Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041025

Dossier : IMM-938-04

Référence : 2004 CF 1480

Ottawa (Ontario), ce 25ième jour d'octobre 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                           ZAHER EL-KASSEM

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire àl'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (le « tribunal » ) de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié ( « CISR » ), rendue le 20 janvier 2004, à l'effet que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la « Loi » ).    Le demandeur demande que la décision du tribunal soit annulée et que la Cour rende toute autre ordonnance qu'elle juge pertinente.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Est-ce que le tribunal a rendu une décision entachée d'une erreur de droit ou autrement fondée sur des conclusions de faits erronés, tirés de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de toute la preuve dont il disposait lors de son évaluation de la revendication du statut de réfugié du demandeur?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs mentionnés ci-dessous, le tribunal a commis une erreur importante en ne faisant pas une analyse adéquate de la preuve présentée. En fait, aucune analyse ne fut faite quant aux allégations de discrimination et de persécution. Par conséquent, il n'était pas justifié de conclure que le revendication du demandeur n'était pas fondée.

LES FAITS

[4]                Le demandeur, Zaher El-Kassem (M. El-Kassem, ou le « demandeur » ), est née en 1978 de parents réfugiés palestiniens au Liban où il vécu toute sa vie. En 1982, la famille déménagea d'un camp près de Beyrouth pour s'installer àcelui de Naher Le Bared près de Tripoli. En 1999, la famille stablit à Tripoli.


[5]                Le demandeur a terminé ses études en 1999. Pendant ses études le demandeur a toujours demeuré à l'intérieur des camps de réfugié. Durant cette période de temps, le demandeur allègue avoir été sollicitéet avoir été l'objet de pression par deux différentes organisations afin de joindre les rangs militantismes. Afin de pouvoir échapper àces groupes, le demandeur prétendait vouloir terminer ses études.

[6]                Après avoir obtenu son diplôme d'assistant ingénieur, il essaya pendant deux ans de se trouver du travail. Malheureusement ses recherches s'avérèrent infructueuses. Il attribue cet insuccès à la discrimination et au racisme que subissent les Palestiniens. Le demandeur soutient que ceci équivaut à de la persécution.

[7]                M. El-Kassem décide de quitter son pays. Il obtient un visa dtudiant d'une université du Texas. Il passe trois mois aux États-Unis où il travaille afin de rembourser la personne qui avait payé, en partie, son billet d'avion. Le demandeur arrive au Canada le 6 août 2001 et revendique le statut de réfugié le jour même.

[8]                L'audience relative à la revendication du demandeur eut lieu le 4 novembre 2003.


LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]                Le tribunal a rejeté la revendication de M.El-Kassem.    Il est arrivé à la conclusion que le demandeur était plutôt un « réfugié économique » qu'un réfugié au sens de la Convention. Après avoir examiné la preuve soumise par le demandeur, le tribunal était d'accord que la situation économique des réfugiés palestiniens au Liban était "pitoyable". Cependant, il ntait pas d'accord que cette discrimination contre la population palestinienne équivalait à de la persécution. Le fardeau revenait au demandeur de démontrer qu'il avait été persécuté et que cette persécution avait créée une crainte de retourner au Liban. Le demandeur ne s'est pas déchargé de ce fardeau. En venant au Canada, il semblait être beaucoup plus motivé par des considérations purement économiques que des considérations de réfugiés.

[10]            Le tribunal était ainsi troublé par le fait que le demandeur n'avait pas demandé le statut de réfugié aux États-Unis malgré le fait qu'il a séjourné là- bas pendant trois mois.     Selon le tribunal, cette omission était un indice que le demandeur n'avait pas une peur subjective, élément essentiel pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention.


PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le demandeur

[11]            Le demandeur prétend que le tribunal a erré en fait et en droit en concluant que la discrimination qu'il a vécue est un état qui affecte la majorité de la population et conséquemment, que ceci n'équivaut pas à de la persécution.

[12]            Étant donné que le tribunal n'a pas rendu de conclusion négative quant à la crédibilité de M. El-Kassem, ni quant à la véracité des faits allégués et parce que le tribunal n'a souligné aucune contradiction majeure entre le témoignage de M. El-Kassem et son Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ), le demandeur est d'avis que le tribunal n'aurait pas dû rejeter sa demande d'asile.


[13]            De plus, le demandeur souligne que la preuve documentaire indique clairement la situation des palestiniens au Liban.    D'après le demandeur, le tribunal aurait dû évaluer cette preuve documentaire non seulement à la lumière de la crainte du demandeur d'être recruté par une faction palestinienne, mais aussi en tenant compte que le demandeur était victime de discrimination systémique et systématique de la part des autorités libanaises, notamment en n'ayant pas l'accès au marché du travail.    Le demandeur prétend qu'il n'a pas seulement allégué un état de fait qui affecte la majorité de la population, mais qu'il a aussi été personnellement visé par cette discrimination.    Le demandeur fait valoir que la persécution peut inclure les faits et gestes qui empêchent un professionnel d'exercer sa profession de façon permanente. (Voir He c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration), [1994] A.C.F. no 1243 (1ère inst.).

[14]            Finalement, le demandeur ajoute que les demandeurs du statut de réfugié ne sont pas tenus de demander l'asile dans le premier pays où ils se rendent après leur fuite et qu'une demande peut être fondée même si elle n'a pas été faite à la première occasion possible. Le tribunal aurait dû enquêter et se pencher sur les circonstances qui ont donné lieu au retard pour déterminer si celles-ci étaient un indice d'une absence de crainte. Le demandeur dit que le tribunal avait tort de ne pas accepter son explication. Il indique qu'on lui avait déconseillé de revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis en raison des délais de traitement de la demande et de la difficulté à se trouver un emploi.    Enfin, il affirme que le tribunal avait tort de ne même pas avoir considéré son visa d'étudiant.

