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Date : 20030117

Dossier : T-579-99

Référence neutre : 2003 CFPI 41

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                               JOSEPH WAYNE ISADORE BENARD

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                    et LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Les défendeurs, Sa Majesté la reine du chef du Canada et le Service correctionnel du Canada, ont demandé, en application des règles 213(2), 216 et 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) :

(a)                                            une ordonnance accordant aux défendeurs un jugement sommaire rejetant la déclaration du demandeur;


(b)                                           les dépens de cette requête;

(c)                                            toute autre réparation que la Cour pourrait juger à propos.

[2]                 Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que l'ordonnance demandée devrait être accordée.

Les faits

[3]                 Le demandeur, Joseph Wayne Isadore Benard, est un détenu du Service correctionnel du Canada (SCC) depuis 1992. Le 19 octobre 1994, alors qu'il était incarcéré dans l'établissement de Stony Mountain (l'établissement), il fut agressé dans sa cellule. Le 21 avril 1999, le demandeur déposait une déclaration dans laquelle il affirmait que :

           1.         l'établissement ne lui avait pas prodigué les soins médicaux requis et ne l'avait pas transféré vers un autre établissement où les soins nécessaires pouvaient être obtenus, niant de ce fait au demandeur son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, un droit garanti par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés;

           2.         l'établissement n'avait pas offert au demandeur un environnement sûr et sécuritaire, et plus précisément :


                        (i)         avait refusé, lorsque demande lui en avait été faite, de mettre le demandeur dans une aire d'isolement protecteur;

                        (ii)        n'avait pas surveillé le demandeur et Ellery Corbett et autres qui fréquentaient ce dernier, et n'avait pas veillé à ce que ces détenus incompatibles soient séparés du reste de la population carcérale;

                        (iii)       n'avait pas observé, protégé et surveillé la cellule du demandeur au moment de l'agression;

                        (iv)       ne s'était pas promptement présenté à la cellule du demandeur pour mettre fin, dans un délai raisonnable, à l'agression;

                        (v)        n'avait pas enquêté sur les accusations du demandeur à l'encontre d'Ellery Corbett et n'avait pas pris des mesures garantissant la sécurité du demandeur en cas d'agression.

[4]                 Dans leur défense, les défendeurs ont admis que l'agression avait eu lieu comme l'avait dit le demandeur dans sa déclaration. Cependant, les défendeurs ont nié bon nombre des accusations. Plus précisément, les défendeurs ont nié toute faute des préposés de la Couronne.


[5]                 Après le dépôt de la déclaration le 21 avril 1999, et le dépôt de la défense le 26 mai 1999, un avis d'examen de l'état de l'instance fut délivré le 21 février 2000 par le juge Cullen, avis qui enjoignait le demandeur d'exposer les raisons pour lesquelles l'action ne devrait pas être rejetée pour dépôt tardif. Le 10 mars 2000, le demandeur déposait des prétentions écrites en application de l'article 380 des Règles de la Cour fédérale (1998), informant la Cour qu'il n'était pas encore en mesure d'inscrire cette affaire au rôle pour une conférence préparatoire.

[6]                 Le 26 avril 2000, le juge Rouleau, de la Cour fédérale, ordonnait que :

           (1)        les parties déposent et signifient leurs affidavits respectifs de documents avant le 30 juin 2000;

           (2)        les interrogatoires préalables soient achevés avant le 30 septembre 2000;

           (3)        l'affaire soit portée de nouveau à l'attention de la Cour le 15 octobre 2000.

[7]                 Nonobstant cette ordonnance, les parties ne s'étaient pas, au 27 avril 2001, conformées à l'ordonnance du juge Rouleau. Dans une lettre datée du 2 mai 2001, l'avocat des défendeurs expliquait les difficultés qu'il avait rencontrées pour l'interrogatoire préalable du demandeur. Une lettre semblable datée du 2 mai 2001 fut reçue de l'avocat du demandeur. Les parties furent informées que le juge Rouleau avait ordonné qu'un rapport sur l'état de l'instance soit produit au 30 juin 2001. Dans des lettres distinctes datées du 28 juin 2001, les parties exposaient certaines difficultés qu'elles avaient à faire avancer cette action, mais elles indiquaient que, sous réserve de la résolution de ces difficultés, elles seraient prêtes pour une conférence préparatoire et pour une instruction prochaine de cette affaire.

[8]                 Le 27 septembre 2001, le juge Rouleau, par téléconférence, entendit les parties à propos de l'état de ce dossier et ordonna ce qui suit :

           (1)        le demandeur aura jusqu'au 30 juin 2002 pour produire un affidavit écrit détaillant l'incident qui est survenu en 1994 et qui est à l'origine de son action, ou il devra se mettre à la disposition des défendeurs pour un autre interrogatoire préalable, au cours duquel il devra exposer les détails entourant l'incident;

           (2)        les défendeurs bénéficieront d'un délai de 30 jours à compter du jour où le demandeur se déclarera disposé à se soumettre à un autre interrogatoire préalable;

           (3)        si le demandeur ne produit pas un affidavit écrit ou ne se soumet pas à un autre interrogatoire préalable, la Cour pourra admettre, à la requête des défendeurs, une demande de jugement sommaire.

L'interrogatoire préalable du demandeur a repris le 30 juillet 2002.

[9]                 Un an plus tard, le 27 septembre 2002, le juge Rouleau faisait savoir que la Cour serait disposée à admettre une demande de jugement sommaire présentée par les défendeurs.

