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Date : 20031010

Dossier : IMM-4599-02

Référence : 2003 CF 1179

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                          

ENTRE :

                                                AGRON LUZI et MIKAELA KAPLLANI

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LES FAITS

[1]                 M. Agron Luzi et Mme Mikaela Kapllani (les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 20 août 2002. Dans cette décision, la Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 Les demandeurs sont mari et femme. Ils sont citoyens albanais et fondent leur revendication du statut de réfugié sur leurs opinions politiques et leur appartenance à un groupe social, c'est-à-dire à la famille des personnes ciblées par l'État en raison de leurs opinions politiques. Le demandeur redoute le Parti socialiste qui est au pouvoir en Albanie depuis 1997 et qui contrôle le corps de police national.

[3]                 Le demandeur est monarchiste et membre du Parti du mouvement pour la légalité. Il a prétendu avoir été victime de divers incidents de persécution depuis1997. Sa revendication était basée sur ses opinions politiques, à titre de membre du Parti du mouvement pour la légalité. La demanderesse a affirmé craindre de retourner en Albanie parce qu'elle fait partie de la famille du demandeur.

[4]                 Le demandeur a témoigné qu'à titre d'agent de recrutement pour le Parti du mouvement pour la légalité, il visitait des universités et d'autres établissements d'enseignement pour parler de la monarchie et du programme du Parti du mouvement pour la légalité. Il affirme avoir été arrêté, menacé et brutalisé après avoir participé à un rassemblement organisé pour le roi Zog en juillet 1997, avant l'élection nationale. Il dit avoir agi à titre d'observateur pendant l'élection de 1997.


[5]                 Le demandeur a témoigné qu'en septembre 1998, il a participé avec les chefs du Parti du mouvement pour la légalité à une manifestation contre le meurtre d'Azem Hagdari. Il a affirmé ne pas avoir participé à l'occupation des édifices du gouvernement. Après la démonstration, certains membres de sa famille ont été arrêtés. Il a été arrêté plus tard, le 21 septembre 1998, ayant pu échapper à la police jusque là. Il a été détenu pendant trois jours et brutalisé par des agents de police. Il s'est présenté à un hôpital militaire pour faire soigner ses blessures. Un témoin qui a comparu devant la Commission a déclaré l'avoir vu à l'hôpital le 24 septembre 1998 et a confirmé qu'il était blessé.

[6]                 En novembre 1999, avec son frère qui l'accompagnait, le demandeur a de nouveau été détenu et brutalisé par la police après avoir participé à une protestation organisée par des membres du Parti du mouvement pour la légalité contre le procès injustifié du roi Zog in absentia. Le 20 janvier 2000, il a été arrêté de nouveau et accusé d'avoir troublé l'ordre public. Il a été libéré à la condition de ne pas quitter Tirana et de se présenter au poste de police deux fois par semaine, ce qu'il a fait pendant environ quatre mois.

[7]                 Le demandeur a témoigné que le 5 mai 2000, il était avec son cousin, aussi membre du Parti du mouvement pour la légalité, quand son cousin a été tué par des agents de police. Ces derniers les ont pourchassés en voiture et ils ont abattu son cousin. Le demandeur affirme qu'il a pu sauter de la voiture et s'enfuir. Il a informé le Parti du mouvement pour la légalité du meurtre de son cousin, qui a déposé une plainte écrite auprès de la Cour de Tirana. Le demandeur soutient que cette plainte n'a pas été prise en considération.

[8]                 Le demandeur a en outre prétendu que le 20 mai 2000, des agents de police sont venus chez lui et l'ont accusé de possession illégale d'armes à feu. Les agents de police ont fouillé sa maison et saisi certains documents, y compris des photographies de lui en compagnie du roi Zog. Le demandeur affirme que les agents de police ont alors battu la demanderesse, qui était enceinte à ce moment-là. Ils ont dit à la demanderesse que si son mari ne cessait pas ses activités au sein du Parti du mouvement pour la légalité, ils le tueraient comme ils avaient tué son cousin.

[9]                 Les demandeurs ont quitté l'Albanie le 28 mai 2000 et ils sont arrivés au Canada le 2 juin 2000. Ils ont amorcé la procédure de revendication du statut de réfugié le 5 juin 2000. Leur audience devant la Commission a eu lieu entre novembre 2001 et mai 2002. La Commission a rendu une décision négative le 20 août 2002.

