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Dossier : T-2077-99

ENTRE :

                                    L. WAYNE SPINNEY

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

au nom du ministre des Pêches et

des Océans du Canada

                                                                                           défendeur

JE CERTIFIE que la Cour (le juge Blais) a statué ce qui suit le 2 mars 2000 :

« Pour ces motifs, je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. »

Certifié à Ottawa (Ontario), le 2 mars 2000.

          « P. Lavoie »          

fonctionnaire du greffe

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


Date : 20000302

Dossier : T-2077-99

ENTRE :

                                    L. WAYNE SPINNEY

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

au nom du ministre des Pêches et

des Océans du Canada

                                                                                           défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le directeur général régional, Région des Maritimes, Neil A. Bellefontaine, du ministère des Pêches et Océans, a pris, le 22 novembre 1999, une ordonnance de modification de la taille minimale pour la région des Maritimes 1999-137 (l'ordonnance de modification) afin d'augmenter la taille légale minimale de la carapace des homards, la faisant passer de 81 mm (3 3/16") à 82,5 mm (3 1/4").


LES FAITS

[2]    Le 10 décembre 1997, le ministre des Pêches et Océans a annoncé son intention de demander aux pêcheurs de homard de l'Atlantique, par l'entremise de leurs représentants, de préparer et de présenter au ministère pour étude des plans de pêche axés sur la conservation (PPAC) pour leurs zones de pêche du homard (ZPH) respectives.

[3]    Le demandeur est un pêcheur titulaire d'un permis de pêche du homard dans la ZPH 34, qui est également membre de la direction du comité de la ZPH 34. Ce comité est le principal organisme consultatif en ce qui concerne la gestion et la réglementation de cette pêche commerciale.

[4]    En réponse à l'annonce du ministre relativement à la ZPH 34, un comité d'orientation composé de pêcheurs, de représentants des Premières Nations, de représentants du MPO et de représentants du gouvernement de la Nouvelle-Écosse a préparé un document intitulé [Traduction] « Plan de pêche axé sur la conservation de la Zone de pêche du homard 34 pour la saison 1998-1999 » . La ZPH 34 a choisi la méthode du marquage par un V.


[5]                Le marquage par un V consiste à marquer les femelles homards capturées qui portent des oeufs (femelles grainées) en pratiquant une petite encoche sur la nageoire caudale de l'animal avant de le remettre à l'eau. L'animal porte cette encoche pendant environ deux ans, après quoi elle disparaît avec les mues. Si un homard portant une encoche en V est capturé par la suite, même s'il ne porte pas d'oeufs, il doit être remis à l'eau vivant. De cette façon, les homards reproducteurs sont protégés et ont de meilleures chances de survivre assez longtemps pour se reproduire à nouveau.

[6]                Le marquage en V exige un niveau élevé d'autodiscipline de la part des pêcheurs. Bien que l'interdiction de conserver et de débarquer des homards marqués soit facile à appliquer par l'inspection des débarquements, les agents responsables de l'application de la loi n'ont aucun moyen de vérifier si la queue des femelles grainées capturées en mer est bel et bien marquée avant que l'animal soit remis à l'eau.                                   

[7]                Le MPO a émis un communiqué de presse précisant que le ministre avait accepté tous les PPAC proposés pour 1998. Cependant, pour assurer la mise en place d'un programme de quatre ans, il mettrait en vigueur des mesures supplémentaires en 1999, 2000 et 2001.

[8]                La fiche d'information jointe intitulée « Zones de pêche du homard en 1998 - Nouvelle-Écosse et Baie de Fundy » précisait :


Zone de pêche du homard

(Taille minimale de la carapace actuelle)

Mesures de conservation

ZPH 34

(81mm) (3-3/16")

1998                 marquage par un V (comprend les pêcheurs qui fournissent des données détaillées sur les prises, l'effort et l'emplacement et qui font des relevés d'après-saison pour déterminer le niveau de marquage par un V.)

1999                 augmenter taille minimale de 1/16" à 3-1/4" (82,5 mm) plus marquage par un V.

