Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031126

Dossier : T-290-99

Référence : 2003 CF 1393

Toronto (Ontario), le 26 novembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                                 EDWIN PEARSON

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                                                              SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                   défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Sa Majesté la reine (la défenderesse) en appelle de l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch en date du 11 septembre 2003, dans laquelle elle a rejeté sa requête en radiation de la présente déclaration déposée par M. Edwin Pearson (le demandeur). Dans les motifs de l'ordonnance qu'elle a rendue, la protonotaire Aronovitch a tenu compte des arguments présentés alléguant prescription de la réclamation du demandeur en vertu du Code civil du Québec. Elle a également tenu compte des arguments concernant la caractérisation que la défenderesse a faite de la déclaration du demandeur, soit qu'il s'agissait d'une demande d'indemnité pour poursuites abusives qui ne satisfait pas au critère juridique applicable à ce genre de demande.


[2]                 Le 28 février 1999, le demandeur a intenté la présente action devant la Section de première instance de la Cour fédérale de l'époque. Le demandeur a fait valoir que ses droits constitutionnels protégés par l'article 7 et par l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la Charte), avaient été violés par les agissements de certains employés de la défenderesse et que les violations donnaient ouverture à une demande de réparation conformément au paragraphe 24(1) de la Charte. Il réclame une indemnité de plusieurs millions de dollars en dommages-intérêts généraux et punitifs pour les présumées violations de ses droits garantis par la Charte que des employés de la défenderesse auraient commises en rapport avec la poursuite intentée contre lui relativement à des accusations de trafic de stupéfiants.


[3]                 Dans les motifs de l'ordonnance, la protonotaire Aronovitch a fait l'historique des poursuites judiciaires contre le demandeur et des accusations criminelles portées contre lui. Nul besoin à ce stade-ci de revenir sur les faits. Il convient cependant de souligner que lors des procès, des appels à la Cour d'appel du Québec et de l'appel à la Cour suprême du Canada, le demandeur a soulevé la question de la provocation policière ainsi que celle de la violation possible de ses droits garantis par la Charte dans le cadre de sa défense contre les accusations criminelles. Finalement, dans le contexte du droit criminel, la question de la provocation policière a été rejetée quand, dans l'arrêt R. c. Pearson, [1999] Q.J. no 5135 (C.A. Qué.), la Cour d'appel du Québec a confirmé la conclusion du juge du procès voulant que la provocation policière n'avait pas été établie.

[4]                 La protonotaire a rejeté la requête de la défenderesse en radiation de la déclaration aux motifs suivants : que la question d'appliquer des délais de prescription provinciaux à une requête en réparation présentée en vertu du paragraphe 24(1) dans le cas d'une présumée violation des droits garantis par la Charte est controversée; qu'une déclaration contestée ne devrait pas être radiée à l'étape interlocutoire juste parce que le délai de prescription est achevé; et que la défenderesse n'avait pas le droit d'adopter une caractérisation différente de celle de la réclamation du demandeur, soit la poursuite abusive, alors que le demandeur n'avait pas caractérisé sa cause d'action en ces termes.


[5]                 La défenderesse soutient maintenant que la protonotaire a commis une erreur de droit. Elle soutient qu'il est _ manifeste et évident _ que la réclamation dans la présente action est prescrite en application des lois de la province de Québec, et plus particulièrement du Code civil du Québec et du Code civil du Bas Canada. Se fondant sur les articles 2925 et 2926 du Code civil du Québec ainsi que sur l'article 2261.2 du Code civil du Bas Canada, la défenderesse affirme que la cause d'action de la réclamation du demandeur a pris naissance au plus tard en mai 1991, date à laquelle les déclarations de culpabilité relatives à quatre chefs d'accusations ont été prononcées ou, subsidiairement, la première date à laquelle le préjudice s'est manifesté. Et subsidiairement encore, la défenderesse affirme que le demandeur connaissait la cause de l'action lors de la deuxième audience relative à la provocation policière, soit en novembre 1994, et que le délai de prescription commencerait alors à courir en novembre 1994, et au plus tard, le 16 novembre 1994, quand le demandeur a déposé sa demande d'autorisation d'en appeler de cette décision.

[6]                 La défenderesse affirme qu'en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, dans sa forme modifiée, la loi de la province où est survenu le fait générateur dicte le délai de prescription applicable. La loi du Québec édicte un délai de trois ans et, par conséquent, l'action intentée par le demandeur est prescrite.

[7]                 La défenderesse soutient que la protonotaire a commis une erreur en omettant d'appliquer à la réclamation du demandeur la loi québécoise relative à la prescription et en omettant de radier la déclaration parce qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable.

[8]                 La défenderesse soutien que la protonotaire a également commis une erreur en omettant de reconnaître que la réclamation du demandeur est fondée sur le délit de poursuites abusives et que, en tant que telle, elle ne satisfait pas au critère adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170.


[9]                 Le demandeur fait valoir que la protonotaire n'a commis aucune erreur en rejetant la requête de la défenderesse. Il affirme que la loi provinciale relative à la prescription ne s'applique pas à la violation des droits garantis par la Charte et il soutient entre autre qu'une loi provinciale qui essaie d'imposer un délai pour la prescription de la protection d'un droit constitutionnel est inconstitutionnelle. À cet égard, le demandeur a donné avis de la présentation d'une question constitutionnelle, conformément à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, dans sa forme modifiée.

