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                                                                                                                           Date : 20040220

                                                                                                              Dossier : IMM-1559-03

                                                                                                            Référence : 2004 CF 259

ENTRE :

                                                          SARFRAZ HUSSAIN

                                                        TABASSAM SARFRAZ

                                                             SAAD SARFRAZ

                                                                                                                                    demandeurs

                                                                        -et-

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                       défendeur

                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH

[1]                Sarfraz Hussain, son épouse et leur fils adulte sont tous des citoyens du Pakistan. La famille est de religion musulmane chiite, dans un pays majoritairement peuplé par des musulmans sunnites. La famille prétend avoir une crainte fondée de persécution aux mains du Sipah-i-Sahaba Pakistan (le SSP), un organisme antichiite composé de musulmans sunnites intégristes.


[2]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié paraît avoir reconnu que la famille était persécutée par des membres du SSP. Néanmoins, la Commission a rejeté la demande d'asile de ses membres, en concluant qu'à la lumière de l'amélioration récente du niveau de protection de l'État offerte aux musulmans chiites au Pakistan, il n'existait plus de fondement objectif à leur crainte de persécution.

[3]                Les demandeurs cherchent à faire annuler la décision de la Commission, parce que la Commission n'a pas tenu compte de certaines observations écrites qu'ils lui avaient soumises. Ils avancent également que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la question à savoir si leur crainte de persécution avait un fondement objectif, eu égard de la situation actuelle au Pakistan.

HISTORIQUE

[4]         M. Hussain a établi sa propre entreprise de services informatiques en 1989. Il était un membre actif de la communauté chiite, et faisait régulièrement des dons à différentes oeuvres de charité chiites. En février 2000, M. Hussain prétend qu'il a reçu des appels téléphoniques de certains membres du SSP qui lui ont dit de cesser de faire des dons à la communauté chiite, sans quoi il serait obligé de remettre l'argent au SSP.

[5]                Un soir, trois hommes se sont présentés au bureau de M. Hussein et lui ont réclamé de l'argent. Il leur a payé la somme d'environ 1 750 $CDN, mais les hommes n'étaient pas satisfaits, et ils sont revenus en mars 2000 et encore en avril 2000.

[6]                Le SSP a continué à menacer de mort M. Hussain et sa famille. À plusieurs occasions, la famille a été suivie, et des membres du SSP ont continué à les harceler. Lors de ces incidents, les membres du SSP nommaient des personnalités bien connues qu'ils prétendaient avoir tuées, et disaient à M. Hussain que si lui-même ou sa famille tentaient de communiquer avec les autorités pour obtenir de l'aide, ils seraient abattus à coup de fusil.

[7]                En octobre 2000, M. Hussain a été confronté par quatre individus, dont deux étaient armés. Les hommes ont exigé de l'argent, et ont menacé de tuer la famille de M. Hussain s'il ne leur remettait pas l'argent sur-le-champ. Même si les malfaiteurs armés sont partis, ils sont revenus le lendemain et ont pris environ 1 750 $CAN de M. Hussain. La situation a empiré et M. Hussain dit qu'il a décidé de fermer son entreprise et [traduction] « sauver sa peau » . Les demandeurs sont arrivés au Canada en octobre 2001, après un séjour de dix mois aux États-Unis. Ils ont déposé leur demande d'asile en arrivant au Canada.

LA PROCÉDURE D'AUDIENCE


[8]         L'audience a débuté le 26 août 2002, après quoi la Commission a pris l'affaire en délibéré. À l'audience, les demandeurs étaient représentés par un consultant en immigration. Après l'audience, soit le 30 août 2002, le représentant des demandeurs a fourni des documents additionnels à la Commission et, le 3 septembre 2002, il lui a fait parvenir quatre articles supplémentaires concernant la situation au Pakistan.

[9]                L'agent de protection des réfugiés (APR) a répondu par une lettre datée du 12 septembre 2002. Vu la quantité importante de nouveaux renseignements qui lui ont été soumis, la Commission a repris l'audience le 30 septembre 2002 pour entendre des arguments additionnels sur la documentation reçue. La Commission a une fois de plus pris l'affaire en délibéré.

[10]            Le représentant du demandeur a ensuite déposé d'autres documents le 13 octobre 2002. L'APR a répondu à son tour et a déposé des documents additionnels le 24 octobre 2002. Le représentant des demandeurs a ensuite demandé que l'audience soit reprise à nouveau pour lui permettre de présenter une réponse suite au dépôt des nouveaux documents de l'APR. La Commission a refusé cette demande, mais a donné la possibilité au représentant des demandeurs de déposer d'autres observations écrites.


