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     Date: 20001102

     Dossier: IMM-80-00

OTTAWA (Ontario), le 2 novembre 2000

DEVANT : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :


ALEKSANDRE KASYAN,

ALLA MANUKOVA,

ALEX KASYAN,

PLORA KASYAN

     demandeurs

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


ORDONNANCE

[1]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



                             « P. ROULEAU »

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.




     Date: 20001102

     Dossier: IMM-80-00

ENTRE :


ALEKSANDRE KASYAN,

ALLA MANUKOVA,

ALEX KASYAN,

PLORA KASYAN

     demandeurs

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Même si l'affaire a été débattue en français et même si la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a également rendu sa décision en français, les présents motifs sont rédigés en anglais parce que les demandeurs ont décidé de soumettre leur preuve par affidavit dans cette langue; de plus, les mémoires que les avocats ont soumis sont rédigés en anglais.

[2]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 13 décembre 1999 dans les dossiers M99-04080, M99-04081, M-99-04082 et M99-04083 par la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la Commission), par laquelle il a été conclu qu'Aleksandre Kasyan, Alla Kasyan, Alex Kasyan et Plora Kasyan (ci-après les demandeurs) n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[3]      Les demandeurs sont des citoyens géorgiens. Ils allèguent craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur nationalité arménienne et de leur appartenance à un groupe social.

[4]      Les demandeurs allèguent que le 6 décembre 1998, ils ont participé à une exposition portant sur l'histoire de la région au Palais central de la culture, à Akhalkalay, où ils ont exposé une collection de pierres rares et une carte indiquant l'emplacement des minéraux dans la région d'Akhalkalay, ainsi que des albums, de vieilles photographies et des articles rédigés en arménien.

[5]      Les demandeurs allèguent qu'après avoir examiné les articles rédigés en arménien, le gouverneur Baramidze a demandé si ces articles avaient été rédigés à cet endroit. La demanderesse a répondu qu'il s'agissait d'un article sur son père et sur les travaux de celui-ci, qui avaient été publiés en Arménie. Elle a ajouté que le panthéon des Arméniens connus qui vivaient en Géorgie avait été construit à Tbilissi grâce aux efforts énormes que son père avait déployés.

[6]      Le gouverneur s'est écrié : [TRADUCTION] « Taisez-vous donc, espère d'imbécile! Je ne vous laisserai pas continuer à diffuser de la propagande hostile. » Les demandeurs allèguent que le gouverneur a jeté à terre tous les articles qui étaient sur la table et a ensuite donné un coup de pied sur l'un des albums avec une force telle qu'il a frappé la jambe de la demanderesse. Le gouverneur les a également apparemment regardés en leur disant : [TRADUCTION] « Vous allez le regretter. »

[7]      Les demandeurs affirment qu'à cause des intentions cachées du gouverneur, une jeep de la police a bloqué la moitié de la route lorsqu'ils rentraient chez eux en revenant de l'exposition. Le policier leur a dit de tourner à droite et de faire un détour, mais il a laissé passer une autre voiture. Quelques minutes plus tard, ils ont vu un véhicule avec quatre hommes à son bord. Deux hommes, qui avaient des bâtons noirs, sont censément sortis du véhicule et se sont approchés d'eux. Ils ont blessé le demandeur et son frère qui ont tous les deux eu besoin de soins médicaux. Le frère du demandeur a passé deux semaines à l'hôpital. L'événement a été signalé à la police, mais celle-ci n'a pas pris de mesures.

[8]      Les demandeurs affirment que deux semaines plus tard, la maison de la tante du demandeur a été incendiée.

[9]      Les demandeurs allèguent que l'un des agresseurs qui était mêlé à l'événement du 6 décembre 1998 avait tiré sur le frère du demandeur.

[10]      Les demandeurs affirment que, le 6 janvier 1999, quatre policiers ont effectué une fouille dans leur appartement et ont confisqué leurs livres, leurs albums de photos et des documents, et notamment des lettres personnelles.

[11]      Le 14 février 1999, la fille des demandeurs a été harcelée par le cousin de son ami et par l'ami de celui-ci. Elle a été contrainte à entrer dans une chambre à coucher avec le cousin, où elle l'a giflé au visage.

[12]      Le 10 mars 1999, le même homme et quelques-uns de ses amis auraient censément poussé la fille des demandeurs contre un mur et l'aurait giflée au visage. Ils auraient censément tiré sur son chemisier jusqu'à ce qu'il se déboutonne. La fille s'est évanouie. L'événement n'a pas été signalé à la police.

[13]      Les demandeurs affirment que le 20 mars 1999, sept hommes ont insulté leur fils et qu'ils l'ont poussé et frappé. Le fils s'est échappé en entrant dans un cinéma. Le groupe l'a suivi, mais une femme arménienne a aidé le fils. Voici ce que les hommes auraient censément dit : [TRADUCTION] « Sors d'ici, espèce de rat, nous allons compter tes dents. »

[14]      Il est allégué que le 12 mai 1999, la police a arrêté le demandeur, qu'elle l'a battu et interrogé et qu'elle l'a ensuite mis en liberté.

[15]      Les demandeurs sont arrivés au Canada le 27 mai 1999; ils ont revendiqué le statut de réfugié ce jour-là.

[16]      La Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce qu'ils n'étaient pas crédibles et qu'ils n'avaient pas réussi à la convaincre de l'existence d'un fondement objectif justifiant leur crainte d'être persécutés.

