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Date : 20021016

Dossier : T-1680-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1078

Ottawa (Ontario), ce 16e jour d'octobre 2002

En présence de :         L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                          ROLAND KOUASSI AMOUSSOUGA-GÉRO

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Par sa demande de contrôle judiciaire, le ministre de la Citoyenneté et de l'immigration demande la cassation de la décision de Barbara Seal d'avoir reconnu que le défendeur rencontrait les exigences préalables à la citoyenneté canadienne.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                 Est-ce que la décision du juge de la citoyenneté doit être annulée?

[3]                 Je ne le crois pas pour les raisons suivantes:

NORME DE CONTRÔLE

[4]                 J'adopte le raisonnement du juge Lutfy dans la cause Lam c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration)(1999), 164 F.T.R. 177, [1999] A.C.F. no 410, paragraphe 33, (C.F. 1re instance) (QL):

[TRADUCTION] [...] La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition. [je souligne]

CONTEXTE FACTUEL

[5]                 Le défendeur a obtenu le droit d'établissement au Canada le 10 octobre 1996 et il est entré ici le 12 février 1994. Né au Bénin, il arrive au Canada en tant que citoyen du Togo. Le 12 janvier 2000, soit trois ans et trois mois après son établissement au Canada, il présente sa demande de citoyenneté.


[6]                 L'épouse du défendeur vient au Canada en janvier 1994 en tant que réfugiée en provenance d'Haïti. Le fils du défendeur, Rolik est né au Canada en 1995 et le couple a aussi une fille, Charlotte qui fréquente une école secondaire privée à Montréal. Le défendeur n'a d'autre famille que quelques frères et soeurs à l'étranger.

[7]                 En octobre 1996, le défendeur est nommé, alors qu'il demeure à Montréal, par l'Organisation des Nations Unies (ci-après "ONU") afin de servir en tant que Conseiller Juridique et Directeur du Programme de protection de témoins au Tribunal pénal international pour le Rwanda (ci-après "TPIR"). Ce tribunal venait d'être créé à la suite des atrocités survenues au Rwanda en 1994. Le tribunal est établi à Arusha, en Tanzanie.

[8]                 Le contrat original était d'une durée d'une année, sujet à des renouvellements. Ce contrat comportait également des congés ( « home leave » ) pour permettre au défendeur de retourner à sa famille au Canada de façon périodique, et prévoyait qu'à la fin de son engagement il rentrait au Canada. Le défendeur exécutait ses travaux sous la direction du Procureur en chef du TPIR, l'honorable juge Louise Arbour, qui siège maintenant à la Cour suprême du Canada.

[9]                 En novembre 1996, le défendeur achète une maison à St-Hubert, en banlieue de Montréal. Cette maison est grevée d'une hypothèque par une banque à Montréal, où le défendeur possède des comptes bancaires.


DÉCISION CONTESTÉE

[10]            Le juge Seal décide le 1er août 2001 que le défendeur satisfait l'exigence de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté (ci-après la "Loi"). Elle déclare que le défendeur a centralisé son mode de vie ordinaire au Canada de sorte que ses périodes d'absence au Canada ont pu être comptées pour franchir le seuil de trois ans de résidence au cours d'une période de quatre années requis pour devenir citoyen.

[11]            Dans ses motifs, le juge énumère quatorze exemples des liens que le défendeur a établi avec le Canada:

Applicant's ties to Canada are substantial.

A.            Mr. Amoussouga-Gero states that it was as Canadian (sic) resident that he was recruited to work at the ICTR which has a quota system for each of its member countries. While in Tanzania Applicant had many social interactions with Canadians. They celebrated St-Jean Baptiste Day, Canada Day and Canadian Thanksgiving and Christmas with "our compatriots from Canada". In fact in several of the documents provided in this file, one can see that applicant's home was referred to as "the Canadian house". It was in this "Canadian house" that Applicant hosted and gave help to many Canadian citizens.

B.             Applicant files income tax in Canada.

C.            Owns a home in Canada on which he pays municipal and school tax.

D.            Has bank accounts and credit card accounts in Canada.

E.             His salary is deposited directly to his Canadian bank account.

F.             His son was born in Canada in 1995.

G.            Place of leave from United nations (sic) is Canada and he always returns home when possible.


H.            Applicant has many Canadian friends and Associates. For example, Me Jean François Fiset, me (sic) Claude Bouchard, Me Claude Mallette, Me Benoit Henry, Mr. Tim Morson, Mr. Koffi Mawali, Emanuel Dorgbley and Janet Van Der Vink, L.L.B. (Please refer to affidavits on file)

I.              Applicant's wife and two children live and attend school and social, athletic and cultural activities in Canada.

J.             Even when away, most of Applicant's belongings remain in Canada.

K.            Applicant has his personal doctor and dentist in Canada. He had major surgery at Notre-Dame Hospital in 1996.

