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Date : 20031020

Dossier : T-1636-02

Référence : 2003 CF 1215

OTTAWA (Ontario), le 20 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL KELEN                                      

ENTRE :

                                                             EDWARD ROY SCOTT

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 23 août 2002 par la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (ci-après la Section d'appel), confirmant la décision du 9 mai 2002 de la Commission nationale des libérations conditionnelles (ci-après la Commission) de maintenir le demandeur en incarcération jusqu'à l'expiration légale de sa peine, conformément à l'article 130 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en libertésous condition, L.C. 1992, ch. 20 (ci-après la Loi).

[2]                 Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance de certiorari annulant l'ordre de détention ainsi qu'une ordonnance lui adjugeant les dépens.

FAITS

[3]                 Le demandeur a 47 ans et il purge actuellement, relativement à des accusations, notamment, d'usage d'une arme à feu, de vol qualifié, d'enlèvement, de viol, de tentative de viol, d'attentat à la pudeur, de voies de fait contre un agent de la paix, de séquestration, de vol, de prise de possession par la force, de méfait, de tentative d'entraver la justice, de conduite dangereuse et de défaut de comparaître, une peine d'emprisonnement globale de 25 ans et 27 jours, pour laquelle la date d'expiration du mandat est le 13 avril 2004. Il est incarcéré à l'établissement de Warkworth depuis le 10 février 1978.

[4]                 Le demandeur n'a jamais été marié, mais a vécu trois fois en union de fait. Il a un fils de 27 ans, né de la première union, et une fille de 17 ans, née de la deuxième. La victime de ses infractions les plus récentes, perpétrées le 10 avril 1995, est sa troisième conjointe de fait, qui est également la mère de son fils de deux ans.


[5]                 Le 10 avril 1995, alors qu'il était en libération d'office, le demandeur s'est querellé avec sa conjointe, l'a menacée de mort et l'a mise de force dans le coffre de sa voiture. Il a été arrêté par la police à la suite d'une poursuite effrénée, pendant laquelle la victime se trouvait toujours dans le coffre de la voiture.

[6]                 Le 16 mai 2000, le Service correctionnel du Canada a décidé d'accorder au demandeur une libération d'office; elle a modifié cette décision par suite d'allégations selon lesquelles le demandeur avait commis des voies de fait sur sa conjointe et l'avait menacée verbalement, le 30 septembre 2000, au cours d'une visite familiale privée. Le demandeur aurait menacé de violer le fils et la fille de sa conjointe devant celle-ci, et de clouer leur bébé à un arbre. Le 11 mai 2001, la Commission a ordonné la détention du demandeur, détention qui a été confirmée le 9 mai 2002, après un examen subséquent. Le présent contrôle judiciaire vise le maintien, par la Section d'appel, de la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles datée du 9 mai 2002.

LA DÉCISION DE LA SECTION D'APPEL


[7]                 La question principale que la Section d'appel devait trancher était la question de savoir si la Commission avait fondé sa décision du 9 mai 2002 sur des renseignements erronés et incomplets. Le demandeur a soutenu en appel que la Commission avait accepté des prétentions erronées du personnel du Service correctionnel du Canada et des psychologues sous-traitants, et qu'elle n'avait tenu compte ni de l'opinion de divers experts qui ne favorisaient pas l'incarcération ni de l'avis et des recommandations de l'équipe de gestion des cas qui avait conclu en 2000 et en 2002 que le demandeur ne commettrait probablement pas une infraction susceptible de causer des dommages graves ou la mort avant la date d'expiration du mandat.

[8]                 Selon la Section d'appel, la décision de la Commission de maintenir le demandeur en incarcération était raisonnable et elle reposait sur des renseignements pertinents et dignes de foi. La Section d'appel a passé en revue l'analyse que la Commission avait effectuée des faits nouveaux pouvant justifier la modification de l'ordonnance de détention initiale du 11 mai 2001, notamment deux rapports cliniques : celui d'un certain Dr Palmer, en date du 25 février 2002 (ci-après le rapport Palmer), et celui d'un certain Dr Hucker, en date du 12 avril 2002 (ci-après le rapport Hucker). La Section d'appel a conclu que la Commission avait examiné les rapports sous tous les angles et avait dissipé toute contradiction dans les résultats actuariels fournis. La Section d'appel a constaté qu'en dépit de variations dans les résultats de l'échelle de la psychopathie révisée (PCL-R) établie pour le demandeur, les résultats demeuraient élevés dans tous les cas. De plus, le résultat du test statique-99 plaçait le demandeur dans la plus élevée des quatre catégories de récidive des délinquants sexuels. Les nouveaux renseignements permettaient le classement du demandeur dans la catégorie des psychopathes présentant un risque élevé ou moyen de récidive avec violence.


[9]                 La Section d'appel a également relevé l'évaluation faite par la Commission des problèmes de violence conjugale du demandeur et du risque qu'il présentait pour un conjoint en cas de libération. Bien que le demandeur eût suivi un programme de réhabilitation, la Commission doutait de sa capacité et de sa volonté de mettre en pratique les habiletés apprises, en particulier dans le cadre de sa relation avec sa conjointe de fait.

