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     Date: 20001211

     Dossier: T-2221-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 DÉCEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DU JUGE EDMOND P. BLANCHARD


ENTRE:


     ROLLS-ROYCE plc, ROLLS-ROYCE AND BENTLEY MOTOR CARS LIMITED

     et BENTLEY MOTORS LIMITED,

     demanderesses,


     -et-


     IAN D. FITZWILLIAM, ROLLS-ROYCE LIMITED,

     ROLLS-ROYCE MOTOR CARS LIMITED et BENTLEY MOTORS LIMITED,

     défendeurs.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]      Les demanderesses, Rolls-Royce plc, Rolls-Royce and Bentley Motor Cars Limited et Bentley Motors Limited, ci-après désignées sous le nom de Rolls-Royce plc, ont présenté une requête en vertu des règles 3, 75, 76, 200, 201, 373 et 374 des Règles de la Cour fédérale (1998), L.R.C. 1998, DORS/98-106, de l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 et de ses modifications ainsi que des articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, pour obtenir une ordonnance :

     1)      les autorisant à déposer une déclaration modifiée en l'instance;
     2)      interdisant au défendeur Ian D. Fitzwilliam, en quelque qualité qu'il agisse, et à toute personne exécutant ses instructions, d'accomplir les gestes suivants jusqu'à ce qu'il soit statué de façon définitive sur la requête en injonction interlocutoire qui sera déposée à une date à déterminer :
         (a) envoyer une lettre à un tiers ou autrement communiquer oralement ou par écrit avec un tiers, directement ou en lui faisant tenir copie, au sujet de l'institution possible de poursuites judiciaires visant les demanderesses, des sociétés liées à celles-ci ou des dirigeants, employés ou mandataires de ces sociétés ou des titulaires de licences concédées par elles,
         (b) envoyer une lettre à un tiers ou autrement communiquer oralement ou par écrit avec un tiers, directement ou en lui faisant tenir copie, au sujet d'allégations de fraude ou d'autres délits commis par les demanderesses, par des sociétés liées à celles-ci ou par des dirigeants, employés ou mandataires de ces sociétés ou par des titulaires de licences concédées par elles,
         (c) envoyer une lettre à un tiers ou autrement communiquer oralement ou par écrit avec un tiers, directement ou en lui faisant tenir copie, en se servant ou en se réclamant de dénominations sociales, de noms commerciaux ou de noms de domaine comprenant les mots ROLLS-ROYCE ou BENTLEY ou comprenant autrement des éléments laissant entendre que l'auteur de la communication peut exercer des droits relativement aux marques de commerce ROLLS-ROYCE ou BENTLEY, aux sociétés liées à ces marques ou aux dirigeants, employés ou mandataires de ces sociétés ou titulaire de licences concédées par elles,
         (d) envoyer une lettre à un tiers ou autrement communiquer oralement ou par écrit avec un tiers, directement ou en lui faisant tenir copie, en se servant ou en se réclamant de dénominations sociales, de noms commerciaux ou de noms de domaine comprenant les mots ROLLS-ROYCE ou BENTLEY ou comprenant autrement des éléments laissant entendre que l'auteur de la communication est associé aux propriétaires des marques de commerce ROLLS-ROYCE ou BENTLEY, à des sociétés liées à ces propriétaires ou à des dirigeants, employés ou mandataires de ces sociétés ou des titulaires de licences concédées par elles,
     3)      enjoignant à M. Fitzwilliam de divulguer le nom des personnes avec qui il a ainsi communiqué et de produire copie de ces communications, de toute réponse écrite reçue par lui ainsi que de toute autre communication écrite et des notes prises au sujet de communications orales se rapportant à ces communications.

LES FAITS

[2]      Le 22 août 2000 ou vers cette date, M. Fitzwilliam a commencé à envoyer des lettres à des tiers partout à travers le monde. Dans une lettre adressée à Toyorama, on pouvait lire :

     [TRADUCTION]
     Depuis le 20 août 2000, le Rolls Royce Motor Museum [nom commercial sous lequel M. Fitzwilliam exploite son entreprise] assume l'entière responsabilité de la protection et de la gestion du nom et des marques de commerce Rolls-Royce en relation avec des modèles d'automobiles classiques1.