Le défendeur


[15]            Le défendeur prétend que le tribunal a raisonnablement conclu qu'il y avait une absence de crainte objective de persécution de la part du demandeur. À cet égard il indique que la preuve documentaire démontre que les organisations palestiniennes comme l'Intifada et Fathah, ne font pas de recrutement forcé à l'intérieur des camps de réfugiés.    Contrairement aux allégations du demandeur, le défendeur croit que le tribunal a considéré les assertions du demandeur à l'effet qu'il aurait subi de la pression des différentes factions à l'intérieur du camp, mais qu'en l'absence de plus de spécificité qu'il n'avait aucune raison de croire que ceci constituait de la persécution.

[16]            Le défendeur soutient qu 'il est raisonnable pour le tribunal de conclure à l'absence d'une crainte subjective du demandeur en raison de ses déclarations au point d'entrée ainsi que de son comportement suite à son départ du Liban. Pour le tribunal, ces actions démontrent qu'il a quitté son pays pour des raisons économiques et non pour des motifs de persécution.    Même lors de son entrevue au point d'entrée, M. El-Kassem a dit qu'il ne voulait que trouver un emploi convenable relié à son domaine d'étude. D'ailleurs, le défendeur fait valoir que le demandeur n'a pas l'air de craindre les autorités mais qu'il tente plutôt d'améliorer son avenir sur le plan économique.    Selon l'affaire Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, ceci n'est pas un motif visé par la Loi.

[17]            Finalement, le défendeur prétend que le tribunal n'a pas commis d'erreur en concluant que le comportement de M. El-Kassem n'était pas compatible avec une personne ayant une crainte raisonnable de persécution étant donné qu'il avait résidé trois mois aux États-Unis sans revendiqué le statut de réfugié. Le défendeur souligne que la jurisprudence indique qu'un demandeur se doit de solliciter la protection dès que possible.    S'il est incapable de justifier son retard, il est raisonnable de conclure à l'absence de crainte subjective de persécution.


ANALYSE

[18]            Bien que la longueur d'une décision n'est pas indicatif de sa valeur, il est important pour un décideur de s'assurer que les éléments essentiels supportant ses conclusions soient inclus et qu'il y aient suffisamment d'explications afin de permettre au demandeur de comprendre les motifs du rejet de sa demande. En l'espèce, l'une des raisons à la base de cette décision est la conclusion du tribunal à l'effet que le demandeur n'a pas subi de persécution; élément clé pour pouvoir être considéré comme un réfugié au sens de la Convention ou encore comme une personne à protéger.


[19]            Le tribunal conclut que la situation économique des palestiniens est "pitoyable". Pour en arriver à cette constatation, il a eu recours à la preuve documentaire. Toutefois, le tribunal n'a pas analysé cette documentation de sorte à la distinguer de ce qui constitue de la persécution. La décision est silencieuse à ce sujet. Dans l'arrêt Sagharichi c.Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1993), 182 N.R. 398, la Cour d'appel fédérale précise au paragraphe 3 que le tribunal, dans un contexte factuel particulier, a l'obligation de faire les déterminations appropriées « ...du contexte factuel particulier et avec une analyse prudente de la preuve ... » (notre traduction). Je ne crois pas que l'analyse juridique (discrimination - persécution) a été faite selon ces exigences malgré le fait qu'il y avait amplement de preuve documentaire pour le faire. À mon avis, il s'agit d'une erreur importante qui vicie la décision car il est impossible de comprendre les raisons de la détermination. La compréhension des déterminations est essentielle. Son absence est fatale.

[20]            En ce qui concerne les deux autres arguments (à savoir s'il y a eu recrutement forcé ou encore le fait qu'il n'y a pas eu demande aux États-Unis pendant son séjour), ils doivent suivre le cheminement du dossier. Toutefois, je note l'admission quant au recrutement forcé. (Voir mémoire du demandeur au paragraphe 3.11).

[21]            Pour les motifs mentionnés ci-haut, le contrôle judiciaire est accepté et le tribunal qui aura la tâche de revoir ce dossier devra le faire en laissant de côté les déterminations de la présente décision.

[22]            Les avocats furent invités à proposer des questions pour fin de certification mais ils ont décliné l'offre.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE:

-           Cette demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision est annulée et le dossier est retournépour qu'un nouveau tribunal étudie le dossier à nouveau dans son ensemble.


-          Aucune question ne sera certifiée.

                "Simon Noël"                 

         Juge

                                                                             


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                  NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                              IMM-938-04

INTITULÉ :                                             ZAHER EL-KASSEM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                       MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                     18 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE                                            L'Honorable Juge Simon Noël

EN DATE DU :                                        25 octobre 2004

COMPARUTIONS :                               Me JACQUES BEAUCHEMIN

                    POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me DANIEL LATULIPPE

                    POUR LA PARTIE DÉFENDERSSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                          

                                                                             

Beauchemin, Paquin, Jobin, Brisson & Philpot

MONTRÉAL (QUÉBEC)

                    POUR LA PARTIE DEMANDERESSE


MORRIS ROSENBERG

MONTRÉAL (QUÉBEC)

                    POUR LA PARTIE DÉFENDERSSE


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.