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Date : 20030121

Dossier : T-2195-02

Référence neutre : 2003 CFPI 56

                  Action réelle en matière d'amirauté contre le navire « TULOMA »

                               et action personnelle contre Breeze Navigation Ltd.

                        et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un

                                                droit sur le navire « TULOMA »

ENTRE :

                                             PAN OCEAN SHIPPING CO. LTD.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                 BREEZE NAVIGATION LTD.

                                                                            et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TULOMA »

défendeurs

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

[1]                 Les défendeurs ont présenté la requête ici en cause en vertu de l'article 485 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) en vue de faire fixer par la Cour, par ordonnance, le montant de la garantie d'exécution qu'ils doivent consigner à la Cour pour obtenir la mainlevée de la saisie effectuée par la demanderesse à l'égard du « TULOMA » .


[2]                 Étant donné que notre temps est précieux, je n'ai pas l'intention de prononcer des motifs particulièrement longs.

Les faits

[3]                 Par un affrètement à temps qui a été établi et conclu à Séoul le 4 septembre 2002, la demanderesse, en sa qualité d'affréteur, a loué le navire « TULOMA » appartenant à la défenderesse Breeze Navigation Ltd., de Malte.

[4]                 Conformément à cet affrètement, on a chargé de l'acier à bord du navire à Beihai, en Chine, à Kwangyanh, en Corée, et à Koahsiung, à Taïwan, les marchandises devant être déchargées à Miami, à Savannah et à Camden, aux États-Unis, ainsi qu'à Sorel, à Oshawa et à Toronto, au Canada.

[5]                 Ladite charte-partie prévoit entre autres, selon la clause 22, que le navire, au moment de la livraison et pendant toute la durée de l'affrètement, sera étanche et en parfait état mais le calendrier du navire montre que celui-ci a été fortement retardé par suite de pannes, d'un détour attribuable à la maladie de certains membres d'équipage et d'autres défectuosités.

[6]                 La demanderesse allègue que le navire était dans un tel état d'innavigabilité que la Garde côtière américaine ne l'a pas autorisée à décharger les marchandises destinées à Camden (New Jersey).

[7]                 Le navire est arrivé à Sorel (Québec); il a été obligé de décharger les marchandises qui étaient initialement destinées à Camden (New Jersey). De plus, par suite des retards subis à Camden, le navire est arrivé à Sorel bien après la date à laquelle il pouvait ensuite poursuivre son voyage jusqu'aux ports de déchargement suivants, dans la Voie maritime du Saint-Laurent, soit Oshawa et Toronto. La Voie maritime était fermée, ou sur le point de l'être, lorsque le navire est arrivé à Sorel.

[8]                 Par conséquent, toutes les marchandises destinées à Camden (New Jersey), à Sorel, (Québec), à Oshawa (Ontario) et à Toronto (Ontario) ont été déchargées à Sorel.

[9]                 La demanderesse a ensuite entrepris de transborder la cargaison et de la transporter jusqu'à divers ports de déchargement prévus dans les connaissements pertinents.

[10]            Tout litige opposant les parties doit être réglé par arbitrage, à Londres, en vertu de la charte-partie à temps pertinente.

[11]            Tout litige opposant la demanderesse aux parties qui ont un droit sur la cargaison doit être réglé par arbitrage, à New York, conformément à une charte-partie au voyage, affrètement en date du 12 juillet 2002.

[12]            De plus, la demanderesse soutient au moyen d'une preuve par affidavit qui a été déposée par l'un de ses avocats américains qu'en droit américain, il serait probablement conclu qu'elle est le transporteur en vertu des contrats de transport pertinents conclus avec ses clients et qu'elle pourrait bien être de fait tenue responsable dans le cadre de l'arbitrage, à New York, à l'égard des réclamations fondées sur les dommages matériels subis par la cargaison et des réclamations possibles découlant de la livraison tardive ou de la perte de marché.