2000                 taille maximale de 133 mm plus marquage par un V (si le niveau de marquage est suffisant) OU augmenter taille minimale de 1/32" à 3-9/32" (83,25 mm) et taille maximale de 127 mm OU augmenter taille minimale de 1/16" à 3-5/16" (84 mm) plus taille maximale de 5-1/4" (133 mm).

2001                 maintenir taille minimale de 82,5 mm plus taille maximale de 127 mm OU maintenir taille maximale à 133 mm plus augmenter taille minimale à 86 mm.

[9]                La fiche d'information se termine par la note suivante :

[TRADUCTION] Pour les ZPH dont le plan a été approuvé pour la première année (1998), le ministère acceptera les mesures proposées par l'industrie pour la deuxième, la troisième et la quatrième année, à condition qu'elles permettent d'atteindre l'objectif de doubler la production d'oeufs (exemple ZPH 33 et 34).

[10]            La ZPH 34 a réagi vivement à la mesure supplémentaire. Dans une lettre en date du 18 février 1999, le ministre a répondu :

[Traduction] Je vous assure qu'il n'est pas question d'imposer des mesures supplémentaires « sans égard au nombre de homards marqués par un V capturés pendant l'étude menée en juin 1999 » . Toutefois, je maintiens le défi que j'ai lancé à l'industrie canadienne du homard de la région de l'Atlantique d'adopter des mesures qui permettent d'atteindre l'objectif de doubler la production actuelle d'oeufs dans toutes les zones.

Si l'analyse du programme de marquage par un V effectuée en 1999 et par la suite peut effectivement démontrer que les pêcheurs ont respecté les engagements pris dans votre PPAC, aucune autre mesure ne sera ni ne devrait être nécessaire. Toutefois, dans le cas de résultats contraires, le PPAC de la ZPH 34 tel qu'il a été annoncé, prévoit plusieurs solutions de rechange qui doivent être examinées dans le but de réaliser notre objectif de doubler la production d'oeufs.


[11]            Un communiqué de presse émis le 10 mars 1999, à la suite d'une réunion des représentants des pêcheurs de différentes zones de pêche du homard et du ministère des Pêches et Océans dit :

[Traduction] Les représentants des ZPH 27, 29, 30, 31A, 31B, 32, 33, 34 se sont rencontrés aujourd'hui à Truro et ont convenu, à l'unanimité, qu'ils avaient contribué de façon importante à la conservation du homard par les changements mis en oeuvre en 1998. Ils s'entendent pour dire qu'il y a lieu d'imposer un moratoire ou des changements additionnels.

[12]            Une réunion a été tenue le 27 avril 1999; le demandeur y assistait et la position ferme du ministre sur le plan de quatre ans y a été réaffirmée.

[13]            Une autre réunion a été tenue le 9 juin 1999, au cours de laquelle on a débattu de l'augmentation planifiée de la taille de la carapace.

[14]            L'étude qui devait être menée en juin 1999 n'a pas été effectuée comme prévu. Elle a plutôt été reportée à l'automne.

[15]            Les scientifiques du MPO ont présenté les résultats de leur évaluation du programme de marquage par un V dans la ZPH 34 en s'appuyant apparemment uniquement sur les données fournies dans les registres tenus et retournés par les pêcheurs participants. Le comité de la ZPH 34 a préparé sa propre analyse des documents délivrés par le MPO. Cette analyse démontre notamment ce qui suit :


a)        la participation au programme de marquage par un V a atteint un sommet de 73 p. 100 en mai1999, la moyenne pour la saison 1998-1999 s'élevant à plus de 52 p. 100;

b)        131 595 animaux ont été marqués par un V. Les membres du comité estiment, sans exagération, que ces femelles grainées représentent 2,63 milliards d'oeufs qui, avec un taux de survie à maturité de 1 p. 100, représentent 26 millions d'animaux futurs;

c)        les membres du comité estiment que 18 387 000 animaux ont été capturés en 1998-1999 dans la ZPH 34;

d)        les scientifiques du MPO admettent que, même au cours de cette première année, le programme de marquage par un V a augmenté la production d'oeufs d'environ 10 à 20 p. 100.

[16]            Quelques autres réunions ont été tenues (le 26 octobre 1999, le 5 novembre 1999) au cours desquelles l'augmentation de la taille de la carapace a été soulevée à nouveau.