[11]            La décision de la Commission démontre qu'aucune observation écrite n'a été reçue de la part du représentant des demandeurs. Dans son affidavit, M. Hussain affirme que de nouvelles observations écrites ont été envoyées. Il joint à son affidavit la copie d'un document de trois pages que le représentant de la famille avait fait parvenir avec une lettre datée du 25 novembre 2002. Ces renseignements étaient accompagnés d'un bordereau de confirmation d'envoi par télécopieur qui montre que les renseignements ont été envoyés à la Commission ce jour-là.

DÉCISION DE LA COMMISSION

[12]       La Commission n'a pas tiré de conclusions concernant la crédibilité du récit des demandeurs. Néanmoins, la Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas de crainte fondée de persécution pour un motif compris dans la Convention, et qu'ils n'étaient pas des personnes à protéger. En tirant cette conclusion, la Commission a conclu qu'il n'existait pas de motifs sérieux de croire que les demandeurs seraient personnellement exposés au risque d'être soumis à la torture s'ils rentraient au Pakistan. De la même façon, la Commission a dit qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient personnellement exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Pakistan.


[13]            La Commission a dit que dans la présente affaire, le changement dans la situation au Pakistan et la disponibilité de la protection de l'État étaient les questions déterminantes. La Commission a examiné les renseignements qui lui ont été soumis concernant la situation au Pakistan, et a conclu qu'il y avait eu un changement de conditions réel dans le pays. La Commission a ensuite conclu en disant qu'il n'existait pas de preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de protéger les demandeurs. En tirant cette conclusion, la Commission a appliqué le critère énoncé par la Cour d'appel dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130, où la Cour a dit que l'on ne pouvait s'attendre à ce qu'aucun gouvernement procure à ses citoyens une protection parfaite contre les activités terroristes. La Commission a conclu que même si elle n'est pas parfaite, la protection de l'État offerte aux demandeurs au Pakistan est adéquate.

[14]            La Commission a également rejeté, en la qualifiant de purement hypothétique, la prétention des demandeurs que, s'ils rentraient au Pakistan, ils seraient exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités ou qu'ils seraient punis pour avoir fait une demande d'asile contre le Pakistan.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]       Les parties qualifient quelque peu différemment les questions en litige dans la présente demande. À mon avis, les deux questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

1)          Y a-t-il eu manquement à l'équité procédurale au motif que la Commission n'a pas tenu compte de la documentation des demandeurs, datée du 25 novembre 2002? et


2)    La Commission a-t-elle bien évalué la question de savoir si la crainte de persécution des demandeurs était objective et bien fondée, à la lumière de la situation actuelle au Pakistan?

ANALYSE

1)     Y a-t-il eu manquement à l'équité procédurale au motif que la Commission n'a pas tenu compte de la documentation des demandeurs, datée du 25 novembre 2002?

[16]         Les demandeurs affirment que la Commission a manqué au devoir dquité procédurale auquel ils étaient en droit de s'attendre lorsqu'elle n'a pas tenu compte de leur envoi final, lequel, selon eux, a été acheminépar télécopieur à la Commission le 25 novembre 2002.

[17]         Le défendeur allègue que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait dtablir que les documents additionnels avaient effectivement été envoyés à la Commission, et qu'ils avaient effectivement été reçus. Le défendeur avance de plus qu'un examen de la documentation soumise le 25 novembre révèle que cette documentation constituait une répétition de la documentation soumise antérieurement par les demandeurs, et n'ajoutait rien de nouveau à la cause des demandeurs. Par conséquent, le défendeur dit que même si la Commission avait tenu compte de la documentation additionnelle, l'affaire aurait connu le même dénouement.


[18]            Les questions d'équité procédurale sont appréciées selon la norme de la décision correcte : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 174.

[19]            Compte tenu de l'importance que revêtent les questions en litige pour les demandeurs dans le cadre de l'audition d'une demande d'asile, ils ont droit à plus qu'une simple obligation dquité : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3.

[20]            L'omission, par inadvertance, d'un tribunal de tenir compte d'observations faites au nom d'une partie peut résulter en un manquement à lquité procédurale suffisant pour justifier l'annulation de la décision du tribunal : Pramauntanyath c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 184.