Analyse

[13]            La règle générale qui s'applique au montant de la garantie d'exécution à fournir a récemment été énoncée comme suit par mon collègue, Monsieur le protonotaire Hargrave, dans la décision M. et Mme Stephen Striebel c. Sovereign Yachts (Canada) Inc. et « The Chairman » , 2002 C.F.P.I. 925 (la décision « The Chairman » ) au paragraphe [14] :

[14] La règle générale qui régit le montant du cautionnement qui doit être fourni, pour obtenir mainlevée de la saisie correctement effectuée d'un navire, veut qu'il soit égal à la valeur la plus raisonnable de la cause de la partie titulaire d'une sûreté, intérêts et frais, limitée par la valeur du navire saisi : voir The Moschanthy, [1971] 1 Lloyd's Rep. 37 (B.R.), à la page 44 et Brotchie c. Le Karey T (1994), 77 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.) à la page 72.

[14]            Dans la décision The Chairman, mon collègue le protonotaire Hargrave a également fait mention comme suit de trois autres décisions utiles, au paragraphe 19 et aux paragraphes suivants :

[19] Dans l'arrêt The Gulf Venture, [1984] 2 Lloyd's Rep. 445 (B.R.), M. le juge Sheen a appliqué une méthode expéditive pour fixer la garantie : il a estimé que la preuve n'était pas complète, mais il était convaincu que la réclamation ne serait pas accueillie intégralement et, par conséquent, bien que la réclamation endossée sur le bref dépassait les 400 000 £ , il a fixé la garantie à 250 000 £ :

[TRADUCTION] Lorsque les demandeurs ont le droit de garder un navire saisi jusqu'à ce que ses propriétaires fournissent une garantie pour leur réclamation, cette garantie doit être pour une certaine somme d'argent qui représente la valeur la plus raisonnable de leur cause, y compris les intérêts, et leurs dépens dans l'action. Il y a place à beaucoup de discussion quant à la somme qui devrait être garantie relativement à cette réclamation. Je ne propose pas d'analyser la preuve : elle n'est pas complète. Une telle procédure serait tout à fait inappropriée à l'occasion d'une requête telle que la présente. Bien que la réclamation endossée sur le bref se chiffre, comme je l'ai déjà mentionné, à une somme supérieure à 400 000 £ , j'étais convaincu que la réclamation ne serait pas accueillie en entier. Après discussion avec les avocats, les demandeurs ont fait part de leur volonté d'accepter la garantie au montant de 300 000 £ . Je suis arrivé à la conclusion qu'une somme moindre serait adéquate et j'ai fixé le montant au chiffre rond de 250 000 £ .

[20]          Dans l'arrêt The Tribels, [1985] 1 Lloyd's Rep. 128, M. le juge Sheen, tout en admettant que les sauveteurs avaient le droit de réclamer une garantie jusqu'à concurrence de ce qui pourrait être prévu, en fonction de la valeur la plus raisonnable de la cause, des intérêts et des dépens, a considéré la demande de garantie de 3,323 millions £ comme exorbitante, en faisant remarquer que l'avocat du demandeur concédait le point. Il fixa ensuite la garantie à 1 million £ , en ajoutant qu'il se pourrait bien que même la somme de 1 million £ était excessive.

[21]          Une dernière décision que j'invoquerai, dans cette série de décisions où la cour a exercé un pouvoir discrétionnaire pour établir une garantie d'exécution, dans des circonstances particulières, est Amican Navigation Inc. c. Densan Shipping Co. (1997), 137 F.T.R. 132 (C.F. 1re inst.), décision rendue par M. le juge Lutfy (maintenant Juge en chef adjoint). Il faisait observer, à la page 135, que « la saisie est une arme très puissante » et il ajoutait que la demanderesse a le droit d'obtenir une garantie d'exécution pour le plein montant de sa réclamation majoré des intérêts et des frais, mais que ce pouvoir exceptionnel que la loi accorde à la saisie et au droit d'obtenir une garantie d'exécution doit être pondéré de façon à ne pas être excessif :

Il est donc important, dans l'analyse d'une requête visant à modifier la garantie d'exécution, de garder à l'esprit le pouvoir exceptionnel que la loi accorde à la saisie et au droit d'obtenir une garantie d'exécution pour le plein montant de la réclamation. Il faut rechercher un juste équilibre. Le pouvoir de saisir ne doit pas être exercé de façon excessive, et en même temps, la demanderesse a droit à une garantie d'exécution suffisante.