[17]            Dans une lettre en date du 17 novembre 1999, le ministre des Pêches, Herb Dhailwal, a écrit au demandeur pour lui confirmer que l'augmentation de la taille de la carapace pour l'automne 1999 serait maintenue.

[18]            Il a de plus émis un communiqué de presse le 17 novembre 1999, dans lequel il affirmait que neuf des douze ZPH de Nouvelle-Écosse et de la Baie de Fundy avaient déjà mis en oeuvre des mesures visant à les rapprocher de leur objectif. Le ministre a ajouté que les trois autres zones (les ZPH 33, 34 et 36) augmenteraient la taille de la carapace à l'automne.


[19]            Le 22 novembre 1999, le directeur régional a pris, en vertu du pouvoir que lui confère l'article 6 du Règlement de pêche (dispositions générales), une ordonnance de modification augmentant la longueur minimale du homard dans la ZPH 34 à 82,5 mm à partir du 28 novembre 1999.

LA POSITION DU DEMANDEUR

[20]            Le demandeur soulève trois questions :

1. Le recours à une ordonnance de modification;

2. La lettre du ministre en date du 18 janvier 1999;

3. Les intérêts supérieurs de la conservation.

Le recours à une ordonnance de modification

[21]            Le demandeur ne conteste pas le fait que le directeur général régional a le pouvoir de prendre une ordonnance de modification. Toutefois, il soutient que, dans les circonstances de l'espèce, l'ordonnance de modification en cause représente l'exercice d'un pouvoir qui outrepasse celui prévu par la Loi ou le Règlement de pêche (dispositions générales).


[22]            Le demandeur fait valoir que le directeur général régional possède et peut exercer le pouvoir de modifier les règlements uniquement pour apporter des modifications temporaires nécessaires en raison d'une situation d'urgence touchant la pêche visée. Une ordonnance de modification qui a pour effet d'apporter une modification permanente à une disposition du règlement substantiel outrepasserait le pouvoir dont est investi le directeur général régional. Un tel changement permanent, plus particulièrement lorsqu'il est effectué en l'absence d'une situation d'urgence, constituerait une fonction de législation déléguée qui doit être exercée par le gouverneur en conseil.

[23]            Le demandeur souligne que les documents émanant du dossier du directeur général régional, qui ont été déposés à la Cour conformément à la règle 317, établissent qu'il n'existait pas de nécessité sur le plan de la conservation. Selon lui, il a été établi que les conditions légales qui autorisent le ministère à déroger au processus ordinaire de réglementation en prenant une ordonnance de modification n'étaient pas réunies en l'espèce.

[24]            Le demandeur soutient que la prise d'une ordonnance de modification à ce moment précis, dans les circonstances en cause, constituait un abus du pouvoir légal du directeur général régional et que ce motif, à lui seul, commande que l'ordonnance de modification contestée soit déclarée nulle.


[25]            Il fait valoir qu'une ordonnance de modification ne peut être valablement prise que lorsqu'elle constitue une mesure intérimaire visant à remédier à un problème immédiat concernant une pêche. Pour qu'il y soit remédié sans délai, on peut déroger aux conditions associées au processus de réglementation fédéral en ce qui concerne la tenue d'une consultation, l'examen de la modification, sa pré-publication et son renvoi. Par contre, les règlements, qui sont permanents par nature, et qui ne sont pas motivés par une situation d'urgence, sont pris par le gouverneur général en vertu de l'article 43 de la Loi sur les pêches. S'il en était autrement, il ne serait pas nécessaire de prendre un règlement pour prescrire les périodes de fermeture, les contingents ni quelque restriction que ce soit concernant la taille. La Loi pourrait simplement prévoir que ces mesures peuvent être prescrites à l'occasion par les fonctionnaires du ministère.

[26]            Le demandeur soutient qu'il n'est possible de prendre une ordonnance de modification que lorsque cela est nécessaire pour régler temporairement un problème immédiat et qu'il n'est pas possible d'y avoir recours autrement pour apporter des changements à long terme dans la réglementation; ce motif commande donc lui aussi que l'ordonnance de modification soit déclarée sans effet et annulée.

La lettre du ministre en date du 18 janvier 1999

[27]            Le demandeur soutient de plus que le ministre devrait être lié par sa décision énoncée dans sa lettre en date du 18 janvier 1999.


