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     Date : 19990517

     Dossier : IMM-4625-98

Ottawa (Ontario), le 17 mai 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

     RAM JEERH,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal reconstitué pour nouvelle audience et réexamen.

                                 Karen R. Sharlow

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19990517

     Dossier : IMM-4625-98

ENTRE :

     RAM JEERH,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      Gurnek Singh Jeerh est âgé de 18 ans et vit en Inde. Il a été adopté par le demandeur et sa femme conformément aux lois de l'Inde en 1993; il avait alors 12 ans. Le 21 août 1998, la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur ne pouvait pas parrainer la demande de résidence permanente de son fils. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]      Le demandeur a tenté de parrainer l'entrée de Gurnek au Canada en s'appuyant sur le fait que Gurnek est un membre de la catégorie de la famille par rapport au demandeur. Pour appartenir à cette catégorie, Gurnek doit être le " fils à charge " du demandeur au sens du paragraphe 2(1) du Règlement. Si Gurnek correspond à la définition du terme " fils ", alors il est manifestement un " fils à charge " parce qu'au moment de la demande, il était âgé de moins de 19 ans et était célibataire.

[3]      Gurnek est le " fils " du demandeur suivant le Règlement s'il a été " adopté " avant l'âge de 19 ans. Pour l'application du Règlement, le terme " adopté " a un sens restreint :

     " adopté " Personne adoptée conformément aux lois d'une province ou d'un pays étranger ou de toute subdivision politique de celui-ci, dont l'adoption crée avec l'adoptant un véritable lien de filiation. La présente définition exclut la personne adoptée dans le but d'obtenir son admission au Canada ou celle d'une personne apparentée.         

[4]      Par conséquent, Gurnek est le fil du demandeur pour l'application du Règlement seulement si trois conditions sont remplies.

[5]      La première condition est remplie si Gurnek a été adopté par le demandeur conformément aux lois de l'Inde. Le tribunal n'a pas fait de remarques sur cette condition, et je considère comme un fait établi que cette condition a été remplie.

[6]      La deuxième condition est remplie si l'adoption a créé un véritable lien de filiation entre le demandeur et Gurnek. Le tribunal a conclu que cette condition n'avait pas été remplie. Les motifs invoqués au soutien de cette conclusion sont examinés ci-après.

[7]      La troisième condition est remplie si Gurnek n'a pas été adopté dans le but d'obtenir son admission au Canada ou celle d'une personne apparentée. Le tribunal a conclu que cette condition n'avait pas été remplie, mais il n'a fourni aucun motif à cet égard si ce n'est sa conclusion sur la deuxième condition. En d'autres termes, vu sa conclusion selon laquelle la deuxième condition n'avait pas été remplie, le tribunal a conclu que la troisième condition n'avait pas été remplie non plus. Si l'adoption n'a pas créé un véritable lien de filiation, il est raisonnable de conclure que le but de l'adoption était de faciliter l'immigration de Gurnek au Canada. Toutefois, si le tribunal a commis une erreur en concluant qu'il n'existait pas de véritable lien de filiation, il a forcément commis une erreur en concluant comme il l'a fait relativement à la troisième condition.

[8]      Les faits peuvent être résumés ainsi. Le demandeur est venu au Canada en provenance de l'Inde en 1974 et travaille maintenant à son compte comme mécanicien. Il s'est marié en 1988. Sa femme et lui ont trois filles. Les deux premières sont nées avant l'adoption de Gurnek. La troisième est née environ un an après l'adoption.

[9]      Le demandeur affirme que sa femme et lui ont décidé, après la naissance de leur deuxième fille, d'adopter un fils. En 1992, il a été convenu qu'ils adopteraient Gurnek, qui est le fils aîné d'un cousin germain du demandeur. Les parents naturels de Gurnek n'étaient pas riches. Ils ont été incités à consentir à l'adoption en sachant que Gurnek aurait probablement de meilleures chances dans la vie s'il devenait le fils du demandeur.

[10]      La cérémonie d'adoption a eu lieu en Inde le 24 novembre 1993. Comme un incendie s'est déclaré dans les locaux commerciaux du demandeur, celui-ci n'a pu assister à la cérémonie. Il a fait de son ami Parwan Dhami son fondé de pouvoir et l'a chargé de s'occuper de l'adoption et de la garde de Gurnek en Inde, et de voir à l'hébergement et aux études de Gurnek en son nom. En juillet 1994, date à laquelle M. Dhami est déménagé en Espagne, c'est un autre ami du demandeur, M. Roop Lal Samrai, qui est devenu son fondé de pouvoir.

