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Date : 20031023

Dossier : IMM-2072-03

Référence : 2003 CF 1237

ENTRE :

                                                               SU WEI ZHOU

                                                                                                                                 demanderesse

ET

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 28 février 2003, selon laquelle la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La demanderesse demande que cette décision soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à un autre membre de la Section de la protection des réfugiés.

[2]                 La demanderesse, une citoyenne de Chine âgée de 28 ans, est arrivée au Canada le 6 octobre 2001 et a revendiqué le statut de réfugié le 15 octobre suivant. La Commission a entendu sa revendication le 19 décembre 2002 et a conclu qu'elle n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[3]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) daté du 17 décembre 2001, la demanderesse allègue que sa famille a été victime de tractations malhonnêtes de la part de fonctionnaires en Chine et, plus particulièrement que la terre de sa famille a été expropriée sans que celle-ci reçoive une indemnité financière suffisante.

[4]                 La demanderesse a fait d'autres allégations à l'audience. Elle fonde sa revendication du statut de réfugié sur trois motifs : premièrement, l'expropriation de la terre de sa famille; deuxièmement, le fait que, comme elle était enceinte de six mois environ et qu'elle avait épousé un citoyen chinois au Canada, le gouvernement chinois ne reconnaîtrait pas son mariage et la forcerait à subir un avortement; troisièmement, le fait qu'elle serait détenue à son arrivée en Chine pour être demeurée à l'extérieur de ce pays au-delà de la limite légale.


[5]                 La Commission a indiqué que les questions en litige concernaient la crédibilité et le fondement objectif des allégations de la demanderesse. Elle a ensuite entrepris d'examiner les trois motifs constituant le fondement de la revendication.

[6]                 Le premier motif est l'expropriation de la terre de sa famille, survenue en 1995. Or, selon la preuve produite par la demanderesse, ses parents ont cessé de s'opposer au régime en 1997 et les autorités chinoises ont alors considéré que le dossier était clos. La Commission a donc conclu qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse, si la demanderesse retournait en Chine, qu'elle soit persécutée par suite de l'expropriation de la terre de sa famille.


[7]                 La Commission a ensuite analysé le deuxième fondement de la revendication, soit le fait que la demanderesse, qui était enceinte de six mois, pourrait devoir subir un avortement contre son gré si elle retournait en Chine. La demanderesse prétendait également que le gouvernement chinois pourrait ne pas reconnaître son mariage célébré au Canada et que, même s'il le reconnaissait, elle n'avait pas obtenu une autorisation de naissance avant de devenir enceinte. La Commission a fait remarquer que le conseil de la demanderesse n'avait produit aucune preuve démontrant que le gouvernement chinois ne reconnaîtrait pas un mariage célébré légalement au Canada. Elle a indiqué que le fardeau de la preuve repose sur la demanderesse. Elle a conclu que cette prétention était une hypothèse dénuée de fondement et qu'elle ne disposait d'aucune preuve indiquant que le gouvernement chinois force les femmes mariées légalement à l'étranger dont le premier enfant a été conçu à l'extérieur de la Chine à subir un avortement.

[8]                 La Commission s'est ensuite penchée sur le troisième motif, soit le fait que la demanderesse serait emprisonnée pendant une période de temps inconnue à son arrivée en Chine. La demanderesse affirmait qu'elle serait détenue par les autorités chinoises dès son retour parce qu'elle avait quitté la Chine illégalement et qu'elle y retournerait après avoir échoué dans sa tentative de se voir reconnaître le statut de réfugié. Elle prétendait craindre d'être tuée ou torturée ou de faire l'objet de traitements ou de peines cruels et inusités.

[9]                 La Commission a analysé le risque de peines cruelles et inusitées auquel la demanderesse pourrait être exposée par suite d'actes de torture. Pour ce faire, elle s'est demandé si la demanderesse avait réellement quitté la Chine illégalement.

[10]            La demanderesse a confirmé qu'elle avait reçu un passeport après en avoir fait la demande, même si elle n'avait pas demandé un permis de sortie. Elle a cependant remis ce passeport à la personne qui l'a aidée à venir au Canada.


[11]            La Commission a fait référence à un document produit par le ministre. Ce document, un visa américain, a été délivré à la demanderesse à Guangzhou le 31 août 2001, soit avant son départ de la Chine. Selon la Commission, les autorités américaines n'auraient pas délivré un visa à la demanderesse si celle-ci n'avait pas obtenu au préalable un permis l'autorisant à quitter la Chine. En conséquence, la Commission a conclu que la demanderesse a quitté la Chine légalement et que, en conséquence, elle risquait seulement de faire l'objet d'une sanction pour avoir prolongé son séjour à l'étranger au-delà de la période autorisée.

[12]            De plus, dans la demande de visa qu'elle a présentée aux autorités américaines, la demanderesse a indiqué qu'elle était mariée avec Chen Daming et qu'elle enseignait à l'école primaire Nanyuan. Or, elle a dit à la Commission qu'elle avait travaillé comme tutrice en Chine et qu'elle n'était pas mariée lorsqu'elle a quitté ce pays. De plus, un certificat de mariage qui a été présenté à la Commission indiquait que la demanderesse avait épousé Tai An Zhou au Canada le 17 mai 2002.