L.             Applicant's wife and children have doctor, pediatrician and dentist in Canada.

M.           Applicant is on staff of the Lester B. Pearson Canadian International Peacekeeping Training Center (Nova Scotia).

N.            Applicant and his family have a perfect knowledge of Canada's two official languages.

ANALYSE

[12]            Le demandeur soumet l'arrêt Chen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 FCT 1229, où le juge Nadon, alors qu'il était juge de première instance à la Cour fédérale, se dissociait de l'opinion émise par le juge Lutfy dans l'affaire Lam, supra, décrétant que le seul critère pour obtenir la citoyenneté était une présence physique de

1 095 jours.

[13]            Le demandeur plaide de plus que les six critères émis par le juge Reed dans la cause Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re instance) ne sont pas rencontrés par le défendeur dans la présente cause. Le juge Reed, à la page 293 de sa décision, s'était posé les questions suivantes:


La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante: le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement: le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision:

1)             la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2)             où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3)             la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

4)             quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5)             l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

6)             quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays? [le souligné est dans le texte original]

[14]            À titre d'exemple, le demandeur soutient que la décision du juge Seal doit être cassée parce que le défendeur a passé au maximum 117 jours au Canada durant la période pertinente.

[15]            Le juge Seal aurait de plus considéré la période entre 1994 et 1996, donc à l'extérieur du temps pertinent, pour comptabiliser le nombre de jours qu'une personne doit passer au Canada pour obtenir la citoyenneté.

[16]            Le demandeur soumet que chaque fois que le défendeur revenait au Canada, ce n'était que pour visiter sa famille ou prendre des vacances.

[17]            Jurisprudence à l'appui, le demandeur dépose des jugements de notre Cour indiquant que le seul fait de payer des impôts par exemple, ou avoir un compte bancaire au Canada ne suffit pas pour établir une création de lien avec notre pays.

[18]            Malgré cet exposé brillamment plaidé, je souscris plutôt à l'argumentation du procureur du défendeur en ce que le demandeur a établi devant le juge Seal qu'il avait centralisé son mode de vie au Canada.

[19]            Un juge de la citoyenneté peut adopter l'une ou l'autre des tendances jurisprudentielles de notre Cour (voir Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Araksia (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 293, [1999] A.C.F. no 1437, paragraphe 6, (C.F. 1re instance) (QL)).

[20]            Dans la cause In re la Loi sur la citoyenneté et in re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re instance), le juge Thurlow s'exprime ainsi au paragraphe 16:

[...] Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] "essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question". [je souligne]

[21]            La jurisprudence reconnaît aussi qu'un juge de la citoyenneté peut faire référence à la période avant les quatre ans prévus à la Loi.

[22]            Dans la cause sous étude, il est important de mentionner que le contrat du défendeur a été renouvelé d'année en année. M. Amoussouga-Géro a même fait venir son épouse et ses enfants en Tanzanie pendant une période d'environ un an et demi. Cependant, dans la cause Badjeck c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 FCT 1301, le juge Rouleau mentionne ce qui suit au paragraphe 40:

[...] En l'espèce, la preuve établit qu'avant de quitter le pays en juin 1993 pour effectuer des missions à l'étranger sous la tutelle des Nations Unies, le demandeur avait vécu au Canada pendant un peu plus d'une année. Pendant cette période, et subséquemment, le demandeur a agi comme un véritable résident canadien. Ainsi, dans l'arrêt Somnath, supra, une période de 3 mois a été jugé suffisante pour fonder une conclusion que la personne avait établi sa résidence au Canada et ce, étant donné les liens importants que l'appelant avait tissés avec le Canada. Je suis donc peu disposé à conclure qu'une telle conclusion en l'espèce peut être considérée comme erronée. [je souligne]

[23]            Je considère que cette cause a beaucoup de similitude avec le présent dossier.

[24]            De plus, il ne faut pas oublier que le défendeur a été recruté par l'ONU alors qu'il était à Montréal et dans son contrat, à chaque fois qu'il le pouvait, il revenait chez lui au Canada tel qu'indiqué par le juge Seal dans sa décision, à la page 9 du cahier 1 du demandeur:

[...] The terms of his one-year contract subject to renewal included home leave to Canada, as well as return to Canada at the end of his assignment. [...] [je souligne]

[25]            Durant la période pertinente, le défendeur a toujours maintenu des actifs au Canada, a conservé un cercle social et alors qu'il était à l'étranger, a été considéré un peu comme un ambassadeur de facto lors de certaines fêtes canadiennes, soit la Saint-Jean-Baptiste ainsi que la fête du Canada.

[26]            Pour toutes ces raisons, j'en conclus donc que la décision du juge Seal est bien motivée et appuyée par une preuve convaincante.

[27]            La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

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Juge

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