[3]      Une ordonnance rendue le 19 septembre 2000 par Mme le juge Hansen comportait la prescription suivante :

     [TRADUCTION]
     Il est interdit au défendeur Ian D. Fitzwilliam, en quelque qualité qu'il agisse, ainsi qu'à toute personne exécutant ses instructions, d'envoyer toute lettre de mise en demeure ou d'autrement communiquer par écrit ou oralement avec toute partie relativement à ses revendications de droits de propriété intellectuelle à l'égard du nom et des marques de commerce ROLLS-ROYCE.

[4]      Cette injonction a été prolongée jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la requête visant à obtenir que l'injonction soit transformée en injonction interlocutoire2.

[5]      Toutefois, M. Fitzwilliam a entrepris, depuis le prononcé de l'injonction, une nouvelle campagne épistolaire menaçant d'intenter des poursuites judiciaires contre les demanderesses et contre des tiers liés ou non aux demanderesses.

LA POSITION DES DEMANDERESSES

[6]      Relativement à la modification de la déclaration des demanderesses, les avocats de ces dernières ont fait valoir que la nouvelle campagne épistolaire de M. Fitzwilliam pourrait bien faire faussement penser aux tiers destinataires des lettres que diverses factions sont en guerre au sein de la « famille » Rolls-Royce.

[7]      Les avocats des demanderesses ont soutenu qu'il convient d'autoriser une partie à modifier un acte de procédure lorsque la modification n'entraîne pas d'injustice pour la partie adverse. Ils veulent modifier l'intitulé de la cause pour donner suite au changement du nom de la demanderesse Rolls-Royce Motor Cars Limited, laquelle est devenue Rolls-Royce and Bentley Motor Cars Limited. Ils veulent également modifier les allégations de la déclaration concernant la contravention des défendeurs à l'alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et aux articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence.

[8]      En outre, les demanderesses veulent obtenir une injonction provisoire interdisant au défendeur Ian D. Fitzwilliam de communiquer directement ou indirectement avec des tiers au sujet de menaces de poursuites judiciaires contre les demanderesses, contre des sociétés liées à ces dernières ou contre des dirigeants, des employés ou des mandataires de celles-ci ou des titulaires de licences concédées par elles, au sujet d'allégations de fraude ou d'autres délits commis par les personnes susmentionnées ou au sujet d'allusions selon lesquelles M. Fitzwilliam, sous l'une ou l'autre de ses dénominations sociales, possède quelque droit sur les marques de commerce Rolls-Royce ou Bentley ou est de quelque façon associé aux propriétaires de ces marques de commerce.

ANALYSE

     A. Modification de la déclaration

[9]      La règle 75(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) énonce ce qui suit :

75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

[10]      Bien que la Cour exerce à cet égard un pouvoir discrétionnaire, elle devrait, en règle générale, autoriser les modifications lorsque la partie adverse n'en subit aucun préjudice. Le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Canderel Ltd. c. Canada, s'est exprimé en ces termes à ce sujet :

     ... la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice3.

[11]      Il faut en outre rappeler que la partie qui demande l'autorisation de modifier un acte de procédure n'a pas à prouver ses allégations suivant la norme de preuve requise4. La Cour doit aussi présumer que les faits allégués dans les modifications sont vrais5. Enfin, pour être autorisées, les modifications recherchées doivent viser des faits pertinents sur lesquels la partie s'appuie6.

[12]      En l'espèce, j'ai la conviction que ces exigences ont été satisfaites et que les défendeurs ne subiront aucun préjudice. Plus particulièrement, la première modification - savoir le changement de l'intitulé pour rendre compte du changement de nom de la demanderesse Rolls-Royce Motor Cars Limited pour Rolls-Royce and Bentley Motors Cars Limited - est nécessaire puisqu'un certificat de constitution démontre que la société a bien changé de nom7. Cette modification ne causera d'aucune façon un préjudice aux défendeurs.

