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     Date : 19990106

     Dossier : T-790-98

Entre

     CONSTANCE CLARA FOGAL et

     THE DEFENCE OF CANADIAN LIBERTY COMMITTEE/

     LE COMITÉ DE LA LIBERTÉ CANADIENNE,

     demanderesses,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

     et D'AUTRES PERSONNES,

     défenderesses

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le protonotaire JOHN A. HARGRAVE

[1]      Les présents motifs se rapportent à une requête à instruire par écrit, déposée plutôt tardivement par les défenderesses et tendant au dépôt d'un affidavit complémentaire, dans le cadre d'un recours en contrôle judiciaire qui doit être entendu les 19 et 20 janvier 1999. Les demanderesses soutiennent que cette requête devrait être entendue oralement lors de l'audition même du recours en contrôle judiciaire.

[2]      Ce dernier tend à contester le pouvoir des défenderesses de signer un traité, en l'occurrence un accord multilatéral sur l'investissement, au nom du Canada. Bien que les chefs de demande soient nombreux, il suffit de dire que les demanderesses soutenaient, en avril 1998 à l'introduction de son recours, que la signature de ce traité échappe aux pouvoirs conférés par les Lois constitutionnelles de 1867 et de 1983 et de ce fait est anticonstitutionnelle au regard de ces deux textes, et qu'en général, ce traité ne serait pas conforme aux intérêts des citoyens du Canada.

[3]      Entendre la requête à l'ouverture de l'audition du recours en contrôle judiciaire pourrait entraîner des retards. Pour ce qui est d'une audition orale, j'ai conclu dans Sterritt c. Canada (1996), 98 F.T.R. 68, confirmé en appel, 98 F.T.R. 72, que l'audition orale d'une requête destinée à l'instruction par écrit doit " reposer sur quelque raison de fond permettant de conclure que dans les circonstances de la cause, le requérant ne peut pas faire valoir proprement sa requête par écrit"; v. Gordon c. Directeur de l'Institution de Matsqui , [1973] C.F. 723 en page 724 (C.A.F.). Dans Karlsson c. Ministre du Revenu national (1996), 97 F.T.R. 75, j'ai relevé divers cas où la Cour pourrait accepter d'entendre de vive voix une requête destinée à l'instruction par écrit :

     Il existe un certain nombre de circonstances dans lesquelles la Cour consentira à accueillir une demande d'audition orale présentée par l'intimé en application de la règle 324(3) : l'affaire est complexe (Enviro-Clear Co. c. Baker International (Canada) Ltd., [1987] 3 C.F. 268); l'affaire soulève des questions d'intérêt public qui sont nouvelles et une audition orale faciliterait grandement la tâche de la Cour (Molson Cos. Ltd. c. Le registraire des marques de commerce et autres (1986), 7 C.P.R. (3d) 421); l'affaire requiert l'appréciation de la crédibilité des témoins et la présentation d'une argumentation juridique exhaustive (Viking Corp. c. Aquatic Fire Protection Ltd. (1985), 5 C.P.R. (3d) 51); il existe des raisons sérieuses de conclure que le requérant est incapable de présenter adéquatement sa requête par écrit (Gordon c. Le directeur de l'Institution de Matsqui [précité]). Enfin, la Cour d'appel a décidé, dans l'affaire Kurniewicz c. Ministre de l'emploi et de l'immigration (1975), 6 N.R. 225, à la p. 230, qu'une audition orale sera accordée lorsque l'affaire est urgente et peut être tranchée plus rapidement si une audition orale est prescrite; lorsqu'il y a un si grand nombre de personnes intéressées à une affaire qu'il est malaisé de présenter la demande de la manière prévue par la règle 324; lorsque la requête soulève une question sur laquelle la Cour désire entendre les plaidoiries des avocats. (p. 77)         

[4]      D'après ce que j'ai pu voir des conclusions écrites en l'espèce, la raison pour laquelle les avocats des demanderesses demandent une audition orale est qu'il y a une seconde requête en communication de documents, qui est pendante et qui doit être entendue à l'ouverture de l'audience des 19 et 20 janvier 1999. Il font savoir qu'ils ne s'attendaient pas à ce que les débats au fond aient lieu les 19 et 20 janvier et que de toute façon, il leur fallait du temps pour contre-inteeroger l'auteur de l'affidavit que les défenderesses entendent déposer. Ces raisons invoquées pour demander une audition orale sont dans une certaine mesure conjecturales; ce ne sont pas des raisons de fond à la lumière desquelles je pourrais conclure que la requête en instance ne peut pas être proprement instruite par écrit.

[5]      Pour en revenir à la requête elle-même, les défenderesses invoquent la nouvelle règle 312 qui permet le dépôt d'affidavits complémentaires avec l'autorisation de la Cour.

[6]      Une référence en matière d'affidavits complémentaires est Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 107 D.L.R. (4th) 186, décision en date de septembre 1993. Dans cette affaire, Mme le juge Reed, appelée à se prononcer sur une requête en dépôt, par affidavit complémentaire, de la transcription de l'audience de la Commission, a fait observer que si les règles n'en autorisaient pas expressément le dépôt, rien dans les Règles en matière d'immigration ne l'interdisait expressément, et qu'en outre la règle 6 (la règle 55 actuelle) des Règles de la Cour fédérale habilitait la Cour, dans les circonstances spéciales et sous réserve de toute condition appropriée, à dispenser par ordonnance de l'observation de toute règle dans l'intérêt de la justice. En conséquence, elle a autorisé le dépôt d'un affidavit complémentaire " très, très bref " avec en annexe la transcription officielle de l'audience de la Commission.