[13]            La Commission a donc constaté que la demanderesse possédait un passeport légal contenant un visa américain légal obtenu au moyen de faux renseignements. En outre, la demanderesse a contredit les renseignements contenus dans son FRP selon lesquels elle n'avait pas obtenu un permis de sortie lorsqu'elle a déclaré à l'audience qu'elle est demeurée à l'extérieur de la Chine au-delà de la période autorisée de six mois.


[14]            La Commission a ensuite examiné la preuve relative au traitement que les autorités chinoises réservent aux citoyens chinois qui retournent en Chine. Elle a rejeté les allégations de la demanderesse selon lesquelles le gouvernement chinois considère d'un mauvais oeil les efforts faits par les personnes qui ont essayé en vain de s'établir dans un autre pays. Selon elle, la demanderesse pourrait, au pire, faire l'objet d'une détention administrative de 10 ou 15 jours, dans des conditions qui ne l'exposent pas au risque d'être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées et, au mieux, devoir payer une amende de 1 000 $CAN environ, ce qui lui semblait être un montant raisonnable.

[15]            La Commission a statué que la demanderesse ne serait pas une personne à protéger en raison des peines raisonnables qui pourraient lui être infligées à son retour en Chine si elle a contrevenu à une loi d'application générale régissant les sorties en demeurant à l'étranger au-delà de la période autorisée par son permis de sortie.

[16]            Après avoir examiné son FRP, la Commission a conclu que la demanderesse a quitté la Chine pour des raisons économiques et non pour échapper à la persécution, à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles ou inusitées.

[17]            Je partage l'avis du défendeur lorsqu'il dit que les questions en litige en l'espèce peuvent être résumées de la manière suivante :

(1) La Commission a-t-elle tiré des conclusions erronées au regard de la crédibilité?


(2) La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve?

[18]            La demanderesse soutient que la Commission n'a pas précisé pourquoi sa crédibilité était un facteur déterminant. Je ne suis pas de cet avis. En fait, la Commission n'a pas cru que la demanderesse avait quitté la Chine illégalement. Comme elle l'a expliqué clairement, c'est le témoignage prononcé par la demanderesse à l'audience, dans lequel celle-ci a dit qu'elle craignait d'être punie pour être demeurée à l'étranger au-delà de la période autorisée - soit plus de six mois - qui l'a amenée à tirer cette conclusion. En outre, après avoir examiné la demande de visa présentée aux autorités américaines par la demanderesse, la Commission a conclu que le visa n'aurait pas été délivré si un permis de sortie n'avait pas d'abord été obtenu. La Commission a donc expliqué les raisons pour lesquelles elle ne croyait pas que la demanderesse avait quitté la Chine illégalement.

[19]            De plus, la demande de visa renfermait des renseignements qui contredisaient l'information présentée à la Commission. Ainsi, alors que cette demande indiquait que la demanderesse était mariée avec Chen Daming et qu'elle était professeure, son FRP mentionnait qu'elle n'avait pas pu se marier en Chine et qu'elle avait travaillé seulement comme tutrice et dans de petits magasins.


[20]            Compte tenu de la preuve démontrant que la demanderesse avait menti au sujet de son état matrimonial et de ses antécédents professionnels afin d'obtenir un visa américain, il était raisonnable que la Commission conclue qu'elle pouvait avoir menti également en affirmant qu'elle n'avait pas obtenu un permis de sortie. Il était raisonnable aussi qu'elle conclue que la demanderesse ferait seulement l'objet d'une sanction raisonnable pour être demeurée à l'étranger au-delà de la période autorisée puisqu'elle avait quitté la Chine légalement. La Cour ne devrait donc pas modifier cette conclusion relative à la crédibilité.

[21]            La demanderesse prétend également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve.

[22]            La Commission s'est fondée sur la conclusion selon laquelle la demanderesse a quitté la Chine légalement pour conclure que la sanction raisonnable qui pourrait lui être infligée à son retour en Chine si elle est demeurée à l'étranger au-delà de la période autorisée par son permis de sortie n'en fait pas une personne à protéger. En conséquence, il n'était pas déraisonnable que la Commission conclue que la demanderesse ferait l'objet d'une sanction administrative, et non qu'elle serait exposée au risque d'être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.


[23]            En ce qui concerne la question de l'avortement forcé, comme la demanderesse devait accoucher vers le 12 avril 2003, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve démontrant que le gouvernement chinois force les femmes légalement mariées à l'extérieur de la Chine dont le premier enfant a été conçu à l'étranger à subir un avortement.

[24]            Pour les motifs exposés ci-dessus, le présent appel est rejeté.

                                                                                                                                 « P. Rouleau »            

                                                                                                                                                    Juge                    

Ottawa (Ontario)

Le 23 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                           COUR FÉDÉRALE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM- 2072-03

INTITULÉ :                                                        SU WEI ZHOU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 30 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                       LE 23 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Martin J. Bauer                                        POUR LA DEMANDERESSE

Keith Reimer                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martin J. Bauer                                        POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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