[11]      Après l'adoption, Gurnek a habité chez le fondé de pouvoir et non chez ses parents naturels. Il vivait dans le même village qu'eux et leur rendait souvent visite. Le demandeur a fourni un soutien financier à Gurnek, lui a envoyé des présents et a gardé un contact téléphonique avec lui. Le demandeur a fait le nécessaire pour que Gurnek quitte l'école publique et entre dans une école privée qui était considérée comme un établissement d'enseignement ayant des normes plus élevées. Il a assumé le coût de ce transfert. Le demandeur a rendu visite à Gurnek en mai 1996 pendant deux mois et est retourné en Inde avec sa famille en novembre 1996 pour un séjour de deux mois. La femme et la fille cadette du demandeur ont rendu visite à Gurnek en 1997.

[12]      Ainsi qu'il vient d'être mentionné, le tribunal a conclu qu'il n'y avait pas de véritable lien de filiation. Les faits sur lesquels repose cette conclusion sont ce que le tribunal appelle des [traduction] " incohérences et des contradictions importantes " contenues dans la preuve du demandeur relativement à sa compréhension des résultats scolaires de Gurnek.

[13]      Dans les circonstances de l'espèce, il était inévitable que la distance entraîne une longue séparation entre le demandeur et Gurnek. Cette séparation s'est également prolongée dans le temps, notamment à cause des délais entraînés par la procédure de parrainage et la présente demande. Il n'est pas étonnant que le demandeur ne connaisse pas aussi bien Gurnek et sa vie de tous les jours que s'il avait vécu avec lui. Le tribunal lui-même a fait des déductions au sujet des résultats scolaires de Gurnek qui ne sauraient être justifiées sans une preuve de l'importance des notes qu'il a obtenues.

[14]      Il ressort de l'examen de l'ensemble de la preuve du demandeur, compte tenu des circonstances, que rien de ce qu'il a dit est logiquement incompatible avec la conclusion selon laquelle le lien entre le demandeur et Gurnek est un véritable lien de filiation. Faute de connaître le point de vue du tribunal sur le restant de la preuve, je ne puis conclure que le tribunal pouvait valablement parvenir à cette décision.

[15]      J'ajouterais qu'il me paraît difficile de concilier la validité juridique non contestée de l'adoption avec la conclusion du tribunal selon laquelle il n'existe pas de véritable lien de filiation.

[16]      Le dossier contient une longue description des règles de droit indiennes applicables en matière d'adoption. On précise notamment que la validité juridique de l'adoption dépend de certaines conditions de forme, qu'on appelle cérémonie de don et de prise en adoption, ainsi que de la preuve de l'intention des parents naturels de donner l'enfant et de l'intention des parents adoptifs de prendre l'enfant. Cette exigence du droit indien sur le plan de la preuve reflète l'importance de l'adoption en tant qu'événement emportant des conséquences juridiques majeures. La documentation contient ce passage tiré de l'arrêt Kishori Lal c. Chaltibai, 1959 Supp. 1 R.C.S. 698 :

     [traduction] Comme une adoption modifie le cours de la succession en privant les épouses et les filles de leurs droits et en transférant les biens à des personnes relativement peu connues ou à des parents plus éloignés, il est nécessaire que la preuve à l'appui n'éveille aucun soupçon de fraude et soit assez compatible et probable pour que sa véracité ne puisse être mise en doute.         

[17]      Si la documentation versée au dossier qui décrit les règles de droit indiennes en matière d'adoption est exacte, on peut, me semble-t-il, soutenir qu'un véritable lien de filiation est un élément essentiel d'une adoption valide en Inde. Si l'on accepte cet argument, il serait impossible qu'une adoption satisfasse à la première condition prévue dans le Règlement, mais pas à la deuxième. Quoi qu'il en soit, dans les circonstances de l'espèce, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur ce point.

[18]      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal reconstitué pour réexamen.

                                 Karen R. Sharlow

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 17 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-4625-98

INTITULÉ :                          RAM JEERH c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :                  CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 16 AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :                      17 MAI 1999

COMPARUTIONS :

M. Charles R. Darwent                      POUR LE DEMANDEUR

M. Brad Hardstaff                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Charles R. Darwent                      POUR LE DEMANDEUR

M. Brad Hardstaff                          POUR LE DÉFENDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

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