[10]            Dans sa décision, la Commission a reconnu que le demandeur était membre du Parti du mouvement pour la légalité, mais elle a conclu que les demandeurs n'avaient pas réussi à établir qu'il y avait un risque raisonnable qu'ils soient persécutés s'ils retournaient en Albanie, parce qu'il n'y avait pas d'éléments de preuve suffisamment crédibles établissant que le demandeur serait la cible d'agents du Parti socialiste en raison de son profil politique.


[11]            La Commission a décidé que le demandeur n'était pas un témoin crédible, décision fondée principalement sur certaines conclusions quant au manque de vraisemblance. Premièrement, elle a estimé peu probable que les demandeurs aient laissé certains papiers d'identité dans un taxi et qu'ils n'aient pas appelé pour voir s'ils pouvaient les récupérer. Deuxièmement, elle a estimé que l'explication fournie par le demandeur, à savoir pourquoi lui et sa femme n'ont pas revendiqué le statut de réfugié à l'aéroport et qu'ils ont attendu au lundi suivant pour le faire, n'était pas vraisemblable. Troisièmement, elle n'a pas jugé vraisemblable le récit du demandeur qui dit avoir été congédié de son poste dans la fonction publique pour des raisons politiques. Ensuite, même si la Commission a reconnu que le cousin du demandeur a été tué, elle n'a pas trouvé plausible que le demandeur ait été avec son cousin au moment du meurtre. Enfin, la Commission a tiré une conclusion subsidiaire voulant que, même si elle avait jugé que le demandeur était crédible, la preuve documentaire concernant la scène politique actuelle en Albanie n'indiquait pas que la crainte de persécution invoquée par le demandeur, basée sur ses opinions politiques, était objectivement fondée.     

LES ARGUMENTS DES DEMANDEURS

[12]            Les demandeurs font valoir que les motifs de la Commission n'expliquent pas suffisamment pourquoi elle a conclu que le demandeur n'était pas crédible et que ses conclusions sont basées sur une mauvaise compréhension des éléments de preuve ou sur des hypothèses. Ils affirment également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve pour tirer sa conclusion selon laquelle il n'y avait pas de fondement objectif à leur revendication.

[13]            Les demandeurs soutiennent que la Commission était tenue de fournir des motifs _ clairs, précis et intelligibles _, conformément à l'arrêt Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.) (QL), et que si elle prononce des motifs qui jettent un doute quant à la crédibilité du demandeur, elle doit le faire _ en termes clairs et explicites _ : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.).

[14]            Les demandeurs font valoir que dans ses motifs, la Commission n'a relevé aucune incompatibilité ou contradiction dans les éléments de preuve du demandeur, qui pourraient étayer sa conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas un témoin crédible. Les demandeurs affirment que pendant l'audience, des incompatibilités ont été soulevées mais que le demandeur a toujours donné une explication. Puisque la Commission n'a mentionné aucune de ces incompatibilités, les demandeurs soutiennent que par son silence, la Commission a accepté ces explications ou jugé qu'il ne s'agissait pas d'éléments essentiels à la revendication.

[15]            Les demandeurs ont fait valoir que la conclusion de la Commission voulant que le demandeur n'était pas un témoin crédible était basée surtout sur des conclusions erronées quant à leur vraisemblance. Ils ont soutenu que la Commission a tiré trois conclusions erronées quant à leur vraisemblance qui ont eu une incidence sur sa conclusion quant à la crédibilité :


1.        Que le passeur de clandestins qui s'est occupé de faire entrer les demandeurs au Canada leur a dit d'attendre avant de présenter une revendication du statut de réfugié et de se rendre à un endroit précis à Toronto qui se trouvait dans un quartier où habitaient de nombreux Albanais. Cela explique pourquoi les demandeurs n'ont pas fait de demande d'asile à l'aéroport le vendredi, mais qu'ils ont plutôt attendu au lundi suivant.

2.        Le demandeur a perdu son emploi auprès du gouvernement municipal en raison de sa participation à la vie politique.

3.        Le récit que le demandeur a fait du meurtre de son cousin et de sa propre échappée des mains de la police en mai 2000.

