Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20000811

Dossier : IMM-6034-99

ENTRE :

RICARDO ALEXANDER RUSSELL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 24 novembre 1999, dans laquelle une agente d'immigration supérieure a décidé de ne pas faire une recommandation portant que le demandeur devait être dispensé de l'exigence, prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration [1](la Loi), selon laquelle il devait quitter le Canada pour présenter une demande de droit d'établissement.


[2]         Le demandeur a immigré au Canada le 24 septembre 1976, à l'âge de sept ans. Il se trouve au Canada depuis cette date. Entre 1986 et 1996, il a été reconnu coupable de 15 infractions qui lui avaient été reprochées, dont la plupart se rapportaient au vol de cartes de crédit et à la possession de cartes de crédits volées[2].

[3]         Une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur le 11 septembre 1996, conformément à l'alinéa 27(1)d) de la Loi, sur le fondement qu'il était inadmissible à demeurer au Canada en raison de ses activités criminelles.

[4]         Le demandeur a un fils, Isaiah, qui est né en avril 1998. En juin 1998, il a épousé Emee Talaban, qui n'est pas la mère d'Isaiah. Le demandeur a témoigné qu'il voit son fils les fins de semaine et qu'il versait la somme de 300 $ chaque mois à titre de pension alimentaire jusqu'à ce qu'il perde son emploi. À l'époque de l'entrevue en cause dans la présente affaire, le demandeur ne travaillait pas, et il a déclaré que son épouse l'aidait à faire ses paiements[3].

[5]         Le 8 août 1998, le demandeur a présenté une demande d'établissement au Canada fondée sur des motifs d'ordre humanitaire.

[6]         Le 31 janvier 1999, le demandeur a été détenu pour avoir omis de se présenter à une entrevue relative à son départ. Il a été sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion par une ordonnance du juge McKeown datée du 24 février 1999. Le demandeur a été libéré le 9 mars 1999[4].


[7]         Le 13 août 1999, le demandeur a été avisé qu'il devait se présenter en vue d'être expulsé vers la Jamaïque le 31 août 1999.

[8]         À un certain moment entre la fin de l'entrevue le 27 août 1999 et le 24 novembre 1999, date à laquelle le demandeur a reçu les motifs de la décision, la mesure de renvoi a été exécutée[5].

[9]         Le 24 novembre 1999, les motifs de la décision ont été communiqués par lettre à l'avocat du demandeur.

[10]             L'agente a souligné que les parents et les quatre frères et soeurs du demandeur résidaient toujours au Canada et que le demandeur souffrirait sur le plan affectif s'il était renvoyé du pays. Elle a reconnu l'authenticité du mariage du demandeur, qui avait eu lieu le 6 juin 1998.

[11]             L'agente a reconnu le lien étroit qui existait entre le demandeur et son enfant né au Canada, [TRADUCTION] « à qui il rend visite régulièrement et accorde une aide financière » , le fait que le renvoi du demandeur du Canada les priverait, lui et son enfant, de [TRADUCTION] « une relation père-fils continue » , et le fait que le demandeur souffrirait sur le plan affectif s'il était renvoyé en Jamaïque, un pays avec lequel il n'entretient pas de lien.


[12]       En ce qui concerne le degré d'établissement du demandeur au pays, l'agente a tenu compte de ses études primaires et secondaires et du fait qu'il avait suivi un programme de trois ans à la DeVry Institute of Technology en programmation, qu'il faisait du bénévolat pour l'organisme Meals on Wheels depuis septembre 1996, et qu'il avait versé 300 $ par mois à titre de pension alimentaire pour son fils jusqu'en juin 1998.

[13]             Cependant, elle a conclu que les antécédents criminels du demandeur l'emportaient sur tous les facteurs de nature humanitaire.

[14]       Le demandeur soutient que le défendeur a violé l'équité procédurale lorsqu'elle a omis de fournir des motifs suffisants expliquant pourquoi les motifs d'ordre humanitaire ne l'emportaient pas sur l'inadmissibilité du demandeur.

[15]       Il ne fait aucun doute que des motifs doivent être fournis dans une telle affaire. Il ne fait pas de doute non plus que des motifs ont effectivement étéfournis. Il semble que la seule question litigieuse est de savoir si ces motifs étaient suffisants.

[16]       Dans l'arrêt Suresh c. Canada[6], la Cour d'appel a traité de la question de savoir si les motifs étaient suffisants. On a soutenu dans cette affaire qu'une note de service d'un agent d'immigration de premier niveau, sur laquelle un ministre avait fondé sa décision, était insuffisant pour satisfaire à l'exigence en matière de motifs prévue dans l'arrêt Baker[7]. Voici ce que le juge Robertson de la Cour d'appel a dit :


L'argument de l'appelant n'est pas fondé, selon moi. Si, comme l'a reconnu l'arrêt Baker, précité, les notes gribouillées par un agent d'immigra­tion peuvent être considérées comme des motifs écrits, cela vaut également pour le mémoire soumis au ministre en l'espèce. Cela dit, je crois que le caractère suffisant des motifs peut être soulevévalablement dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, dans la mesure oùces motifs ne rendent pas compte de l'examen des facteurs pertinents [...]

[Non souligné dans l'original.][8]

[17]       En bref, s'il est satisfait à l'exigence relative aux motifs, le seul fondement sur lequel la question de savoir si les motifs étaient suffisants peut être examinée réside dans la question de savoir si ces motifs ont omis de tenir compte de critères pertinents.

