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Date : 20030417

Dossier : T-1706-02

Référence : 2003 CFPI 448

ENTRE :

                                                           UNIVERSAL FOODS INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

HERMES FOODS IMPORTERS LTD.,

MASOUD MOTAMEDI TOUS ENTERPRISES LTD.,

H & R IMPORT-EXPORT INC.,

HAMIDEH RAFATI, FEREYDON EBADIAN, SUPER ARZON INC.,

SUPER ARZON LTD., SUPER KHORAK INC., exerçant son activité sous la dénomination de THE MARKET SUPER KHORAK, ASY'S MARKET INC., MONSIEUR UNTEL et MADAME UNETELLE

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                 Les présents motifs concernent une action pour outrage au tribunal engagée en vertu de l'article 467 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles).


[2]                 Le procès a été ordonné par une ordonnance du juge Rouleau, datée du 13 janvier 2003. Le juge Rouleau a ordonné à Universal Foods Inc. (Universal) et à Morteza Katebian, en sa qualité personnelle d'administrateur et de dirigeant d'Universal, de comparaître devant un juge de la présente Cour pour entendre la preuve de l'outrage au tribunal qui leur est reproché pour non-respect de l'ordonnance du juge Pinard, en date du 10 décembre 2002, et de présenter leur défense à l'égard des accusations portées contre eux. Le juge Rouleau a attribué des dépens payables sans délai.

[3]                 Le 10 décembre 2002, le juge Pinard a ordonné à Universal de restituer sans délai à Tous Enterprises Ltd. (Tous) l'ensemble des marchandises et documents saisis de Tous dans l'exécution d'une ordonnance Anton Piller prononcée par le juge Campbell le 21 octobre 2002.

[4]                 La seule question juridique que soulève la présente procédure d'outrage au tribunal est de savoir si Universal, sur le fondement de la preuve produite, a restitué sans délai les marchandises à Tous.

LE CONTEXTE

[5]                 L'ordonnance Anton Piller du juge Campbell autorisait Universal à perquisitionner et saisir les marchandises BADR non autorisées ou de contrefaçon. La marque de commerce BADR est employée en liaison avec des produits d'alimentation.


[6]                 Universal, dont les activités et le siège social sont établis en Ontario, a procédé à diverses saisies dans la région de Vancouver et, en particulier, le 5 novembre 2002, a saisi de Tous, exerçant son activité sous la dénomination du Nancy Market, épicerie située dans North Vancouver, 19 caisses (de 20 pots chacune) et 120 pots de confitures et de marinades ainsi que 150 bouteilles de sirop (les marchandises saisies).

[7]                 Tous a déposé une requête en vue d'annuler l'ordonnance Anton Piller au motif qu'Universal n'avait pas communiqué des faits importants au juge Campbell. La requête de Tous devait être présentée le 9 décembre 2002 mais avant l'audience, Universal s'est désistée de la procédure Anton Piller, ce qui a donné lieu à l'ordonnance du 10 décembre 2002 du juge Pinard, prononcée sur consentement.

[8]                 Comme il a été indiqué, le juge Pinard a ordonné à Universal de remettre sans délai à Tous, entre autres personnes, les marchandises saisies. Il a ajourné la requête de Tous visant à obtenir les dépens et des dommages-intérêts.

LA PREUVE

a)          Pour le compte de Tous

[9]                 Tous a fait témoigner deux témoins : Mme Christine Sharik, assistante juridique de l'avocat de Tous dans l'instance, et M. Nosratollah, propriétaire du Nancy Market. Le témoignage de Mme Sharik visait à produire des documents en preuve.

[10]            M. Katebian a témoigné pour le compte d'Universal.

[11]            Selon la preuve, les événements suivants sont survenus après l'ordonnance du juge Pinard du 10 décembre 2002 et avant la réception par Tous d'une palette de marchandises provenant d'Universal, le 20 janvier 2003. Selon Tous, cette palette contenait la plupart des marchandises saisies mais non la totalité; par contre, certaines marchandises comprises dans la palette n'avaient pas été saisies au Nancy Market mais dans d'autres commerces d'alimentation de la région de Vancouver. Voici le résumé des événements :

a)         Le 17 décembre 2002, les avocats de Tous ont écrit aux avocats inscrits au dossier d'Universal à Vancouver. Une copie de cette lettre a été directement envoyée par télécopieur à M. Katebian par M. Nosratollah le 19 décembre 2002. La lettre du 17 décembre déclare que les marchandises saisies n'ont pas été restituées, ce qui constitue un manquement à l'ordonnance du juge Pinard, et demande des explications.