[10]            En outre, malgré que l'équipe de gestion des cas ait recommandé l'annulation de l'ordonnance de détention, le demandeur ne pouvait compter sur un soutien communautaire à sa libération. Enfin, la Commission avait des motifs de mettre en doute la crédibilité du demandeur, parce qu'elle avait estimé qu'il s'était montré évasif, manipulateur et sélectif dans ses réponses, à l'audience.

ANALYSE

[11]            La présente affaire repose sur les faits. Le demandeur a fait ressortir certaines parties des rapports cliniques qui sont favorables à sa position, tandis que le défendeur soutient qu'il n'est pas loisible au demandeur de ne choisir, dans l'ensemble des rapports, que les éléments qui lui sont favorables. La Cour remarque que l'article 101 de la Loi donne à la Commission la liberté de tenir compte de toute l'information pertinente, tout en précisant que la protection de la société est le critère déterminant. Aucune restriction ne s'applique à la Commission quant à son appréciation de l'information pertinente.


[12]            Le processus de contrôle judiciaire n'autorise pas la présente Cour à apprécier de nouveau la preuve ou à entendre de nouveau les parties concernant la détention. La Section d'appel devait déterminer si la preuve permettait de conclure que les nouveaux renseignements fournis révélaient que le demandeur était susceptible de causer des dommages graves ou la mort s'il était libéré avant la date d'expiration du mandat.

[13]            Chaque partie invoque des éléments différents des rapports fournis par le personnel du Service correctionnel du Canada et par les experts psychiatres et psychologues. Comme l'énonçait judicieusement le juge McKeown dans la décision Budreo c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1993] A.C.F. no 701, infirmée en partie par la décision Budreo c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1993] A.C.F. no 1266 (C.A.), au paragraphe 32 :

Je suis saisi d'une demande de contrôle judiciaire et non d'un appel. En conséquence, je ne peux nullement « reconsidérer » la décision de la Commission relativement à sa constatation des faits, du moins si elle ne semble pas manifestement déraisonnable. Voici la conclusion tirée par le juge Dubé dans l'affaire Hay v. National Parole Board et al, (1991), 48 F.T.R. 164, à la page 168 :

Il ne suffit pas de prouver que le tribunal a commis une erreur en rendant sa décision. Le requérant doit établir le caractère déraisonnable ou arbitraire de l'application de la loi à son égard... La Cour n'a pas à se prononcer sur la validité des nombreux tests et rapports des psychiatres et des psychologues, lesquels ne sont pas totalement en accord les uns avec les autres. Il incombe à la Commission de déterminer si la mise en liberté totale ou graduelle du requérant, avec ou sans surveillance, constitue un risque pour la société.                      

[14]            L'affaire Hay, précitée, ressemble à l'affaire qui nous concerne. Le juge Dubé s'y est exprimé ainsi au sujet des rapports d'experts contradictoires :


Les rapports déposés en preuve contenaient des éléments à la fois favorables et défavorables au requérant. En règle générale, les rapports de l'équipe de gestion des cas étaient plus favorables. Quant aux rapports médicaux, et plus particulièrement ceux établis par le comité psychiatrique de l'hôpital général de Calgary, ils sont plus circonspects et soulignent les risques que comporte la libération du requérant. La Cour n'a pas à se prononcer sur la validité des nombreux tests et rapports des psychiatres et des psychologues, lesquels ne sont pas totalement en accord les uns avec les autres. Il incombe à la Commission de déterminer si la mise en liberté totale ou graduelle du requérant, avec ou sans surveillance, constitue un risque pour la société. Pour reprendre les termes du juge Strayer dans l'affaire Scott c. Canada (Commission des libérations conditionnelles), [[1988] 1 C.F. 473, à la page 482 (1ère inst.)], « [j]e n'ai cependant pas le pouvoir de "décider à la place" de l'une et l'autre formation et de revenir sur leurs constatations de fait tant, à tout le moins, qu'elles ne paraissent pas, à l'évidence, déraisonnables. » . [Non souligné dans l'original.]

[15]          La Cour n'est pas disposée à modifier les constatations de fait de la Commission, puisqu'elles ne sont pas, à l'évidence, déraisonnables. La Cour partage l'opinion que la décision de la Commission était raisonnable.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES QUE :

La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

          « Michael A. Kelen »                   ___________________________

             JUGE

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-1636-02

INTITULÉ :                                           EDWARD ROY SCOTT c. P.G.C.

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 16 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE KELEN:                    

DATE DES MOTIFS :                        LE 20 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

M. Philip K. Casey                    

POUR LE DEMANDEUR

M. Dogan D. Akman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Philip K. Casey

Avocat

11, rue Princess, bureau 203

Kingston (Ontario) K7L 1A1

Tél. : (613) 546-6411

Télécopieur : (613) 546-2544                

POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


                          COUR FÉDÉRALE

                                                                                 Date : 20031020

                                                       Dossier : T-1636-02

ENTRE :

EDWARD ROY SCOTT

                                                                       demandeur

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        défendeur

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                   


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