[16]            Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la Commission voulant qu'ils aient omis de réclamer le statut de réfugié à l'aéroport est déraisonnable, que la Commission a fait des conjectures et qu'elle n'a pas tenu compte des éléments de preuve que le demandeur lui avait fournis. Pour ce qui est du congédiement, les demandeurs affirment que la Commission a encore une fois mal interprété les éléments de preuve quand elle a conclu qu'en 1996, c'est le Parti socialiste qui a engagé le demandeur. La preuve documentaire permet d'établir qu'à Tirana, le Parti socialiste n'est entré au pouvoir qu'en 1997. Or, le demandeur a obtenu son emploi en 1996, avant que le Parti socialiste ne soit au pouvoir.


[17]            De plus, le _ poste dans la fonction publique _ que le demandeur occupait était celui d'ébroueur. Il a témoigné que même si son emploi était considéré comme un bon emploi parce qu'il était relativement bien payé, il ne s'agissait pas d'un poste important. Les demandeurs affirment que là encore, la Commission a mal interprété les éléments de preuve quand elle affirmé dans ses motifs que le demandeur occupait un _ poste dans la fonction publique _, alors qu'il s'agissait d'un travail subalterne au niveau municipal. Il était plausible que les personnes occupant des postes supérieurs soient évincées d'abord et que celles dans sa situation ne le soient qu'ultérieurement.

[18]            Les demandeurs ont fait valoir que l'incident du 5 mai 2000 au cours duquel le cousin du demandeur a été tué par des agents de police, les fouilles policières ultérieures de leur maison ainsi que les violences policières subies par la demanderesse étaient au coeur de la revendication. Ils affirment que la Commission a apprécié les faits de façon erronée et qu'elle a omis de tenir compte des éléments de preuve dont elle était saisie en rapport avec ces incidents, plus particulièrement, qu'il se soit échappé de la voiture. La conclusion quant au manque de vraisemblance à laquelle la Commission est arrivée était une conclusion de fait abusive. Les demandeurs soutiennent qu'il n'y avait aucune preuve que la voiture filait _ à toute vitesse _ moment où le demandeur a sauté du véhicule.


[19]            Les demandeurs ont également soutenu que la Commission a commis une erreur en concluant que le témoin du nom d'Athina Pulaj qu'ils avaient appelé à témoigner sur la participation du demandeur au Parti du mouvement pour la légalité et sur sa présence à l'hôpital en septembre 1998, avait fourni des éléments de preuve sans valeur probante étant donné que la Commission estimait que la preuve du demandeur n'était pas crédible. Les demandeurs soutiennent que les renseignements que ce témoin a fournis étaient indépendants de leurs éléments de preuve. Se contenter de rejeter ce témoignage comme étant sans aucune valeur probante en se fondant sur son opinion de la preuve des demandeurs est erroné.

[20]            Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a tiré des conclusions contradictoires au sujet du profil politique du demandeur. La Commission n'a jamais déclaré ne pas croire les éléments de preuve voulant que le demandeur ait été détenu et brutalisé. La Commission n'a pas fait référence au fait que les demandeurs ont allégué que la demanderesse a été brutalisée quand elle était enceinte. Les demandeurs affirment que cela prouve que le demandeur était une cible, ce qui va directement à l'encontre de la conclusion de la Commission selon laquelle, étant donné que le demandeur n'occupait pas un poste haut placé au sein du Parti du mouvement pour la légalité, il n'était pas une cible pour le Parti socialiste.

[21]            Les demandeurs affirment que même si certains éléments de preuve documentaire corroborent la conclusion de Commission voulant que les membres du Parti du mouvement pour la légalité n'étaient pas assujettis à de la violence, la Commission n'a pas mentionné d'autres éléments de preuve dans lesquels il serait déclaré que la violence demeure un facteur déterminant.

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[22]            Le défendeur soutient qu'au vu du dossier, il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer les conclusions en matière de crédibilité et de vraisemblance qu'elle a tirées. La Commission n'a pas commis d'erreur de droit et il n'y a aucune preuve qu'elle ait refusé de tenir compte de certains éléments de preuve, qu'elle en ait écartés ou qu'elle ait tiré des conclusions erronées sur des éléments de preuve. Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle énoncée à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7. La Cour ne doit pas intervenir à moins que la Commission ait basé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose.

