27]            Deuxième question

La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant les documents personnels corroborant le fait que la demanderesse avait été persécutée en Estonie?


La demanderesse a fourni divers éléments de preuve documentaire à l'appui de sa revendication. Elle a soumis des copies de lettres que la police avait envoyées à son avocat, en Estonie, lorsque, à sa demande, il avait été question de l'introduction de poursuites au criminel. La demanderesse a soumis une lettre d'un hôpital attestant que son fils avait reçu des points de suture pour une blessure à la tête. Elle a en outre soumis une lettre de son avocat, en Estonie, faisant état de certains événements qui s'étaient censément produits depuis que la Commission avait rendu sa première décision.

[28]            La Commission a examiné comme suit la preuve corroborante présentée par la demanderesse :

Le tribunal en est arrivé à cette conclusion après avoir examiné la preuve corroborante présentée par la revendicatrice à l'appui de sa revendication réitérée, y compris les lettres de M. Santashev, avocat en Estonie, et trois articles de journaux qui viennent confirmer les allégations de la revendicatrice concernant les activités de son oncle et la mort du cousin de ce dernier. Nous avons aussi examiné le rapport de police, le rapport médical, toutes pièces versées au dossier sous Pièces C-3 et C-4. Cependant, étant donné les problèmes de crédibilitérencontrés et considérant que les documents corroborants sont incompatibles avec les autres éléments de la preuve documentaire, preuve provenant de sources impartiales ou d'organismes réputés des droits de la personne, le tribunal n'accorde aucun poids à la preuve corroborante produite par la revendicatrice pour étayer sa revendication.

[29]            La Commission peut sans aucun doute suivre le principe de la chose jugée et tenir uniquement compte des nouveaux éléments de preuve qui sont postérieurs à la première audience. Le fait qu'un demandeur n'a pas eu gain de cause ne l'empêche pas de soumettre une nouvelle revendication en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve se rapportant à la nouvelle situation dans son pays d'origine.

[30]            Dans sa décision, la Commission n'a tout simplement fait aucun cas des nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse. Il était peut-être loisible à la Commission de ne pas accorder beaucoup d'importance aux documents si elle estimait que les documents étaient des faux ou qu'ils étaient vagues. Toutefois, la Commission a expliqué qu'elle n'avait accordé aucun poids à ces documents « étant donné les problèmes de crédibilité rencontrés » et les contradictions apparentes entre ces documents et le reste de la preuve documentaire.

[31]            La Commission est obligée de tenir compte de la possibilité que la situation dans le pays d'origine ait changé. La nouvelle situation peut ressortir de la preuve documentaire ou elle peut être propre à la demanderesse. Afin de déterminer si la situation a changé dans le pays d'origine, la Commission aurait dû apprécier ce nouvel élément de preuve pour voir s'il indiquait un changement de situation au lieu de n'y accorder aucun poids parce qu'elle concluait que l'omission de mentionner certains motifs dans la première demande minait la crédibilité de la demanderesse.


[32]            Dans cette deuxième demande, la Commission doit tenir compte des nouveaux éléments de preuve et déterminer s'ils ont suffisamment de poids pour établir que la situation a changé dans le pays d'origine de la demanderesse. La Commission n'a pas effectué d'analyse et n'a pas donné de motifs pour expliquer pourquoi il ne fallait accorder aucun poids à ces nouveaux éléments si ce n'est qu'elle a mentionné le problème de la crédibilité découlant du fait que, dans la demande antérieure, la demanderesse n'avait pas mentionné les deux motifs qui sont mentionnés à l'appui de la présente demande.

[33]            Je conclus que le fait que la Commission ne s'est pas demandé si ces nouveaux éléments de preuve permettaient de conclure que la situation avait changé dans le pays constitue une erreur susceptible de révision.

[34]            La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différent de la Commission pour que celui-ci rende à nouveau une décision.

[35]            Ni l'une ni l'autre partie ne voulait faire certifier une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

[36]            LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différent de la Commission pour que celui-ci rende à nouveau une décision.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 26 avril 2002.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                                      IMM-1406-01

INTITULÉ :                                                                     Marika Nitski

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 29 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                                  le 26 avril 2002

  

COMPARUTIONS :

Mme Maureen Silcoff                                                          POUR LA DEMANDERESSE

M. Michael Butterfield                                                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Maureen Silcoff                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 

  
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