(Page 135)

À cette étape-ci, je ferai remarquer qu'il y avait en jeu la variation de garantie d'exécution, toutefois le même principe s'applique dans le cas de l'établissement d'une garantie d'exécution. Il a ensuite appliqué le principe énoncé dans l'arrêt The Moschanthy précité.


(...)

[24]          Ainsi que je l'ai déjà précisé, je ne peux pas trancher l'affaire à ce moment-ci. Cependant, je peux, comme le signale le juge en chef adjoint Lutfy dans la décision Amican Navigation (précitée), établir un équilibre entre ce qui pourrait, d'une part, constituer une saisie effectuée de façon excessive et, d'autre part, un droit à une garantie suffisante. En effet, comme l'a établi M. le juge Sheen dans l'arrêt The Gulf Venture (précité), en étant convaincu que la réclamation ne serait pas accueillie en entier, il a pu alors réduire la garantie d'exécution à un montant moindre mais adéquat.

[Non souligné dans l'original.]

[15]            Compte tenu de ces principes, j'examinerai maintenant les différents chefs de réclamation invoqués par la demanderesse afin de déterminer les montants qui doivent être retenus sous chaque chef.

1.         Paiement en trop de la location

[16]            En l'espèce, il n'est pas contesté qu'aux fins de la requête ici en cause, le montant de 75 538,16 $US peut être retenu.

2.         Coût du transport intérieur

[17]            J'ai décidé de retenir le montant de 588 000 $US. Il est possible que ce chiffre soit réduit dans l'avenir, mais il représente à l'heure actuelle la valeur la plus raisonnable de la cause.


3.         Avaries subies par la cargaison (dommages matériels) et dommages attribuables au retard ou à la perte de marché

[18]            Je suis convaincu, aux fins de la requête ici en cause, que la demanderesse peut raisonnablement soutenir qu'en droit américain, il pourrait être conclu qu'elle est le transporteur en vertu des contrats de transport pertinents conclus avec ses clients, à savoir les personnes ayant un droit sur la cargaison. Je me rends également compte qu'elle pourrait être tenue responsable dans le cadre de l'arbitrage à New York, à l'égard des réclamations se rapportant aux dommages matériels subis par la cargaison ainsi qu'aux réclamations fondées sur le retard ou la perte de marché.

[19]            Quant au montant à fixer pour la garantie d'exécution, la demanderesse a respectivement proposé les montants ci-après énoncés pour les avaries subies par la cargaison et pour les dommages attribuables à la perte de marché :

Avaries subies par la cargaison


Cargaison destinée à Camden (couvercles rouillés)

500 m/t x 562 $ x 15 %        =

      421 500 $US

Cargaison destinée à Camden (dommages autres que la rouille)

175 m/t x 562 $ x 15 %        =

        14 752 $US

Cargaison destinée à Oshawa

(Estimation de la

demanderesse)                      =

        60 000 $US

Cargaison destinée à Toronto

10 400m/t x 562 $ x 5 %      =

      292 240 $US

                             


Total :


            788 492 $US

Perte de marché


Cargaison destinée à Camden

5 210 m/t x 67 $                    =

      349 000 $US

Cargaison destinée à Oshawa

6 003 m/t x 25 $                    =

      150 000 $US

Cargaison destinée à Toronto

10 400 m/t x 25 $                  =

      260 000 $US

                             

Total :

      759 000 $US


[20]            La preuve fournie par la demanderesse à l'égard des avaries subies par la cargaison et des dommages attribuables à la perte de marché n'est pas complète à ce stade et elle est en bonne partie fondée sur des incertitudes. Aucune réclamation formelle ne semble encore avoir été faite par écrit. Je suis convaincu que les deux réclamations ne seraient pas accueillies au complet.