[28]            Le demandeur soutient qu'il est incontestable que l'analyse du programme de marquage par un V en 1999 et par la suite, dont les résultats défavorables constitueraient, comme l'a promis le ministre, une condition préalable à la prise d'autres mesures, n'a pas été effectuée telle qu'elle était prévue.

[29]            En outre, l'utilisation des termes « 1999 et par la suite » par le ministre constituait une promesse que les résultats du marquage par un V seraient analysés au cours des saisons de pêche postérieures à 1998-1999. Ces saisons futures incluraient, à tout le moins, la saison 1999-2000 pour la ZPH 34. Enfin, l'analyse effectuée par les scientifiques du ministère et par le comité des pêcheurs de la ZPH 34 démontre que le succès du programme de marquage par un V de 1998-1999 a dépassé toutes les attentes et que, du moins en ce qui concerne la saison suivant la saison 1998-1999, l'inexistence de la condition préalable à l'imposition de « mesures supplémentaires » peut être établie.

[30]            Le demandeur ne conteste pas la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre d'agir dans l'intérêt public et de réagir aux conditions changeantes touchant les stocks de poisson et les pêches qui en dépendent. Le demandeur ne connaît cependant aucune circonstance pertinente qui aurait changé entre le 18 janvier et le 22 novembre 1999 et qui pourrait éventuellement justifier que le ministre modifie sa position sur la réglementation qu'il avait exprimée le 18 janvier.


[31]            Le demandeur prétend que la prise de l'ordonnance de modification contestée, malgré l'assurance donnée par le ministre dans sa lettre en date du 18 janvier 1999, était arbitraire, qu'il ne pouvait être démontré qu'elle était fondée sur des motifs pertinents et que la Couronne défenderesse n'avait pas établi qu'elle avait été prise de « bonne foi » .

Les intérêts supérieurs de la conservation

[32]            Le demandeur soutient également que le ministère a l'obligation prépondérante de veiller à la conservation des populations de poisson sauvage.

[33]            Le demandeur fait valoir qu'il peut être démontré que l'imposition d'une augmentation de la taille de la carapace dans la ZPH 34 pendant la saison en cours (1999-2000) peut desservir à long terme les intérêts supérieurs de la conservation dans la ZPH 34.


[34]            La prise par le ministère de mesures supplémentaires serait contraire à son obligation publique prépondérante d'agir dans l'intérêt supérieur de la conservation de cette ressource, car il les a prises malgré la forte opposition de l'industrie, malgré les recommandations de hauts fonctionnaires selon lesquelles la participation actuelle des pêcheurs à la collecte des données est plus importante que l'imposition immédiate de ces mesures et, dans le cas de la ZPH 34, malgré que le ministre ait promis de ne pas les prendre, en sachant très bien que ces mesures risquent de mettre en péril la collecte actuelle des données scientifiques les plus fiables possible et, partant, le choix ultérieur des meilleures techniques de conservation pour la pêche du homard au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

LA POSITION DU DÉFENDEUR

[35]            Le défendeur affirme que les ordonnances de modification sont des actes de nature législative et non administrative.

[36]            Il prétend que, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire d'une ordonnance de modification, la question à trancher est donc celle de savoir si l'ordonnance outrepasse la portée du règlement qui attribue le pouvoir de l'édicter, si ce pouvoir est expressément limité ou si la délégation de pouvoir comporte des limites. Le défendeur soutient que l'ordonnance de modification n'outrepasse pas la portée du pouvoir conféré au directeur général régional.

[37]            De même, en ce qui concerne l'ordonnance de modification en cause, le défendeur fait valoir les prétentions suivantes :

a)        l'ordonnance a été prise dans un but sous-jacent de conservation;

b)        ni la Loi sur les pêches, ni le Règlement ne fixent de limite expresse;

          c)        compte tenu de son but de conservation sous-jacent non équivoque, il est clair que l'objet de l'ordonnance de modification est conforme à l'esprit de la Loi et du Règlement et il est exclu qu'il existe des limites inhérentes à l'exercice du pouvoir de prendre pareille ordonnance.


[38]            Au cas où la Cour ne retiendrait pas ces prétentions, le défendeur répond aux moyens invoqués par le demandeur.