b)         La télécopie de Tous datée du 19 décembre 2002 comportait une feuille d'accompagnement où M. Nosratollah disait à M. Katebian que, si ce dernier ne lui restituait pas ses marchandises au plus tard le 27 décembre 2002, [traduction] « Je vais dire à mon avocat d'aviser la Cour que vous refusez d'obtempérer. » . Il a joint une copie de l'ordonnance du juge Pinard.

c)         Selon le témoignage M. Nosratollah, après l'envoi de la télécopie du 19 décembre 2002, M. Katebian

[traduction] [...] à deux ou trois reprises était entré en contact avec mes caissiers et avait demandé à me parler, et un jour que j'étais présent, assis là, [en réalité le 6 janvier 2003, jour où M. Katebian avait télécopié une lettre à M. Nosratollah au sujet de la restitution des marchandises] le téléphone a sonné, j'ai répondu et c'était M. Katebian. Je lui ai dit de contacter mon avocat, M. Paul Smith. (Transcription, page 21)


d)         M. Nosratollah a témoigné que les marchandises suivantes ne lui avaient pas été retournées quand il a reçu la palette d'Universal :

i)          une caisse de pots de confiture de rose;

ii)         huit caisses et 15 pots de confiture de fleurs d'oranger;

iii)         quatre gros pots de marinades Liteh.

e)          De plus, il a témoigné que dans l'envoi qu'il a reçu d'Universal, il y avait trois caisses de marinades d'okra (de 12 pots chacune) qui ne lui appartenaient pas. Il a noté sur le connaissement que certaines marchandises étaient abîmées.

f)          M. Nosratollah a ensuite discuté du prix d'achat des marchandises saisies. En général, une caisse de pots de confitures lui coûtait 40 $, soit 2 $ le pot. Les gros pots de marinades Liteh lui coûtaient 3 $ le pot. Généralement, sa marge bénéficiaire se situait entre 25 et 30 %. Il a estimé à 100 $ son bénéfice sur les marchandises non restituées. Il m'a dit qu'il y avait cinq pots d'endommagés parmi les pots retournés.

b)         Pour le compte d'Universal et de M. Katebian


[12]            M. Katebian a reconnu avoir été informé de l'ordonnance du juge Pinard peu après le 9 décembre 2002, quand son avocat est revenu à Toronto après avoir comparu devant le juge Pinard à Vancouver. Il a dit qu'il n'avait pas reçu de copie papier de l'ordonnance du juge Pinard avant d'en recevoir une de M. Nosratollah, le 20 décembre 2002.

[13]            Il a témoigné qu'il était familier avec les ordonnances Anton Piller du fait qu'il avait déjà été engagé dans des procès reliés à ce type d'ordonnances.

[14]            Il a admis en contre-interrogatoire que les marchandises saisies n'avaient pas été restituées sans délai à Tous et présenté les excuses suivantes :

a)         il n'a pas eu en main avant le 9 janvier 2003 la liste des marchandises saisies consignée par l'avocat d'Universal présent à l'exécution de l'ordonnance Anton Piller au Nancy Market le 5 novembre 2002. Il avait besoin de cette liste parce que le huissier de Vancouver qui avait pris possession des marchandises saisies ne les avait pas séparées et clairement identifiées distinctement des autres marchandises BADR saisies à cette date ou vers cette date dans d'autres commerces de détail de la région de Vancouver. Il a témoigné que le 20 décembre 2002, il avait appelé deux de ses avocats engagés dans le dossier en vue d'obtenir la liste.

b)         Toutefois, il est parti en vacances ce jour-là et n'est revenu que le 2 janvier 2003. Il a indiqué qu'Universal était fermée au cours de la période des Fêtes. Il a dit que dès qu'il a reçu la liste, le 9 janvier 2002, il a expédié les marchandises à Tous le jour même.


c)          Il a témoigné qu'il avait cherché à joindre M. Nosratollah les 2 et 3 janvier et qu'il lui avait laissé des messages sans obtenir de réponse. Il l'a de nouveau appelé le 6 janvier 2003, après lui avoir envoyé par télécopieur une lettre dans ces termes :

[traduction] J'ai cherché à vous joindre à plusieurs reprises pour organiser la restitution des marchandises. En raison de la période des Fêtes et également du mélange qu'a fait le huissier à Vancouver, nous avons été incapables de le faire. Veuillez nous transmettre par télécopieur votre copie des marchandises saisies à votre magasin, pour que nous puissions vous envoyer les marchandises. [Pièce D-5]