[21]            Comme l'a fait mon collègue le protonotaire Hargrave dans la décision The Chairman, je dois ici établir l'équilibre entre les droits des deux parties. J'ai donc décidé de réduire de moitié chacun des montants totaux susmentionnés pour les dommages subis par la cargaison ou attribuables à la perte de marché.


[22]            Je me rends bien compte que cette réduction est dans une certaine mesure arbitraire, mais je suis convaincu que le montant accordé est suffisant pour protéger les droits de la demanderesse (voir Amican Navigation Inc. c. Densan Shipping Co. (1997), 137 F.T.R. 132, page 139, paragraphe [23], note 15).

[23]            Par conséquent, les montants totaux généraux pour la garantie d'exécution, exprimés en dollars canadiens (en utilisant un taux de change de 1,54), sont les suivants :

75 538,16 $US

588 000,00 $US

394 246,00 $US

379 500,00 $US

1 437 284,16 $US x 1,54 = 2 213 417,50 $CAN

[24]            L'indemnisation la plus raisonnable exige que l'on ajoute à ce montant des intérêts, au taux de 15 p. 100 (332 012,62 $CAN), les frais de l'arbitrage à Londres (616 882,50 $CAN), les frais de l'arbitrage à New York (77 000 $CAN) et les frais engagés devant la Cour (5 000 $CAN).

[25]            Par conséquent, le montant de la garantie d'exécution sera fixé, en chiffres ronds, à 3 244 312 $CAN.

[26]            La garantie d'exécution sera fournie conformément aux Règles.

                                                                                                                     « Richard Morneau »             

Montréal (Québec)                                                                                                        Protonotaire                      

Le 21 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                         

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030121

Dossier : T-2195-02

Action réelle en matière d'amirauté contre le navire « TULOMA » et action personnelle contre Breeze Navigation Ltd. et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « TULOMA »

ENTRE :

PAN OCEAN SHIPPING CO. LTD.

demanderesse

et

BREEZE NAVIGATION LTD.

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TULOMA »

défendeurs

                                                                                                                           

           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                           


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-2195-02

INTITULÉ :                                              Action réelle en matière d'amirauté contre le navire « TULOMA » et action personnelle contre Breeze Navigation Ltd. et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « TULOMA »

ENTRE :

PAN OCEAN SHIPPING CO. LTD.

et

BREEZE NAVIGATION LTD. et LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TULOMA »

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 20 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

DATE DES MOTIFS :                           le 21 janvier 2003

COMPARUTIONS :

M. Sean J. Harrington                                                     POUR LA DEMANDERESSE

M. Trevor H. Bishop                                                         POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Brisset Bishop                                                                  POUR LES DÉFENDEURS

Montréal (Québec)


Date : 20030121

Dossier : T-2195-02

Montréal (Québec), le 21 janvier 2003

En présence de Monsieur le protonotaire Richard Morneau

                  Action réelle en matière d'amirauté contre le navire « TULOMA »

                               et action personnelle contre Breeze Navigation Ltd.

                                 et les propriétaires et toutes les autres personnes

                                       ayant un droit sur le navire « TULOMA »

ENTRE :

                                             PAN OCEAN SHIPPING CO. LTD.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                 BREEZE NAVIGATION LTD.

                                                                            et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « TULOMA »

défendeurs

                                                              ORDONNANCE

Le montant de la garantie d'exécution est fixé à 3 244 312 $CAN, ce montant devant être fourni conformément aux Règles. La garantie d'exécution couvre le montant de la demande ici en cause; les parties soumettront conjointement un projet précis d'ordonnance destiné à s'appliquer aux autres demandes que ladite garantie d'exécution est destinée à couvrir.


Les dépens de la requête suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                     « Richard Morneau »             

                                                                                                                                       Protonotaire                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

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