Le recours à une ordonnance de modification

[39]            Le demandeur soutient qu'aucune disposition de la Loi sur les pêches ou du Règlement n'établit une telle limite au pouvoir conféré au directeur général régional.

[40]            Il prétend aussi qu'aucune disposition du Règlement n'exige qu'il soit interprété comme se limitant à des modifications temporaires rendues nécessaires dans une situation d'urgence. Ni la Loi sur les pêches, ni le Règlement de pêche (dispositions générales) ne visent à définir les circonstances dans lesquelles le gouverneur en conseil, d'une part, et le directeur général régional, d'autre part, peuvent ou non exercer les fonctions législatives qui leur ont été confiées.

[41]            Il fait en outre valoir que le demandeur n'attaque pas la légalité de l'ordonnance, mais tente uniquement d'en reporter la mise en oeuvre jusqu'à la réalisation de certaines conditions.


[42]            Il soutient de plus qu'il ne revient pas à la Cour de se prononcer sur la sagesse d'une disposition législative subordonnée, après avoir conclu que la loi attributive de compétence autorise l'édiction de cette disposition.

La lettre du ministre en date du 18 janvier 1999

[43]            Le défendeur soutient que le demandeur demande à la Cour d'interpréter la déclaration du ministre hors contexte. Après avoir affirmé que de nouvelles mesures ne seront pas mises en oeuvre « sans égard au nombre de homards marqués par un V qui sont capturés » , le ministre enchaîne en réitérant le défi qu'il a lancé à l'industrie d'adopter des mesures qui feront doubler la production d'oeufs. Comme le dit Douglas Pezzack, l'augmentation maximale qui, de l'avis du scientifique du MPO, peut être obtenue au cours d'une année grâce au marquage par un V se situe au mieux à 20 p. 100, ce qui ne signifie pas 20 p. 100 par année. Compte tenu de l'impossibilité d'atteindre le but fixé à l'aide de la seule mesure proposée par l'industrie (en 1999, 2000 ou 2001), on a décidé d'augmenter la taille de la carapace.

[44]            Par ailleurs, le défendeur n'a pas renoncé à son objectif d'augmenter la taille de la carapace comme il en avait déjà parlé et comme il l'avait expliqué lors des différentes réunions tenues.

Les intérêts supérieurs de la conservation


[45]            Bien que le demandeur affirme ne pas demander à la Cour de décider quelles mesures de conservation précises conviennent dans la ZPH 34, le défendeur soutient que c'est précisément ce qu'il l'invite à faire.

ANALYSE

[46]            Le législateur canadien a conféré au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements par l'article 43 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14 :


43. The Governor in Council may make regulations for carrying out the purposes and provisions of this Act and in particular, but without restricting the generality of the foregoing, may make regulations

(m) where a close time, fishing quota or limit on the size or weight of fish has been fixed in respect of an area under the regulations, authorizing persons referred to in paragraph (l) to vary the close time, fishing quota or limit in respect of that area or any portion of that area.

43. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d'application de la présente loi, notamment :

m) habilitant les personnes visées à l'alinéa l) à modifier les périodes de fermeture, les contingents ou les limites de taille ou de poids du poisson fixés par règlement pour une zone ou à les modifier pour un secteur de zone.



[47]            Le gouverneur en conseil a donc édicté le Règlement de pêche (dispositions générales) en vertu de la Loi. L'article 6 du Règlement de pêche (dispositions générales) autorise le directeur général régional à prendre des ordonnances de modification.

[48]            Voici ce que prévoit l'article 6 :



6. (1) Where a close time, fishing quota or limit on the size or weight of fish is fixed in respect of an area under any of the Regulations listed in subsection 3(4), the Regional Director-General may, by order, vary that close time, fishing quota or limit in respect of that area or any portion of that area.

6. (1) Lorsqu'une période de fermeture, un contingent ou une limite de taille ou de poids du poisson est fixé pour une zone par un des règlements énumérés au paragraphe 3(4), le directeur général régional peut, par ordonnance, modifier la période de fermeture, le contingent ou la limite pour cette zone ou pour toute partie de cette zone.