Il a confirmé que M. Nosratollah lui avait dit de contacter son avocat.

d)          Il a déclaré que toutes les marchandises avaient été restituées à Tous parce qu'il se trouvait à l'entrepôt d'Universal dans la région de Toronto au moment où l'on préparait l'expédition à Tous et où on en vérifiait le contenu; il avait la liste et vérifiait sa correspondance avec les marchandises qu'on plaçait sur la palette.

e)         S'agissant du coût et de la valeur, la preuve de M. Katebian ne diffère pas de celle de M. Nosratollah. Fondamentalement, M. Katebian vend chaque pot de confitures au prix de 2 $.

f)          Il a témoigné qu'Universal n'a pas délibérément refusé de restituer à Tous les marchandises saisies. Toutefois, il a admis une certaine part de responsabilité en déclarant ce qui suit :

[traduction] R.. Je suis vraiment désolé pour le retard. Je regrette le retard, mais j'aimerais souligner que j'ai fait tout ce que je pouvais pour restituer de bonne foi les marchandises. Mais encore une fois, je réalise qu'il y avait de la confusion de notre côté et que cela a causé le retard. [Transcription, page 65]


g)         En contre-interrogatoire, il a admis que la procédure d'exécution de l'ordonnance Anton Piller avait [traduction] « mal fonctionné » (transcription, page 68). Il a également reconnu en contre-interrogatoire (transcription, page 72), qu'Universal n'avait rien fait pendant qu'il était en vacances pour chercher à assurer la restitution des marchandises, ajoutant qu'il n'était pas au Canada au cours de la période des Fêtes.

h)         Il a déclaré avoir un chèque de 1 500 $ payable à Tous pour les dépens fixés par le juge Rouleau.

LES CONCLUSIONS

a)         La culpabilité ou la non-culpabilité pour outrage au tribunal

[15]            Dans l'arrêt Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217, la Cour suprême du Canada a établi les principes suivants dans la procédure d'outrage au tribunal touchant une ordonnance de la cour :

1)         Une allégation d'outrage au tribunal a une dimension criminelle (ou du moins quasi criminelle) (page 224) car une déclaration de culpabilité aurait pu assujettir Universal ou M. Katebian à une amende et à la possibilité d'une peine d'emprisonnement de moins de cinq ans (voir l'article 472 des Règles). « [I]l est nécessaire que les éléments constitutifs de l'outrage soient démontrés contre les appelants et soient prouvés hors de tout doute raisonnable » (page 224).

2)         Le fardeau de la preuve, en l'espèce, incombe à Tous, partie qui allègue l'outrage au tribunal (page 225).

[16]            L' « outrage au tribunal » est défini à l'article 466 des règles. Je reproduis ci-dessous les alinéas 466 a), b) et c) qui sont pertinents à l'égard de l'instance :


466. Sous réserve de la règle 467, est coupable d'outrage au tribunal quiconque :

a) étant présent à une audience de la Cour, ne se comporte pas avec respect, ne garde pas le silence ou manifeste son approbation ou sa désapprobation du déroulement de l'instance;

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

c) agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la Cour; [non souligné dans l'original]

466. Subject to rule 467, a person is guilty of contempt of Court who

(a) at a hearing fails to maintain a respectful attitude, remain silent or refrain from showing approval or disapproval of the proceeding;

(b) disobeys a process or order of the Court;

(c) acts in such a way as to interfere with the orderly administration of justice, or to impair the authority or dignity of the Court; [emphasis mine]


[17]            Dans l'arrêt Valmet Oy c. Beloit Canada Ltd., [1988] A.C.F. n º 87, le juge Pratte a traité de la condition requise pour qu'un tiers soit déclaré coupable dans une action pour outrage au tribunal. Il a déclaré :

La seule personne qui puisse désobéir à une ordonnance d'un tribunal est la partie que vise cette ordonnance. Toutefois, un tiers qui s'est sciemment fait le complice d'une partie pour désobéir à une injonction peut être déclaré coupable d'outrage, non pas parce qu'il a violé l'injonction, mais plutôt parce qu'il a agi de manière à entraver le cours de la justice.

[18]            Le juge MacKay, dans la décision Dimatt Investments Inc. c. Presidio Clothing Inc., [1993] 48 C.P.R. (3d) 46, a adopté une approche semblable.


