Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                          Date : 20030527

                                                                                                                            Dossier : IMM-1388-02

                                                                                                                        Référence: 2003 CFPI 656

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2003

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                               DALJIT SINGH GILL

                                                                                                                                Partie demanderesses

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                     Partie défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié (la « Commission » ) en date du 6 mars 2002 qui conclut que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

Faits

[2]                 Daljit Singh Gill est un citoyen de l'Inde. Il allègue avoir été persécuté par des militants sikhs. Sa revendication se fonde sur les allégations suivantes :


·          Des militaires sikhs visitent la ferme familiale en février et octobre 1994 afin d'obtenir de la nourriture et un abri pour la nuit. Après l'arrestation d'un de ces militants et alors que le demandeur est en visite chez sa tante, la police fait un raid à la ferme familiale et arrête son père et son frère (Harjit) les accusant d'aider les militants.

·          Puis en septembre 1995, après l'assassinat d'un ministre du Pendjab, la police effectue un autre raid à la ferme et, cette fois, arrête M. Gill et son frère afin de les interroger. M. Gill est battu et torturé avant d'être relâché grâce a l'intervention du conseil du village et de son    « sarpanch » (chef du conseil du village).

·          Les parents de M. Gill décident d'envoyer les deux frères vivre à l'extérieur; M. Gill à Calcutta et son frère, Harjit, à Muzaffarnagar, U.P.

·          Pendant près de 5 ans, M. Gill travaille chez son oncle à décharger les camions de l'entreprise de camionnage familiale.

·          À la fin d'août 2000, à l'occasion d'un accident de voiture, Harjit est arrêté à U.P. L'oncle de M. Gill est avisé de l'arrestation, et l'envoie vivre chez un de ses amis pour quelques temps.

·          Quelques jours plus tard, la police fait un autre raid, cette fois à Calcutta chez son oncle et à l'entreprise de camionnage. Son oncle décide qu'il ne peut plus le garder chez lui.

·          La famille de M. Gill fait donc des arrangements pour le transférer à Delhi en octobre 2000. C'est là qu'il apprend de son père que la police nie avoir arrêté Harjit. Personne ne sait où ce dernier se trouve.


·          Alors qu'il vit à Delhi dans une chambre, M. Gill est à nouveau arrêté lors d'un raid dans le quartier. L'ayant identifié, la police de Delhi le remet à la police du Pendjab qui le torture à nouveau et l'interroge sur de récents attentats à la bombe au Pendjab et à Delhi. Il est à nouveau relâché à condition de se rapporter à la police tous les mois. C'est alors que son père organise sa fuite de l'Inde vers le Canada.

[3]                 Pour corroborer son récit, M. Gill dépose devant la Commission l'affidavit de M. Tilakraj, le sarpanch du village de Balachour en date du 14 novembre 2001 de même qu'une lettre de l'Hôpital Jaskaram signée par le Dr. Inder Mohan Singh en date du 10 décembre 2001.

[4]                 La Commission rejette la demande de M. Gill en indiquant que le manque de crédibilité de ce dernier a été la question déterminante. La Commission liste ensuite une série de contradictions qui l'ont amené à rejeter la crédibilité de M. Gill; plusieurs sont fondées sur une comparaison entre les notes prises au point d'entrée (NPE) et le formulaire de renseignements personnels (FRP). La Commission ne traite toutefois pas de la preuve documentaire produite au dossier dans sa décision.

Questions en litige

[5]                 M. Gill soumet que la Commission a interprété erronément la preuve présentée et que les contradictions invoquées pour conclure que M. Gill n'est pas crédible sont (i) non supportées par la preuve ou (ii) sur des éléments superficiels ou (iii) elles font fi des explications présentées sans motifs suffisants. M. Gill soumet aussi que la Commission n'a pas considéré ni commenté les éléments de preuve documentaires qui corroboraient les faits principaux de sa revendication.

Analyse


[6]                 La norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission a été décrite récemment dans la décision de la Cour d'appel fédérale dans Harb c. Canada (M.C.I.) (2003) F.C.A. 39, (2003) F.C.J. 108, (QL) au para. 14 :

In so far as these are findings of fact, they can only be reviewed if they are erroneous and made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before the Refugee Division (this standard of review is laid down in s. 18.1(4)(d) of the Federal Court Act, and is defined in other jurisdictions by the phrase "patently unreasonable"). These findings, in so far as they apply the law to the facts of the case, can only be reviewed if they are unreasonable. In so far as they interpret the meaning of the exclusion clause, the findings can be reviewed if they are erroneous. (On the standard of review, see Shrestha v. The Minister of Citizenship and Immigration, 2002 FCT 886, Lemieux J. at paras. 10, 11 and 12.)

[7]                 Je propose d'examiner d'abord la deuxième question soulevée par M. Gill.

[8]                 La défenderesse soumet que la Commission ayant conclu à la non-crédibilité de M. Gill , elle pouvait étendre cette conclusion à l'ensemble de la preuve produite par lui au soutien de sa réclamation. Elle cite, à cet effet, la décision de la Cour d'appel fédérale en Sheikh c. Canada (M.E.I.) (1990) 3 C.F. 338 (CAF).