[49]            Le demandeur reconnaît que l'ordonnance de modification qui augmente la taille de la carapace a été prise en vertu de cette disposition.

[50]            Dans l'arrêt Gulf Trollers Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1987] 2 C.F. 93, la Cour d'appel fédérale a statué :

En effet, j'en suis venu à la conclusion que les avis publics attaqués n'avaient pas été élaborés dans l'exercice d'une fonction administrative mais dans celui d'une fonction réglementaire. Nous sommes en présence d'actes législatifs, c'est-à-dire d'actes ayant pour effet de créer et de promulguer une règle de conduite générale, sans référence à des cas particuliers.

[...]

L'établissement de périodes de fermeture et d'ouverture de la pêche constitue une fonction législative que le Parlement a, en vertu de l'article 34 de la Loi sur les pêcheries, déléguée au gouverneur en conseil, et, par l'intermédiaire de ce dernier, aux fonctionnaires des pêcheries.      

[51]            Dans l'arrêt Western Pulp Inc. c. Roxburgh (1990), 122 N.R. 156, la Cour d'appel fédérale a adopté le raisonnement du juge Strayer, de première instance, concernant les ordonnances de modification, selon lequel :

Ainsi qu'il a été statué dans l'affaire Gulf Trollers, les ordres de fermeture sont des actes législatifs, c'est-à-dire des actes ayant pour effet de « promulguer une règle de conduite générale, sans référence à des cas particuliers » . Si le législateur approuve une mesure législative qui relève de sa compétence, il n'est pas loisible aux tribunaux de mettre en doute sa motivation à cet égard.


[52]            Dans une cause concernant la fermeture de la saison de pêche du saumon, Monks c. Canada (Procureur général) (1992), 58 F.T.R. 196, la Cour a statué :

En outre, les deux décrets modificatifs étaient de nature législative et ne visaient pas les droits d'une personne particulière, mais avaient été pris dans le cadre de la gestion publique générale de la pêche au saumon.      

[53]            Le juge Adams a conclu, dans l'affaire R. v. Corcoran, (19 octobre 1999) 1998 St. J. No 2581(C.S. T.-N.) :

[Traduction] À mon avis, la décision de modifier la période de fermeture est de nature législative et non administrative.

Cette ordonnance touche une zone si étendue et un si grand nombre de personnes qu'on ne peut la qualifier de purement administrative. Non seulement elle a empêché certaines personnes de s'adonner à la pêche commerciale de la morue dans les zones prescrites ou à l'aide d'un attirail particulier, mais encore elle a interdit à tous de pêcher la morue, même pour leur propre usage, dans les zones touchées; une énorme partie de la côte est du Canada.

Il n'est pas toujours facile de distinguer un acte législatif d'un acte administratif, car un acte administratif peut parfois toucher un nombre assez grand de personnes ou s'appliquer dans une partie importante ou même la totalité du pays. La distinction entre les deux a donc été décrite dans Smith's Judicial Review of Administrative Action, Fourth Edition, par J.M. Evans, 1980, à la page 71:

[Traduction] On distingue souvent les actes législatifs des actes administratifs selon qu'ils sont de portée générale ou particulière. Un acte législatif consiste à créer et à promulguer une règle de conduite générale, sans référence à des cas particuliers; un acte administratif ne peut être défini avec précision, mais il s'agit notamment de l'adoption d'une politique, du fait de formuler et de donner une directive expresse et de l'application d'une règle générale à un cas particulier en conformité avec une politique, l'efficacité ou une pratique administrative. Des conséquences juridiques découlent de cette distinction.

Malgré le respect que je porte à ceux qui ont décidé le contraire, je suis convaincu que l'ordonnance de modification en cause a pour effet de « promulguer une règle de conduite générale, sans référence à des cas particuliers » et qu'elle est donc un acte législatif. Il s'agit de législation subordonnée, mais néanmoins de législation.


[54]            Les ordonnances de modification sont des textes législatifs pris en application du Règlement de pêche (dispositions générales). Le ministère des Pêches y a recours pour fermer la période de pêche, modifier les contingents de pêche et limiter la taille ou le poids des poissons. Elles peuvent être prise dans un délai très court. Souvent, l'ordonnance de modification est diffusée pour aviser les bateaux qui sont déjà partis en mer. Elles touchent tous les pêcheurs et établissent des règles de conduite générales relativement à la pêche. Par conséquent, la Cour a déjà décidé que les ordonnances de modification sont de nature réglementaire.