[21]            Dans Pramauntanyath, le demandeur a fourni un affidavit de son avocat affirmant que les observations en question avaient bien été envoyées aux bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada. Dans l'affaire qui nous occupe, j'ai certains doutes quant à la qualitéde la preuve fournie pour établir que la documentation a effectivement été envoyée. La preuve soumise à la Cour est tirée de l'affidavit de M. Hussain, dont on peut présumer qu'il a été fait sur la foi de renseignements qui lui ont été fournis par un tiers non identifié. Il aurait certainement été préférable que ces renseignements proviennent directement de l'individu qui a réellement envoyé les documents à la Commission. Cela étant dit, cette preuve n'a pas été contredite, et il n'y a eu aucune tentative de contre-interroger M. Hussain concernant son affidavit. De plus, l'affidavit de M. Hussain comprend une copie du bordereau de confirmation d'envoi par télécopieur qui démontre qu'un document, comportant le même nombre de pages que la documentation supplémentaire soumise par les demandeurs, a effectivement été envoyé par télécopieur aux bureaux de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, à Toronto, le 25 novembre 2002, et qu'il a été reçu par la Commission. En me fondant sur cet élément de preuve, je suis disposée à conclure que la documentation supplémentaire a été soumise à la Commission pour le compte des demandeurs dans le délai prévu par la Commission.

[22]            Même si cela est le cas, le défendeur m'invite à conclure que cette documentation reprend essentiellement la documentation qui a déjà été soumise au nom des demandeurs au cours des deux audiences, et n'ajoute pas grand-chose de nouveau. Au soutien de cette affirmation, le défendeur mentionne que, dans sa décision, la Commission n'a fait qu'une brève mention des renseignements compris dans l'envoi final de documentation additionnelle du demandeur.

[23]            Quoi qu'il en soit, même si la Commission ne mentionne pas un élément de preuve de façon précise dans sa décision, on présumera qu'elle a fait l'appréciation et tenu compte de toute la preuve qui lui a été soumise, sauf démonstration du contraire : Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598.

[24]            Même si les dernières observations déposées par les demandeurs reprennent effectivement les arguments qui avaient déjà été présentés en leur nom, ces observations additionnelles étaient offertes en réponse à de nouveaux éléments de preuve que le défendeur avait soumis à la Commission. Ces éléments de preuve, assez importants de par leur nature, étaient composés de quelque 54 pages de documentation, comprenant 22 articles, dont un communiqué de presse venant d'Amnistie Internationale. Toute cette documentation se rapportait à la situation actuelle au Pakistan.

[25]            L'omission par la Commission de tenir compte des observations de l'une des parties, même par inadvertance, constitue un manquement à l'équité procédurale. Eu égard à toutes ces circonstances, je ne puis affirmer avec certitude que les observations finales des demandeurs n'auraient pas eu d'effet sur le dénouement de la cause. Par conséquent, la décision de la Commission devrait être annulée, et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour être entendue à nouveau sur la base d'un dossier complet.

[26]            À la lumière de mes conclusions sur la première question en litige, il n'est pas nécessaire d'examiner les arguments concernant l'appréciation faite par la Commission du fondement objectif de la crainte de persécution des demandeurs.

CERTIFICATION

[27]       Il n'y aura pas de question pour certification, puisque ni l'une ni l'autre des parties n'en a soulevé.

                                                         ORDONNANCE

1.      Pour les motifs exposés précédemment, la présente demande est accueillie, et la demande d'asile des demandeurs est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour être entendue à nouveau sur la base d'un dossier complet.

2.      Il n'a pas de question grave de portée générale pour certification.

                                                                                                             « Anne L. Mactavish »          

                                                                                                                                         Juge                          

Ottawa (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                               

                               COUR FÉDÉRALE

                                               

Date : 20040220

Dossier : IMM-1559-03

ENTRE :

                                SARFAZ HUSSAIN

                             TABASSAM SARFRAZ

                                  SAAD SARFRAZ

                                                                              demandeurs

                                               et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                               


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              IMM-1559-03

INTITULÉ :                                             SARFRAZ HUSSAIN ET AL.

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                     LE 11 FÉVRIER 2004

ORDONNANCE ET MOTIFS

DE L'ORDONNANCE :                        LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                           LE 20 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson                                       POUR LES DEMANDEURS

Alexis Singer                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates                               POUR LES DEMANDEURS                                                    

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)                                      POUR LE DÉFENDEUR


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