[7]      Mme le juge Reed n'est pas restée longtemps la seule à autoriser le dépôt d'affidavits complémentaires dans un recours en contrôle judiciaire; voir par exemple Unitel Communications Inc. c. Bell Canada (1995), 82 F.T.R. 298 (C.F. 1re inst.), et Adria Laboratories of Canada Ltd. c. Canada (1995), 182 N.R. 313 (C.A.F.). À mon avis, la règle générale en matière d'affidavits complémentaires pose qu'il s'agit au premier chef de savoir si les documents complémentaires sont dans l'intérêt de la justice, s'ils serviront à éclairer le juge et s'ils ne causent pas un grave préjudice à la partie adverse; voir par exemple Eli Lilly and Company c. Apotex Inc. (1998), 137 F.T.R. 226, page 228, décision rendue par le juge Teitelbaum sous le régime des anciennes règles.

[8]      Si la jurisprudence Nguyen pose que les cas où des documents peuvent être déposés par affidavit complémentaire sont exceptionnels, il ressort des nouvelles règles que les affidavits complémentaires peuvent être admissibles. Je pense cependant qu'ils ne doivent être admis que dans les cas exceptionnels, sinon ce serait contraire à l'esprit du contrôle judiciaire qui vise à produire une réparation à bref délai par une procédure sommaire.

[9]      En l'espèce, il y a des facteurs qui justifient le dépôt de l'affidavit complémentaire, car celui-ci, joint aux documents produits par les défenderesses, n'introduit pas des documents qui auraient pu être produits auparavant. L'affidavit à déposer de Denyse Mackenzie fait état des documents sur l'état des négociations qui devaient aboutir à un accord multilatéral sur l'investissement, et en particulier des documents portant sur une réunion du 20 octobre 1998 des États participant aux négociations, une lettre du 23 octobre 1998 de M. Sergio Marchi, ministre du Commerce extérieur, une réponse en date du 5 novembre 1998 à une pétition faite par le ministre du Commerce extérieur et déposée devant la Chambre des communes, et un communiqué de presse en date du 3 décembre 1998 de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Selon ce dernier, il a été mis fin aux négociations parrainées par l'OCDE en vue d'un accord multilatéral sur l'investissement, en ce qui concerne le Canada. L'avocat des défenderesses soutient qu'il est dans l'intérêt de la justice que la Cour sache qu'il a été mis fin aux négociations et qu'il n'y a pas lieu pour elle de donner suite au recours en contrôle judiciaire sous la fausse impression que le Canada les poursuit encore. Il s'agit là d'un argument bien direct et qui constitue un motif suffisant pour admettre l'affidavit complémentaire. Il reste cependant la question du contre-interrogatoire et du préjudice éventuel pour les demanderesses.

[10]      Les demanderesses soutiennent dans leur opposition à la requête qu'il n'a pas été mis fin aux négociations pour un accord multilatéral sur l'investissement, mais que celles-ci se poursuivent sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce ou de " quelque autre tribune mondiale ", au lieu de l'Organisation de coopération et de développement économique (affidavit du 16 décembre 1998 de Constance Fogal).

[11]      Si l'affidavit complémentaire en question est admis, ainsi que je l'ai décidé, ce sera sous réserve de conditions qui protègeront les demanderesses. Je pense à cet égard à la possibilité que la procédure de contrôle judiciaire prévue pour les 19 et 20 janvier 1999 se poursuive, contrairement aux voeux de l'avocat des demanderesses. L'affidavit pourra donc être déposé aux conditions suivantes :

     1.      M me Mackenzie doit être immédiatement disponible pour être contre-interrogée sur son affidavit à Vancouver, et ce aux frais des défenderesses;
     2.      Les défenderesses s'occuperont des documents et actes de procédure raisonnables qui s'ensuivent dans les cinq jours du contre-interrogatoire, sans pour autant dépasser le délai de cinq jours qui suivent l'ouverture de la procédure de contrôle judiciaire, prévue pour le 19 janvier 1999.

[12]      Si nécessaire, les avocats des deux parties peuvent avoir une audience spéciale devant moi, à bref préavis, pour déterminer l'admissibilité de questions posées ou de documents demandés.

[13]      Les défenderesses paieront immédiatement aux demanderesses 500,00 $ à titre de dépens. Ces dépens, qui ne suivent pas le sort du principal, s'expliquent par la date tardive de cette requête, compte tenu des vacances de Noël et de la date de l'audience prévue pour janvier. Je prends acte à ce propos que l'une des pièces à annexer à l'affidavit à déposer de Mackenzie, savoir le communiqué de presse de l'OCDE, est datée du 3 décembre 1998. Ce communiqué de presse est un document sans importance qui n'ajoute rien aux pièces datées des 20 et 23 octobre et du 5 novembre 1998. Il s'agit en l'espèce d'une requête qui aurait dû être introduite plus tôt, ce qui aurait causé bien moins d'inconvénients aux demanderesses et, en fait, à tous les intéressés.

     Signé : John A. Hargrave

     ________________________________

     Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 6 janvier 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-790-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Constance Clara Fogal et al.

                     c.

                     Sa Majesté la Reine et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

LE :                      6 janvier 1999

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Rocco Galati                  pour les demanderesses

Azevedo & Peeling

Avocats

148 rue Alexander

Vancouver (C.-B.)

V6A 1B5

M. Morris Rosenberg              pour les défenderesses

Sous-procureur général du Canada

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