[55]            Aucune disposition de la Loi ou du Règlement ne dit que les ordonnances de modification doivent être utilisées uniquement en cas d'urgence ou à titre de mesure temporaire. Je ne puis retenir la prétention du demandeur qu'une telle limite existe en l'espèce.

[56]            Dans la décision Bates v. Lord Hailsham, [1972] 1 W.L.R. 1973, adoptée par la Cour suprême du Canada, le juge Megarry a statué :

[Traduction] Je tiendrai pour avéré que, dans le domaine de ce qu'on appelle le quasi-judiciaire, on applique les règles de justice naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l'obligation générale d'agir équitablement. Toutefois, ces considérations ne me semblent pas toucher le processus législatif, même dans le cas de la législation subordonnée. Beaucoup de ceux qui sont touchés par la législation subordonnée, et touchés de façon très importante, ne sont jamais consultés dans le processus d'édiction de la législation; et ils n'ont aucun recours ... Je ne connais aucun droit implicite d'être consulté ou de présenter des objections, ni aucun principe qui permettrait aux tribunaux d'interdire le processus législatif à la demande des personnes qui prétendent qu'un délai insuffisant a été accordé pour la tenue d'une consultation et l'examen de la législation.


[57]            L'arrêt Monks, précité, réaffirme cette notion :

Par conséquent, bien qu'il y ait eu une longue consultation et que d'amples avertissements eussent été donnés au sujet de la mise en oeuvre de ce programme de façon à permettre à tout intéressé de présenter à l'avance des observations au ministre, cette consultation n'était pas en fait requise par la loi et les questions qui se posent au sujet de la nature de cette consultation ne peuvent pas créer un doute sérieux au sujet de la validité des décrets qui ont été pris.

[58]            La jurisprudence est assez claire sur ce point; il n'existe pas d'obligation de consulter les pêcheurs, même si, en l'espèce, de nombreuses réunions ont été tenues et la position du ministre était bien connue.

[59]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat et autres, [1980] 2 R.C.S. 735, la Cour suprême a statué :

Si, cependant, l'Exécutif s'est vu attribuer une fonction auparavant remplie par le législatif lui-même et que la res ou l'objet n'est pas de nature personnelle ou propre au requérant ou à l'appelant, l'on peut croire que des considérations différentes entrent en jeu. Le fait que la fonction ait été attribuée à deux paliers (au CRTC en premier lieu et au gouverneur en conseil en second lieu) ne change rien, à mon avis, au caractère anormal de l'affaire du point de vue des sciences politiques. En pareil cas, la Cour doit revenir à son rôle fondamental de surveillance de la compétence et, ce faisant, interpréter la Loi pour établir si le gouverneur en conseil a rempli ses fonctions dans les limites du pouvoir et du mandat que lui a confiés le législateur.

[60]            Étant donné que l'ordonnance de modification est un acte législatif, autorisé par le Règlement et pris en application de la Loi, la compétence de la Cour est limitée. Elle peut intervenir dans le cas d'un acte inconstitutionnel (contraire aux articles 91 ou 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ), d'un manquement à la procédure ou d'un acte législatif qui outrepasse les pouvoirs conférés par la loi habilitante. Aucun de ces moyens n'a été soulevé en l'espèce.


[61]            Le ministre a constaté qu'il existait un problème de surpêche et a décidé de prendre des mesures de conservation pour y remédier. Pour ce faire, il a utilisé le texte législatif prévu par le Règlement. La Cour n'a pas compétence pour intervenir.

[62]            Pour ces trois motifs, je suis d'avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

Pierre Blais                                       

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

2 mars 2000

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                 T-2077-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             L. WAYNE SPINNEY c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, au nom du ministre des Pêches et des Océans du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 24 février 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                                   2 mars 2000

ONT COMPARU :

Me A. William Moreira

Me Michelle Higgins                           pour le demandeur

Me John Ashley                                   pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DALEY, BLACK & MOREIRA

Halifax (Nouvelle-Écosse)                 pour le demandeur

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                 pour le défendeur


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