[10]            Le demandeur soutient également que sa déclaration ne porte pas sur le délit de poursuites abusives, mais bien sur la façon malveillante avec laquelle les agents et employés de la défenderesse ont agi.

[11]            Dans ses motifs d'ordonnance, la protonotaire a examiné le droit applicable et pertinent. Elle a conclu que le droit de la province de Québec s'applique. Elle a renvoyé à des textes jurisprudentiels contradictoires quant à l'applicabilité des lois provinciales concernant la prescription et les délais à l'intérieur desquels il est possible d'accueillir une réclamation pour violation d'un droit constitutionnel. Elle a fait remarquer que les règles de droit ne sont pas bien établies dans ce domaine et a affirmé ce qui suit au paragraphe 18 :

Je note à cet égard que, dans sa demande, Pearson n'allègue pas un délit existant en common law, ou de fait, n'indique aucune cause d'action indépendante de la Charte, mais il sollicite des dommages-intérêts qui sont de toute évidence exclusivement fondés sur un délit de nature constitutionnelle ou sur un [TRADUCTION] « délit fondésur la Charte » (voir : McGillivary, précité et Oniel c. Toronto (Metropolitan Police Force), [1998] O.J. no 3840, décision infirmée, Oniel c. Toronto (Metropolitan Police Force), [2001] O.J. no 90 (C.A. Ont.)). Je note également que l'autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été refusée tant dans l'affaire Prete que dans l'affaire Gauthier, et je ne considère pas l'arrêt Gauthier comme étant déterminant, et ce, même si l'action a pris naissance au Québec. Selon moi, il s'agit d'une affaire contentieuse qui ne peut pas être réglée dans le cadre d'une requête en radiation.

[12]            La protonotaire s'est également demandé s'il était judicieux de trancher la question de prescription lors de l'examen d'une requête en radiation et elle a conclu qu'on ne peut le faire que si l'on dispose de l'ensemble des faits.

[13]            Finalement, la protonotaire a rejeté les arguments de la défenderesse en rapport avec la question des poursuites abusives et elle a fait les remarques suivantes au paragraphe 25 :

Il appartient certes au plaideur de décider de la forme de sa demande. Le défendeur ne peut pas imputer au demandeur un genre d'action que celui-là n'a pas intenté, en alléguant que c'est ainsi qu'il convient de qualifier l'action, et demander ensuite à la Cour de rejeter l'action parce que les éléments nécessaires ne sont pas présents. Or, Pearson n'a pas intenté une action fondée sur des poursuites abusives et il importe peu que sa demande puisse satisfaire aux éléments nécessaires applicables à ce délit. Une ordonnance sera rendue en conséquence.

[14]            Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a énoncé la norme de contrôle applicable aux appels formés contre la décision d'un protonotaire. À moins que la décision ne soit manifestement erronée, en ce sens qu'elle est fondée sur un mauvais principe juridique ou sur une mauvaise appréciation des faits, que le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon non judiciaire, ou qu'elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause, cette décision ne doit pas être modifiée en appel.


[15]            Dans l'arrêt Telefonaktiebolaget LM Ericson c. Harris Canada, Inc., [2002] A.C.F. no 789, la Cour a conclu qu'une norme de contrôle de novo devait s'appliquer quand la décision pouvait être décrite comme étant interlocutoire ou définitive, selon le résultat. Cette norme s'applique en l'espèce et j'examinerai la décision de la protonotaire sur une base de novo. La protonotaire a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire quand elle a rejeté la requête de la défenderesse en radiation de la déclaration du demandeur?

[16]            À mon avis non. Il est évident qu'elle a tenu compte des règles pertinentes en matière de prescription qui sont applicables dans une province à une demande de réparation fondée sur la Charte. Elle a conclu que la jurisprudence est contradictoire sur cette question et, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, elle a refusé de radier la déclaration. Je ne vois aucune erreur dans la façon dont la protonotaire a tranché la question.

[17]            Pareillement, je ne vois aucune erreur dans la façon dont la protonotaire a tranché la contestation de la défenderesse selon laquelle la déclaration du demandeur était en réalité une demande d'indemnité pour poursuites abusives et qu'il était incapable de satisfaire au critère juridique applicable à une telle demande. Je partage l'avis de la protonotaire quand elle conclut que le demandeur est libre de décider de la forme de sa demande. Il incombe au demandeur de prouver ce qu'il allègue dans sa déclaration et de démontrer que les empiétements sur ses droits garantis par la Charte sont des torts compensables.

[18]            Pour ce qui est de la question constitutionnelle soulevée par le demandeur dans la présente requête, la protonotaire ne se trouvait pas saisie de cette question et je n'en suis pas adéquatement saisie non plus dans le cadre du présent appel.

[19]            L'appel est rejeté avec dépens.

                        

ORDONNANCE

L'appel est rejeté avec dépens.

« E. Heneghan »

ligne

                                                                                                             Juge                                

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-290-99

INTITULÉ :                                                       EDWIN PEARSON

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 24 NOVEMBRE 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                                LE 26 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :    

                 

Edwin Pearson                                                     POUR LE DEMANDEUR

Jacques Savary                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       

Edwin Pearson                                                     POUR LE DEMANDEUR                    

Burlington (Ontario)                                             

Morris Rosenberg                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                    

Toronto (Ontario)                                                                                  


COUR FÉDÉRALE

Date : 20031126

    Dossier : T-290-99

ENTRE :

EDWIN PEARSON                             

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                  défenderesse

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE

                                                   

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.