[19]            La définition de « forthwith » [sans délai] dans le New Shorter Oxford English Dictionary est [traduction] « immédiatement, sur-le-champ, sans attendre » . Voir la décision Smith c. Canada, [1991] 3 C.F. 3 (C.F. 1re inst.) et l'arrêt Firebird Transportation Systems Inc. c. Hamelin Leasing Ltd. (1990), 43 C.P.C. (2d) 36, (C.S. C.-B.), où les deux tribunaux ont adopté la définition du dictionnaire.

i)          Universal

[20]            Sur le fondement de la preuve qui m'a été présentée, je conclus sans hésiter qu'Universal est coupable d'outrage au tribunal pour manquement à l'ordonnance du juge Pinard à laquelle elle avait donné son consentement. Les marchandises saisies devaient être restituées immédiatement à Tous par Universal. Elle n'ont été restituées qu'un mois et dix jours plus tard.

[21]            L'obligation relative à la restitution immédiate des marchandises saisies doit, naturellement, être appréciée en fonction du contexte et des circonstances de l'espèce. (Voir la décision Smith, précitée.)


[22]            L'ordonnance du juge Pinard s'inscrit dans un contexte particulier. Elle vise des marchandises saisies en vertu d'une ordonnance Anton Piller qu'Universal avait obtenue ex parte et qui, dans la mesure où Tous était concernée, devait être révisée le 18 novembre 2002 et est devenue une ordonnance sur consentement rendue ce jour-là par Madame le juge Layden-Stevenson. Tous a comparu à la révision, représentée par ses avocats. La révision de l'exécution de l'ordonnance Anton Piller a été ajournée pendant trois semaines jusqu'à la séance générale à Vancouver le 9 décembre 2002, mais sans préjudice du droit de Tous de présenter à tout moment une requête visant à obtenir l'annulation ou la modification de l'ordonnance Anton Piller rendue contre elle.

[23]            Le juge Layden-Stevenson a également ordonné : [traduction] « toutes les marchandises et tous les dossiers connexes saisis de Tous Enterprises Ltd. ou remis par elle le 5 novembre 2002 seront placés sous la garde des avocats de la demanderesse pour une période de trois semaines » , soit jusqu'au 9 décembre 2002.

[24]            En outre, selon l'ordonnance Anton Piller du juge Campbell, Universal avait des obligations spéciales en raison de la nature très extraordinaire de l'ordonnance Anton Piller, qui autorise la saisie en vue de la conservation de la preuve au procès.

[25]            Selon cette ordonnance, les avocats d'Universal sont tenus de veiller à faire dresser la liste de toutes les marchandises, équipements et dossiers connexes qui sont saisis ou remis. Les avocats de la demanderesse ont également l'obligation d'assurer la garde des marchandises saisies ou, subsidiairement, d'en faire le dépôt au bureau du Registre de la Cour.


[26]            Dans les circonstances, et je souligne encore une fois qu'Universal a donné son consentement à l'ordonnance du juge Pinard après avoir abandonné la procédure Anton Piller devant la présente Cour la veille, Universal était tenue de restituer à Tous les marchandises saisies dans un délai de quelques jours et elle n'a avancé aucune justification raisonnable de son empêchement de restituer les marchandises dans un délai très court.

[27]            Le fait que le huissier de Vancouver n'avait peut-être pas identifié les marchandises saisies d'une manière distincte ne constitue pas une excuse. Le huissier est sous le contrôle d'Universal.

[28]            Le fait qu'Universal ou M. Katebian, qui était apparemment à Vancouver au moment de l'exécution de l'ordonnance Anton Piller les 4 et 5 novembre 2001, n'avaient pas de copie de la liste des marchandises saisies de Tous ne constitue pas non plus une excuse. Les avocats d'Universal en avaient une copie.

[29]            On ne m'a pas fourni d'explications satisfaisantes sur le fait que les marchandises saisies se soient retrouvées à l'entrepôt d'Universal dans la région de Toronto, ce qui retardait d'autant la restitution et qui semblait être un manquement à l'ordonnance de garde des biens saisis du juge Layden-Stevenson.

ii)         M. Katebian


[30]            Je ne crois pas que le comportement de M. Katebian atteigne le degré d'entrave à la justice exposé dans l'arrêt Valmet Oy, précité. M. Katebian n'a pas sciemment aidé et encouragé Universal à désobéir à l'ordonnance du juge Pinard. Tous ses actes témoignent de son intention de restituer les marchandises. Le problème auquel il s'est heurté n'était pas de son fait. Il ne pouvait avoir accès à la liste des marchandises saisies qui était nécessaire parce que le huissier de Vancouver n'avait pas séparé les marchandises saisies d'autres marchandises également saisies.

b)         Sanctions

[31]            Dans la décision Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor (2000), 5 C.P.R. (4th) 157, j'ai résumé certains facteurs qui doivent guider le tribunal dans l'appréciation de la sanction à infliger pour outrage au tribunal. Sont notamment mentionnés : la gravité de l'outrage, la valeur dissuasive à l'égard des comportements analogues, tout bénéfice tiré du comportement d'outrage et des facteurs atténuants comme la bonne foi ou les excuses ainsi que la conduite antérieure du défendeur.

