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Date : 20030917

Dossier : IMM-3670-02

Référence : 2003 CF 1078

Toronto (Ontario), le 17 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON                                 

ENTRE :

                                                             JONATHAN BALENDRA

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Balendra est un citoyen tamoul du Sri Lanka, célibataire, dans la mi-trentaine. Il conteste, par voie de contrôle judiciaire, la décision de l'ancienne Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) qui a rejeté sa revendication du statut de réfugié.


[2]                 L'histoire de la persécution alléguée de M. Balendra a débuté en 1983. Il prétend avoir été harcelé, arrêté et détenu par l'armée sri-lankaise à plusieurs occasions. Il a également connu des tentatives de recrutement de la part des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET). Les TLET l'ont contraint à participer à des réunions de propagande et, en 1992, ils ont ordonné à ses parents de l'envoyer au camp des TLET pour joindre leur mouvement. Les plans de M. Balendra visant à fuir en Inde ont été contrecarrés lorsque le village où il se cachait a été pris d'assaut et assiégé par l'armée. Il prétend avoir été agressé et interrogé à différents moments par l'armée. En 1999, il dit que les TLET ont commencé à visiter sa maison demandant de l'argent et de la nourriture. Au cours des deux années qui ont suivi, les TLET ont visité l'école où il enseignait et, lors d'une leurs visites, ils ont tenu une réunion de propagande et ils lui ont ordonné d'encourager les étudiants à soutenir les TLET. L'événement déclencheur du départ de M. Balendra du Sri Lanka a eu lieu le 23 juillet 2001. Il a été arrêté et agressé par l'armée le même jour que le bruit a couru qu'un élève de son école avait été enlevé par les TLET. Accusé d'aider les TLET à Jaffna et d'utiliser son école privée (travaux dirigés) comme un lieu de rencontre des TLET à Jaffna, il a été envoyé en détention, torturé et menacé d'être exécuté advenant une nouvelle arrestation. Il a été libéré après paiement d'un pot-de-vin et on lui a dit de se présenter à un autre camp militaire à la fin de juillet. Il s'est dirigé vers Colombo, avec l'intention de quitter le pays, mais il a été arrêté et détenu jusqu'au lendemain par la police qui lui a fait subir un interrogatoire, l'a battu et lui a ordonné de quitter Colombo. M. Balendra a quitté le Sri Lanka le 4 août 2001 avec l'aide d'un agent. Il est arrivé au Canada le 30 septembre, par les États-Unis où il a été détenu pendant environ deux mois.


[3]                 La SSR a conclu que M. Balendra n'avait pas prouvé qu'il était un Tamoul qui a résidé dans le Nord pendant les périodes qui ont un rapport avec sa revendication. Sa soeur, une citoyenne canadienne, a témoigné que M. Balendra est son frère, mais elle a seulement pu confirmer qu'elle l'a vu pour la dernière fois à Jaffna en 1992. La SSR a conclu que la preuve de M. Balendra sur l'endroit où il se trouvait dans les années postérieures à 1992 a été sapée par son témoignage, ce qui lui a fourni, a-t-elle dit, _ plus d'un motif suffisant de ne pas retenir la présomption de sincérité en sa faveur _. La SSR a conclu que M. Balendra manquait de crédibilité dans l'ensemble. Elle a fondé sa décision sur les invraisemblances et les contradictions de son témoignage et sur les inférences qu'elle en a tirées.

[4]                 M. Balendra conteste un certain nombre de conclusions que la SSR a tirées sur la crédibilité. Malgré le fait que je ne serais pas arrivé aux mêmes conclusions, il ne m'est pas loisible, en mettant en oeuvre la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, de substituer ma décision à celle de la Commission. Après examen de la transcription, je ne peux conclure que les conclusions que la Commission a tirées étaient manifestement déraisonnables.


[5]                 M. Balendra prétend également que la preuve documentaire appuyait et corroborait son témoignage. Néanmoins, la preuve documentaire n'a été ni reconnue (à ce qui se dégage d'un examen de la décision) ni prise en considération. Il soutient que les éléments de preuve les plus récents, relativement à la crainte raisonnable de persécution, doivent être pris en considération. En l'espèce, les éléments de preuve établissent que les Tamouls du Nord continuent de subir au Sri Lanka des arrestations, des agressions physiques et un recrutement forcé. M. Balendra soutient que le fait qu'on ait conclu qu'il n'est pas crédible ne l'empêche pas d'être réfugié si son appartenance à un groupe social particulier et ses opinions politiques apparentes ainsi que ses activités sont de nature à le faire arrêter et punir. Compte tenu de la preuve documentaire dont disposait la SSR et du fait qu'elle l'a identifié comme un Tamoul du Nord, il y avait des éléments de preuve dignes de foi sur le fondement desquels la Commission aurait pu conclure qu'il est un réfugié au sens de la Convention. J'accepte cet argument.

[6]                 La SSR accepte que M. Balendra est un Tamoul du Nord et accepte le témoignage de sa soeur qu'il a été à Jaffna au moins jusqu'en 1992. Je note que la Commission ne pouvait pas conclure autrement vu les documents dont elle disposait à cet égard. C'est l'endroit où se trouvait M. Balendra pendant les périodes ayant rapport avec sa revendication qui a fait douter la SSR. Après avoir rejeté le témoignage des persécutions antérieures au Sri Lanka pour des motifs de crédibilité, elle a conclu sa décision par le commentaire suivant :

Étant donné que nous ne savons pas où se trouvait le revendicateur aux moments importants eu égard à sa revendication, nous ne pouvons mener plus loin notre évaluation du risque de persécution qu'il court au Sri Lanka.