[9]                 Elle ajoute que, de toute façon, le simple fait que la Commission n'a pas mentionné chacun des documents produits dans sa décision ne permet pas de conclure qu'elle n'en a pas tenu compte (Florea c. Canada (M.E.I.) (1993) A.C.F. No. 198 (CAF).

[10]            La lettre de l'hôpital fut déposée pour corroborer l'allégation de torture, un élément important du récit de M. Gill. Elle spécifie la date de deux séjours à l'hôpital; ces dates coïncident avec la fin des deux détentions au cours desquelles M. Gill allègue avoir été battu par les policiers. Elle décrit aussi les blessures pour lesquelles il fut traité :


Severe pain and bruises all over body especially both thighs, feet, soles. Haematomas at the back due to torture and stitches on left eyebrow and wounds in the head.

He was treated by following medicines. .....

[11]            L'affidavit du chef du village (sarpanch), M. Tilakraj, corrobore quant à lui tous les points essentiels de la revendication de M. Gill, soit l'arrestation de son père, la sienne et celle de son frère, l'harcèlement subi par sa famille, la disparition de son frère. Le fait que ses parents ont maintenant quitté le village et que le conseil a dû intervenir pour obtenir leurs libérations.

[12]            Il appert aussi de la transcription que lors de l'audition devant la Commission, l'officier du statut de réfugié n'a pas mis en doute l'authenticité de ces documents.

[13]            Le tribunal note que dans la décision de la Cour d'appel dans Sheikh, supra, la Cour d'appel fédérale traite d'une conclusion d'absence de minimum de fondement d'une demande au sens de l'ancien article 69.1 (9.1) de la Loi sur l'immigration, R.S.C. 1985, c. I-2.

[14]            Dans Rahaman c. Canada (M.C.I.), [2002] 3 C.F. 537 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a bien indiqué qu'une conclusion selon laquelle le témoignage du revendicateur n'est pas crédible ne peut être assimilée à une conclusion d'absence de minimum de fondement à moins que la Commission n'ait pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés soit le témoignage du revendicateur de même que tous les documents produits en preuve et les autres témoignages, s'il y en est.


[15]            Il est clair qu'en l'espèce, la Commission a tout simplement conclu, à la lumière des contradictions qui ressortaient de la preuve, que le témoignage de M. Gill n'était pas crédible.

[16]            Quant à la deuxième décision citée par la défenderesse, la Cour note qu'il est aussi clair depuis la décision de Cepada-Gutirez c. Canada (M.I.C.) [1998] F.C.J 1425 (QL), et les décisions qui l'ont suivi, que l'obligation de commenter une preuve documentaire dans une décision dépend de l'importance de cette preuve. Le devoir de la Commission de s'expliquer augmente avec la pertinence de la preuve.

[17]            Comme je l'ai indiqué, la preuve documentaire ignorée par la Commission dans ses motifs porte sur des faits qui sont au coeur même de la revendication de M. Gill. Comme dans Ngoyi c. Canada (M.C.I.) [2000] F.C.J. No.272, la Cour conclut que cette omission porte un coup fatal à la décision de la Commission.

[18]            Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas utile pour la Cour de décider si les autres arguments présentés par M. Gill sont bien fondés. Toutefois, la Cour note que plusieurs de ces arguments étaient sérieux. Par exemple, la Commission a mal interprété la preuve lorsqu'elle dit dans sa décision : « According to the claimant, he was first arrested on September 2nd, 1995, along with two others. He never said that his brother Harjit was arrested as well on this occasion despite a couple of follow ups.... He is not a credible witness. » En effet, la transcription du témoignage de M. Gill indique bien « No I am telling you that my brother and I were both arrested on the 2nd of September and two boys from the village were caught. »


[19]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande de M. Gill est renvoyée à la Commission pour qu'elle soit reconsidérée par un panel nouvellement constitué.

[20]            La Cour est d'accord avec les parties que la présente affaire ne soulève aucune question d'intérêt général.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission en date du 6 mars 2002 est annulée. La demande est renvoyée pour être considérée de nouveau par un panel nouvellement constitué.

2.         Aucune question d'intérêt général n'est certifiée.

                                                                                                                                      « Johanne Gauthier »                     

                                                                                                                                                                 Juge                              


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-1388-02

INTITULÉ :                                        Daljit Singh Gill c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              19 février 2003

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : Mme la juge Johanne Gauthier

DATE DES MOTIFS :                      le 27 mai 2003

COMPARUTIONS :

Me Michel LeBrun                                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Me Daniel Latulippe                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Michel LeBrun                                                                         POUR LES DEMANDERESSES

1231 Ste-Catherine Ouest

Montréal (Québec) H3G 1P5

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Tour est, 9e étage

200 ouest, boul. René-Lévesque

Montréal (Québec) H2X 1X4

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.