[32]            Universal demande comme sanction appropriée une amende dans la fourchette de 2 500 $ à 5 000 $. De plus, elle réclame ses dépens à l'égard de l'audience sur la base avocat-client, fixés immédiatement et payables dans un délai de quatre jours. Comme l'ordonnance du juge Rouleau en date du 13 janvier 2003 a fixé des honoraires de 1 500 $ pour la comparution ex parte, l'avocat de Tous estime les honoraires sur la base avocat-client et les débours à une somme totale de 5 200 $, compte non tenu de la comparution devant moi.

[33]            Lorsque j'examine les facteurs à considérer dans l'appréciation de l'amende appropriée, je conclus que les facteurs suivants jouent en faveur d'Universal :

1)         l'ordonnance du juge Pinard a été largement respectée et des mesures d'exécution avaient été prises avant l'engagement de la procédure d'outrage au tribunal, ce qui témoigne de la bonne foi d'Universal;

2)         la preuve produite devant moi n'établit pas qu'Universal ou M. Katebian aient délibérément manqué à l'ordonnance du juge Pinard. Selon moi, la preuve établit plutôt qu'Universal et M. Katebian n'ont pas attaché suffisamment d'importance au respect de l'ordonnance du juge Pinard; et qu'ils ont fait preuve de négligence à cet égard certainement avant et pendant les vacances de M. Katebian;

3)         il ne s'agit pas d'un cas où Universal aurait réalisé un bénéfice ou tiré un avantage financier du manquement à l'ordonnance;

4)         la valeur des marchandises visées n'est pas importante;

5)         M. Katebian a présenté des excuses à la Cour et à Tous.

[34]            Les éléments suivants jouent contre Universal :

1)         l'ordonnance du juge Pinard n'a pas été respectée, sans justification;


2)         les circonstances de l'ordonnance du juge Pinard ne jouent pas en faveur d'Universal. Les marchandises visées ont été saisies en vertu d'une ordonnance Anton Piller ex parte obtenue par Universal. Plutôt que de poursuivre Tous, Universal a abandonné sa demande d'ordonnance Anton Piller au moment où Tous a indiqué qu'elle présentait une requête en vue de demander l'annulation de l'ordonnance. C'est en raison de l'abandon de la procédure qu'Universal a consenti à restituer sans délai à Tous les marchandises saisies;

3)         le pouvoir de dissuasion est un élément important dans la présente affaire. Il faut faire passer aux personnes qui obtiennent des ordonnances Anton Piller ex parte le message qu'elles doivent suivre à la lettre toutes les ordonnances judiciaires reliées au prononcé initial d'une ordonnance Anton Piller même si l'ordonnance est ultérieurement abandonnée. Le fait que des conditions rigoureuses imposées à la garde des marchandises saisies en vertu de l'ordonnance Anton Piller n'aient pas été pleinement respectées constitue un facteur aggravant ou ayant contribué au manquement d'Universal.

[35]            À mon avis, l'appréciation de ces facteurs joue en faveur d'une amende équitable et raisonnable au haut de la fourchette recommandée par l'avocat de Tous. Je fixe l'amende à 4 000 $, payable à la Cour dans un délai de quinze (15) jours.