[23]            Le défendeur base son opinion sur l'arrêt Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.), demande d'autorisation d'en appeler devant la Cour suprême du Canada refusée [1995] S.C.C.A. no 102 (QL), et il affirme que la norme de contrôle judiciaire applicable est la décision manifestement déraisonnable lorsque la Commission a basé sa décision sur le motif que la crainte de persécution du demandeur est non fondée.

[24]            Le défendeur soutient que la Commission était autorisée à tirer les conclusions quant au manque de vraisemblance qu'elle a tirées et à s'en tenir à ce qu'elle considérait rationnel dans sa façon d'évaluer la revendication : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[25]            Le défendeur soutient également que les motifs que la Commission a fournis à l'appui de sa conclusion défavorable quant à la crédibilité étaient exprimés dans des _ termes clairs et explicites _, tel que prescrit dans l'arrêt Hilo, précité. La Commission a clairement indiqué les parties de la preuve qu'elle jugeait non crédibles et elle a bien expliqué comment elle était arrivée à ces conclusions.

[26]            Le défendeur soutient que l'ensemble des motifs de la Commission ne doit contenir aucune erreur et qu'en conséquence, il est clair que la Commission a bien compris les faits en rapport avec les revendications des demandeurs et qu'elle a jugé que les éléments de preuve ne suffisaient pas à justifier une décision favorable.

[27]            Subsidiairement, le défendeur soutient que la Commission n'était pas tenue d'examiner la question de la crédibilité du demandeur de façon plus approfondie, parce qu'il ne s'agissait pas de la question déterminante en l'espèce. Les motifs indiquent que la Commission a donné foi à l'incident décrit par les demandeurs, mais qu'elle a quand même conclu qu'ils n'avaient pas démontré le bien-fondé de leur revendication.


[28]            Finalement, le défendeur soutient qu'il incombe aux demandeurs de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a une possibilité sérieuse qu'ils soient persécutés en Albanie et que tant qu'ils ne seront pas déclarés réfugiés au sens de la Convention, le fardeau de la preuve continuera de leur incomber. En l'espèce, les demandeurs ne se sont pas déchargés de ce fardeau.

ANALYSE

[29]            À mon avis, dans la présente affaire, la Commission a trouvé des invraisemblances dans les allégations des demandeurs qui étaient, selon les termes de l'arrêt Aguebor, précité, _ déraisonnables au point _ de justifier l'intervention de la Cour. Les demandeurs m'ont convaincue que la Commission a en effet mal interprété le témoignage du demandeur et subsidiairement, qu'elle a omis de tenir compte d'une partie importante de ce témoignage quand elle a tiré ses conclusions quant au manque de vraisemblance.


[30]            La Commission a tiré des conclusions de non-crédibilité dans cette affaire, en l'absence de fondement factuel ou rationnel à l'appui de ces conclusions. À titre d'exemple, les motifs de la Commission indiquent qu'elle a mal interprété le témoignage du demandeur en ce qui a trait à la poursuite en voiture au cours de laquelle son cousin a été tué. Le demandeur a témoigné que la voiture avait ralenti après que son cousin eut été atteint par balle et que le véhicule avait quitté la chaussée et s'était dirigé vers un fossé où le sol était mou, et non sur une voie pavée. Le demandeur a alors sauté du véhicule. Il a également témoigné qu'il faisait noir à ce moment-là et qu'il a pu échapper aux agents de police pendant qu'ils s'approchaient de la voiture. Il ne pouvait que conjecturer quant à savoir pourquoi les agents de police ne l'avaient pas suivi et il a déclaré qu'il était possible qu'ils ne l'aient pas vu. La transcription indique que son témoignage par rapport à cet incident était conséquent, direct et qu'il fournissait une explication raisonnable. Cependant, à la page 7 de ses motifs, la Commission a interprété cet incident comme suit :

Le tribunal tient pour avéré que le cousin du revendicateur s'est fait tuer, mais il ne croit pas que le revendicateur accompagnait son cousin au moment de l'accident. Le tribunal est d'avis que le témoignage du revendicateur n'est ni crédible, ni plausible. Il ne croit pas que le revendicateur ait pu être avec son cousin, dans la voiture, qu'il ait refusé d'obtempérer à l'ordre de la police de s'immobiliser, qu'il se soit enfui en voiture à toute vitesse, que la police ait poursuivi la voiture, et, alors que la voiture filait, que le revendicateur ait pu sauter de la voiture sans être vu de la police - qui poursuivait la voiture - et qu'il n'ait pas été pris en chasse par la police ni à pied ni en voiture.