[13]      Pour ce qui est de la deuxième modification, il convient de l'autoriser également en application de la règle générale formulée par le juge Décary dans l'arrêt Canderel. J'estime que les modifications recherchées portent sur des faits pertinents sur lesquels la partie s'appuie, et je signale de nouveau que les demanderesses n'ont pas à prouver leurs allégations suivant la norme de preuve requise8. La modification ne prendra pas les défendeurs par surprise et ne leur causera pas de préjudice car M. Fitzwilliam connaît bien les faits visés. De plus, les défendeurs n'ont pas signifié leur affidavit de documents et ils obtiendront un délai pour modifier leur défense, conformément aux règles de la Cour.

     B. L'injonction provisoire

[14]      Pour déterminer s'il convient ou non de prononcer une injonction provisoire, la Cour doit appliquer le critère tripartite élaboré par la Cour suprême du Canada9. Autrement dit, la partie qui demande une injonction provisoire doit satisfaire à un critère à trois volets. En l'espèce, les demanderesses doivent démontrer :

     (1)      qu'il existe une question sérieuse à juger,
     (2)      qu'un préjudice irréparable sera causé,
     (3)      que la prépondérance des probabilités favorise l'octroi du sursis.
     1) Question sérieuse à juger

[15]      Ce volet du critère n'est pas très exigeant10. Compte tenu des faits qui ont été soumis à la Cour et de l'analyse du dossier, il appert clairement, vu que les droits afférents au nom commercial et aux marques de commerce Rolls-Royce appartiennent légalement aux demanderesses11, qu'il existe une question sérieuse à juger.

     2) Préjudice irréparable

[16]      Le ou vers le 22 août 2000, M. Fitzwilliam a entrepris une campagne épistolaire dans le monde entier. Dans une lettre envoyée à un tiers, Toyorame, il affirmait :

     [TRADUCTION]
     Depuis le 20 août 2000, le Rolls Royce Motor Museum [nom commercial sous lequel M. Fitzwilliam exploite son entreprise] assume l'entière responsabilité de la protection et de la gestion du nom et des marques de commerce Rolls-Royce en relation avec des modèles d'automobiles classiques12.

[17]      Une telle affirmation ne doit pas être prise à la légère. Comme l'a déclaré le professeur Dawar dans l'affidavit qu'il a souscrit le 28 septembre 2000 :

     [TRADUCTION]
     On ne sait pas exactement à combien de personnes M. Fitzwilliam a envoyé les lettres, mais un message de ce genre peut certainement porter atteinte à une marque, pour plusieurs raisons.
     Premièrement, le ton de mise en demeure des lettres est menaçant et peut faire du tort aux relations commerciales profitables des utilisateurs légitimes de la marque, en particulier si les lettres sont envoyées à des utilisateurs autorisés de la marque Rolls-Royce ou à leurs clients.
     Deuxièmement, même si les lettres n'étaient envoyées qu'à des utilisateurs non autorisés et que leur but et leur effet étaient positifs, l'affirmation selon laquelle « Rolls Royce Motor Museum assume l'entière responsabilité de la protection et de la gestion du nom et des marques de commerce Rolls-Royce en relation avec des modèles d'automobiles classiques » peut être incompatible avec les souhaits des propriétaires et, par conséquent, causer un préjudice qui ne pourra être réparé.
     (...)
     Le versement de dommages-intérêts pécuniaires ne pourra pas indemniser ce genre de préjudice13.

[18]      Après examen des observations écrites des demanderesses et des défendeurs, j'estime, en me fondant sur les arguments qui m'ont été soumis et sur l'affidavit de M. Nijar Dawar, que les demanderesses ont satisfait aux exigences du deuxième volet du critère élaboré dans l'arrêt RJR Macdonald, et je conclus que les demanderesses subiraient un préjudice irréparable.

     3) Prépondérance des inconvénients

[19]      Comme les faits le démontrent, la prépondérance des inconvénients favorise clairement les demanderesses. Je suis convaincu, suivant cette prépondérance, que l'injonction provisoire aura un effet réparateur pour les demanderesses sans causer de préjudice grave aux défendeurs.

[20]      Pour ces motifs, la Cour accueille la requête des demanderesses.