[36]            Je traiterai maintenant de la demande de Tous relative aux dépens sur la base client-avocat à l'égard de la présente procédure, considérant que le juge Rouleau a établi à 1 500 $ les dépens payables à Tous dans la procédure dont il était saisi et reconnaissant que le juge MacKay a déclaré dans la décision Dimatt Investments, précitée :


      En plus des amendes, j'ai ordonné aux défendeurs de payer à la demanderesse ses dépens raisonnables sur une base procureur-client. Cela correspond à la pratique normale lorsqu'il est fait droit à une demande d'ordonnance portant qu'il y a outrage au tribunal, de sorte que le rôle assumé par la partie qui demande le respect d'une ordonnance de la Cour n'entraîne pas de dépens excessifs pour celle-ci. Dans un certain nombre de décisions rendues récemment par la Cour, les dépens alloués dans ce contexte correspondaient à un montant forfaitaire; puisqu'on n'a présenté en l'espèce aucune preuve relative aux frais réellement engagés par la demanderesse et, partant, à la somme des dépens qui pourrait être raisonnable, je n'ai pas établi le montant des dépens, m'attendant à ce que les parties parviennent à s'entendre sur des dépens raisonnables sur une base procureur-client ou, à défaut, qu'on procède à la taxation de ces dépens raisonnables.[Non souligné dans l'original]

[37]            Je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, d'attribuer à Tous des dépens sur la base avocat-client et que les circonstances justifient une exception à la règle générale mentionnée par le juge MacKay dans la décision Dimatt, précitée.

[38]            Au moment de l'audience devant moi, les marchandises saisies avaient été restituées par Universal et étaient en la possession de Tous depuis environ trois semaines. Il est vrai qu'il y a des éléments qui sont manquants et que Tous a des pots d'okra qui n'avaient pas été saisis par Universal. Tous poursuit Universal pour les dépens et les dommages-intérêts entraînés par l'exécution de l'ordonnance Anton Piller et on peut présumer qu'on prendra en considération dans les comptes ce qui manque et ce qui est de trop. De plus, cinq ou six pots étaient abîmés quand Tous les a reçus, ce qui sera pris en compte dans la procédure en recouvrement des dépens et des coûts.


[39]            Je ne suis pas persuadé que la présente audience pour outrage au tribunal était nécessaire pour obtenir l'exécution de l'ordonnance du juge Pinard. Comme je l'ai noté, Universal prenait déjà des mesures pour respecter l'ordonnance, encore qu'elles aient été prises tardivement. Tous savait au début de janvier que les marchandises saisies avaient été restituées, mais j'accorde du poids à l'observation de Tous selon laquelle le manquement à l'ordonnance du juge Pinard s'était vraisemblablement déjà produit à ce moment-là.

[40]            Au 10 janvier 2003, les marchandises avaient été retournées à Tous et Tous le savait, mais j'admets que la pression exercée par les avocats de Tous sur Universal a probablement encouragé Universal à restituer les marchandises.

[41]            Comme je l'ai signalé, au 20 janvier 2003, Tous avait reçu presque toutes les marchandises saisies sous réserve des exceptions notées.

[42]            À mon avis, conformément au raisonnement du juge MacKay dans la décision Dimatt, précitée, l'assimilation de l'exécution d'une ordonnance de la Cour aux mesures prises pour faire respecter des droits privés dans une action de droit privé est jusqu'à un certain point légitime.

[43]            Toutefois, le seuil à partir duquel on attribue les dépens sur la base avocat-client en plus de la peine dépend des circonstances. En l'espèce, l'attribution des dépens sur la base avocat-client serait une charge disproportionnée imposée à Universal.


[44]            Sur le fondement des renseignements fournis par l'avocat de Tous au cours de l'audience, j'estime que les dépens sur la base avocat-client de Tous pour l'audience sur la présente procédure d'outrage s'établissent à 6 400 $. Je fixe les dépens dus par Universal à Tous à 3 200 $, payables dans un délai de quinze (15) jours.

[45]            Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu'Universal s'est rendue coupable d'outrage au tribunal à l'égard de l'ordonnance du juge Pinard du 10 décembre 2002. Je fixe l'amende que doit verser Universal à 4 000 $, payables à la Cour dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de la présente ordonnance. J'établis tous les dépens et débours dus à Tous par Universal au sujet de la présente audience à 3 200 $, payables dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de la présente ordonnance.

                                                                                 « François Lemieux »     

                                                                                                             Juge                  

OTTAWA (ONTARIO)

17 AVRIL 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1706-02

INTITULÉ :              Universal Foods Inc. c. Hermes Foods Importers Ltd. et al.

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              14 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                     17 avril 2003

COMPARUTIONS :

M. Colin Brown                                                   POUR LA DEMANDERESSE

M. Paul Smith                                                        POUR LA DÉFENDERESSE, TOUS ENTERPRISES LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thomas McPherson & Associates                                   POUR LA DEMANDERESSE

Aurora (Ontario)

Paul Smith Intellectual Property Law                   POUR LA DÉFENDERESSE,

Vancouver (Colombie-Britannique)                     TOUS ENTERPRISES LTD.

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