[31]            D'après mon examen des transcriptions, les arguments des demandeurs à l'encontre des autres conclusions relatives à la vraisemblance sont convaincants. Le dossier indique que la Commission a mal interprété la preuve ou qu'elle a omis d'en tenir compte. L'erreur est susceptible de révision, comme l'a déclaré le juge Gibson dans l'arrêt Yuksalir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 180 (1re inst.) (QL). En effet, au paragraphe 10, il affirme ce qui suit :

Je suis persuadé qu'il convient qu'une cour de révision intervienne lorsqu'elle est persuadée que l'analyse faite par la SSR pour étayer son appréciation de la crédibilité est si imparfaite ou incomplète qu'on ne saurait dire avec une certaine certitude que son appréciation est autre chose qu'une appréciation qui a été faite de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. Je conclus que tel est le cas en l'espèce. La SSR a, à tout le moins, déformé le témoignage rendu par le requérant devant elle. Elle a méconnu les éléments pertinents du témoignage rendu devant elle au point d'amener la Cour à conclure qu'elle n'aurait pas très bien pu tenir compte de la totalité des éléments de preuve.


[32]            Enfin, la Commission a prétendu tirer une conclusion subsidiaire, en ce sens que, même si la preuve du demandeur était crédible, le climat politique actuel en Albanie indiquait que la crainte de persécution n'était pas objectivement fondée. Cependant, à mon avis, la validité de cette conclusion est douteuse vu les conclusions de crédibilité incorrectes et négatives que la Commission a tirées. Il est impossible de déterminer dans quelle mesure la mauvaise interprétation de la preuve par la Commission a faussé sa perception du fondement objectif de la revendication du demandeur.

[33]            En effet, la Commission a affirmé que l'opinion qu'elle avait sur la crédibilité du demandeur avait eu une incidence sur son évaluation du fondement objectif de la revendication. Il ressort de cette déclaration que la Commission n'était pas disposée à accepter que le témoignage d'une personne appelée à témoigner au nom des demandeurs pouvait avoir une valeur probante dans l'établissement du fondement objectif de la revendication, _ étant donné _ qu'elle avait décidé que les demandeurs n'étaient pas crédibles. Les éléments de preuve fournis corroboraient la revendication des demandeurs et ne constituaient pas seulement un redite de ceux fournis par le demandeur. La Commission n'a procédé à aucune analyse permettant d'expliquer pourquoi elle a conclu que la déposition du témoin n'était pas crédible.


[34]            Comme ce fut le cas dans la décision Hajai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 192 F.T.R. 141, en l'espèce, la Commission a mal interprété la preuve dont elle disposait quand elle a tiré conclusions quant au manque de vraisemblance. Ses conclusions sur d'autres aspects de la cause deviennent donc également suspectes. Tel que l'a déclaré le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance, au paragraphe 14 de la décision Hajai, précitée :

Il arrive un moment où l'accumulation des erreurs, qu'elles soient déterminantes ou non, laisse planer un doute sur la justesse des autres conclusions auxquelles en est arrivé le tribunal. Il est clair que la SSR a fondé sa décision sur des conclusions de fait qui ne tiennent pas compte des documents qui lui ont été présentés. Pour ces motifs, la décision doit être annulée et l'affaire renvoyée à un autre tribunal pour nouvelle décision.

[35]            Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire sera renvoyée à un tribunal de la Section de la protection des réfugiés différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision. La présente demande ne soulève aucune question à certifier.

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal de la Section de la protection des réfugiés différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision. La présente demande ne soulève aucune question à certifier.         

_ E. Heneghan _

ligne

                                                                                                             Juge                                

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Trad.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               IMM-4599-02

INTITULÉ :                              AGRON LUZI ET AL c. MCI

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 6 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LA JUGE HENEGHAN

DATE :                                      LE 10 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :                                                    

Jack c. Martin                           POUR LES DEMANDEURS

                                                                            

Pamela larmondin                       POUR LE DÉFENDEUR

Gordon lee

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack c. Martin                           POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Bureau du droit des réfugiés

206-375, avenue University      

Toronto (Ontario) M5G 2G1   

Tél. : (416) 977-8111

Fax : (416) 601-9255                                          

Morris Rosenberg                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                                                        


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