[17]      La Commission doutait de la crédibilité des demandeurs. Elle a conclu que même si les demandeurs avaient allégué craindre d'être persécutés parce qu'ils avaient tenté de promouvoir la culture arménienne, la pièce A-4 montre que le gouvernement géorgien permet l'enseignement de langues non géorgiennes. De plus, la Commission cite un document disant que les Arméniens en Géorgie, ont une grande liberté culturelle et qu'un décret présidentiel levant les restrictions applicables à l'utilisation de la langue arménienne dans les documents officiels a été pris.

[18]      La Commission a conclu que la langue est un véhicule culturel; qu'étant donné qu'elle peut être enseignée et diffusée, il serait déraisonnable de conclure que l'État géorgien s'oppose à la culture arménienne et qu'une exposition de photos suscite la colère du gouvernement. La Commission n'a pu constater l'existence d'aucun lien entre les événements qui s'étaient produits à l'exposition et la présumée agression du 6 décembre.

[19]      La Commission ne reconnaissait pas que l'État géorgien persécute les Arméniens minoritaires et que la preuve documentaire étayait l'allégation qui était faite.

[20]      La Commission a conclu que la preuve ne suffisait pas pour établir qu'il y avait une « possibilité raisonnable » que les demandeurs soient persécutés.

[21]      Les demandeurs soutiennent que la Commission a complètement omis de tenir compte d'extraits cruciaux de la preuve documentaire qu'ils avaient déposée à l'audience. En particulier, ils soutiennent que la Commission n'a pas tenu compte du document de l'Association d'Helsinki. Ils affirment que le refus de la Commission de tenir compte de ce document équivaut à un refus d'exercer sa compétence conformément au droit.

[22]      Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit en concluant que les Arméniens ne sont pas persécutés en Géorgie parce que le gouvernement géorgien permettait la diffusion de renseignements en langue arménienne.

[23]      Les demandeurs affirment en outre que la Commission a commis une erreur en concluant que la preuve n'établissait pas que le gouvernement géorgien était mêlé aux actes de persécution dont ils avaient été victimes.

[24]      Le défendeur soutient que, compte tenu de la preuve, il était loisible à la Commission de conclure que les demandeurs n'étaient pas crédibles.

[25]      Le défendeur affirme que les demandeurs n'ont pas réfuté la présomption selon laquelle la Commission avait pris toute la preuve en considération; que cette présomption n'est pas annulée du simple fait que la preuve documentaire n'est pas mentionnée au complet; que la Commission n'est pas tenue de faire des remarques au sujet de chaque élément de preuve mis à sa disposition.

[26]      Cette cour a toujours statué qu'une conclusion relative au manque de crédibilité tirée par la Commission fait partie des pouvoirs discrétionnaires que possède cette dernière; que lorsque pareilles conclusions sont tirées, la Cour ne devrait pas intervenir (Aguebor c. MEI (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). La Cour ne devrait pas modifier la décision de la Commission lorsque la preuve, considérée dans son ensemble, étaye l'appréciation défavorable qui est faite au sujet de la crédibilité, dans la mesure où les conclusions tirées par la Commission sont raisonnables (Larue c. MEI [1993] A.C.F. no 484). Lorsqu'une décision est rendue au sujet de l'appréciation de la crédibilité, il n'incombe pas à la Cour de substituer sa décision à celle de la Commission, et ce, bien que la Cour n'eût peut-être pas tiré la même conclusion.

[27]      La conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention semble raisonnable; il serait difficile de conclure que les conclusions de fait qui ont été tirées étaient arbitraires ou abusives. La Commission donne des exemples d'invraisemblance et de problèmes posés par la preuve que les demandeurs ont fournie. La Commission pouvait à bon droit conclure qu'il était invraisemblable que les demandeurs craignent d'être persécutés du simple fait qu'ils avaient participé à une exposition.

[28]      En outre, la Commission ne semble pas avoir commis d'erreur en tenant compte de la preuve documentaire dont elle disposait. La Commission n'a pas fait de remarques au sujet de tous les documents mis à sa disposition, mais il n'existe pas de preuve concluante montrant qu'elle a omis de tenir compte de tous ces documents avant de choisir ceux qu'elle estimait les plus pertinents, eu égard aux faits précis de l'affaire. Il n'est pas justifié pour cette cour d'intervenir à moins que la conclusion qui a été tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable. En particulier, les demandeurs allèguent que la Commission a omis de tenir compte de la pièce P-22. La lecture de ce « rapport » , préparé par l'Association d'Helsinki à Yerevan, en Arménie, m'amène à croire qu'il a été préparé par un groupe de militants. La Commission a accordé plus d'importance aux sources indépendantes, et ce, même si elle ne l'a pas expressément dit.

[29]      La lecture du dossier dans son ensemble, et en particulier de la transcription de l'audience, démontre clairement que les demandeurs ont omis de présenter une preuve orale ou documentaire à l'appui de leurs revendications. Comme l'a dit la Commission, les demandeurs font des allégations au sujet de certains événements, mais ils ne fournissent pas de preuve ou ils fournissent peu d'éléments de preuve permettant d'établir l'existence d'un lien entre ces présumés événements et la crainte qu'ils ont d'être persécutés.

[30]      Je ne puis constater l'existence d'aucun lien entre le fait que les Arméniens veulent avoir un État indépendant dans la région et une présumée persécution.

[31]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                             « P. ROULEAU »

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario),

le 2 novembre 2000.

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-80-00

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ALEKSANDRE KASYAN et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 25 OCTOBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Rouleau en date du 2 novembre 2000


ONT COMPARU :

Alain Joffe              POUR LES DEMANDEURS
Sherry Rafai Far              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alain Joffe              POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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