     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.      les demanderesses sont autorisées à déposer une déclaration modifiée en l'instance;
2.      il est interdit au défendeur Ian D. Fitzwilliam, en quelque qualité qu'il agisse, et à toute personne exécutant ses instructions, d'accomplir les gestes suivants jusqu'à ce qu'il soit statué de façon définitive sur la requête en injonction interlocutoire qui sera déposée à une date à déterminer :
         (a) envoyer une lettre à un tiers ou autrement communiquer oralement ou par écrit avec un tiers, directement ou en lui faisant tenir copie, au sujet de l'institution possible de poursuites judiciaires visant les demanderesses, des sociétés liées à celles-ci ou des dirigeants, employés ou mandataires de ces sociétés ou des titulaires de licences concédées par elles,
         (b) envoyer une lettre à un tiers ou autrement communiquer oralement ou par écrit avec un tiers, directement ou en lui faisant tenir copie, au sujet d'allégations de fraude ou d'autres délits commis par les demanderesses, par des sociétés liées à celles-ci ou par des dirigeants, employés ou mandataires de ces sociétés ou par des titulaires de licences concédées par elles,
         (c) envoyer une lettre à un tiers ou autrement communiquer oralement ou par écrit avec un tiers, directement ou en lui faisant tenir copie, en se servant ou en se réclamant de dénominations sociales, de noms commerciaux ou de noms de domaine comprenant les mots ROLLS-ROYCE ou BENTLEY ou comprenant autrement des éléments laissant entendre que l'auteur de la communication peut exercer des droits relativement aux marques de commerce ROLLS-ROYCE ou BENTLEY, aux sociétés liées à ces marques ou aux dirigeants, employés ou mandataires de ces sociétés ou titulaires de licences concédées par elles,
         (d) envoyer une lettre à un tiers ou autrement communiquer oralement ou par écrit avec un tiers, directement ou en lui faisant tenir copie, en se servant ou en se réclamant de dénominations sociales, de noms commerciaux ou de noms de domaine comprenant les mots ROLLS-ROYCE ou BENTLEY ou comprenant autrement des éléments laissant entendre que l'auteur de la communication est associé aux propriétaires des marques de commerce ROLLS-ROYCE ou BENTLEY, à des sociétés liées à ces propriétaires ou à des dirigeants, employés ou mandataires de ces sociétés ou des titulaires de licences concédées par elles,
     3)      il est enjoint à M. Fitzwilliam de divulguer le nom des personnes avec qui il a ainsi communiqué et de produire copie de ces communications, de toute réponse écrite reçue par lui ainsi que de toute autre communication écrite et des notes prises au sujet de communications orales se rapportant à ces communications.
     4)      Dépens à suivre.

                                 Edmond P. Blanchard                                      Juge



Traduction certifiée conforme


Ghislaine Poitras, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-2221-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ROLLS-ROYCE plc ET AUTRES c. IAN D. FITZWILLIAM ET AUTRES
LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 7 DÉCEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE BLANCHARD EN DATE DU 11 DÉCEMBRE 2000



ONT COMPARU :


M. Dennis K. Leung          POUR LES DEMANDERESSES

M. Brian P. Isaac             

Ian D. Fitzwilliam              POUR LES DÉFENDEURS



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


SMART & BIGGAR

OTTAWA (ONTARIO)          POUR LES DEMANDERESSES

                

__________________

1      Dossier de requête des demanderesses, pièce EE.

2      L'ordonnance initiale du juge Hansen, prononçant une injonction d'une durée de quatorze jours, a été renouvelée le 3 octobre 2000 par le juge Blais, le 17 octobre 2000 par le juge Dubé et le 31 octobre 2000 par le juge Hansen.

3      [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.), à la p. 9.

4      Almecon Industries Ltd. c. Anchotek Ltd. (1999), 85, C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), à la p. 218.

5      Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19 (C.A.F.), à la p. 24.

6      Ibid.

7      Dossier de requête des demanderesses, 7 décembre 2000, pièce HH.

8      Almecon Industries Ltd. c. Anchotek, précitée, note 4, à la p. 218.

9      RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, aux p. 332-333.

10      Copello c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 152, F.T.R. 110, à la p. 111 (1re inst.).

11      Dossier de requête des demanderesses, 3 octobre 2000, affidavit d'Ernest Frost, pièce 3.

12      Dossier de requête des demanderesses, pièce EE.

13      Dossier de requête des demanderesses, 3 octobre 2000, affidavit de Niraj Dawar, pièce 5, à la p. 50.

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