[18]       En l'espèce, je suis d'avis que l'agente a examiné les facteurs pertinents. Il ressort de ses notes dactylographiées qu'elle a tenu compte des liens familiaux du demandeur au Canada et du fait qu'il n'avait pas de tels lien en Jamaïque. Elle a noté le lien qui existait entre le demandeur et son épouse et son enfant de même que le soutien financier qu'il accordait à ce dernier. Elle a en outre tenu compte de ses antécédents professionnels, ses études, et ses condamnations au criminel.

[19]       Après avoir soupesé ces facteurs, elle a conclu qu'un ensemble de facteurs l'emportaient sur l'autre ensemble de facteurs.

[20]       Par ailleurs, dans l'arrêt Baker, il a été conclu que la décision de l'agent était déraisonnable vu son omission de tenir compte de l'intérêt des enfants. Voici ce que le juge L'Heureux-Dubé a dit :


Je conclus qu'étant donné que les motifs de la décision n'indiquent pas qu'elle a été rendue d'une manière réceptive, attentive ou sensible à l'intérêt des enfants de Mme Baker, ni que leur intérêt ait été considéré comme un facteur décisionnel important, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoir conféré par la loi et doit donc être infirmée[9].

[21]       Dans I.G. c. Canada (M.C.I.)[10], le juge Lemieux a conclu qu'on avait complètement omis de tenir compte de l'intérêt des enfants et qu'en conséquence, la détermination était déraisonnable.

[22]       Dans Sovalbarro c. Canada (M.C.I.)[11], le juge McDonald (à titre de juge de première instance) a conclu qu'on n'avait pas tenu compte de l'intérêt des enfants. Il a fait la remarque suivante :

[...] il est clair que l'agent d'immigration a accordépeu d'importance ou n'a pas accordéd'importance à l'intérêt des enfants des demandeurs. De fait, dans les notes qu'il a prises, il est fort peu question des enfants.

[23]       Contrairement à toutes ces affaires, des éléments de preuve établissent dans la présente espèce que l'agente a bel et bien tenu compte de l'intérêt de l'enfant, qui est né au Canada[12]. Voici ce qu'elle dit dans ses notes :

[TRADUCTION] L'intéressé a également un lien étroit avec son enfant, qui est né au Canada, à qui il rend visite régulièrement et accorde une aide financière. Le renvoi de l'intéressé du Canada les priverait, lui et son enfant, d'une relation père-fils continue[13].

[24]       En outre, elle fait la recommandation suivante dans ses notes :


[TRADUCTION] J'ai également noté le lien de l'intéressé avec son fils, qui est né au Canada, et le soutien qu'il lui fournit, tant sur les plans affectif que financier. Néanmoins, je suis d'avis que les antécédents criminels de l'intéressél'emportent sur tous les facteurs de nature humanitaire. L'épouse du demandeur pourra continuer de fournir une aide financière à son enfant, jusqu'à ce qu'il soit en mesure de lui fournir son aide depuis l'étranger. En conséquence, j'estime que l'enfant né au Canada ne subirait pas de difficultés excessives si la demande de droit d'établissement de l'intéressé était rejetée[14].

[25]       La situation en l'espèce n'est pas semblable à celle de l'affaire Baker. L'enfant ne vit pas avec le demandeur. Le demandeur fournit une aide financière limitée à l'enfant, mais son épouse contribue. L'agente a conclu que même si le demandeur s'établissait à l'extérieur du Canada, rien ne l'empêcherait de continuer de fournir une telle aide à son fils. L'agente a aussi clairement tenu compte de la perte affective que vivrait l'enfant en perdant le lien qui existe entre lui et son père, mais elle a expressément conclu que l'enfant, qui est né au Canada, ne subirait pas de « difficultés excessives » .

[26]       En conséquence, je n'estime pas que la décision puisse être considérée comme déraisonnable parce qu'elle n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant.


[27]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

          « Danièle Tremblay-Lamer »                                                                                                                        JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 11 août 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-6034-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Ricardo Alexander Russell c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                        le 9 août 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :                                    11 août 2000

ONT COMPARU :            

M. Max Chaudhary

Pour le demandeur

Mme Catherine Vasilaros

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

Chaudhary Law Office

North York (Ontario)

Pour le demandeur

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur



[1]             L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]             Dossier du demandeur, aux pp. 45 à 47.

[3]             Dossier du demandeur, aux pp. 21 à 26, affidavit de Ricardo Alexander Russell.

[4]             Dossier du demandeur, aux pp. 35 à 39, affidavit de Marko Virotovich et p. 72 de l'ordonnance du juge McKeown (24 février 1999).

[5]             Dossier du demandeur, à la p. 88, mémoire du demandeur, au par. 4.

[6]             [2000] 2 C.F. 592 (C.A.F.).

[7]             Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817.

[8]            Supra, note 6, par. 55, à la p. 637.

[9]            Supra, note 7, à la p. 863.

[10]           (2 novembre 1999) IMM-2674-98 (C.F. 1re inst.).

[11]           (1999) 174 F.T.R. 156, au par. 12.

[12]           Voir Mayburov c. Canada (M.C.I.) (8 juin 2000) IMM-2218-99 (C.F. 1re inst.), une affaire similaire dans laquelle l'agent d'immigration a effectivement tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants, de sorte qu'il a étéconclu que la décision était raisonnable.

[13]           Dossier du demandeur, à la p. 7, motifs écrits du tribunal.

[14]           Dossier du demandeur, à la p. 11, motifs écrits du tribunal.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.