[10]            Le 23 octobre 2002, les défendeurs déposaient un avis de requête en jugement sommaire.


[11]            Le 23 octobre 2002, la Cour recevait du demandeur une lettre dans laquelle il indiquait qu'il avait besoin d'un avocat et que l'aide juridique lui était refusée. Il demandait à la Cour de nommer un avocat qu'il choisirait lui-même et de payer les honoraires de cet avocat. Le 12 novembre 2002, le juge McGillis ordonnait que le demandeur signifie et produise son dossier à l'égard de cette requête au plus tard le 16 décembre 2002. Le demandeur a ignoré cette directive.

Arguments des défendeurs

[12]            Tout en reconnaissant qu'il n'y avait pas de divergences entre les parties sur le fait que le demandeur avait été agressé, les défendeurs nient les affirmations du demandeur. Les réponses des défendeurs à chacune des affirmations du demandeur sont les suivantes :

Affirmation du demandeur selon laquelle il a dit au personnel du SCC qu'il serait battu, agressé ou tué à la suite d'une machination ourdie par son ex-épouse.

[13]            Les défendeurs ont produit des déclarations du demandeur où il affirmait qu'il ne se souvenait pas d'avoir dit à qui que ce soit qu'il risquait d'être tabassé. Il n'a pas non plus été en mesure de fournir le détail de divers incidents dont il avait fait état antérieurement.

L'affirmation du demandeur selon laquelle il avait demandé d'être mis dans une aire d'isolement protecteur, ou d'être d'une autre manière protégé d'un détenu particulier.

[14]            Nonobstant cette affirmation contenue dans la déclaration, le demandeur a dit, durant son interrogatoire préalable, qu'il n'avait pas souvenir d'avoir jamais demandé d'être mis à l'écart de la population carcérale, ou d'avoir demandé un autre type de protection.

Les affirmations selon lesquelles les défendeurs n'ont pas pris de mesures pour protéger le demandeur.

[15]            Durant l'interrogatoire préalable, le demandeur a admis qu'il n'avait pas demandé d'être mis en isolement protecteur. Il n'a pas été non plus en mesure de détailler son affirmation selon laquelle les « gens de l'établissement » étaient au fait des menaces proférées contre lui.

L'affirmation du demandeur selon laquelle il a été agressé et n'a pas reçu les soins médicaux requis.

[16]            Durant l'interrogatoire préalable, le demandeur a reconnu qu'il n'avait pas signé le « formulaire de consentement à la communication de renseignements » , c'est-à-dire le document requis pour obtenir les traitements qu'il recherchait. Le demandeur n'a pas non plus été en mesure de préciser la rapidité d'intervention du SCC après l'agression.

[17]            En résumé, les défendeurs affirment qu'il n'existe pas de preuve tangible au soutien des arguments du demandeur.


Arguments du demandeur

[18]            Le demandeur n'a pas déposé d'arguments.

Analyse

[19]            Selon la règle 216, un défendeur doit, dans une requête en jugement sommaire, établir que la déclaration ne soulève aucune question sérieuse à instruire. Les principes généraux régissant les jugements sommaires sont exposés dans l'affaire Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] 2 C.F. 853 (C.F. 1re inst.). Plus précisément, le juge Tremblay-Lamer a exposé ainsi les principes en question, au paragraphe 8 :

1.              ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire;

2.             il n'existe pas de critère absolu..., mais le juge Stone semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.). Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

3.             chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien...;

4.             les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario, R.R.O. 1990, Règle 194) peuvent faciliter l'interprétation;

5.             saisie d'une requête en jugement sommaire, la Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire...;


6.             le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions...;

7.             lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès... L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher.

(citations omises)

[20]            Il est révélateur que le demandeur n'ait pas répondu à cette requête. Cependant, l'absence de réponse du demandeur n'est pas à mon avis décisive. Pour accorder le jugement sommaire, je dois encore me convaincre que, après examen de toutes les pièces produites, l'action du demandeur ne soulève aucun point sérieux à décider.

[21]            L'action du demandeur dépend presque uniquement des faits qu'il a avancés. Ici, je me suis « penchée de près » sur le fond de l'affaire et je suis d'avis que le dossier est clair et ne requiert pas un examen plus poussé. Les réponses données par le demandeur durant l'interrogatoire préalable allaient presque totalement à l'encontre des affirmations contenues dans sa déclaration. Les défendeurs ont établi que les affirmations du demandeur ne peuvent être appuyées par la preuve. Même si le demandeur avait répondu à cette requête, il aurait été très difficile d'ignorer les déclarations contradictoires faites par lui au cours de l'interrogatoire préalable.

[22]            J'ai donc la certitude que cette affaire est douteuse au point qu'elle ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans un procès futur. Il n'y a pas de véritable point à décider. La déclaration du demandeur sera rejetée. Cependant, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, il ne sera pas adjugé de dépens pour cette requête.

                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE: la déclaration du demandeur est rejetée.

                                                                                    « Judith A. Snider »                

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 17 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        T-579-99

INTITULÉ :                       Joseph Wayne Isadore Benard c. Sa Majesté la reine

du chef du Canada et le Service correctionnel du Canada

REQUÊTE JUGÉE SUR PIÈCES, SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :     MADAME LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :     le 17 janvier 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Mark G. Mason                                                   POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LES DÉFENDEURS

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