[7]                 Avec égard, à mon avis, ayant accepté son identité comme Tamoul du Nord, il incombait à la SSR de tenir compte de la preuve documentaire relative à M. Balendra, pour décider si, en tant que Tamoul de sexe masculin originaire du Nord, il a le profil d'une personne qui serait persécutée s'il retournait au Sri Lanka. Comme l'a dit le juge Evans, alors juge à la Section de première instance, dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998) 157 F.T.R. 35, les tribunaux ne sont pas tenus de faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, ni d'expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve. Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs qui lui sont transmis est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que le tribunal a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait.

[8]                 La présente affaire est une de celles dans lesquelles la preuve documentaire était d'une telle importance qu'elle méritait d'être mentionnée et analysée. Je me fonde à cet effet sur l'arrêt Mahamandam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1228 (C.A.), dans lequel le juge en chef Isaac a dit, au nom de la Cour :

Lorsqu'une preuve documentaire comme celle en cause est admise en preuve à l'audience, et pourrait vraisemblablement influer sur l'appréciation, par la Commission, de la revendication dont elle est saisie, il nous semble que plus qu'une simple constatation de son admission, la commission doit indiquer dans ses motifs l'incidence, si elle existe, de cette preuve sur la revendication du requérant. Comme je l'ai déjà dit, la Commission ne l'a pas fait en l'espèce. À notre avis, cette omission équivalait à une faute irréparable, et il s'ensuit que la décision de la Commission ne peut être maintenue.

[9]                   Si la Commission s'était penchée sur la preuve documentaire relative à la persécution des Tamouls de sexe masculin, l'appréciation et la décision de la Commission, quant à savoir si M. Balendra est un réfugié au sens de la Convention, auraient bien pu être différentes malgré ses conclusions sur la crédibilité de son témoignage sur les persécutions antérieures. J'accepte et j'adopte l'analyse de mon collègue, le juge Gibson dans Mylavaganam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1195, au paragraphe 5, où il dit :

Même en écartant carrément, comme elle l'a fait, les actes de persécution que le demandeur prétend avoir subis, elle ne paraît pas avoir, dans le raisonnement sur lequel elle appuie sa décision en l'espèce, nié le fait que le demandeur était bien un jeune Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. La SSR a accepté ce fait et ensuite écarté les preuves matérielles dont elle disposait selon lesquelles une personne comme ce demandeur risquait de faire l'objet de persécution s'il était obligé de retourner au Sri Lanka, qu'il pourrait donc fort bien avoir une crainte subjective d'être persécuté et que cette crainte reposait aussi sur une base objective réelle.                           


[10]       Le raisonnement s'applique également en l'espèce. Voir également : Kathirkamu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 409, [2003] A.C.F. no 592; Baranyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 16 Imm. L.R. (3d) 142 (C.F. 1re inst.); Jeyasseelan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 218 F.T.R. 221 (1re inst.).

[11]       L'avocat du défendeur a courageusement plaidé pour défendre la décision de la SSR. Si la Commission avait présenté ses motifs de la même façon, sa décision serait vraisemblablement inattaquable. L'argument de l'avocat selon lequel, pour des motifs de crédibilité, la Commission avait conclu qu'il n'y a aucune crainte subjective, ne peut être soutenu parce que la Commission n'a pas tiré cette conclusion. Il n'y a eu absolument aucun commentaire et aucune analyse relativement à la crainte subjective. Ces mots ne figurent nulle part dans la décision. De plus, si la preuve documentaire avait été prise en considération et si la Commission avait décidé, après un examen correct de tous les éléments de preuve, que M. Balendra a effectivement une crainte objective, il serait très difficile de conclure qu'il n'y a aucun élément subjectif. À cet égard, je me fonde sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, auquel aucune des parties n'a renvoyé, dans lequel elle affirme qu'il est très difficile de voir dans quelles circonstances on peut dire qu'une personne, qui par définition revendique le statut de réfugié, pourrait craindre avec raison d'être persécutée et voir quand même sa demande rejetée parce qu'elle n'a pas raison actuellement de craindre d'être persécutée : Yusuf c. Canada, [1995] 1 C.F. 629 (C.A.).


[12]       Je conclus que la Commission était obligée d'aller de l'avant et d'analyser s'il y avait une probabilité de persécution du fait de l'appartenance à un groupe social décrit dans la preuve documentaire. En dehors d'une énumération de ses conclusions quant à la crédibilité, la décision de la SSR manque totalement d'analyse et de description.

[13]       La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocats n'ont proposé aucune question pour certification. La présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de ce qui est maintenant la CISR.

_ Carolyn Layden-Stevenson _

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        IMM-3670-02

INTITULÉ :                                        JONATHAN BALENDRA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 16 septembre 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : la juge Layden-Stevenson

DATE DES MOTIFS :                                    le 17 septembre 2003   

COMPARUTIONS :             

Helen P. Luzius                                        pour le demandeur

Amina Riaz                                                            pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                   

Helen P. Luzius

Avocate

Toronto (Ontario)                                                 pour le demandeur

Morris Rosenberg                                                

Sous-procureur général du Canada                     pour le défendeur


                                             COUR FÉDÉRALE

Date : 20030917

Dossier : IMM-3670-02

ENTRE :

JONATHAN BALENDRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE

                                                                           


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